Par Isabelle Charron

Plan of Canada or the province of Quebec from the uppermost settlements to the island of Coudre […], 1761-1763 (pièce 5446324). La carte a été assemblée avec toutes les précautions nécessaires sur le plancher du Centre de préservation de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), à Gatineau. L’assemblage fait environ 8,8 m sur 15,5 m. La grande carte du Saint-Laurent de James Cook (e010691696) est étalée sur une table, dans le coin supérieur gauche. Photo : David Knox, BAC
C’est ainsi que dès le printemps de 1761, il y a de cela 260 ans, des équipes arpentent le territoire compris entre Les Cèdres et l’île aux Coudres. Sur leur passage, elles consignent tous les éléments de la géographie physique et humaine : relief, terres cultivées, boisées ou marécageuses, rivières, routes, noyaux villageois, incluant les maisons, les églises et les moulins, ainsi que bien d’autres observations. Elles recensent aussi les communautés des Premières Nations de Kahnawake, Kanesatake, Wendake, Odanak et Wôlinak. Les fortifications et les positions des troupes britanniques y sont également représentées. Le général Murray exige également que l’on recense, dans chaque village, le nombre de familles et le nombre d’hommes aptes à porter les armes, et que l’on intègre ces données à la carte. Fait à noter, les carnets de terrain des arpenteurs ayant participé à ce vaste projet de cartographie semblent à ce jour toujours introuvables.

Sainte-Rose (Laval). À l’époque, les arpenteurs notent que Sainte-Rose compte 85 familles et 95 hommes aptes à porter les armes. Les localités de Boisbriand et de Rosemère se trouvent sur la rive nord de la rivière des Mille Îles, illustrée ci-dessus. Détails de la feuille no 9. (e010944374_9)

Wendake. Détail de la feuille no 33. (e010944374_33)
Sept immenses cartes manuscrites de la vallée du Saint-Laurent (appelées communément les « cartes de Murray ») seront dessinées dans le cadre de ce projet, chacune comprenant de nombreuses feuilles. Trois dessinateurs, Charles Blaskowitz, Digby Hamilton et Charles McDonnell, traceront les versions définitives rehaussées à l’aquarelle, afin qu’elles plaisent à leurs prestigieux destinataires. Deux de ces cartes se trouvent à BAC : celle du Board of Ordnance (pièce 5506021), chargé de l’approvisionnement de l’armée et des ingénieurs militaires, et celle de James Murray (pièce 5446324). Deux autres cartes se trouvent à la British Library, à Londres : celle de William Pitt, ministre de la guerre et futur premier ministre, et celle du roi George III. Une autre carte, peut-être destinée au gouverneur de Montréal Thomas Gage, est conservée à la William L. Clements Library de l’Université du Michigan, à Ann Arbor. Les deux dernières cartes, dont celle du commandant en chef Jeffery Amherst, sont manquantes. Peut-être referont-elles surface un jour? Puisque les cartes de Murray relèvent à l’époque du renseignement militaire elles n’ont jamais été gravées afin d’être publiées. L’étendue du territoire représenté, la forme et le style de dessin diffèrent quelque peu d’une carte à l’autre. Ainsi, celle du Board of Ordnance, dont le dessin est plus artistique, couvre un territoire un peu plus restreint, de Les Cèdres jusqu’au cap Tourmente. Elle se présente en 23 feuilles de dimensions variables réparties en quatre sections. La carte destinée à James Murray compte 44 feuilles sensiblement de la même grandeur et s’étend jusqu’à l’île aux Coudres.

Château-Richer. Détail de la feuille no 36. (e010944374_36)
Aucune carte aussi détaillée de ce vaste territoire, à cette grande échelle, n’avait été dessinée sous le Régime français. La production cartographique avait pourtant été fort prolifique : pensons aux cartes de Jean-Baptiste Franquelin, de Gédéon de Catalogne et de Jean-Baptiste de Couagne, ou encore aux cartes dressées par Jacques-Nicolas Bellin (p. ex. pièce 3693313) au Dépôt des cartes et plans de la Marine, à Paris, à partir d’informations en provenance de la colonie. Les cartes de Murray constituent donc une représentation unique de la vallée du Saint-Laurent à la veille de la cession officielle de la Nouvelle-France à l’Angleterre par le traité de Paris de 1763. C’est également l’un des projets cartographiques les plus importants entrepris par l’armée britannique au 18e siècle, au même titre que ceux menés en Écosse (Roy, 1747-1755), en Floride (De Brahm, 1765-1771), au Bengale (Rennell, 1765-1777) et en Irlande (Vallancey, 1778-1790).

Chambly, le fort Chambly et Saint-Mathias-sur-Richelieu. Détail de la feuille no 11. (e010944374_11)
Cet album Flickr contient les 44 feuilles de l’exemplaire personnel de la carte de James Murray qui a été restaurée, puis renumérisée. L’instrument de recherche comprend la carte index sur laquelle on a inscrit les numéros de copies électroniques de chacune des feuilles et une liste exhaustive qui facilite la recherche et l’identification des lieux (notez que l’on emploie les toponymes d’aujourd’hui). Vous pouvez aisément repérer les feuilles qui vous intéressent et télécharger les images à l’aide de l’outil Recherche dans la collection de BAC.
Une grande partie du patrimoine bâti qui figure sur la carte de Murray a disparu, le paysage a subi d’importantes transformations et la représentation des éléments n’est pas parfaite. Néanmoins, vous réussirez peut-être à repérer la maison de vos ancêtres, votre quartier, l’église ou le joli moulin que vous avez visités lors de vos vacances, ou encore des routes que vous avez sillonnées au fil des ans. La comparaison des feuilles de la carte de Murray avec des images actuelles, comme celles que l’on trouve dans Google Maps, s’avère aussi un exercice fort intéressant. Vous pouvez également utiliser Co-Lab, l’outil de production participative de BAC, pour contribuer à documenter davantage ce trésor cartographique. Les possibilités sont immenses; à vous de les explorer!
Bon voyage au 18e siècle… à travers les yeux et la plume d’ingénieurs militaires britanniques!

Pointe-du-Lac (Trois-Rivières). Détail de la feuille no 22. (e010944374_22)
Pour en savoir plus:
- BOUDREAU, Claude. La cartographie au Québec, 1760-1840, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université Laval, 1994.
- CHARRON, Isabelle. « L’acquisition des connaissances géographiques par les Britanniques au cours de la guerre de Sept Ans. Seconde partie : le territoire d’après le projet de Murray », Cap-aux-Diamants, no 132, hiver 2018.
- DUNNIGAN, Brian Leigh. « Governor Murray’s Canada », The Quatro, The Clements Library Associates, no 30, automne-hiver 2008.
- HAYES, Derek. Historical Atlas of Canada. Canada’s History Illustrated with Original Maps, Vancouver, Douglas & McIntyre, Seattle, University of Washington Press, 2002 (édition révisée, 2015).
- LITALIEN, Raymonde, Jean-François PALOMINO et Denis VAUGEOIS. La mesure d’un continent. Atlas historique de l’Amérique du Nord, 1492-1814, Sillery, Québec, Les éditions du Septentrion, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2007.
- MURRAY, Jeffrey S. Terra Nostra. Les cartes du Canada et leurs secrets, 1550-1950. Tirées de la collection de Bibliothèque et Archives Canada, Sillery, Québec, Les éditions du Septentrion, Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada et Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2006.
- SHIELDS, James Gordon. The Murray Map Cartographically Considered. A Study of General James Murray’s Survey of the St. Lawrence River Valley in 1761, Kingston, Queen’s University, Département de Géographie, thèse de maîtrise, 1980.
Ce billet de blogue a été écrit par Isabelle Charron, archiviste en cartographie ancienne au sein de la section des supports spécialisés de la Direction des archives privées à Bibliothèque et Archives Canada