Arthur Lismer et les cours d’art pour enfants : un défi Co-Lab

Par Brianna Fitzgerald

Depuis que les restrictions liées à la COVID-19 ont mis sur pause les programmes dédiés aux enfants, l’énergie, le bruit et la créativité qui animaient plusieurs musées des beaux-arts du pays, pendant les matinées de fin de semaine, semblent chose du passé. Comme les cours et les ateliers d’arts ont dû passer en mode virtuel pour s’adapter au contexte actuel, nous vivons une période de grand changement dans le domaine de l’éducation artistique des enfants. Susciter la créativité des jeunes en mode virtuel constitue en effet un beau défi.

Ce n’est pas la première fois que les méthodes d’éducation artistique des enfants sont bousculées. Dans les années 30, le peintre Arthur Lismer (1885-1969), membre du Groupe des Sept, a entrepris de réformer radicalement l’éducation artistique au Canada. Il voulait transformer les musées d’art en faisant de ces lieux formels des espaces communautaires animés.

Lorsque j’ai posé les yeux sur des images de cours d’art donnés par Lismer, dans le fonds Ronny Jaques conservé à Bibliothèque et Archives Canada, j’ai senti émerger en moi un flot de souvenirs de ma propre enfance passée dans les cours d’arts, et de l’enthousiasme frénétique des petites mains et des jeunes esprits au travail. Avant de trouver ces images, j’ignorais l’importance de l’enseignement dans la vie de Lismer, ainsi que ses efforts inlassables pour populariser l’éducation artistique et en faire reconnaître l’importance. J’ignorais également à quel point son modèle éducatif des années 30 ressemblait à celui que j’avais connu des décennies plus tard. Dans les années 30, les cours d’art dédiés aux enfants ont gagné en popularité partout au pays, en grande partie grâce au travail acharné et à l’innovation de Lismer.

Photographie noir et blanc d’une jeune fille aux tresses noires vêtue d’un tablier pâle et agenouillée sur le plancher avec un pinceau dans la main droite. On peut voir le bas d’un tableau encadré derrière elle.

Une jeune fille avec un pinceau pendant un cours d’art pour enfants donné par Arthur Lismer, Toronto (e010958789)

En 1929, Lismer est nommé directeur de l’éducation au Musée des beaux-arts de Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario). Il commence à mettre en place plusieurs programmes pour concrétiser son désir de rendre l’art accessible à tous, et ainsi faire du musée un espace communautaire.

Sa première réussite consiste à organiser des visites pour les écoles, visites qui feront partie intégrante de certains programmes au conseil scolaire de Toronto. Lismer lance ensuite les cours d’art pour enfants du samedi matin. Le personnel enseignant et la direction des écoles de la région sélectionnent leurs meilleurs artistes pour que ces enfants soient invités aux cours du Musée. Ces cours ne coûtent que quelques dollars pour l’achat du matériel, et les élèves ont la chance de remporter une bourse permettant de suivre un cours élémentaire à l’Ontario College of Art (maintenant l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario).

Accueillant environ 300 élèves chaque semaine, le Musée connaît des samedis matin animés. Les enfants sont autorisés à travailler librement et encouragés à explorer leurs idées et leurs pulsions créatrices. En plus de peindre et dessiner, ils pratiquent la sculpture à l’argile, créent des costumes et participent à des spectacles. Les cours ont lieu dans les musées. Les enfants, éparpillés sur le plancher, travaillent sur de multiples moyens d’expression, entourés d’œuvres d’art célèbres accrochées aux murs. Pendant les années 30 et 40, des expositions d’œuvres créées par les enfants pendant les cours du samedi matin figurent couramment dans le programme du Musée.

Photographie noir et blanc d’enfants agenouillés dans un musée d’art, au milieu du plancher, entourés de papier et de fournitures artistiques. Une enseignante debout au milieu de la pièce aide une élève. Les murs sont parsemés de peintures encadrées, et on peut voir une galerie adjacente derrière quatre colonnes foncées. De la scène émane l’énergie des enfants qui construisent des maisons en papier.

: Participants au cours d’art pour enfants organisé par Arthur Lismer (e010980053)

Les cours du samedi donneront finalement naissance au Centre d’art du Musée des beaux-arts de Toronto, qui appuiera les activités pédagogiques du Musée. Ce centre permettra la tenue de classes plus petites pour intensifier les interactions avec chacun des enfants, en plus d’ouvrir de nouvelles possibilités pour concrétiser les projets de Lismer.

Après plusieurs années de succès à la tête du programme du Centre d’art, Lismer est invité à faire une tournée de conférences dans l’ensemble du pays pour parler de l’art canadien et des cours d’art pour enfants. Lismer avait déjà présenté ses méthodes à des enseignants de Toronto pour que ceux-ci les intègrent dans leurs propres cours. Grâce à cette tournée de conférences, Lismer a maintenant la chance de changer la manière dont on enseigne l’art partout au pays.

Le Musée des beaux-arts de Toronto n’est ni la première ni la dernière aventure de Lismer dans le monde de l’éducation artistique pour enfants. En 1917, à Halifax, il organise des cours du samedi matin à la Victoria School of Art and Design (aujourd’hui le Nova Scotia College of Art and Design), dont il est le directeur. Après son poste à Toronto et sa tournée de conférences, Lismer est nommé, en 1940, directeur de l’éducation au Musée des beaux-arts de Montréal. Comme à Toronto, il met sur pied un centre d’art et un programme éducatif. Même après sa retraite en 1967, et jusqu’à sa mort en 1969, à l’âge de 83 ans, il poursuit son engagement auprès du Centre d’art de Montréal.

Photographie noir et blanc sur laquelle six garçons sont assis dans un musée d’art. Devant chacun d’eux, une chaise sert de chevalet. Deux toiles encadrées ornent le mur en arrière-plan et du papier journal recouvre le sol.

Garçons en train de dessiner dans un cours d’art pour enfants organisé par Arthur Lismer (e010980075)

Plus de cent images de ces enfants suivant des cours d’art peuvent être consultées en ligne. Elles témoignent de la grande variété d’activités créées par Lismer pour ses programmes éducatifs, et offrent un point de vue intéressant sur des cours tenus il y a plus de 80 ans. Elles montrent des scènes bien connues d’enfants éparpillés sur les planchers d’un musée, ramassant du matériel d’art, peignant devant des chevalets de fortune ou sculptant l’argile sur une table minutieusement recouverte de papier journal.

Bien que les cours d’art pour enfants donnés pendant la pandémie n’aient pas le même aspect, nous pouvons tous espérer que les musées d’art seront bientôt repris d’assaut par le bruit, le désordre et l’enthousiasme des cours du samedi matin.

BAC a créé un défi Co-Lab sur les cours d’art pour enfants de Lismer. Si vous reconnaissez une personne, un endroit dans le Musée ou une œuvre d’art sur les photographies, n’hésitez pas à ajouter une étiquette!


Brianna Fitzgerald est technicienne d’imagerie numérique à la Direction générale des opérations numériques et de la préservation de Bibliothèque et Archives Canada.

Lumière sur la photographie de portrait

Par François Deslauriers

J’ai toujours été captivé par les portraits photographiques et ce qui se passe derrière l’objectif. Plus jeune, j’étais fasciné par les photos d’artiste, les pochettes de disque de mes groupes préférés et les portraits d’auteur sur les jaquettes de livre. Cette passion m’habite toujours.

Je ressens les mêmes émotions lorsque je regarde des portraits de personnages historiques dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. En observant ces images, je me pose plusieurs questions : Comment le photographe a-t-il obtenu ce résultat? Qu’est-ce qui donne de la profondeur à ce portrait? Ce n’est pas un coup de chance. Tout est dans l’éclairage!

Bien sûr, d’autres aspects sont importants pour la prise d’une photo : la composition, la prise de vue, le choix de la lentille, etc. Les techniques d’éclairage de la photographie de portrait et de la cinématographie (y compris du cinéma moderne) ont une base très solide qui date du 17e siècle : les œuvres du peintre Rembrandt. Une des techniques d’éclairage les plus fréquemment utilisées dans la photographie moderne a d’ailleurs été nommée en l’honneur de ce grand maître.

Examinons cette technique et ses origines.

L’éclairage Rembrandt a reçu le nom du maître peintre qui utilisait souvent cette technique pour ses propres portraits. Ses scènes et ses portraits étaient souvent illuminés par des sources de lumière, comme des fenêtres ou des bougies.

Photo noir et blanc d’une jeune femme en robe de dentelle blanche, face à l’objectif.

Éva Gauthier, 1906. Photo : William James Topley (a193008)

À la base, l’éclairage Rembrandt place une seule source de lumière à environ 45 degrés du sujet, légèrement au-dessus du niveau des yeux. On crée ainsi, du côté ombragé, un triangle de lumière inversé sur la joue du sujet. Cette technique est très avantageuse, car elle apporte une luminosité qu’on peut contrôler pour « modeler » le visage du sujet. Comme nos yeux sont généralement attirés par les zones claires que créent les hautes lumières, cette technique permet au photographe de mettre en valeur un des profils du sujet, notamment au moyen de zones particulièrement éclairées, et de laisser l’autre dans l’ombre. (Voir aussi : clair-obscur)

Cette technique permet de mettre l’accent sur certains traits, dans les zones bien éclairées, et d’en dissimuler d’autres dans l’ombre. Le contraste produit entre les côtés lumineux et sombre donne également une dimension, une atmosphère et un effet dramatique à la photo, ce qui lui confère un plus grand impact visuel.

Photo noir et blanc d’un homme vêtu d’un complet foncé, face à l’objectif.

M. Norman Watt, 1905. Studio Topley (e011169853)

Photo couleur d’une femme avec des lunettes, face à l’objectif. On aperçoit des récipients et des bouteilles remplis de liquide à l’avant-plan.

Portrait de Deborah Zamble, 2002. Susan King (e006610232); droit d’auteur : Susan King

Photo noir et blanc d’une femme tenant une cigarette.

L’actrice Joan Crawford. Photo : Yousuf Karsh (a212246)

Il est important d’attirer l’attention vers les yeux du sujet. La création d’un reflet dans les deux yeux est donc essentielle. Qu’entend-on par reflet? Il s’agit des petits points blancs qui apparaissent dans les yeux lorsqu’une source de lumière pointe directement dans les globes oculaires. Dans un portrait, l’emplacement de l’éclairage est crucial. La source d’éclairage est normalement placée dans un endroit suffisamment élevé pour créer un triangle de lumière, mais assez bas pour produire un reflet dans les yeux. Cela permet d’attirer l’attention vers le regard, qui semble alors briller.

Photo noir et blanc d’un homme, les mains jointes devant lui.

Albert Einstein, 1948. Photo : Yousuf Karsh (A212510)

Photo noir et blanc d’un garçon vêtu d’un complet.

Sir Charles Hibbert Tupper, 1870. Photo : William James Topley (a025346)

Grâce à la technologie moderne, nous avons maintenant des sources de lumière puissantes, comme des flashs et des panneaux d’éclairage à DEL, qui sont transportables et imitent la lumière du jour. Ces sources de lumière sont certainement plus pratiques que les bougies!

L’éclairage Rembrandt est simple, efficace et souvent flatteur pour le profil du sujet. Si vous y prêtez attention, vous observerez fréquemment cette technique dans les portraits de notre collection, ainsi que dans vos films et séries télévisées préférés.


François Deslauriers est technicien en imagerie numérique à la Division des opérations numériques et de la préservation de Bibliothèque et Archives Canada.

Pour de meilleures notices : l’exemple des boîtes en écorce de bouleau

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Par Vasanthi Pendakur et Elizabeth Kawenaa Montour

Un couvercle de boîte en écorce de bouleau orné d’un homme des Premières Nations. Ce dernier est assis de profil et fume la pipe au milieu d’un cercle placé au centre. Des fleurs rouge, blanc et bleu sont brodées de part et d’autre du cercle, et un motif de losange figure au-dessus et en dessous du cercle.
Un couvercle de boîte en écorce de bouleau orné de broderies représentant des carreaux et un homme des Premières Nations fumant la pipe (e010948522)

Les boîtes en écorce de bouleau sont des artefacts extrêmement rares de la collection de Bibliothèque et Archives Canada. De forme tridimensionnelle, elles sont ornées de broderies réalisées à partir de poils d’orignaux insérés dans des trous percés dans l’écorce. Les Premières Nations utilisaient les poils d’orignaux pour décorer des objets avant l’arrivée des Européens.

Les boîtes de cet ensemble s’apparentent à celles créées dans les couvents des Ursulines de Québec. Elles ont probablement été fabriquées pour être vendues aux touristes qui visitaient Québec au 18e siècle. Les boîtes de ce type étaient des souvenirs prisés, d’abord par l’élite française, puis par l’armée britannique. Ces boîtes en particulier appartenaient à un officier stationné à Niagara durant la guerre de l’Indépendance des États-Unis. Selon la notice, elles datent de 1780 à 1800 et ont été acquises par Henry Powell (décédé en 1815), du 53e Régiment de fantassins.

Un côté d’une boîte en écorce de bouleau (e010948522_s6)

Après avoir observé ces artefacts et lu leur description, nous avons découvert de l’information supplémentaire qui a permis d’en améliorer la description.

Au moment de créer une notice pour décrire des archives, un agent du contrôle de la qualité saisit l’information dans le catalogue et vérifie son exactitude, souvent en collaboration avec l’archiviste responsable. Dans le cas présent, l’archiviste a validé la nature des matériaux utilisés pour fabriquer et décorer la boîte : l’écorce de bouleau et les poils d’orignaux.

Un couvercle de boîte en écorce de bouleau orné de broderies représentant des motifs de piques et un homme des Premières Nations fumant la pipe (e010948521)
Un couvercle de boîte en écorce de bouleau sur lequel figure une femme des Premières Nations. Celle-ci se tient de profil au milieu d’un cercle placé au centre, portant un enfant sur son dos. Des fleurs rouge, blanc et bleu sont brodées de part et d’autre du cercle, et un motif de trèfle figure au-dessus et en dessous du cercle.
Un couvercle de boîte en écorce de bouleau orné de broderies représentant des trèfles et une femme des Premières Nations; cette dernière se tient de profil et porte un enfant sur son dos (e010948523)

Les boîtes de cet ensemble sont toutes de la même taille. Si les broderies se ressemblent à première vue, chaque boîte présente un motif unique basé sur l’une des couleurs du jeu de cartes : cœur, carreau, trèfle ou pique. Chaque couvercle est orné de deux motifs brodés de l’une des quatre couleurs.

De plus, les quatre couvercles montrent un personnage des Premières Nations de profil au milieu du cercle au centre : deux représentent un homme fumant la pipe; le troisième, un homme armé d’un arc et d’une flèche; et le quatrième, une femme portant un enfant dans un tikinagan. De part et d’autre des cercles figurent des motifs brodés de fleurs, de feuilles et de tiges colorées. De longs poils d’orignaux sont fixés aux rebords de la boîte.

Un couvercle de boîte en écorce de bouleau orné de broderies représentant des cœurs et un homme des Premières Nations armé d’un arc et d’une flèche, debout de profil (e010948520)

En faisant des recherches, nous avons découvert dans les collections du Musée McCord un panier en écorce de bouleau orné de broderies en poils d’orignaux. Il porte la description suivante :

« En 1714, […] mère St-Joseph, ursuline de Trois-Rivières, enseigne l’art de la broderie sur l’écorce. Nous possédons également des informations sur mère Sainte-Marie-Madeleine (Anne Du Bos), née à Sillery en 1678, d’un père français et d’une mère huronne-wendate. Selon la nécrologie de cette religieuse ursuline (1734), celle-ci consacra les dernières années de sa vie à l’enseignement de la broderie, notamment la broderie en poil d’orignal. Dès 1720, la broderie en poil d’orignal est reconnue comme une forme de travail d’aiguille très raffinée et élégante. »

Les boîtes figurant dans la collection de BAC semblent être du même style.

Même après la propagation des matériaux européens, les ressources locales ont continué d’être utilisées dans la fabrication de souvenirs. Les Premières Nations et les sœurs ursulines auraient toutes deux pu fabriquer ce type de boîtes pour l’industrie du tourisme : c’est pourquoi une certaine confusion entoure l’origine de l’ensemble de boîtes conservées à BAC.

Dans la notice, l’archiviste a indiqué que la provenance était inconnue. Puisque ce style de boîtes était répandu, on ne peut pas dire avec certitude si ce sont des sœurs, des filles des Premières Nations ou des femmes françaises qui les ont fabriquées. En fin de compte, la description a été revue pour refléter l’incertitude entourant l’identité des artistes. C’est ainsi que j’ai appris qu’on pouvait améliorer les notices et les rendre plus accessibles grâce à de nouvelles recherches.

Cet exemple donne un très bref aperçu de la tâche de révision des descriptions historiques. Des archivistes réexaminent actuellement des descriptions existantes afin de les rendre plus exactes, mais il reste encore beaucoup à faire.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Vasanthi Pendakur est une ancienne gestionnaire de projet de la Division des expositions et du contenu en ligne. Elle était responsable de la recherche et de la publication des albums Flickr de BAC. Elizabeth Kawenaa Montour est une archiviste et recherchiste autochtone qui travaille au sein de la Division des expositions et du contenu en ligne. Elle s’occupe de la recherche et de la rédaction de contenu autochtone pour les billets de blogue et les albums Flickr.

Les timbres-poste conçus par Helen Roberta Fitzgerald

Par James Bone

Helen Roberta Fitzgerald (Helen Bacon, dans certains documents) est la première femme à concevoir des timbres-poste pour le Canada. Son premier timbre est Union mondiale de femmes rurales (1959). Elle en concevra ensuite six autres, tous acceptés par le ministère des Postes de l’époque. Si l’on compte son concept de Noël apparu sur deux timbres différents, ses œuvres seront utilisées pour illustrer huit timbres-poste canadiens.

Née en 1919 à Edmonton (Alberta), Helen Roberta Fitzgerald grandit à Toronto et passe la plus grande partie de sa vie en Ontario. Elle étudie l’art et le design dès son plus jeune âge, puis termine son éducation à l’École d’art de l’Ontario (maintenant l’Université de l’EADO), où elle enseignera plus tard. En plus d’enseigner, elle participe aux travaux d’art commercial du catalogue Eaton et fait de la pige dans les domaines de l’infographie et de la maquette. Elle participe très activement aux techniques artistiques faisant appel au textile, à la mosaïque et à la broderie. Plusieurs églises de l’Ontario l’embauchent d’ailleurs pour réaliser des œuvres ecclésiastiques.

Photo noir et blanc d’une femme qui sourit.
Helen Roberta Fitzgerald, en 1978. Photo fournie par l’artiste elle-même pour le projet de base de données des Archives postales canadiennes.

Helen Roberta Fitzgerald conçoit ensuite d’autres timbres, dont Association des Guides (1960), L’instruction fait la force (1962), Victoria, 1862-1962 (1962), Noël : offrandes des Rois mages (1965) et Sécurité routière (1966). Contrairement à d’autres concepteurs, elle dessine souvent ses timbres selon la grandeur et l’échelle réelles du résultat final plutôt que d’opter pour un grand format qui nécessite par la suite une réduction. Le timbre L’instruction fait la force montre les avantages de cette méthode, les éléments de conception occupant avec précision l’espace disponible.

Timbre à deux tons montrant un garçon et une fille tenant des diplômes et regardant au loin. Plusieurs symboles orange représentent des domaines du savoir : bâtiment classique, couronne, marteau, mécanismes, machine à écrire, équation scientifique, violon, globe, livre, microscope, etc.
La force par l’éducation (e001218439), droit d’auteur de la Société canadienne des postes. Notons que le timbre a été émis sous un nom différent en français (L’instruction fait la force).

Ce n’est que pendant une courte période de sa vie qu’Helen Roberta Fitzgerald conçoit des timbres-poste, soit de 1959 à 1967. Le concept de son dernier timbre canadien, La femme doit voter, 1917-1967 (1967), reçoit un accueil défavorable, ce qui contribue peut-être à la fin de sa collaboration avec le ministère des Postes.

Outre les timbres-poste qu’elle conçoit pour le Canada, l’artiste soumet des concepts pour l’emblème du Centenaire du Canada (1967) et peint des poissons qui servent entre autres à illustrer une série de timbres des Maldives, en 1963.

Dessin couleur montrant un poisson aux couleurs vives avec des rayures jaunes, bleues et noires sur un arrière-plan bleu.
Pygoplites diacanthus (poisson-ange duc), concept peint pour un timbre-poste des Maldives (e011202373).

Helen Roberta Fitzgerald prendra sa retraite à King City (Ontario), où elle continuera à pratiquer les arts. Elle y vivra avec son époux Wilfred Bacon jusqu’à son décès en 2009.

Bibliothèque et Archives Canada a reçu un don de quelques documents d’archives liés à Helen Roberta Fitzgerald, comprenant des peintures de la série des Maldives, des diapositives montrant une mosaïque de concepts pour le timbre Union mondiale de femmes rurales, des concepts pour l’emblème du Centenaire du Canada, des essais de concept pour le timbre-poste Sécurité routière, de la correspondance, des plis postaux et des coupures de journaux portant sur son travail. Tous les documents du fonds Helen Roberta Fitzgerald sont ouverts à la consultation.


James Bone est archiviste en philatélie et en art au sein de la Section des supports spécialisés privés, à Bibliothèque et Archives Canada.

Le Conseil canadien des arts esquimaux : Définir l’art inuit

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.
Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.
Par Heather Campbell

En 1961, le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada finance la création du Conseil canadien des arts esquimaux. L’objectif de cet organisme : remédier à la soi-disant baisse de la qualité de l’art inuit et instaurer un système pour approuver les images destinées à la gravure inuite (alors une nouvelle pratique). Le Conseil doit notamment créer un jury pour choisir les œuvres qui feront partie des collections annuelles de gravures inuites. La sélection se fait surtout à Cape Dorset et à Baker Lake, dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui le Nunavut). Le Conseil monte également l’exposition Chefs-d’œuvre de l’Arctique canadien, qui fait le tour du monde de novembre 1971 à juin 1973 et connaît un franc succès.

Photo noir et blanc de sept hommes en complet, debout en train de regarder des œuvres étalées sur une table.

Les membres du Conseil canadien des arts esquimaux, 1962. (e011177569-v8)

En outre, le Conseil est chargé d’approuver les collections annuelles de gravures du Conseil des arts esquimaux de Cape Dorset, ainsi que les collections d’autres communautés, dont Ulukhaktok (anciennement Holman), dans les Territoires du Nord-Ouest; Pangnirtung, sur le territoire actuel du Nunavut; et Povungnituk et Inukjuak, au Nunavik, dans le Nord-du-Québec. Il crée également le programme de l’étiquette Igloo pour authentifier les sculptures inuites; il s’agit d’apposer sur l’œuvre une étiquette ou un autocollant qui donne de l’information sur l’artiste. Nous vous présentons une image de l’étiquette à la fin de ce billet.

Bref, le Conseil fait connaître l’art inuit sur la scène mondiale et aide à élargir ce marché, contribuant à façonner l’art inuit tel que nous le connaissons aujourd’hui.

La collection du Conseil canadien des arts esquimaux a été confiée à Bibliothèque et Archives Canada en 1991. Elle comprend des archives de diverses natures : documents opérationnels, rapports, demandes de droit d’auteur, correspondance, enregistrements audio de réunions, transcriptions d’entrevues et documents liés à l’exposition Chefs-d’œuvre de l’Arctique canadien (aussi connue sous le titre Sculpture/Inuit). Elle nous permet de mieux comprendre comment le marché de l’art inuit a été développé, des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980.

Photo noir et blanc de quatre adultes et d’un enfant souriant à la caméra.

Photo de groupe prise au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, avec Ruby Arngn’naaq (à droite) et Osuitok Ipeelee (au centre), 1973. (e011312911)

La collection du Conseil comprend également plusieurs catalogues de gravures et de sculptures inuites, classés selon leur communauté d’origine. On y trouve aussi des enregistrements audio de conférences et d’ateliers sur la sculpture et la gravure, où l’on peut entendre des témoignages d’artistes inuits exprimant directement leurs préoccupations. Ces enregistrements nous aident à mieux comprendre la dynamique de l’époque entre les artistes et le Conseil.

Par exemple, les rapports sur les visites du Conseil nous apprennent que les membres ont rencontré des artistes qui souhaitaient que leurs œuvres soient mises en valeur dans le Sud, œuvres qui étaient jugées comme ayant un potentiel commercial. On peut aussi y lire les critères généraux justifiant l’acceptation ou le rejet de certaines gravures. Une lecture attentive des procès-verbaux et de la correspondance révèle quant à elle les préférences artistiques du Conseil, ce qui permet de comprendre pourquoi celui-ci avait décidé de ne pas promouvoir certaines œuvres.

Page d’un document où figurent trois paragraphes dactylographiés sous le titre "Rejected Prints" (Gravures « rejetées »).

Critères du jury du Conseil canadien des arts esquimaux pour sélectionner les gravures de la collection, 1980, p. 5. (e011270883)

Lorsqu’on considère le Conseil consultatif des arts esquimaux dans son ensemble, on comprend qu’il était représentatif de son époque, et qu’il incarnait les attitudes sociétales qui dominaient à l’égard des peuples autochtones et de leurs œuvres.

À la lecture des entrevues menées auprès d’artistes, il est évident que les membres du Conseil avaient une conception bien différente de ce qui constituait une « bonne » œuvre d’art inuite. De façon générale, les Inuits valorisaient les œuvres figuratives ayant une grande finesse dans l’exécution. Contrairement à maints collectionneurs de l’époque et aux membres du Conseil, ils ne tenaient pas en haute estime les sculptures qui manquaient de finition ou qui étaient perçues par les gens du Sud comme étant « primitives ».

On peut donc affirmer que, par son influence sur l’art inuit, le Conseil consultatif des arts esquimaux a contribué à créer une esthétique « primitive » qui ne correspondait pas tout à fait aux principes esthétiques traditionnels de la culture inuite. Par exemple, des entrevues réalisées avec des artistes du Nunavik montrent que ceux-ci, perplexes, ne comprenaient pas pourquoi les œuvres de certains artistes étaient si populaires auprès de la population du Sud.

Et pourquoi tant d’artistes inuits étaient-ils obligés d’entrer dans ce moule répressif et inauthentique? Il faut dire que bien souvent, l’artiste inuit était vu uniquement comme cela : « un artiste inuit », et non une personne ayant sa propre conception de l’esthétisme, ou ses propres idées dignes d’être couchées sur papier, ciselées dans le roc ou immortalisées dans un matériau de son choix.

Comme le montre l’image ci-dessous, tirée d’un livret sur les prix rédigé par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, les grossistes en art achetaient uniquement des matériaux dits « traditionnels ». Aujourd’hui, on n’oserait jamais imposer de telles restrictions à un artiste non autochtone habitant au centre-ville de Toronto, par exemple. Mais à cette époque, on les imposait couramment aux artistes autochtones.

Heureusement, certains membres du Conseil s’opposaient à cette approche. Il faudra quand même plusieurs décennies pour que les attentes changent envers le milieu de l’art inuit, pour que l’on délaisse enfin la lentille anthropologique, et pour que les gens cessent de considérer les artistes inuits comme des représentants d’une quelconque conscience collective, reconnaissant plutôt leurs façons bien personnelles d’exprimer leur art.

Page d’un document où figurent des listes et du texte dactylographié sous le titre « Avoid Using » (Matériaux à éviter).

« Survey of Price Guide » (Rapport sur le guide des prix), K. C. Crassweller, 1971, p. 30. (e011270066)

Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, a d’ailleurs traité de ce sujet dans son allocution principale prononcée en anglais au Congrès d’études inuites de 2019 :

« Nous nous battons pour le droit à une société diversifiée. […] Il n’est pas nécessaire de passer sans cesse au vote pour décider si un Inuit a le droit ou non de créer quelque chose, et si cette création cadre avec les attentes de la société. Chaque personne a ses propres croyances. Elle peut choisir de rejeter ou d’honorer les traditions et l’histoire des Inuits. Libre à elle de se spécialiser en informatique ou dans la chasse. Si nous encourageons les Inuits à vivre une vie saine à même l’Inuit Nunangat et à pratiquer des activités traditionnelles, nous respectons aussi le fait que certains Inuits ne sentent pas que cette vie leur correspond. Et nous sommes capables d’avoir des discussions sans dévaloriser ces personnes, sans les dénigrer ou les marginaliser, car on a le droit dans notre société, en tant que peuple, de faire ce dont on a envie et de choisir sa voie, quelle qu’elle soit. » [Traduction]

Aucun cadre formel n’était en place dans les premières années du mouvement artistique inuit; cela explique en grande partie que les artistes se soient fait imposer une certaine définition de leur art. Ajoutons à cela que la communication avec les personnes qui commercialisaient leurs œuvres était minime, voire inexistante. Or, comment bien se comprendre si on ne discute jamais du processus de création? Et comment répondre aux besoins des artistes si on ne leur demande jamais ce dont ils ont vraiment besoin?

Rappelons que le Conseil canadien des arts esquimaux n’a compté aucun membre inuit avant 1973; cette année-là, on en nomme deux, Joanasie Salomonie (1938-1977) et Armand Tagoona (1926-1991), qui démissionnent avant même d’avoir assisté à une seule réunion. Il faudra attendre les dernières années d’existence du Conseil pour que d’autres Inuits y siègent.

La situation change avec la création de la Fondation de l’art inuit, en 1988 (ou Inuit Art Foundation, en anglais). Six ans plus tard, le conseil de gouvernance de la Fondation est majoritairement composé d’Inuits. Cette dernière mène des efforts concertés pour offrir aux artistes inuits de la formation sur la commercialisation, la promotion et les droits d’auteur. En 1995, elle crée un programme de formation sur les industries culturelles pour enseigner l’histoire de l’art à des élèves inuits et les initier au processus de conception d’une exposition.

Peu à peu, entre autres grâce à la Fondation et à ses programmes, les Inuits commencent à prendre leur place dans le secteur de l’administration des arts. En 1997, July Papatsie, l’un des premiers conservateurs inuits, codirige l’exposition itinérante internationale Transitions au Centre d’art indien et inuit du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (aujourd’hui le Centre d’art autochtone du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada). En 2015, Heather Igloliorte devient la première Inuite rédactrice en chef d’un numéro de l’Inuit Art Quarterly, le périodique de la Fondation de l’art inuit.

Dessin d’une carte pliée à laquelle est attachée une cordelette. Sur la carte, on voit l’image d’un igloo ainsi que les mentions « Canada » en haut et « esquimau art » (art esquimau) en bas.

Image d’une étiquette Igloo, tirée de la brochure du programme (rédigée en syllabaire inuktitut). Extrait du fichier « Igloo Tag Information » (Renseignements sur l’étiquette Igloo), 1972, p. 81. (e011270680)

En 2017, la Fondation de l’art inuit prend en charge le programme de l’étiquette Igloo, qui authentifie les œuvres inuites. L’année suivante, Carvings Nunavut Inc., une galerie d’art d’Iqaluit appartenant à Lori Idlout, devient la toute première galerie dirigée par une personne inuite à pouvoir authentifier des œuvres avec l’étiquette Igloo. Enfin, les Inuits peuvent décider eux-mêmes ce qu’est une authentique œuvre d’art inuite!

Cette même année, quatre personnes inuites – Kablusiak, Krista Ulujuk Zawadski, Asinnajaq et Heather Igloliorte – sont nommées conservatrices invitées de la première exposition tenue au Musée des beaux-arts de Winnipeg pour le compte de l’ancien Centre d’art inuit (Inuit Art Centre, en anglais), récemment rebaptisé Qaumajuq. Cette exposition devrait être inaugurée en février 2021.

Bref, les Inuits ouvrent, orientent et élargissent le dialogue sur leur propre vision de l’art inuit. J’ai bien hâte de voir ce qui se passera dans ce domaine au cours des 50 prochaines années.

Bibliothèque et Archives Canada possède d’autres collections sur des thèmes connexes :

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Heather Campbell est une artiste inuite originaire du Nunatsiavut, à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle a été recherchiste dans l’équipe du projet Nous sommes là : Voici nos histoires de Bibliothèque et Archives Canada.

Henry Ash, et pourquoi Internet transite encore par des câbles sous-marins

Par Vasanthi Pendakur

Carte des pôles Nord et Sud montrant des lignes télégraphiques traversant l’Atlantique et les continents.

Carte des pôles montrant les câbles sous-marins et, en rouge, les principales lignes télégraphiques, 1883. (e011211770)

Sur la planète, la majeure partie d’Internet est sous l’eau. En effet, malgré l’avènement des communications par satellite et de la technologie sans fil, l’essentiel des connexions passe par des câbles sous-marins. Ceux-ci, très longs, s’entrecroisent sur terre et au fond des mers pour transmettre les signaux permettant à Internet d’atteindre vos appareils.

La plupart des câbles actuels ont été installés par des entreprises de télécommunications. Plus récemment, les géants de la technologie ont aussi commencé à déployer leurs propres lignes.

La pose est très coûteuse, mais moins que le recours aux satellites. Planifier l’installation prend du temps : le tracé doit tenir compte des obstacles, des marées et des formations instables. En outre, les intempéries peuvent compliquer le processus.

Les câbles sous-marins sont conçus à l’aide de machines spéciales qui en maintiennent la tension. On fabrique d’abord un mince fil, qu’on recouvre ensuite de plusieurs couches protectrices faites de cuivre, de plastique, d’acier ou de goudron. Le tout doit pouvoir résister aux tremblements de terre, au passage des navires – qui pourraient accidentellement briser un câble – ou à l’appétit des animaux marins. (C’est bien connu, les requins raffolent d’Internet!)

On charge ensuite les câbles sur des navires spéciaux, en prenant bien soin de ne pas les plier. Puis, une fois au large, on les dépose lentement le long du tracé choisi. La pose complète peut prendre des semaines, surtout si les conditions météorologiques sont mauvaises.

Les tout premiers essais avec des câbles télégraphiques sous-marins remontent aux années 1850. Divers inventeurs mènent alors une série d’expériences pour trouver la meilleure façon d’immerger ces câbles au fond de l’océan. Parmi ceux-ci, on retrouve Samuel Morse et Charles Wheatstone, deux pionniers de la télégraphie, et Michael Faraday, pionnier de l’électromagnétisme.

Ces essais démontrent que le meilleur câble se compose d’un fil de cuivre gainée de plusieurs couches de fer, de caoutchouc naturel et de gutta-percha (une sève utilisée comme isolant thermoplastique).

Forts des résultats de leurs expériences, Samuel Morse, l’homme d’affaires Cyrus West Field et l’océanographe Matthew Maury s’associent pour créer l’Atlantic Telegraph Company. L’objectif : commander et poser un câble télégraphique qui traversera l’Atlantique.

Un essai réalisé en 1856 permet d’installer avec succès un câble sous-marin reliant la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. La compagnie entame alors la pose de son premier câble transatlantique, entre Telegraph Field (en Irlande) et Heart’s Content (à Terre-Neuve).

Plusieurs tempêtes et des bris de matériel retardent le projet. Le câble est finalement connecté en août 1858. La reine Victoria l’inaugure pour acheminer un télégramme de félicitations à la compagnie. Le message atteint sa destination en 16 heures, une amélioration considérable quand on sait qu’à l’époque, les messages livrés par bateau prenaient dix jours à arriver.

Hélas, le câble se brise trois semaines plus tard, sans doute à cause de mauvaises manipulations et d’un entreposage inadéquat. Il faudra attendre 1866 pour que le navire SS Great Eastern installe avec succès un autre câble translatlantique.

Photo noir et blanc d’un grand navire vu de la rive.

Le SS Great Eastern termine la pose du deuxième câble télégraphique transatlantique, 1866. (c004484)

Couverture d’un album souvenir relatant l’installation du câble transatlantique de la société Mackay-Bennett, en 1894.

Couverture d’un album souvenir relatant l’installation d’un câble sous-marin en 1894. (e004414208)

Au fil des ans, de nombreuses expéditions ont lieu pour installer des câbles sous-marins. Le succès de 1866 stimule la production d’objets souvenirs, dont plusieurs sont conservés par Bibliothèque et Archives Canada (BAC) dans le Collection Henry Ash.

Artiste amateur, dessinateur et concepteur, Henry Ash est originaire de Londres, en Angleterre. À l’occasion, il se joint à l’équipage du câblier Faraday comme aide-ingénieur. Lors des sorties en mer, il réalise de nombreux dessins au crayon, dont certains se retrouvent dans l’album souvenir montré plus haut. BAC conserve certaines des œuvres qu’il a exécutées lors de ses voyages.

Croquis de Bull Rock et de son phare, au large de la côte sud-ouest de l’Irlande, avec des bateaux pêchant le maquereau.

Vue de la côte irlandaise au départ d’une expédition. (e004414185)

Le croquis ci-dessus, exécuté de sa main, représente un paysage côtier dans des teintes de gris, esquissé d’un trait précis et finement ombré. L’artiste y a clairement indiqué le lieu de l’expédition. Durant ce voyage, Henry Ash a aussi dessiné des routes, des littoraux et des scènes en haute mer, montrant souvent le navire au milieu de l’océan, entouré d’éléments naturels. Plus tard, il rassemblera les croquis d’une expédition ultérieure pour en faire un album souvenir destiné au public.

Bref, la collection de BAC témoigne des avancées qui ont mené à Internet, ainsi que d’un procédé – la pose de câbles sous-marins – qui, malgré sa simplicité, est demeuré à peu près inchangé.

Visitez l’album Flickr sur les croquis d’Henry Ash.

Croquis de l’entrée du port de St. John’s.

Vue de l’entrée du port de St. John’s (Terre-Neuve). (e004414154)

Autres sources :


Vasanthi Pendakur est gestionnaire de projet au sein de l’équipe du Contenu en ligne à Bibliothèque et Archives Canada.

 

Molly Lamb Bobak, première Canadienne artiste de guerre à l’étranger : un défi Co-Lab

Par Krista Cooke

Photo noir et blanc montrant une femme en uniforme, assise sur un quai, vue de côté. Elle tient une tablette à dessin et un crayon, et elle sourit. En arrière-plan, on voit un enfant blond ainsi que des voiliers amarrés au quai.

La lieutenante Molly Lamb, artiste de guerre du Service féminin de l’Armée canadienne, en train de dessiner à Volendam (Pays-Bas), septembre 1945. (a115762)

Molly Lamb Bobak (née Molly Lamb) fut la première Canadienne envoyée outre-mer en tant qu’artiste de guerre officielle. Elle est sans doute l’artiste peintre de la Deuxième Guerre mondiale qui a le mieux représenté la vie des femmes dans l’armée.

En 1942, fraîchement émoulue de l’école d’art de Vancouver, cette jeune peintre talentueuse s’enrôle dans le Service féminin de l’Armée canadienne en tant que dessinatrice. Son rêve : devenir artiste de guerre officielle.

Le Canada possédait déjà une vaste collection d’œuvres militaires, grâce au programme d’art militaire canadien établi durant la Première Guerre mondiale. Or, la contribution de Molly Lamb Bobak aux archives de la Deuxième Guerre mondiale est exceptionnelle. Ses œuvres, fruit de toute une vie consacrée à la peinture et au dessin, sont conservées dans nombre d’institutions canadiennes. Plusieurs se retrouvent notamment à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), dont son remarquable journal de guerre. Maintenant numérisé, celui-ci peut être transcrit grâce à l’outil collaboratif Co-Lab.

Peu après son enrôlement, Molly Lamb Bobak commence à tenir un journal, qui apportera un précieux témoignage du rôle joué par le Service féminin de l’Armée canadienne dans l’effort de guerre. Ce journal, écrit à la main et agrémenté de dessins, s’intitule simplement W110278 (d’après son numéro matricule). Il offre un compte rendu personnel et instructif de la vie quotidienne dans l’armée. Rédigé entre novembre 1942 et juin 1945, il contient 226 pages illustrées et près de 50 croquis réalisés sur des feuilles intercalées entre ces pages.

Texte manuscrit et illustrations imitant une page de journal. Le texte est placé en colonne du côté droit; à gauche, un dessin montre une femme en uniforme militaire, et au bas, un autre dessin montre une scène dans une cantine. En haut de la page, on peut lire les titres « W110278 » (le numéro matricule de Molly Lamb Bobak) et « Girl Take Drastic Step! » (Une jeune femme franchit une étape importante).

Extrait du journal manuscrit de Molly Lamb Bobak, illustrée de dessins colorés. (e006078933)

Page manuscrite contenant du texte et des illustrations. On peut voir deux femmes en uniforme militaire, quatre femmes prenant la pose, deux femmes attablées dans un restaurant, un petit cochon rose et quatre femmes marchant au pas. La page est coiffée du titre « Life Begins as Second-Lieutenant! » (Les débuts d’une sous-lieutenante).

Extrait du journal manuscrit de Molly Lamb Bobak. (e011161136)

La première page du journal (ci-dessus) est révélatrice du ton humoristique et du point de vue original adoptés par l’artiste. Écrit dans un style journalistique, son format s’apparente à celui d’un grand quotidien. En manchette, on peut lire « Girl Take Drastic Step! » (Une jeune femme franchit une étape importante), « You’re in the Army now as Medical Test Okayed » (Vous faites maintenant partie de l’Armée, vous avez réussi l’examen médical). Suivent des bulletins de nouvelles écrits à la main, parsemés d’anecdotes amusantes et de dessins aux couleurs vives, qui racontent la vie des femmes militaires durant la Deuxième Guerre mondiale.

Ce journal offre un compte rendu quotidien de la vie de Molly Lamb Bobak dans le Service féminin de l’Armée canadienne, où elle travaille d’abord comme serveuse dans les cantines avant d’aller suivre une formation de base en Alberta. En 1945, elle est promue au grade de lieutenant au sein de la Section historique des Forces armées canadiennes. Pendant ses années de service au Canada, elle dessine le monde qui l’entoure. Plusieurs de ces dessins serviront éventuellement d’études pour ses peintures.

Trois ans après s’être enrôlée, Molly Lamb Bobak atteint son but ultime : elle devient la première Canadienne envoyée outre-mer en tant qu’artiste de guerre officielle. Elle en parle avec enthousiasme dans son journal, écrivant : « Lamb’s Fate Revealed…To Be First Woman War Artist! »  (Le destin de Lamb se réalise… Être la première femme artiste de guerre!).

Mais malgré son talent, rien n’est gagné d’avance. À l’époque, le point de vue des femmes n’est pas une priorité pour le programme d’art militaire. Comme elle le racontera plus tard, « être la première femme artiste de guerre, dans un groupe de neuf hommes, c’était toute une réussite pour moi… parce que je sais que l’Armée ne voulait pas de femmes artistes, à l’époque. » [Traduction ]

Molly Lamb Bobak attribue son succès au peintre A. Y. Jackson, membre du Groupe des Sept et ami de sa famille. Celui-ci l’avait recommandée au directeur du Musée des beaux-arts du Canada, associé au programme d’art militaire. Il avait fait valoir que si on lui en donnait la chance, Molly pourrait aller loin. Ce qu’elle fera!

Photo noir et blanc, prise de côté, montrant Molly Lamb Bobak en train de peindre devant un chevalet, un pinceau et une palette de couleurs à la main.

Molly Lamb Bobak peignant la buanderie de la base stationnaire no 1 (on voit ci-dessous l’œuvre terminée). (a188549)

Toile colorée représentant des femmes (certaines en uniforme) qui font la file devant un bâtiment. On voit à l’arrière-plan des collines verdoyantes et des arbres. Cette œuvre est la version achevée du tableau que Bobak est en train de peindre dans la photographie ci-dessus.

La buanderie de la base stationnaire no 1, une œuvre de Molly Lamb Bobak conservée au Musée canadien de la guerre (Musée canadien de la guerre, no 19710261-1617).

Après le cessez-le-feu de 1945, l’armée envoie Molly Lamb Bobak en Angleterre, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. Des quelque 30 artistes de guerre canadiens de la Deuxième Guerre mondiale, elle se distingue en créant des œuvres qui portent essentiellement sur les femmes militaires. Environ 50 000 Canadiennes se sont enrôlées dans l’armée durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais leur expérience n’intéresse pas beaucoup les artistes masculins et les administrateurs du programme d’art militaire, qui préfèrent généralement les scènes montrant des champs de bataille et des militaires de sexe masculin. En tant que membre du Service féminin de l’Armée canadienne, Molly Lamb Bobak jouit d’un accès privilégié aux femmes et peut témoigner de leur quotidien dans ses œuvres. Comme elle l’expliquera plus tard, « la structure même de la vie militaire convient au peintre… Où que l’on regarde, il y a quelque chose de fantastique à peindre… L’on pourrait passer des heures à dessiner les membres du Service qui arrivent et repartent, ou encore les nouvelles recrues, les filles de corvée en salopettes, l’officier de service ». [Traduction]

Pendant son service outre-mer, Molly Lamb Bobak réalise des dizaines d’œuvres, qui font maintenant partie de la collection d’art militaire Beaverbrook conservée au Musée canadien de la guerre. Jumelés aux documents conservés à Bibliothèque et Archives Canada, ils dressent un excellent portrait de sa vie militaire et artistique.

Après la guerre, Molly épouse Bruno Bobak, un collègue artiste de guerre lui aussi. Leur histoire d’amour avait commencé alors qu’ils partageaient un studio à Londres; elle durera jusqu’à leur décès. (Molly Lamb Bobak est décédée en 2014; Bruno Bobak, en 2012.) Leurs archives communes sont conservées à Bibliothèque et Archives Canada.

Nous vous invitons à utiliser notre outil Co-Lab pour transcrire, étiqueter, traduire et décrire des documents numérisés de notre collection, y compris le journal de guerre de Molly Lamb Bobak.


Krista Cooke est conservatrice à la Division des expositions de Bibliothèque et Archives Canada. Ce billet de blogue s’inspire d’un billet antérieur rédigé par Carolyn Cook, anciennement de BAC.

Comment la mort d’un premier ministre est devenue une grande source d’inspiration dans l’art canadien

Portrait en buste de l’ancien premier ministre canadien sir John Sparrow Thompson.

Sir John Sparrow David Thompson par Bonne de Bock, vers 1895 (e000000122)

La mort subite du quatrième premier ministre canadien, sir John Sparrow David Thompson (1845-1894), lors d’un déjeuner officiel au château de Windsor au Royaume-Uni, a profondément ébranlé et attristé les Canadiens de l’époque, qui furent toutefois honorés de voir la reine Victoria déposer la couronne funéraire de ses propres mains sur le cercueil de « son défunt premier ministre ».

Ce fut une période de deuil binational. Le décès, en raison de sa nature inattendue et de la splendeur des funérailles des deux côtés de l’Atlantique, fit les manchettes de l’époque au Canada . Une grande partie de la couverture médiatique prit un ton impérialiste et nationaliste.

Photographie du buste de Frederic Marlett Bell-Smith.

Portraits of Artists from Archives Of American Art, Smithsonian Institution

L’artiste canadien Frederic Marlett Bell-Smith (1846-1923) fût inspiré à capter l’émotion de cet événement par le bias d’un ambitieux projet nationaliste d’art public commémoratif.

Bell-Smith conçut donc une série de trois toiles monumentales qu’il avait l’intention de vendre au gouvernement canadien. Ultimement, il espérait que la série serait exposée à perpétuité, soit au Musée des beaux-arts du Canada, soit sur la Colline du Parlement.

Dans chacun des trois tableaux, l’artiste choisit de rendre un profond hommage au défunt. La scène du premier, Hommage de la reine Victoria à son premier ministre canadien décédé, également connu sous le nom de « L’hommage », se passe au château de Windsor. Le sujet en est la reine Victoria déposant solennellement la couronne sur le cercueil du défunt premier ministre.

Tableau représentant les personnes qui ont assisté à la messe célébrée au château de Windsor pour le défunt premier ministre sir John Thompson. La reine Victoria dépose une couronne sur le cercueil sous le regard d’éminents invités et de membres de sa cour.

Hommage de la reine Victoria à son premier ministre canadien décédé, par Frederic Marlett Bell-Smith, 1896 (c141808k)

Le deuxième tableau, L’arrivée du Blenheim à Halifax, également connu sous le nom de « L’arrivée », dépeint la cérémonie tenue sur le pont du HMS Blenheim, le « navire de guerre le plus rapide » de la reine Victoria. C’est avec les plus grands honneurs que le Blenheim avait été choisi pour transporter la dépouille de Thompson au Canada, ses flancs peints en noir et sa passerelle drapée d’une étoffe tout aussi sombre.

Photographie d’une peinture à l’huile originale montrant la dépouille du défunt premier ministre Thompson sur le pont du HMS Blenheim à son arrivée à Halifax.

L’arrivée du Blenheim à Halifax, photographie du tableau original de 1895, prise vers 1902 par les studios Cunningham (e011213232)

Malheureusement, la seule trace qu’il nous reste de ce tableau est une photographie en noir et blanc, l’original ayant été détruit dans l’incendie sur la Colline du Parlement en 1916.

Les funérailles d’État de Sir John Thompson à Halifax, par Frederic Marlett Bell-Smith, 1897 (c147277k)

Le troisième et dernier tableau de la série, Les funérailles d’État de sir John Thompson à Halifax, également connu sous le nom « Les funérailles d’État », dépeint les funérailles nationales canadiennes de Thompson célébrées à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 3 janvier 1896.

Les tableaux de Bell-Smith ne représentent jamais Thompson lui-même; ils dressent plutôt un tableau fidèle des personnes en deuil les plus connues. Il s’agit principalement de membres de la royauté britannique (la reine Victoria a accordé à Bell-Smith un siège à vie), et de personnalités de la cour. On y trouve entre autres le « fidèle serviteur indien » de la reine, Mohammed Abdul Karim (1863-1909) ou « Abdul », qui figure en bonne place dans la première toile. Autrement, la distribution est principalement composée de figures politiques et de citoyens éminents de Halifax et d’Ottawa, donc de gens susceptibles d’acheter les œuvres pour le peuple canadien.

Détail illustrant Mohammed Abdul Karim.

«Abdul », détail de « L’hommage » (c141808k)

Détail illustrant des personnalités politiques et des citoyens éminents de l’époque.

Détail de personnes endeuillées dans « Les funérailles d’État » (c141808k)

Malheureusement, Bell Smith a peut-être ruiné lui-même son projet commémoratif en cherchant trop ardemment à cultiver des mécènes.

En effet, le temps que les tableaux soient terminés, le gouvernement avait changé de mains. « Le nouveau gouvernement libéral n’avait pas l’intention d’acheter des portraits de ses opposants ni des tableaux les glorifiant », indique Eva Major-Marothy, ancienne conservatrice en chef et archiviste en art principale de Bibliothèque et Archives Canada, dans son importante étude sur la série.

La qualité des œuvres est peut-être aussi en cause. La composition des « Funérailles d’État » semble particulièrement maladroite et forcée, peut-être en raison de la volonté d’y faire entrer trop de figures importantes. Dans certains cas, la taille des silhouettes est exagérée et la position est peu naturelle, comme si les portraits avaient été découpés ailleurs et collés là. À l’époque, le conservateur du Musée des beaux-arts du Canada se sentait « incapable de recommander leur achat ».

En fin de compte, la série entière est tombée dans l’oubli, et deux des tableaux ont été considérés comme perdus pendant de nombreuses années. Mais qu’est-il advenu, en fait, de ces toiles monumentales?

« L’hommage » a été achetée par la Women’s Canadian Historical Society de Toronto vers 1914 et donnée aux Archives nationales (l’ancien nom de Bibliothèque et Archives Canada) un peu avant 1931. Elle est restée dans l’oubli jusqu’à ce qu’un inventaire de grandes œuvres roulées la mette au jour. La toile avait été gravement endommagée, mais l’équipe de restaurateurs de Bibliothèque et Archives Canada l’a expertement remise en état et elle reste un exemple extraordinaire de travail de conservation.

« L’arrivée », quant à elle, a été achetée par un sénateur dont le portrait y figure en bonne place. Après sa mort, sa veuve en a fait don au Musée des beaux-arts du Canada. La peinture a ensuite été transférée à la Salle des chemins de fer, sur la Colline du Parlement, où elle a été détruite dans l’incendie de 1916.

« Les funérailles d’État », troisième et dernier tableau, n’a jamais été vendu et est resté dans la famille de l’artiste, qui l’a donné à Bibliothèque et Archives Canada en 1997.

Aujourd’hui, les deux tableaux restants sont réunis dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada; ils offrent un aperçu fascinant de l’histoire de la commémoration publique au Canada.

Référence : Eva Major-Marothy, The Wrong Commemoration: Frederic Marlett Bell-Smith’s Paintings of the State Funeral of Sir John Thompson, dans Public Art in Canada, Toronto, 2009 (en anglais seulement).

Le Groupe des Sept et moi : quelques degrés de séparation

Par Ellen Bond

Le voyage en autobus qui m’a menée de Barrie à Kleinburg, en Ontario, en 1972, n’a pas été long. Nous sommes arrivés à la galerie d’art McMichael, qui abrite la collection d’art canadien McMichael, par une belle journée de printemps ensoleillée. Je me souviens d’un grand espace dégagé avec de longs sentiers bordés de petits arbres partant du stationnement et menant à un superbe édifice en bois orné d’imposants piliers de pierre.

À cette époque, ma famille et moi passions une partie de nos étés à Wymbolwood Beach, sur la baie Georgienne (lac Huron), et à Terrace Bay, sur la rive nord du lac Supérieur. En entrant dans la galerie McMichael, j’ai eu l’impression de voir défiler mes étés et les lieux qui m’ont apporté tant de bonheur. J’ai immédiatement succombé aux couleurs, aux traits, aux larges coups de pinceau et à la manière dont les peintures représentaient les rochers, les arbres balayés par le vent et les majestueux paysages.

Aquarelle représentant deux personnes dans un canot rouge avec des arbres colorés et balayés par le vent à l’arrière-plan.

Le canot rouge, peint par J. E. H. MacDonald, 1915 (e003894355)

Il y a cent ans, le 7 mai 1920, le Groupe des Sept présentait sa première exposition officielle au Musée des beaux-arts de Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario). C’est la première fois que le public a la chance de voir plus de 120 œuvres du Groupe au même endroit. Selon le site Web de la galerie McMichael, seulement six peintures sont vendues lors de cette exposition. Une seule d’entre elles vaudrait aujourd’hui beaucoup plus que le montant total payé pour les six œuvres d’art.

En 1920, le Groupe des Sept se compose de Franklin Carmichael, Lawren Harris, A. Y. Jackson, Frank Johnston, Arthur Lismer, J. E. H. MacDonald et Frederick Varley. Johnston quitte le Groupe en 1920 pour s’installer à Winnipeg, et en 1926, A. J. Casson est invité à prendre sa place. Deux autres membres, Edwin Holgate et L. L. FitzGerald, se greffent respectivement au Groupe en 1930 et en 1932. Tom Thompson est parfois considéré comme un des membres fondateurs, mais c’est une erreur, car il est décédé tragiquement en 1917, avant même la formation du Groupe.

Photo noir et blanc de sept hommes vêtus de complets assis autour d’une table durant un repas.

Des membres du Groupe à l’Arts and Letters Club de Toronto. Sur la photo : Bertram Booker, A. Y. Jackson, Merrill Denison, J. E. H. MacDonald, Lawren Harris, Frederick B. Housser et un homme non identifié. (PA-196166)

Les membres du Groupe des Sept sont célèbres partout au Canada. Dans les écoles, les bibliothèques et les écoles d’art, leurs œuvres servent de modèles. Les étudiants apprennent souvent à peindre des paysages en imitant leur style. Ma nièce Emma l’a d’ailleurs fait à son école. Son tableau était accroché au mur dans l’escalier de sa maison; il avait une allure très professionnelle.

Le Groupe des Sept est extrêmement facile à trouver sur Google. Certaines œuvres y sont montrées et même offertes à la vente au Canada, d’un océan à l’autre. Récemment, en visitant la galerie d’art Thompson Landry dans le district Distillery, à Toronto, j’ai vu pour la première fois un tableau du Groupe des Sept à vendre. Je l’ai longuement regardé, émerveillée. Si j’avais disposé de 133 000 $, je n’aurais pas hésité un instant!

Selon la théorie des six degrés de séparation, toute personne est reliée à n’importe quelle autre sur la planète par l’entremise d’au plus six relations sociales. Deux de mes amis ont des liens étroits (deux ou moins) avec les membres du Groupe Arthur Lismer et A. Y. Jackson.

J’ai fait la connaissance de Ronna Mogelon grâce à un ami. Son habileté à décorer des gâteaux m’épatait. Quand j’ai réalisé qu’elle vivait dans l’ancienne cabane en bois rond que j’admirais tant, j’étais encore plus heureuse de la connaître. Puis, j’ai découvert le lien qui l’unissait à Lismer. Voici son histoire :

Mes parents étaient des passionnés d’art; ils étaient très engagés au sein de la communauté artistique montréalaise dans les années 1960. Ils organisaient des expositions dans leur résidence, avant que les artistes ne trouvent une galerie pour les représenter. Ma mère, Lila, est originaire de Saint John au Nouveau-Brunswick. Elle était très proche du peintre Fred Ross, son professeur à l’école d’art. (Plusieurs de ses œuvres sont présentées au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, en Ontario.) Avant d’avoir une galerie pour le représenter, Fred Ross exposait ses œuvres dans notre maison.

Mon père, Alex, rédigeait une chronique artistique mensuelle dans le magazine The Montrealer, publié dans les années 1960 et 1970. En général, ma mère interviewait les artistes et mon père écrivait l’histoire à partir des enregistrements. Un vrai travail d’équipe! Les arts occupaient une très grande place dans notre famille.

Quoi qu’il en soit, mes parents voulaient que nous ayons une bonne formation de base en art. Le samedi matin, ils nous envoyaient au Musée des beaux-arts de Montréal suivre des cours d’art avec Arthur Lismer. La plupart des enfants fréquentaient la maternelle, mais nous, nous allions à l’école d’Arthur Lismer.

Photo noir et blanc d’un homme debout, la main gauche reposant sur sa hanche avec une pipe dans la main

Portrait d’Arthur Lismer, photographié à Québec par Basil Zarov en 1953 (e011000857)

Comme j’étais très jeune, mes souvenirs sont assez vagues. Je me rappelle qu’il était très grand, mais je n’avais que six ans et j’étais plutôt petite à l’époque. Je crois me souvenir qu’il fumait la pipe. J’avais l’impression d’être une vraie artiste parce que nous devions peindre debout au chevalet. Ma sœur aînée, Marcia, qui avait suivi des cours quelques années avant moi, se souvient de la grande exposition de fin d’année où toutes les œuvres des artistes étaient présentées. Elle devait revêtir ses plus beaux atours pour la circonstance. Mon cousin Richard se rappelle les pipes de réglisse que nous recevions à la fin du cours pour le retour à la maison.

Je ne sais pas si ses cours m’ont influencé, mais je suppose que oui, car j’ai choisi d’étudier dans le domaine des arts et obtenu un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia, à Montréal. Certains de ses enseignements ont peut-être déteint sur moi finalement!

Comme je l’ai mentionné, j’ai passé plusieurs étés au lac Supérieur. Mes parents ont grandi dans le nord-ouest de l’Ontario. Je suis née à Terrace Bay et je me sens chez moi ici. Une amie de ma sœur, Johanna Rowe, a grandi à Wawa, en Ontario. Nous avons séjourné dans son camp situé à l’embouchure de la rivière Michipicoten, là où celle-ci se jette dans le lac Supérieur. C’est un des plus beaux endroits que je connaisse. Des plages de sable blanc, de magnifiques rochers, un énorme banc de sable – à l’embouchure de la rivière – qui disparaît parfois après une tempête, d’immenses billes de bois provenant de forêts inconnues… c’est vraiment spectaculaire!

Photo noir et blanc d’un homme en uniforme militaire.

A. Y. Jackson dans son uniforme de la Première Guerre mondiale, en 1915. (e002712910) Jetez un coup d’œil à son dossier militaire (PDF).

Johanna est une historienne de Wawa, membre de l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine. Elle entretient une relation spéciale avec cette région où A. Y. Jackson a choisi de créer ses œuvres. Elle nous raconte à son tour son histoire :

J’ai grandi en écoutant les histoires de ma grand-mère à propos d’un membre du Groupe des Sept. Il avait un chalet à Wawa et faisait souvent des tours avec les propriétaires de bateaux du coin pour explorer le littoral du lac Supérieur et peindre ses tableaux.

Dans le cadre d’une formation sur Glenn Gould et le Groupe des Sept, en 2015, j’ai été présentée à Ken Ross, fils de Harry et Jennie Ross, des amis d’A. Y. Jackson. Ils avaient acheté un chalet avec lui à Sandy Beach en 1955.

De 1955 à 1966, Jackson a exploré la région à pied et en canot à partir de son modeste chalet de Sandy Beach. En compagnie de ses amis et d’autres explorateurs, il a réalisé des centaines de dessins et de peintures représentant des paysages du lac Supérieur, de la baie Batchawana jusqu’à Pukaskwa. Jackson a créé plusieurs œuvres dans les environs de Sandy Beach.

Lorsqu’ils revenaient de leurs expéditions à Wawa, Jackson et la famille Ross invitaient des amis et des voisins à une fête sur la plage, autour d’un feu de camp. Jackson exposait ses croquis sur de gros morceaux de bois flotté ou sur les rondins à l’extérieur du chalet.

Les gens pouvaient acheter une de ses créations pour 30 $ ou 50 $, ou commander une version plus grande, que Jackson réalisait dans son studio durant l’hiver pour 300 $ ou plus. On raconte que les œuvres invendues alimentaient parfois le feu de camp. Jackson était très généreux et faisait souvent cadeau de ses dessins à des résidents du coin qui le transportaient au lac Supérieur, l’invitaient à manger chez eux ou le laissaient s’asseoir pour peindre la vue depuis leur propriété.

En effectuant mes recherches, j’ai constaté qu’il n’existe aucun inventaire complet de ses

œuvres. Ses dessins se retrouvent maintenant dans des ventes aux enchères d’un bout à l’autre du continent. Au cours des cinq dernières années, on a vu surgir de nulle part au moins une trentaine de peintures qui, nous le savons, ont été peintes par Jackson dans la région de Wawa. Il écrivait souvent Wawa ou Michipicoten au dos de la peinture. Ceux qui connaissent bien ces paysages, l’ondulation des collines, l’échancrure du littoral, savent exactement où Jackson s’est assis pour peindre. C’est la chasse au trésor par excellence au Canada : découvrir le site qui a inspiré un des membres du Groupe des Sept à laisser sa créativité guider son pinceau sur la toile blanche. J’en frissonne chaque fois que j’y pense!

Photo noir et blanc d’un homme ramant dans un canot en bois.

A. Y. Jackson dans un canot, 1959 (e011177131)

Les moments passés à la baie Georgienne et au lac Supérieur m’ont laissé des souvenirs impérissables. Je peux encore sentir le vent des Grands Lacs ébouriffer mes cheveux, les vagues se briser et rugir dans mes oreilles, et le bleu étincelant de l’eau miroiter devant mes yeux. Je suis très heureuse d’avoir vécu ces expériences et de savoir que les artistes les plus reconnus au Canada s’en sont inspirés dans leurs œuvres. J’ai hâte de revivre de tels moments lors de mon prochain voyage.

Pour voir plus d’images, visitez l’album Flickr !


Ellen Bond est adjointe de projet au sein de l’équipe du contenu en ligne de Bibliothèque et Archives Canada.

John Colin et Kenneth Keith Forbes, portraitistes officiels en série!

Par Geneviève Couture

Les carrières des peintres John Colin Forbes (1846-1925) et de son fils Kenneth Keith Forbes (1892-1980) illustrent brillamment en quoi certains premiers ministres ont été leurs muses et leurs mécènes. En effet, à eux deux, ils ont peint sept premiers ministres canadiens, deux gouverneurs généraux, cinq juges en chef de la Cour suprême, onze présidents de la Chambre des communes et quatorze présidents du Sénat. Ils ont également peint un roi et une reine d’Angleterre au nom du gouvernement canadien. On peut affirmer sans gêne que sur une période de plus de 90 ans, le père et le fils ont contribué à édifier le patrimoine artistique et visuel représentant les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement canadien.

John Colin Forbes

John Colin Forbes est né à Toronto en 1846. Dans les années 1860, il étudie la peinture à Paris et à Londres avant de revenir au Canada. Il est un membre fondateur de l’Ontario Society of Artists (1872) et de l’Académie royale des arts du Canada (1880).

Rapidement reconnu comme portraitiste, John Colin reçoit de nombreuses commandes. Il peint lord Dufferin et le marquis de Lansdowne, tous deux gouverneurs généraux du Canada. Entre 1878 et 1893, il réalise les portraits de sir John A. Macdonald, d’Alexander Mackenzie, de sir Charles Tupper et de Wilfrid Laurier. Aucun de ces tableaux ne sera un portrait officiel, mais celui de Tupper se trouve au Parlement du Canada, alors que celui de Macdonald et un portrait de Laurier se trouvent aujourd’hui au Musée des beaux-arts du Canada. On commande également à John Colin Forbes quatre portraits officiels de présidents de la Chambre des communes et six portraits officiels de présidents du Sénat.

L’artiste entretient une relation privilégiée avec sir Wilfrid Laurier, que ce dernier appelle son « ami ». Il le peint une première fois en 1885, d’après une photo prise vers 1882 par le studio de William Topley à Ottawa.

Photo noir et blanc d’un homme assis, vêtu d’un complet.

Wilfrid Laurier, député. Studio Topley, 1882. (a013133-v8 )

Le second tableau de Laurier peint par John Colin est offert au premier ministre par ses amis et admirateurs du Parti libéral le 15 mai 1902. Dans son discours à la Chambre des communes (en anglais), Laurier déclare : « C’est avec un cœur très sincère que j’accepte de la part d’amis inconnus, en mon propre nom et au nom de ma femme, ce souvenir, qui est l’œuvre d’un grand artiste canadien. »

Déplorant qu’à cette époque Forbes ait choisir d’aller exercer son art aux États-Unis, Laurier ajoute :

« Malheureusement, le Canada, qui est encore un jeune pays, n’a pas offert aux artistes toute l’aide qu’il aurait pu donner par le passé. J’espère qu’à l’avenir, les artistes et les talents canadiens seront davantage encouragés par la population canadienne qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent. Pour ma part, je reconnais avec un certain regret que le gouvernement aurait peut-être pu en faire davantage pour encourager les talents artistiques du Canada. » [Traduction]

Enfin, regrettant ne pas avoir d’enfant à qui léguer ce tableau, Laurier fait le vœu suivant : « J’espère qu’un jour, ce tableau sera conservé dans un musée national, non pour me rappeler à la postérité, mais pour la gloire de M. Forbes, l’artiste qui l’a peint. » [Traduction] Quelques années plus tard, en 1906, Laurier offre lui-même le tableau au Musée des beaux-arts du Canada.

Une commande royale

C’est grâce à ses bonnes relations avec le premier ministre Laurier que John Colin Forbes obtient sa commande la plus prestigieuse : peindre le roi Edward VII et la reine Alexandra. Forbes sera le premier peintre canadien à obtenir une séance de pose avec un souverain britannique, et les portraits officiels d’Edward VII orneront la Chambre des communes.

Les échanges de correspondance entre Forbes et Laurier à ce sujet font partie du fonds sir Wilfrid Laurier  conservé à Bibliothèque et Archives Canada. On y constate que Forbes demande la commande à Laurier, avec qui il en a préalablement discuté.

Photo noir et blanc d’une page dactylographiée.

Lettre de John Colin Forbes à Wilfrid Laurier datée du 14 avril 1904, dans laquelle il lui demande d’obtenir la commande pour peindre le roi et la reine au nom du gouvernement canadien. (Fonds Wilfrid Laurier, MG26 G 1(A), vol. 312, page 84516, microfilm C-810)

Laurier accepte, après avoir reçu une pétition à cet effet signée par 92 des 214 députés fédéraux.

Image noir et blanc d’une page numérisée tirée d’un microfilm.

Première des trois pages de la pétition adressée par des députés de la Chambre des communes au premier ministre Wilfrid Laurier, afin qu’une commande soit faite au peintre John Colin Forbes pour réaliser un portrait du roi destiné à la Chambre des communes. (Fonds Wilfrid Laurier, MG26 G 1(A), vol. 312, page 84518, microfilm C-810)

Il fait suivre la requête au gouverneur général, lord Minto, qui facilitera l’accès de Forbes aux souverains.

Image noir et blanc d’une page numérisée tirée d’un microfilm.

Lettre du premier ministre Wilfrid Laurier au gouverneur général lord Minto, recommandant que la commande soit faite au peintre John Colin Forbes et que des démarches soient entreprises à cet effet auprès du roi. (Fonds Wilfrid Laurier, MG26 G 1(A), vol. 326, page 87632, microfilm C-813)

La séance de pose est accordée, et John Colin Forbes se rend en Angleterre afin de peindre les tableaux. Malheureusement, ceux-ci seront détruits lors de l’incendie du Parlement en 1916, moins de douze ans après leur création. Cependant, les quatre portraits officiels des présidents de la Chambre des communes et les six portraits officiels des présidents du Sénat peints par Forbes échappent à l’incendie.

Photo noir et blanc d’un édifice en proie aux flammes.

La partie Est de l’Édifice du Centre en proie aux flammes, Ottawa, 1916. (a052822-v8 )

Sir John A. Macdonald et sir Wilfrid Laurier : des portraits inspirants

Deux des portraits de premiers ministres peints par John Colin Forbes seront à leur tour une source d’inspiration pour leurs successeurs. En effet, dans un article du Winnipeg Free Press publié le 20 mars 1965 (en anglais), le journaliste Peter C. Newman relate que chaque nouveau premier ministre en poste à Ottawa s’empresse de faire installer, dans son bureau de l’édifice de l’Est, soit le tableau de sir John A. Macdonald, soit le tableau de sir Wilfrid Laurier – dépendamment de ses allégeances politiques. Cette pratique change toutefois sous Lester B. Pearson, alors que le premier ministre demande à ce que les deux tableaux ornent les murs de son bureau.

Quelques photographies prises par Duncan Cameron (dont nous avons récemment parlé dans un billet de blogue sur les photographes de presse et les premiers ministres) confirment que John Diefenbaker, Lester B. Pearson et Pierre E. Trudeau ont eu des tableaux de Forbes dans leurs bureaux. Le bureau de Paul Martin, quant à lui, était orné du premier tableau de Laurier par Forbes, datant de 1885.

Photo noir et blanc d’un homme en train de photographier un photographe qui le photographie en retour.

Pierre Elliott Trudeau prenant une photographie avec l’appareil du journaliste de presse Duncan Cameron, 28 juin 1968. Photo : Duncan Cameron (a175919 )

Kenneth Keith Forbes

Le fils de John Colin, Kenneth Keith Forbes, devient également un portraitiste de renom. Né à Toronto en 1892, il commence à dessiner dès l’âge de quatre ans sous la gouverne de son père. Entre 1908 et 1913, il étudie les arts en Angleterre et en Écosse. Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, en 1914, Kenneth Keith s’enrôle dans l’armée britannique comme simple soldat. Il combat en France, où il est blessé et gazé. Promu capitaine, il est transféré en 1918 au sein de l’armée canadienne (plus précisément au Bureau canadien des archives de guerre) en tant que peintre de guerre. Il y peint des scènes de batailles ainsi que quelques portraits d’officiers canadiens, comme celui du brigadier général D. Draper.

BAC détient le dossier militaire récemment numérisé de Kenneth Keith Forbes.

Peinture à l’huile réalisée par Kenneth Keith Forbes en 1918. La scène montre la défense du Bois du Sanctuaire par les militaires canadiens, près d’Ypres, en Belgique, en 1916.

La défense du Bois du Sanctuaire (1916), Kenneth K. Forbes, 1918. (e010751163-v8 )

Portraitiste officiel

Quelques années plus tard, Kenneth Keith revient s’établir à Toronto où, poursuivant la tradition familiale, il réalise principalement des portraits.

Il peint, entre autres, les portraits officiels de sept présidents de la Chambre des communes, de huit présidents du Sénat et de cinq juges en chef de la Cour suprême.

Il effectuera également les portraits des premiers ministres Robert Borden, Richard B. Bennett et John Diefenbaker. Le premier tableau de R. B. Bennett peint en 1938 par Kenneth Keith sera d’ailleurs offert au premier ministre par les députés, les sénateurs et les membres du Parti conservateur à son départ de la vie politique. Il se trouve aujourd’hui au Musée du Nouveau-Brunswick, à qui R. B. Bennett l’a légué par testament.

Par la suite, Kenneth Keith réalise le portrait officiel de sir Robert Borden pour la Chambre des communes. Le tableau est commandé par le président de la Chambre, Gaspard Fauteux, dont Forbes avait peint le portrait l’année précédente. L’objectif est de compléter la collection de tableaux officiels représentant les premiers ministres du Canada à la Chambre des communes. Ce tableau est dévoilé au Parlement le 11 juin 1947, dix ans après le décès de Borden, en même temps que lui de William Lyon Mackenzie King et en présence du président américain Harry Truman.

Dans son journal intime (en anglais), Mackenzie King explique comment il en est venu à suggérer que l’on dévoile son portrait ainsi que celui de Borden, tous deux premiers ministres lors des grandes guerres, à l’occasion d’une même cérémonie.

Image noir et blanc d’une page dactylographiée du journal intime de William Lyon Mackenzie King datée du 19 mai 1947.

Extrait du journal intime de William Lyon Mackenzie King daté du 19 mai 1947, dans lequel il explique comment il en est venu à suggérer qu’on dévoile son portrait ainsi que celui de Borden, tous deux premiers ministres lors des grandes guerres, à l’occasion d’une même cérémonie. (Fonds William Lyon Mackenzie King, MG 26 J 13, 19 mai 1947)

Une décennie plus tard, Forbes peint deux portraits de John Diefenbaker. Le premier est offert au politicien par les membres de son conseil des ministres et orne les murs du 24, Sussex, puis de Stornoway, la résidence officielle du chef de l’opposition. Le second est commandé par des francs-maçons de Washington et se trouve à Arlington, en Virginie.

En 1962, Kenneth Keith peint le portrait officiel de Bennett pour la Chambre des communes. La commande survient près de 25 ans après qu’il ait réalisé un premier tableau du politicien, et 15 ans après le décès de celui-ci. Elle émane du premier ministre John Diefenbaker et du président de la Chambre, Roland Michener. Une fois encore, on cherche à combler les lacunes de la collection de tableaux officiels représentant les premiers ministres du Canada à la Chambre.

Conclusion

Les carrières de portraitistes de John Colin et de Kenneth Keith Forbes révèlent les liens parfois insoupçonnés entre les arts et la politique. Les Forbes ont clairement tiré profit de leurs bonnes relations avec les parlementaires, particulièrement avec les premiers ministres, en obtenant de nombreuses commandes très prestigieuses.

Les premiers ministres ont également bénéficié du travail de peintres tels que les Forbes, dont les tableaux ont aidé à commémorer et à glorifier ces hommes qui ont détenu la plus haute fonction politique au pays ainsi qu’à inspirer leurs successeurs. Aussi, on l’a vu, c’est sans égard à la couleur politique qu’on a demandé aux Forbes de contribuer à cette entreprise de mémoire en produisant les portraits de premiers ministres en fonction ainsi que de leurs prédécesseurs. Ce faisant, ils ont contribué à asseoir la fonction de premier ministre dans la mémoire politique du pays.

Par ailleurs, le talent pour le portrait ne s’est pas arrêté à John Colin et à son fils Kenneth Keith. En effet, la fille de Kenneth, Laura June McCormack (1921-1961), dont la mère Jean Mary Edgell est également peintre, a réalisé quelques portraits qui se retrouvent à l’Assemblée législative de l’Ontario, et notamment un tableau représentant Louis-Hippolyte La Fontaine.

Pour en savoir plus sur les portraits de premiers ministres, voyez la thèse d’Andrew Kear, Governing Likenesses: The Production History of the Official Portraits of Canadian Prime Ministers, 1889-2002.


Geneviève Couture est archiviste au sein du projet des Archives du premier ministre, à la Division des archives privées du monde de la science et de la gouvernance de Bibliothèque et Archives Canada.