Conservateur invité : Scott Dickinson

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».

Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Un portrait de mariage de Samuel Leonard Tilley et Julia Ann Hanford

Une photographie couleur d’une image en sépia dans un cadre de bois et d’or présentant un homme et une femme assis. L’homme porte un complet, un gilet et une cravate. La femme porte une charlotte, une robe et un châle à motifs.

Un daguerréotype de Samuel Leonard Tilley et Julia Ann Hanford, vers 1843 (MIKAN 3192569)

Bien que le Canada ne soit plus un dominion de la Grande-Bretagne, le terme faisait partie du premier nom officiel du pays. Tilley, un des Pères de la Confédération, l’aurait tiré d’un psaume.


Parlez-nous de vous.

J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire ‒ en particulier à l’histoire de la technologie et de l’industrie ‒ lors de mon enfance à Brantford en Ontario, une ancienne ville manufacturière pas très loin d’Hamilton. Si Hamilton était connue pour fabriquer de l’acier, Brantford était connue pour fabriquer de l’équipement agricole. Lorsque j’y vivais, toutes les grandes entreprises agricoles canadiennes étaient parties, ne laissant rien d’autre que les vieux bâtiments d’usine et les souvenirs des générations précédentes. Explorer cette histoire a capté mon intérêt à l’égard des machines que les Canadiens inventaient, fabriquaient et utilisaient ‒ ainsi que des lieux où ils le faisaient. Cela a été le début de mon voyage dans l’histoire. Je n’habite plus à Brantford, mais partout où je vais, je me surprends à chercher des signes du passé industriel du Canada.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Le premier processus photographique pratique a été inventé en 1839 par Louis-Jacques-Mandé Daguerre; c’est pourquoi ce type de photographie est appelé un daguerréotype. Bien que la photographie soit normale pour nous, la daguerréotypie ne l’est pas et nécessite probablement une explication.

La daguerréotypie utilisait une plaque de cuivre recouverte d’argent comme « film ». La surface de la plaque était traitée chimiquement afin de la rendre sensible à la lumière. Cette plaque sensible à la lumière était placée dans une boîte sombre ‒ l’appareil photo ‒ jusqu’à ce qu’elle soit exposée à la scène qu’elle devait capter. Après un autre traitement chimique, l’image à laquelle la plaque avait été exposée apparaissait clairement, très nette en noir et blanc. Les images des daguerréotypes semblent flotter au-dessus de leur plaque, donnant une illusion de profondeur, une propriété unique qu’aucune autre forme de photographie n’a réussi à reproduire.

Les expositions du daguerréotype ne sont pas instantanées. Il fallait se tenir sans bouger pendant deux minutes, sans quoi l’image finale serait floue. C’est pourquoi les plus anciennes photos sont des portraits officiels de personnes assises ou d’autres scènes immobiles. Le coût et le temps nécessaires signifiaient également que prendre une photographie était un événement pour lequel il valait la peine de mettre ses beaux habits.

Avez-vous déjà dû continuer à sourire pendant qu’une personne ajustait maladroitement son appareil photo? Sourire pendant plus de quelques secondes peut être douloureux. Imaginez maintenant d’essayer de sourire pendant deux minutes complètes. Les premières photographies comme celle-ci dépeignent nos ancêtres comme étant sévères, mais un froncement de sourcils est beaucoup plus facile à maintenir qu’un sourire!

Lorsque nous regardons des photographies historiques, nous devons penser non seulement au sujet, mais à la technologie utilisée pour saisir l’image. Les Tilley, apparaissant ici dans une pose guindée et conventionnelle, n’étaient pas nécessairement des personnes guindées et conventionnelles. Nous ne l’aurions jamais su à partir de ces daguerréotypes, car les limites de la technologie signifiaient que seulement certains types de scènes pouvaient être saisies. Lorsque nous regardons des photographies historiques, nous devons penser à ce que nous voyons ‒ et à ce que nous ne voyons pas.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

Une photo en noir et blanc de deux jeunes garçons portant des manteaux et des chapeaux de laine, assis sur un banc de bois. L’un s’est écroulé de sommeil; l’autre fixe l’appareil photo et tient une valise. Une foule floue est visible en arrière-plan.

Nouveaux arrivants à bord du S.S. Argentina attendant l’autorisation dans la salle d’interrogation de l’Immigration, Quai 21, mars 1952 (MIKAN 3212241)

Il y a un item de la collection de BAC qui complète très bien ce daguerréotype. Il s’agit d’une autre photographie, qui montre une scène très différente du contexte distingué de la photographie des Tilley.

Plus d’un siècle après le daguerréotype de Samuel Tilley, le Canada traversait l’un de ses booms périodiques d’immigration. La photographie était alors plus que suffisamment perfectionnée pour faire ce qu’il était impossible de réaliser avec le daguerréotype : des instantanés pris sur le vif. Qui plus est, les photographes souhaitaient maintenant prendre des photos de personnes ordinaires, comme celles de nouveaux immigrants, et plus tard de réfugiés. Les deux sont représentés dans cette exposition.

Cet instantané représente deux jeunes immigrants attendant d’être reçus au Quai 21 à Halifax. Nous sommes en 1952, et ces deux enfants aux yeux fatigués débarquaient tout juste du S.S. Argentina. Leur visage illustre de l’épuisement, de l’appréhension et peut-être un peu d’agacement en raison de l’attente.

Laquelle de ces photographies représente une meilleure image du Canada? Selon moi, les versions du Canada que ces photographies illustrent sont toutes deux valables. Les deux photographies présentent des histoires qu’il vaut la peine de raconter.

Cette photographie ne montre pas un père fondateur du Canada. Les noms de ces deux enfants ne sont pas consignés. Mais ce sont tout de même des Canadiens. Leur expérience du Canada est très différente de l’expérience de Samuel Tilley, mais les deux ont été importantes pour la croissance de notre nation. La photographie est devenue un grand facteur de nivellement social. Elle n’est plus l’apanage des bien nantis. Nous avons une dette envers les premiers utilisateurs du daguerréotype pour avoir montré les visages des premiers Canadiens, mais ils n’auraient pas pu illustrer la réalité à l’extérieur du studio. Les photographes plus modernes nous ont ouvert une fenêtre sur ce à quoi les Canadiens ressemblaient vraiment.

Biographie

Une photo couleur d'un jeune homme debout devant une balustrade tenant un diplome.Scott Dickinson est un jeune spécialiste de musée ayant un grand intérêt pour l’histoire de la technologie que les Canadiens utilisent tous les jours. Il détient un diplôme spécialisé en histoire de l’Université Western Ontario (2014) et une maîtrise en histoire publique, également de l’Université Western Ontario (2015). Il est actuellement inscrit comme étudiant au programme de gestion de musée et de conservation du collège Fleming.

Conservatrice invitée : Nicoletta Michienzi

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».

Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Page couverture d’un atlas sur l’immigration intitulé Canada West [Ouest canadien] publié par le ministère de l’Immigration, vers 1923

Page couverture d’un atlas en couleur présentant une femme blonde qui porte une robe de style grec et qui tient un rideau de blé doré ouvert afin de révéler une scène agricole avec tout ce que cela suppose de champs verts et dorés, de fermes, d’étables et de bétail.

Page couverture d’un atlas sur l’immigration intitulé Canada West [Ouest canadien] publié par le ministère de l’Immigration, vers 1923 (MIKAN 183827)

Derrière les rideaux de blé doré se cache un Canada idéalisé, voire utopique. C’était monnaie courante dans les publicités sur l’immigration. À l’époque, l’Ouest canadien n’était pas aussi développé que l’image le laisse croire.


Parlez-nous de vous.

Je suis née et j’ai grandi à London, en Ontario, dans une famille italo-canadienne tissée serrée. Les récits racontés par ma famille sur la culture italienne m’ont inspiré une passion pour l’histoire de l’Italie.

J’ai donc voyagé en Italie et ailleurs en Europe à plusieurs reprises, et j’essaie de voyager dès que je le peux. J’ai eu le privilège d’aller en Angleterre pour étudier. Lorsque j’étais là-bas, j’ai participé à une fouille archéologique le long du Mur d’Hadrien, et pendant mes temps libres, j’ai réussi à visiter le nord de l’Angleterre et l’Écosse. J’ai aussi voyagé en Europe en compagnie de ma famille et de mes amis. Pendant mes voyages, j’essayais toujours de visiter le plus d’institutions culturelles et historiques possible. Ces endroits sont intéressants à visiter, car on y voit ce que la société valorise.

Comme prochaine destination, je me suis donné pour mission de découvrir davantage le Canada. J’ai beaucoup voyagé à l’extérieur de l’Amérique du Nord, mais je n’ai jamais vraiment pris le temps de visiter mon propre pays. J’espère que le 150e anniversaire du Canada me donnera l’occasion de le découvrir et d’apprécier les valeurs qui nous animent en tant que Canadiens.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

La page couverture de Canada West [Ouest canadien] est un excellent exemple d’affiches sur l’immigration canadienne du 20e siècle. Le ministère canadien de l’Immigration avait entrepris une campagne publicitaire accrocheuse à la fin du 19e siècle en espérant attirer des immigrants dans les provinces peu peuplées de l’Ouest.

Affiche en couleur présentant un paysage avec des champs verts et des montagnes, ainsi que deux hommes debout au premier plan sur les rives opposées d’une rivière. L’un a un drapeau américain à ses pieds, tandis que l’autre tient l’Union Jack dans sa main et a une corne d’abondance à ses pieds; il fait signe à l’Américain de venir au Canada. Sous l’image, on trouve les lieux de départ et d’arrivée, les dates et le prix du voyage (12 $).

Affiche promotionnelle de l’immigration intitulée « 40,000 Men Needed in Western Canada » [40 000 hommes requis dans l’Ouest canadien] (MIKAN 2837964)

À l’origine, les gouvernements canadien et britannique cherchaient à recruter des immigrants anglophones en faisant beaucoup de publicité dans les îles Britanniques et aux États-Unis. Le ministère de l’Immigration a fini par se diversifier, mais au début, les pays européens blancs étaient encore ses principales sources d’immigration. Les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie étaient les plus importantes cibles des campagnes sur l’immigration, dont le texte était traduit de l’anglais vers d’autres langues.

L’affiche ci-dessous est un exemple de la promotion du Manitoba à titre d’endroit où il fait bon vivre pour les immigrants néerlandais.

Affiche en couleur présentant des mains géantes pointant de petites vignettes de différentes villes au Canada : Montréal, Ottawa, Toronto, Winnipeg et Vancouver, sur un fond vert pâle encadré par des bordures vertes et rouges. Le texte est en néerlandais et fait la promotion du territoire disponible et de la durée du voyage en bateau (10 jours à partir de la Hollande).

Affiche sur l’immigration « Lees Dit! » [Lisez ça!] faisant la promotion du Manitoba aux immigrants néerlandais, vers 1890 (MIKAN 2837963)

La page couverture de Canada West [Ouest canadien] s’inscrit dans la grande tradition qui présente l’idéal de la terre de possibilités, d’abondance et d’agriculture comme un mode de vie idyllique afin d’attirer de nouveaux arrivants au Canada. L’objectif consistait à promouvoir les ressources naturelles du Canada comme un mode de vie auprès de personnes qui n’étaient pas propriétaires fonciers dans leur pays d’origine. Des images attirantes de champs de blés, de cornes d’abondance et de collectivités agricoles pittoresques avaient pour but de vendre le Canada comme un pays pacifique offrant une foule de possibilités, mais l’art idéalisait la réalité. Des atlas comme celui-ci contenaient aussi des pages d’information sur le Canada avec des cartes des provinces de l’Ouest. L’information incluse avait pour but de présenter le Canada comme un pays où la terre et les ressources étaient facilement accessibles. L’atlas Canada West [Ouest canadien] a été largement distribué par le ministère de l’Immigration partout aux États-Unis et en Europe continentale.

Bien que ces campagnes simplistes semblent inefficaces aujourd’hui, le ministère canadien de l’Immigration a connu du succès en les utilisant. Avant 1911, il y avait environ 331 288 immigrants par année. Après la Première Guerre mondiale, ce nombre est passé à plus de 400 000 immigrants par année. Les publicités sous forme d’images et la notion que le Canada était une terre d’abondance ont été un succès. Ces premières mentions favorables ont vendu le Canada à des non-Canadiens. Bien que les images utilisées dans la propagande ne fussent pas toujours réalistes, elles présentaient le Canada comme une terre de possibilités et d’abondance.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

La publicité et l’immigration canadiennes ont considérablement évolué depuis le début du 20e siècle. Nos conceptions de ce qu’est un immigrant et des raisons pour lesquelles des gens choisissent de venir au Canada ont changé. La façon dont nous documentons l’immigration a aussi changé. La technologie, comme la photographie et la vidéographie, a été utilisée pour consigner les histoires d’immigration à l’ère moderne.

Bibliothèque et Archives Canada a une impressionnante collection de photographies contemporaines d’immigrants de la fin du 19e siècle jusqu’à maintenant. Ces images présentent souvent une expérience d’immigration différente. Les photos dans les archives indiquent que nos politiques d’immigration ont eu des répercussions à l’échelle mondiale. Bon nombre d’immigrants qui sont arrivés au Canada n’ont pas seulement travaillé dans les régions rurales, mais aussi dans les centres urbains et ils ont contribué à façonner le Canada. À l’heure actuelle, Bibliothèque et Archives Canada cherche à ajouter des photos à sa collection pour mettre en valeur les différentes pièces qu’il possède. Les photos plus modernes comme celles de l’exposition s’ajoutent à des photos plus anciennes comme celles qui sont présentées ci-dessous.

Photographie en noir et blanc d’un groupe d’immigrants sur le quai d’une gare portant différents vêtements, comme des habits traditionnels indiens et des turbans ou des vêtements de style européen. La gare ferroviaire est derrière eux; il s’agit d’une petite cabane avec le nom de la ville sur le toit. La montagne se trouve derrière la gare, et un jeune garçon se trouve debout sur les rails.

Groupe d’immigrants indiens sur le quai de la gare ferroviaire du Canadien Pacifique à Frank, en Alberta, vers 1903. (MIKAN 3367767)

Petite photographie en noir et blanc d’un homme et d’une femme de chaque côté d’une balle de foin. Une description de la famille comprend leur nom, leur lieu d’origine, la façon dont ils sont arrivés, l’endroit où ils habitent et une brève description de leur ferme.

M. et Mme Friedrich Pahl sur leur ferme, des immigrants roumains qui sont arrivés le 13 mai 1927, à bord du S.S. Estonia, de la compagnie de navigation Baltic-America Steamship Line (MIKAN 3516853)

Bibliothèque et Archives Canada a aussi une collection de vidéos et d’histoires orales liées à l’expérience qu’ont vécu les immigrants. Cette collection comprend des vidéos sur l’histoire du Quai 21, l’un des plus importants points d’immigration au Canada. Ces témoignages sur vidéo montrent les changements dans les tendances en matière d’immigration, ainsi que la façon dont la conception de ce qu’est le Canada évolue constamment. Bien que nous ne voyions plus le Canada comme une étendue de champs, l’idée qui sous-tend l’immigration au Canada est la même : le Canada est une terre offrant des possibilités pour les gens de partout dans le monde, et comme l’indique notre ancienne affiche, le Canada est accessible pour les immigrants.

Biographie

Nicoletta Michienzi est titulaire d’un diplôme universitaire de premier cycle de l’Université Western Ontario avec distinction en histoire et majeure en études classiques. Pendant ses études, elle a participé à une fouille archéologique dans le nord de l’Angleterre et a pu constater les effets du tourisme sur les sites historiques. Elle a poursuivi ses études à l’Université Western Ontario, et a obtenu une maîtrise en histoire appliquée. Depuis l’obtention de son diplôme, elle a occupé des postes dans diverses institutions historiques de London, en Ontario. Elle est actuellement responsable de la programmation publique du Musée du Régiment royal du Canada et est interprète historique à la Eldon House. Au Musée du Régiment royal du Canada, elle organise et offre des visites guidées, informe le public sur l’histoire militaire de London et son lien avec les conflits mondiaux. À la Eldon House, elle interagit avec les touristes et aide à présenter des programmes éducatifs sur la plus vieille maison patrimoniale de London. Dans les deux institutions, elle met l’accent sur les services aux visiteurs et l’éducation du public en espérant rendre les visiteurs enthousiastes en ce qui a trait à l’histoire de leur collectivité et de leur pays.

Ressources connexes

Francis, Daniel. Selling Canada: Three Propaganda Campaigns that Shaped the Nation. Vancouver : Stanton Atkins & Dosil Publishers, 2011.

Conservatrice invitée : Katie Cholette

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Texte norvégien en rouge et en noir sur fond crème indiquant que le prix est décerné à Lester Bowles Pearson. Le texte est surmonté d’un lion rouge qui tient une hache au sommet d’une montagne bleue et ceinturé de vagues bleues comportant une étoile encerclée au sommet.

Le prix Nobel de la paix attribué au premier ministre Lester B. Pearson pour son rôle dans la création des Casques bleus de l’ONU, 1957. Conçu par Gerhard Munthe pour le Comité Nobel (MIKAN 4900031)

Pearson a remporté le prix Nobel pour avoir créé une force militaire neutre chargée de stabiliser les zones de conflit. Bien des Canadiens considèrent que le maintien de la paix est une caractéristique fondamentalement canadienne.


Parlez‑nous de vous.

Le graphisme m’a toujours intéressée. J’ai d’abord occupé un poste de graphiste et de typographe. Je me suis ultérieurement dirigée vers l’histoire de l’art, puis l’enseignement et maintenant l’archivistique. Bien que les documents textuels constituent l’essentiel de mon travail ces jours‑ci, je suis fréquemment fascinée par la gamme d’éléments attrayants sur le plan esthétique dans la collection de BAC.

Y a‑t‑il autre chose que, selon vous, les Canadiens devraient savoir à propos de cet élément?

Lester B. Pearson a remporté le prix Nobel pour son rôle dans la négociation du règlement pacifique de la Crise du canal de Suez en 1956. Cette crise est survenue lorsque Gamel Abdel Nasser, président de l’Égypte, a saisi puis nationalisé le canal de Suez (lequel à cette époque appartenait conjointement à la France et à la Grande-Bretagne), ce qui menaçait l’approvisionnement de l’Europe en pétrole. En représailles, la France, la Grande-Bretagne et Israël ont collaboré en secret pour attaquer la péninsule du Sinaï. Les États‑Unis et l’Union soviétique ont ensuite été entraînés dans le conflit, l’Union soviétique menaçant de recourir aux armes nucléaires contre les assaillants. M. Pearson, alors secrétaire d’État pour les Affaires extérieures et chef de la délégation du Canada aux Nations Unies, est intervenu pour contribuer à la création de la Force d’urgence des Nations Unies, laquelle a joué un rôle fondamental dans la désescalade du conflit.

Au cours de la cérémonie de remise le 10 décembre 1957 à Oslo (Norvège), le président du Comité Nobel Gunnar Jahn a déclaré que le prix était décerné à M. Pearson en raison de son sens de l’initiative, de sa vigueur et de sa persévérance dans les tentatives d’empêcher ou de limiter les opérations de guerre et de rétablir la paix dans des situations où il fallait agir avec rapidité, tact et sagesse pour empêcher l’agitation de se répandre et de dégénérer en une conflagration mondiale.

Bien que M. Pearson ait reçu le prix Nobel en 1957, le graphisme du certificat date du milieu du XXe siècle. Outre la calligraphie à la main, ce prix montre une lithographie réalisée par Gerhard Munthe en 1901, première année à laquelle le prix Nobel de la paix a été décerné. Peintre, dessinateur d’ornement et illustrateur norvégien, M. Munthe s’est inspiré d’un grand nombre des motifs artistiques de son pays natal. Ses œuvres s’inscrivent dans le Style romantique national, la version scandinave de l’Art nouveau de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Le Style romantique national, né en réaction contre l’industrialisation, a favorisé l’expression d’un nationalisme nordique fondé sur un intérêt renouvelé envers la mythologie nordique et les sagas norvégiennes. L’illustration au haut du certificat montre un lion qui tient une hache, symbole de pouvoir et de courage apparu dans l’art folklorique norvégien dès le XIIIe siècle. Ce symbole figure également dans les armoiries de la Norvège. Au sommet d’une frise ornementale de sapins stylisés, le lion se dresse fièrement au milieu d’un paysage nordique sauvage. Des aurores boréales tournoient au-dessus de sa tête, et l’image est surmontée de l’étoile Polaire. Le graphisme dans l’ensemble témoigne d’une délicatesse et d’une retenue, mais l’image n’en demeure pas moins très évocatrice.

Détail du certificat montrant un lion rouge qui tient une hache, au sommet d’une montagne bleue et ceinturé de vagues bleues et d’une étoile dans un cercle.

Détail du prix Nobel de la paix décerné à M. Pearson, révélant le lion sur le certificat (MIKAN 4900031)

Parlez‑nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

Pearson porte un complet avec nœud papillon et tient un crayon dans sa main levée.

Lester B. Pearson tient un crayon prise le 11 août 1944 (MIKAN 3607934)

Un homme souriant, s’entretient avec un autre homme devant une fenêtre avec rideaux, les stores tirés. Les deux hommes sont en complet cravate.

Anthony Eden. Photo prise par le Studio Alexandra (MIKAN 3215249)

Une photographie de Lester B. Pearson en compagnie d’un autre des principaux protagonistes de la crise de Suez – sir Anthony Eden, premier ministre de la Grande-Bretagne – m’a tout particulièrement fascinée. Cette photo a été prise le 6 février 1956 à l’extérieur des édifices du Parlement à Ottawa par Duncan Cameron, un photographe d’Ottawa au service de Capital Press Limited (et le seul photographe contractuel canadien de Time Life Inc.). Le premier ministre Eden, qui connaissait M. Pearson depuis les années 1930, était en visite au Canada et venait tout juste de prononcer un discours à la Chambre des communes. Politicien de longue date réputé pour ses compétences dans les affaires publiques, M. Eden a succédé à Winston Churchill comme premier ministre du Royaume-Uni en 1955. Sur la photographie, les deux hommes semblent détendus et heureux; rien ne laisse présager l’éclosion d’un désaccord entre le Canada et la Grande-Bretagne quelques mois plus tard, après la collaboration de M. Eden avec la France et Israël pour envahir l’Égypte. Par la suite, M. Pearson allait remporter le prix Nobel de la paix, devenir le 14e premier ministre du Canada, et se forger une réputation en matière de diplomatie internationale, tandis que la popularité de M. Eden allait dégringoler, après quoi ce dernier, malade, remettrait sa démission en février 1957. Remarque intéressante : le photographe, Duncan Cameron, allait ultérieurement entrer au service des Archives publiques du Canada, où il est devenu conservateur des photographies de la collection de photographies des Archives nationales. BAC détient son fonds, lequel comporte 175 000 imprimés, négatifs et diapositives.

Biographie

Katie Cholette est archiviste à la section Gouvernance et affaires politiques. Elle œuvre actuellement dans les secteurs des établissements militaires privés et extérieurs à la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. Elle possède un grade de premier cycle en histoire de l’art, un grade de maîtrise en histoire de l’art du Canada, et un grade de doctorat en études canadiennes. Auparavant, elle a occupé le poste de conservatrice des acquisitions et de la recherche et conservatrice des expositions au Musée du portrait du Canada (2007‑2008; 2011). Mme Cholette fut également titulaire de deux chaires de recherche en art canadien au Musée des beaux‑arts du Canada (2006; 2012‑2013), puis elle a donné des cours en histoire de l’art et en études canadiennes au Collège des sciences humaines de l’Université Carleton (depuis 2003). Elle a rédigé et publié des articles sur divers aspects de l’art, de l’architecture, de la culture et de l’identité; de plus, elle a collaboré à plusieurs projets de conservation et de recherche en tant que pigiste. Durant ses études à l’Université Carleton, Mme Cholette allait souvent au pub Mike’s Place, fréquenté par les étudiants de cycle supérieur et nommé en l’honneur de Lester B. Pearson.

Conservatrice invitée : Jill Delaney

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Temples of Today, John Vanderpant, vers 1934

Photographie noir et blanc d’un silo à grains; de hautes tours circulaires se dressent devant un immeuble rectangulaire encore plus haut.

Temples of Today, John Vanderpant, 1934. (MIKAN 3784205)

Pour le photographe John Vanderpant, les silos à grains du Canada n’étaient rien de moins que des temples. Ils s’inscrivaient dans sa vision utopique du pays, dont l’avenir reposait sur le commerce et l’industrie.


Parlez‑nous de vous.

Je travaille à BAC depuis presque 20 ans! Mon travail à la Section de la photographie est aussi diversifié que les collections elles‑mêmes, et le temps a filé incroyablement vite depuis mon arrivée.

J’ai une formation en histoire de l’art, mais je me suis toujours intéressée au contexte de l’œuvre, et non seulement à ses qualités esthétiques. En étudiant le contexte social, culturel et historique d’une photo, on peut saisir sa raison d’être. Pourquoi telle photo a-t-elle été prise? Qui l’a demandée?  Comment a-t-elle été diffusée par la suite? Toutes ces questions me fascinent. J’imagine que ça explique pourquoi je suis devenue archiviste : parce que les notions de contexte et de provenance sont à la base de toute collection d’archives.

Les photos anciennes de notre collection m’obligent à jouer au détective, ce que j’adore, tout comme ma collaboration avec des photographes contemporains pour trouver les motivations derrière la création d’une œuvre.

J’ai écrit et j’ai fait des exposés sur plusieurs photographes et collections de BAC. J’ai entre autres étudié les photos prises par John Vanderpant et Yousuf Karsh lors de leurs voyages au Canada, dans les années 1930 et au début des années 1950. Ces voyages m’intriguent vraiment. Encore aujourd’hui, ils me font penser à un rite de passage canadien; ils sont aussi très représentatifs de la notion toujours changeante d’identité canadienne.

Y a‑t‑il autre chose que, selon vous, les Canadiens devraient savoir à propos de cet élément?

L’œuvre de John Vanderpant, étudiée par plusieurs historiens de l’art depuis 30 ou 40 ans, a gagné en prestige. Et maintenant, le fonds John Vanderpant est l’un des plus importants fonds photographiques de BAC. Sa photo « Temples of Today » a été prise vers 1934 dans le secteur du port de Vancouver. Vanderpant était l’un des grands photographes pictorialistes du Canada; il pratiquait ce qu’on appelle la photographie pure (c’est-à-dire sans retouches). Sa série de photos sur des silos à grains de Vancouver est devenue emblématique.

John Vanderpant a quitté la Hollande pour s’établir au Canada en 1911. À ses yeux comme à ceux des autres Européens d’alors, notre pays était une vaste étendue sauvage. À l’époque où il a pris la photo « Temples of Today », en 1934, il croyait que l’énorme potentiel du Canada et toutes ses ressources inexploitées en feraient une grande puissance industrielle. Et il n’était pas le seul à penser ainsi : l’entre‑deux‑guerres a été marqué par une forte expansion urbaine et industrielle au pays.

Au fil du temps, Vanderpant a délaissé les effets de peinture et le flou artistique propres au pictorialisme au profit de la photographie pure, non retouchée. La photo « Temples of Today » en est un exemple éloquent. Le style de l’œuvre reflète une esthétique moderne et dépouillée; et, tout aussi important, le sujet devient représentatif d’une profonde conviction, celle que l’avenir serait dominé par la vie urbaine et industrielle.

« Temples of Today » met délibérément de côté la beauté, et insiste plutôt sur le caractère imposant des silos émergeant de l’ombre vers la pleine lumière. Au premier plan, les poteaux électriques viennent rappeler le concept des industries. La photo illustre à merveille l’émergence d’une philosophie populaire selon laquelle l’industrialisation permet la progression naturelle de l’humanité. Vanderpant souscrivait fermement à cette idée, et a écrit des articles et donné maintes conférences sur la question.

Mais Vanderpant, comme tant d’autres Canadiens à l’époque, envisageait le futur en faisant complètement abstraction des peuples autochtones. Il voyait le Canada comme une sorte de terra nullius, une terre inoccupée prête à être exploitée et mise en valeur au gré de la colonisation. Ses photos sont aujourd’hui reconnues, car elles témoignent à merveille d’un aspect de la vie canadienne jusqu’alors jugé inintéressant. Toutefois, elles ignorent complètement l’importance des premiers habitants du pays.

Parlez‑nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

C’est très intéressant de comparer les idées que Vanderpant se faisait du Canada à celles du photographe allemand Felix Man, qui a visité notre pays au moment où la photo « Temples of Today » a été prise.

Man est un pionnier du photojournalisme et de l’essai photographique. En 1933, il a parcouru le Canada pendant six mois à la demande du magazine allemand Berliner Illustrirte. Sa mission : visiter le Canada et en photographier les choses les plus importantes. En 1985, BAC a acquis environ 200 photos de Felix Man pour documenter la façon dont les Européens percevaient le Canada pendant l’entre‑deux‑guerres. Tout comme Vanderpant, Man a été renversé et inspiré par l’étendue du pays. Il l’a sillonné de long en large, particulièrement charmé par les Prairies et les régions du Nord, allant jusqu’à Churchill (au Manitoba) et au Grand lac de l’Ours, dans les Territoires du Nord‑Ouest.

Toutefois, à bien des égards, la perception qu’avait Man du Canada différait beaucoup de celle de Vanderpant, même si les deux hommes partageaient une perspective romantique de notre pays.

Ainsi, Vanderpant dépeignait de façon romancée un futur Canada industrialisé et urbain, alors que Man, d’une façon typiquement européenne, voyait plutôt un Canada figé dans un passé idéalisé. Il faut dire que Man avait été très influencé par son compatriote allemand Karl May, un auteur connu pour n’avoir visité l’Amérique du Nord qu’après la publication de ses livres, et dont les récits fantaisistes et idéalisés à propos des « nobles Sauvages » sont encore populaires de nos jours, tant en Europe centrale que de l’Ouest. Les photos de Man dépeignent clairement cette vision du Canada.

De plus, alors que les œuvres de Vanderpant mettent l’accent sur le développement du Canada, celles de Man, comme l’a souligné l’historienne de la photographie Joan Schwartz, font largement abstraction du Canada urbain. Sa caméra s’est plutôt attardée ailleurs, par exemple sur les immenses étendues de neige et de glace autour de Churchill, en hiver; ou encore sur les « Banff Indian Days », une populaire attraction touristique lors de laquelle les Autochtones, moyennant rétribution, portaient des costumes traditionnels, construisaient des wigwams et démontraient leurs talents de chasseur et de cavalier.

Femme à cheval, tenant une petite fille à ses côtés. La femme porte une tunique unie avec une ceinture à motif; ses cheveux tressés sont ornés d’une coiffe de plumes.

« Une femme et un enfant indiens » [traduction de la légende originale], Felix Man; photo prise pendant les « Banff Indian Days, Banff (Alberta), 1933. (MIKAN 3333566)

Nous en avons un excellent exemple avec sa photo d’une femme et d’une fillette autochtones à cheval. La femme, qui porte une coiffe de plumes élaborée (très rarement utilisée dans les faits), se penche pour enlacer la jeune enfant. L’œuvre, au fini granuleux, symbolise la Madone et l’enfant : toutes les qualités sont réunies pour construire un récit stéréotypé et généralisé, laissant croire que les peuples autochtones du XXe siècle avaient encore un mode de vie traditionnel. Il faut savoir que les images des « Banff Indian Days » étaient très populaires auprès de la presse européenne.

Cette exclusion des Autochtones – ignorés dans l’œuvre de Vanderpant sur le Canada industrialisé et urbain, relégués à un passé mythique dans l’œuvre de Felix Man – trouve un écho dans d’autres photos de l’exposition Canada : Qui sommes-nous? : celles du photographe iroquois Jeff Thomas.

À l’aide de figurines photographiées dans divers décors (ici, devant les édifices du Parlement, ou devant un wagon de chemin de fer arborant le mot « Canada »), Thomas cherche à réintroduire les peuples autochtones dans la trame du Canada contemporain et passé. Ses photos soulèvent d’importantes interrogations sur le rôle que les peuples autochtones ont joué dans la construction du chemin de fer et de la nation‑État qu’est le Canada. Quant à ses figurines, elles jouent sur les stéréotypes perpétués par des photographes comme Man, et témoignent de l’omission des peuples autochtones dans les récits sur le Canada d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

À première vue, il n’existe pas de lien entre la photo de Vanderpant et celle de Man présentées plus haut. Mais chacune reflète une vision stéréotypée du Canada, et lorsqu’on s’intéresse à leur contexte historique et à celui de leur création, on peut mieux les comprendre et comprendre le passé et le présent de notre pays.

Figurine d’un membre des Premières Nations placée devant un train. On voit l’inscription « Canada » et des graffitis sur le côté d’un wagon à grains.

Fête du Canada 2005, Brandon (Manitoba), au Canada, tiré de la série « The Delegate on Tour » (le « délégué » en tournée) par Jeff Thomas (MIKAN 4171016) ©Jeff Thomas

Figurine d’Autochtone sur la rive opposée à la Colline du Parlement.

Colline parlementaire, Ottawa (Ontario), 2007. Photo tirée de la série « The Delegate on Tour » (le « délégué » en tournée), Jeff Thomas. (MIKAN 3932081) ©Jeff Thomas

Biographie

L’archiviste Jill Delaney travaille à la Direction générale des archives privées, où elle est chargée de l’acquisition des photographies à la Section des archives visuelles, sonores et du paysage. Elle a également œuvré à la Section des documents sur l’architecture. Titulaire d’une maîtrise en études canadiennes de l’Université Carleton (1991) et d’un doctorat en histoire et en théorie de l’art et de l’architecture de la State University of New York à Binghamton (1997), elle s’est jointe à BAC en 1998 à titre d’archiviste des documents photographiques.

Conservatrice invitée : Carole Gerson

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Ode to Brant de Pauline Johnson, 1886

Pages d’un poème écrit à la main et daté par l’auteure, Pauline Johnson.

Poème écrit à la main par Pauline Johnson, 1886. (MIKAN 4936704)

Les racines britanno-mohawk de cette poétesse ont façonné sa vision de l’avenir du Canada. Elle écrit ici qu’Autochtones et Canadiens d’origine britannique devaient s’unir et servir loyalement l’Empire britannique.


Parlez-nous de vous.

Enfant, je lisais beaucoup. Pour mes amis, j’étais un « rat de bibliothèque » parce que j’avais toujours le nez dans un livre. C’est peut-être pourquoi je suis devenue professeure d’anglais afin de pouvoir lire autant que je le voudrais et encourager les autres à faire de même. Je pense que c’est particulièrement important de lire des auteurs canadiens, car ils nous aident à comprendre notre histoire et qui nous sommes aujourd’hui.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Une photo noir et blanc d’une statue de bronze sur un piédestal en pierre orné de reliefs et de statues de bronze sur tous les côtés. On peut voir à l’arrière-plan un parc aux arbres dénudés.

Vue du monument commémoratif de Brant à Brantford, en Ontario, de la photographe Hannah Maynard, Park & Co. (MIKAN 3559483)

Ode to Brant a été l’un des premiers poèmes de Pauline Johnson à être publié. Elle l’a composé en vue du dévoilement de la statue du chef mohawk Joseph Brant dans la petite ville de Brantford le 8 octobre 1886; ce poème figurait dans le dépliant souvenir préparé pour l’occasion. À l’époque de Johnson, les amateurs de littérature collectionnaient souvent les autographes de leurs écrivains préférés. Considérée comme l’un des plus grands poètes du Canada, Johnson n’a pas seulement signé de nombreux exemplaires de ses livres pour ses admirateurs, mais elle leur a aussi maintes fois écrit à la main ses poèmes pour qu’ils puissent les conserver.

Chronique dans un journal en noir et blanc décrivant la famille et l’œuvre de Pauline Johnson et son rôle dans le dévoilement du monument commémoratif de Brant.

Entrevue avec Pauline Johnson par la journaliste canadienne Garth Grafton (Sarah Jeannette Duncan) sur l’œuvre et la famille de Johnson ainsi que sur le dévoilement du monument commémoratif de Brant, publiée dans Woman’s World le 14 octobre 1886. (AMICUS 8086919)

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

BAC possède une vaste collection de lettres écrites par L. M. Montgomery (auteure d’Anne… la maison aux pignons verts) à son ami et correspondant George Boyd Macmillan, qui vivait en Écosse. L’échange de lettres a duré de nombreuses années, de 1903 à 1941. Les lettres de Montgomery sont très longues et regorgent de nouvelles, portant sur tout, des livres qu’elle lisait et des endroits qu’elle visitait aux faits et gestes de sa famille et de ses chats adorés. Au fil des ans, le ton se transforme, passant de l’optimisme propre à la jeunesse à la déception douloureuse que lui laissent la Première Guerre mondiale et la Crise de 1929, ce qui nous apporte un regard personnel sur la vie au Canada en cette période tumultueuse. L’écriture distinctive de Montgomery a moins de style que l’écriture élégante de Johnson, témoignant ainsi peut-être de ses premières années dans l’enseignement lorsqu’elle montrait aux enfants comment former les lettres.

Page en noir et blanc d’une lettre de Lucy Maud Montgomery à George Boyd Macmillan.

Page d’une lettre (757) de Lucy Maud Montgomery à George Boyd Macmillan, écrivain écossais, 7 avril 1904. Elle y parle de son amour des livres historiques et de sa fascination pour le monde des fées quand elle était enfant. (MIKAN 120237)

Page en noir et blanc d’une lettre de Lucy Maud Montgomery à George Boyd Macmillan.

Page d’une lettre (25) de Lucy Maud Montgomery à George Boyd Macmillan, 18 janvier 1917. Il y est question de la popularité du poème In Flanders Fields (Au champ d’honneur) et de son utilisation lors des campagnes électorales. (MIKAN 120237)

Biographie

Photo couleur d'une femme portant des lunettes avec les chevuex courts.Carole Gerson est professeure au Département d’anglais de l’Université Simon Fraser. Codirectrice du volume 3 (1918–1980) d’Histoire du livre et de l’imprimé au Canada, elle a beaucoup publié sur l’histoire de la littérature et de la culture canadiennes, particulièrement sur les écrivaines, dont L. M. Montgomery et Pauline Johnson. Son livre Canadian Women in Print, 1750–1918 (2010) lui a valu le Prix Gabrielle‑Roy qui couronne des ouvrages de critique sur la littérature canadienne. En 2013, elle a reçu la Médaille Marie‑Tremaine de la Société bibliographique du Canada.

Ressources connexes

Conservatrice invitée : Annabelle Schattmann

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

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Le globe Chewett par W.C. Chewett & Co., vers 1869

Un imposant globe terrestre dans un support en bois et en laiton.

Globe terrestre par W.C. Chewett & Co. pour le ministère de l’Éducation de l’Ontario, vers 1869 (AMICUS 41333460)

Ce globe terrestre est un des premiers produits au Canada, à l’époque de la Confédération. Conçu pour être utilisé dans les écoles, il s’inscrivait dans un élan patriotique visant à définir le pays naissant.


Parlez-nous de vous.

Je voyage beaucoup, tant pour le plaisir que pour le travail. Je suis allée plusieurs fois en Europe, et je me suis rendue au Pérou pour faire des fouilles archéologiques lorsque j’étais étudiante. J’ai aussi vécu un peu plus d’un an au Japon alors que j’étais étudiante au secondaire, et ce fut une expérience inoubliable. La leçon la plus importante que j’ai apprise est d’apprécier et de respecter les choses qui sont différentes, étranges et parfois incompréhensibles. Cela m’a montré à être critique à l’égard de mes préjugés et de la culture dans laquelle je vis, des réflexes qui font la promotion d’un mode de vie cohésif dans un monde multiculturel.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

En raison de mon expertise et de mon amour des voyages, j’ai choisi de parler du globe terrestre de Chewett. Les cartes géographiques sont très intéressantes! Lorsque je voyage, j’aime regarder la carte du monde des pays que je visite, parce que ceux-ci mettent toujours leur territoire au centre de la carte. Cela cause inévitablement de la distorsion dans les distances entre les pays et la taille des océans, car notre planète est sphérique. Voir le Canada rétréci ou élargi m’a toujours fait sourire et m’a quelque peu aidé à comprendre comment les autres peuples voient et comprennent leur monde.

Notre monde évolue constamment, qu’il s’agisse de ses caractéristiques physiques comme les fleuves et les montagnes, ou de concepts abstraits comme les noms et les frontières. Par conséquent, les cartes doivent continuellement être mises à jour, ce qui nous permet de retracer l’histoire à travers les changements apportés à celles-ci. À titre d’archéologue, les cartes géographiques sont essentielles à mon travail. Les vieux plans de ville révèlent les endroits où les anciens bâtiments étaient érigés, où les cimetières abandonnés sont situés, mais sur lesquels on a reconstruit et qui se sont ensuite effacés de notre mémoire collective. Je dois également tenir compte de ce à quoi le paysage pouvait ressembler par le passé afin de comprendre les ressources auxquelles les gens avaient accès et ce qui aurait pu les inciter à choisir un lieu particulier pour camper ou imprégner une signification au paysage par les histoires et les légendes.

Je pense que M. William Cameron Chewett, la personne dont l’entreprise a créé ce globe, aurait apprécié ces pensées. Bien que sa profession était l’imprimerie, sa famille avait participé à la cartographie du Haut-Canada. Son grand-père, William Chewett, a travaillé comme arpenteur en chef et a arpenté la majeure partie de ce qui constitue maintenant l’Ontario, alors que son père, James Chewett, a aussi travaillé comme arpenteur avant de construire plusieurs édifices connus de Toronto. W.C. Chewett and Co. était considérée comme l’une des entreprises d’impression et d’édition les plus éminentes au Canada. L’entreprise a produit des lithographies primées de 1862 à 1867, obtenant des premiers prix chaque année, et avait une large gamme de publications allant de périodiques et d’annuaires téléphoniques aux livres de droit et de médecine, en passant par le Canadian Almanac. De plus, le magasin de détail était un lieu de rassemblement social populaire. Le globe a été créé au cours de la dernière année d’exploitation de l’entreprise (1869) avant qu’elle soit achetée et renommée Copp, Clark and Company.

Une carte géographique de l’Ouest canadien, ce qui est maintenant le sud de l’Ontario, avec des couleurs indiquant les comtés. La légende contient une liste de gares ferroviaires avec leurs distances respectives.

Carte de l’Ouest du Canada en photogravure publiée dans le Canadian Almanac pour 1865 par W.C. Chewett & Co., Toronto. (MIKAN 3724052)

Pour le 150e anniversaire du Canada, je pense qu’il vaut la peine de réfléchir aux changements qui sont survenus au cours du dernier siècle et demi, ce que le globe de Chewett nous montre littéralement. Au cours de ma vie, j’ai observé la création du territoire du Nunavut et le changement de nom de plusieurs rues dans mon quartier. Quels changements avez-vous constatés au cours de votre vie et comment vous ont-ils touchés, ainsi que votre communauté?

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition

Lorsque la plupart des gens pensent à des cartes, ils pensent à la géographie et aux frontières politiques, mais les cartes peuvent également être utilisées pour illustrer et pour décrire presque n’importe quoi, notamment les relevés de recensement, les langues parlées et les affiliations de groupe. Pour poursuivre dans cette voie, j’ai choisi une carte de l’Amérique du Nord de 1857 qui montre les régions où vivaient divers groupes autochtones à cette époque. Idéalement, si je devais ajouter cette carte géographique à l’exposition, j’aimerais également inclure une carte moderne présentant les lieux où vivent actuellement les bandes des Premières Nations. Je pourrais ainsi montrer au public les changements importants vécus par nos concitoyens pour qu’il puisse les voir aussi clairement que ceux qu’il est en mesure de constater en comparant le globe à n’importe quelle carte moderne du Canada.

Mon autre raisonnement est un peu plus égoïste. En tant qu’anthropologue, je comprends et j’ai appris par l’expérience que la meilleure façon d’apprécier et de respecter une autre culture est d’en apprendre à son sujet, au sujet de ses gens, et lorsque c’est possible, d’y vivre également. En grandissant, je n’ai pas vraiment eu de contact avec les Premières Nations, leur culture et leur histoire. C’est pourquoi je n’ai pas développé de sensibilité à leur culture ou d’intérêt à en apprendre à leur sujet. En tant qu’anthropologue et que Canadienne, j’ai eu honte de ces sentiments et j’ai éprouvé de la tristesse lorsque d’autres Canadiens ont exprimé des opinions semblables. Au cours des dernières années, j’ai travaillé activement à m’éduquer. En ajoutant cette pièce, j’espère inspirer les autres à apprécier, à respecter leurs concitoyens canadiens et à en apprendre davantage à leur sujet. Cette question est particulièrement significative en cette période charnière pour le Canada, car il s’agit de l’année où nous devons célébrer le rassemblement et la création de liens plus forts entre les nations.

Une grande carte géographique en couleur de l’Amérique du Nord indiquant les territoires de diverses bandes autochtones avec des légendes dans les coins.

Carte de l’Amérique du Nord indiquant les frontières et l’emplacement de divers groupes autochtones. (MIKAN 183842)

 

Biographie

Colour photograph of a young woman with long hair and glasses looking towards the photographerAnnabelle Schattmann est une anthropologue en biologie. Elle est titulaire d’une maîtrise ès arts en anthropologie de l’Université McMaster (2015) et d’un baccalauréat ès arts en anthropologie de l’Université Trent (2012). Elle a participé à plusieurs projets de recherche, notamment une fouille archéologique au Pérou, une excavation de cimetière en Pologne et une recherche sur les carences en vitamines C et D au cours de diverses époques au Canada et en Europe.

Ressources connexes

McLeod, Donald W. “Chewett, William Cameron.” Dictionary of Canadian Biography.

Conservateur invité : Shane McCord

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Major John Norton, Teyoninhokarawen, peint par Mary Ann Knight , 1805

Portrait en miniature ovale du major John Norton, Teyoninhokarawen, portant une coiffe rouge et blanche dans laquelle est piquée une plume d’autruche. Il porte aussi de longues boucles d’oreilles composées d’étoiles encerclées, une chemise à motifs et une cape rouge.

Portrait en miniature du major John Norton, Teyoninhokarawen, le chef mohawk, peint par Mary Ann Knight, 1805 (MIKAN 2836984)

Le public britannique se faisait une idée romantique du Canada, surtout des Autochtones. Teyoninhokarawen s’est probablement amusé à accentuer les stéréotypes lorsqu’il a pris la pose dans cette tenue qu’il a personnalisée.


Parlez-nous de vous.

Je viens de la forêt Ganaraska. Techniquement, l’adresse du domicile familial est située dans le petit village de Campbellcroft, dans une région rurale de l’Ontario, mais le voisin le plus près se trouve à plus d’un kilomètre. Nous ne nous sentions pas dans un village. Pendant que nous habitions là, mes parents ont encouragé le développement d’un grand intérêt pour l’art et la culture. Malheureusement, même si la forêt Ganaraska, qui compte près de 12 000 acres, est un endroit merveilleux d’une grande diversité, une chose qui ne s’y trouve pas est une galerie d’art importante où il y a une collection connue à l’échelle internationale. Par conséquent, lorsque j’étais adolescente, j’ai visité les galeries du monde en regardant des reproductions comme celles qui figurent dans le livre Carnegie Art Reference Set for Colleges, maintenant rare. Le moyen d’expression me fascinait autant que le message. J’ai développé un intérêt pour les reproductions d’œuvres d’art et leur diffusion au Canada. J’ai suivi cet intérêt en faisant des détours pendant mes études et je me suis mise à écrire sur les ouvrages, ou les livres d’artistes, car ils sont connus dans mon domaine. Pour passer de l’étude des livres et des reproductions à la bibliothéconomie et aux archives, il n’y avait qu’un pas.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Teyoninhokarawen (1760-1823 environ) est né sous le nom de John Norton à Salen, en Écosse, de parents écossais et cherokees. Selon les dossiers de l’armée, il est allé au Canada. Après sa démobilisation, en 1788, il a vécu avec les Mohawks de la rivière Grand. Plus tard, il est devenu le neveu adoptif de Joseph Brant. Son portrait a été peint par Mary Ann Knight, une miniaturiste anglaise, pendant la visite de John Norton en Angleterre comme émissaire des Mohawks de la rivière Grand. Il a été exposé à la Royal Academy en 1805.

Ce portrait constitue une porte d’entrée fantastique dans l’histoire du Canada de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle. J’ai choisi d’écrire sur cet article tout d’abord parce qu’il est très attrayant. Le portrait a été peint en Europe où le romantisme était beaucoup dans l’air du temps; cela transparaît dans la présentation de John Norton. Il n’était plus à la mode de représenter sur des portraits des gens portant des vêtements européens contemporains. Le point de comparaison qui me vient à l’esprit sans réfléchir est le portrait de Thomas Phillips qui montre George Gordon Byron portant un foulard albanien en guise de turban — bien que de nombreux brillants portraits de Jean-Etienne Liotard, le « peintre turc », peuvent aussi être intéressants pour la comparaison avec cette miniature.

La coiffe que porte John Norton pour ce portrait est fascinante en raison de la manière dont elle perpétue puis répand les mythologies orientales — établissant naturellement, à cette époque, des liens avec le concept du « bon sauvage » de Rousseau alors bien connu —, mais aussi de la façon dont elle représente véridiquement l’identité outre-atlantique de John Norton. La plume de la coiffe est celle d’une autruche. Ce n’est pas un oiseau que l’on voit fréquemment sur les rives des Grands Lacs, où John Norton a été adopté comme Mohawk, ou sur le territoire cherokee de son père, au Tennessee. Toutefois, la plume d’autruche était populaire comme élément des coiffes au Royaume-Uni, notamment en Écosse où, comme dans le portrait de Lord Mungo Murray fait par John Michael Wright, elle donne à la personne qui la porte une image d’aventurier. En même temps, la plume relie John Norton aux tropes visuels établis qui représentent les Autochtones d’Amérique du Nord portant des coiffes de cérémonie composées de plumes alors que l’inclusion européenne de la plume d’autruche importée fait ressortir le côté écossais de John Norton.

La coiffe de John Norton en détail. Elle est blanche et rouge. Une plume d’autruche y est piquée sur le devant.

La coiffe de John Norton en détail. (MIKAN 2836984)

Tout cela juste au sujet de la plume! Le reste de la garde-robe de John Norton est tout aussi intéressant de diverses manières. Ce portrait est si riche qu’il existe des livres remplis d’éléments que les Canadiens doivent connaître! En fait, je commencerai en recommandant littéralement davantage de lecture (après tout, nous sommes à Bibliothèque et Archives Canada). Le premier livre à lire est The Journal of Major John Norton. John Norton a terminé ce journal en 1815-1816 quand il se trouvait en Angleterre. Il traite d’une grande diversité de sujets, notamment de son voyage du Haut-Canada au Tennessee et à d’autres États du sud des États-Unis, ainsi que des guerres frontalières des années 1780 et 1790. Dans l’ensemble de ce journal, John Norton parle de façon intéressante et unique des Autochtones d’Amérique du Nord. Il faut souligner son étude de Joseph Brandt. Deux éditions du Journal ont été publiées, toutes deux par la société Champlain (The Champlain Society). La plus récente édition comprend une introduction et des notes supplémentaires de Carl Benn, un expert prééminent de John Norton dont les œuvres sont une excellente source pour obtenir plus d’information.

Un autre livre que je recommanderais à ceux que John Norton intrigue est The Valley of the Six Nations, également publié par la société Champlain. Ce livre, préparé par Charles M. Johnston, présente une collection de documents importants liés aux Six Nations dans la région où John Norton a passé la majeure partie de sa vie d’adulte. Il comprend de nombreux documents sur le conflit au sujet des terres entre les Mohawks des Six Nations ainsi que le gouvernement britannique et celui de la colonie. Certains des documents qui se trouvent dans ce livre sont de John Norton lui-même. Les originaux de beaucoup de ceux-ci font partie des archives conservées à BAC.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

Portrait en miniature ovale du colonel William Claus vêtu d’une veste noire et d’une cravate blanche. Le fond est bleu.

Le colonel William Claus peint par Andrew Plimer, vers 1792 (MIKAN 2895040)

J’ai choisi ce portrait de William Claus parce que son rôle dans l’histoire canadienne est diamétralement opposé à celui de John Norton. Huit ans après que ce portrait a été peint, William Claus a été nommé surintendant général adjoint du Haut-Canada au département des Affaires indiennes. Dans ce rôle, il était tout à fait l’adversaire de John Norton. D’ailleurs, dans l’entrée sur William Claus qu’a rédigée Robert Allen pour le Dictionnaire biographique du Canada, la relation entre ces deux personnages est décrite comme une « âpre dispute ».

Cette dispute avait trait aux revendications concernant les terres des Six Nations autour de la rivière Grand. Même si la correspondance montre que ces deux personnages se sont disputés plusieurs fois, William Claus a porté un dur coup à John Norton lorsqu’il l’a discrédité aux yeux des autorités coloniales, ce qui a causé l’échec du voyage de John Norton en Angleterre comme représentant des Six Nations. Les critiques de William Claus à l’endroit de John Norton ne sont pas complètement dénuées de fondement étant donné que John Norton n’a pas véritablement représenté les points de vue de tous les chefs des Six Nations.

Bien plus peut être dit et, de fait, a été mentionné, dans les sources ci-dessus et dans d’autres sources, sur la relation entre John Norton et William Claus, ainsi que sur la dispute concernant les Six Nations avec le département des Affaires indiennes. Les deux portraits sont un point d’entrée fascinant dans ce chapitre de l’histoire qui a toujours une incidence aujourd’hui.

Biographie

Photo en couleur d'un jeune garçcon regardant un modèle réduit d'un navire.Shane McCord travaille comme archiviste en arts à Bibliothèque et Archives Canada depuis 2010, où son travail s’est étendu des plaques du 17e siècle à l’art contemporain. Il est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’art de l’Université Concordia ainsi que d’une maîtrise en archivistique doublée d’une maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information de l’Université de la Colombie-Britannique.

Conservatrice invitée : Anne Maheux

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


 Mary Miles Minter dans Anne of Green Gables … tiré des quatre célèbres livres « Anne », Realart Pictures, 1919

Épreuve colorée d’Anne portant une tenue habillée contre un fond vert. Elle tient un parasol rouge et jaune, et porte des bottes noires, une jupe rouge sous une superbe jupe de dessus blanche et un châle marron. Le logo de Realart Pictures est situé dans le coin supérieur gauche, avec le nom de l’actrice et le titre du film en bas.

Une affiche de lithographie en couleurs de l’actrice Mary Miles Minter dans Anne of Green Gables de Realart Pictures, 1919 (AMICUS 27641454). « Anne of Green Gables » est une marque déposée et une marque officielle canadienne de Anne of Green Gables Licensing Authority Inc.

Avez-vous reconnu l’héroïne rousse de Lucy Maud Montgomery sur cette affiche d’un film américain? C’est l’une des premières images d’Anne imprimées en série. La célèbre fillette est depuis devenue un symbole réglementé du Canada.


Parlez-nous de vous.

Ma curiosité à l’égard des matériaux et des techniques des artistes a été l’objet de mes recherches sur de nombreux sujets, depuis les pastels d’Edgar Degas et d’autres artistes du XIXsiècle jusqu’aux techniques d’impression complexes de l’artiste canadienne Betty Goodwin. Je pratique la conservation du papier depuis plus de 30 ans, appliquant le traitement sur tout, des dessins des vieux maîtres jusqu’aux énormes dessins contemporains. De plus, j’ai un amour particulier pour le tissage, le violoncelle et les artefacts surdimensionnés, qui présentent de grands défis pour ce qui est du traitement et du montage.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Notre affiche d’Anne of Green Gables est rare. Comme les journaux, les affiches de films sont des objets éphémères qui ne sont pas destinés à durer longtemps. Ces types d’objets sont généralement imprimés sur des papiers de mauvaise qualité qui n’ont jamais été conçus pour résister aux ravages du temps, ce qui rend la survie de notre affiche d’Anne of Green Gables tellement spéciale.

Trois sections distinctes de l’affiche ci-dessus. La première section montre la moitié supérieure du corps d’Anne; la seconde, la moitié inférieure de son corps; et la troisième, le nom de l’actrice et le titre du film.

Trois sections distinctes de l’affiche d’Anne of Green Gables (AMICUS 27641454). « Anne of Green Gables » est une marque déposée et une marque officielle canadienne de Anne of Green Gables Licensing Authority Inc.

Cette affiche de 1919 a été réalisée avec un procédé appelé lithographie, une méthode d’impression commune utilisée au tournant du siècle dernier pour produire en masse des produits commerciaux tels que des affiches, des cartes, des publicités et des emballages. La lithographie a été inventée en 1799 par Alois Senefelder et tire son nom de la surface d’impression sur pierre calcaire, du mot grec lithos, qui signifie « pierre ». Cette technique est devenue un moyen populaire et peu coûteux de créer des images colorées et lumineuses à la fin du XIXsiècle. Contrairement à d’autres procédés d’impression, la lithographie est basée sur un principe chimique : l’huile et l’eau ne se mélangent pas. Pour fabriquer une plaque lithographique, l’artiste dessine directement sur la surface de pierre spécialement traitée. Un procédé chimique rend le dessin graisseux réceptif à l’encre d’impression graisseuse, tandis que les zones en dehors de l’image restent humides pour repousser l’encre.

En raison de sa taille, notre affiche a été dessinée sur trois pierres distinctes, puis imprimée sur trois morceaux de papier (figure 1). Si l’on regarde les côtés de l’image, on peut voir les bords irréguliers des pierres lithographiques (figure 2). Les fines lignes blanches sur toute l’image sont des plis d’impression. La minceur et la taille du papier rendent le placement des feuilles sur la pierre difficile, d’où les rides fines qui s’ouvrent une fois que l’encre est sèche, laissant ces marques blanches caractéristiques (figure 3). Dans ce détail, nous pouvons voir que l’artiste a utilisé un crayon gras pour dessiner l’image sur la pierre lithographique, et a également appliqué l’encre grasse en fine pulvérisation. Les couleurs sont ajoutées en utilisant des pierres supplémentaires qui sont imprimées dans des encres transparentes superposées (figure 4). Les traits de coupe spéciaux aident à guider l’imprimante pour l’impression de chaque pierre consécutive (figure 5).

Seulement quatre couleurs superposées (rouge, jaune, bleu et noir) ont été utilisées pour produire cette image colorée d’Anne of Green Gables!

Un gros plan de la bordure montrant la ligne flou de la pierre lithographique

Figure 2. Détail du bord inégal de la pierre lithographique

Un gros plan des trois lignes blanches causé par le plis de l’imprimante.

Figure 3. Détail des plis de l’imprimante

Un détail des couleurs transparentes utilisé dans l'affiche.

Figure 4. Détail des couleurs transparentes et superposées

Gros plan des du coin droit de l'affiche montrant les répères pour les différentes couleurs.

Figure 5. Détail des marques d’impressions.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

Les quintuplées Dionne viennent à l’esprit comme un autre exemple d’icônes canadiennes célèbres (figures 6 et 7). En 1934, les « quintuplées » sont devenues des célébrités internationales, étant en fait les premiers nouveau-nés de naissance multiple survivants qui ont été documentés. Dans leurs premières années, elles ont fait l’objet de trois longs métrages et attiré des foules de touristes dans leur petite ville du nord de l’Ontario. Les quintuplées ont fourni des appuis lucratifs pour de nombreux produits, comme Quaker Oats, figurant sur cette affiche.

Comme l’affiche d’Anne of Green Gables, cette image des quintuplées (« Quins » sur l’affiche) a été produite en série en utilisant la méthode d’impression lithographique. L’affiche était destinée à être utilisée comme présentoir autoportant en trois dimensions et elle s’est usée en raison de la manipulation physique. Elle a été conservée récemment pour une exposition, et le traitement a été maintenu à un minimum pour préserver la preuve de son utilisation. L’affiche a été stabilisée en réparant les fissures et en remplaçant le support en carton abîmé par un matériau d’archives plus robuste. Les dommages causés par l’abrasion et l’utilisation ont été réduits par un virage soigneux avec de l’aquarelle pour rendre l’image plus lisible (figures 8 et 9).

Publicité plissée et déchirée représentant des estampes découpées en noir et blanc des petites filles portant des salopettes et des chemises blanches sur un fond rouge. Le logo se trouve sur le dessus des jambes de chaque fillette, avec le nom de l’entreprise en bas de l’affiche.

Figure 6. Publicité de Quaker Oats [Les quintuplées Dionne] Today our healthy Dionne Quins had Quaker Oats (Aujourd’hui nos quintuplées Dionne en bonne santé ont mangé des céréales Quaker)
Image complète, avant traitement (MIKAN 4169312)

La même affiche après le traitement, sans la plupart des fissures et des plis.

Figure 7. Today our healthy Dionne Quins had Quaker Oats (Aujourd’hui nos quintuplées Dionne en bonne santé ont mangé des céréales Quaker)
Image complète, après traitement (MIKAN 4169312)

La figure 8 (à gauche) est une vue de détail de la tête d’Émilie avec des trous et des plis. La figure 9 (à droite) est la même vue de détail après traitement, sans les trous ni les plis.

Figure 8. Détail d’Émilie, avant traitement.
Figure 9. Détail d’Émilie, après traitement.

Biographie

Photo noir et blanc d'une femme avec des cheveux foncé .Anne F. Maheux est titulaire d’un baccalauréat ès arts de l’Université de Guelph et d’une maîtrise en conservation de l’art de l’Université Queen’s ainsi que d’un certificat de conservation d’œuvres d’art sur papier au Centre de conservation et d’études techniques de Harvard University Art Museums. Elle est lauréate du prix de préservation et de conservation du patrimoine de l’Académie américaine de Rome. Elle est également membre accréditée de l’Association canadienne des conservateurs professionnels. Elle a été conservatrice des estampes et dessins au Musée des beaux-arts du Canada pendant plus de 25 années, et elle est maintenant chef de la conservation des œuvres sur papier, des cartes et des manuscrits à BAC. Elle s’intéresse particulièrement à la peinture pastel du XIXsiècle, en particulier les œuvres d’Edgar Degas et de Giuseppe De Nittis. Elle a publié de nombreux ouvrages sur les pastels et sur les techniques et les traitements de conservation novateurs.

Conservatrice invitée : Andrea Kunard

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


L’île Blacklead, dans le golfe de Cumberland, aux abords de l’île de Baffin, dans les Territoires du Nord-Ouest (le Nunavut actuel), par Albert Peter Low, vers 1903-1904

Panorama en noir et blanc d'un gros iceberg à proximité d'une île rocheuse, photographié depuis un bateau.

Entrée de l’île Blacklead, dans le golfe de Cumberland, aux abords de l’île de Baffin, dans les Territoires du Nord-Ouest (le Nunavut actuel), par Albert Peter Low, 1903-1904 (MIKAN 3203732)

En 1904, le Canada affirme sa souveraineté dans l’Arctique : les forces de l’ordre migrent vers le nord, accompagnées d’arpenteurs étudiant le territoire. Le Canada se définit de nouveau comme un pays nordique.


Parlez-nous de vous.

Lorsque j’ai commencé à effectuer de la recherche historique en photographie dans le cadre de mon programme de maîtrise à l’Université Carleton, j’ai pratiquement vécu à Bibliothèque et Archives Canada. La collection est fantastique, et c’était pour moi l’expérience la plus fascinante que celle de regarder des photographies prises il y a plus de 150 ans. J’ai ensuite poursuivi ma recherche sur les photographies historiques, tout en étant conservatrice de la photographie contemporaine au Musée canadien de la photographie contemporaine et, maintenant, au Musée des beaux-arts du Canada. Je me suis toujours intéressée à la photographie de l’exploration ou aux utilisations gouvernementales de cette technique. Les photographies de Humphrey Lloyd Hime sont particulièrement intéressantes en ce qu’elles sont les premières connues, sur support papier, qui représentent l’intérieur de l’Amérique du Nord. L’appareil photo était un outil utile pour divers intérêts, mais également une façon d’englober de nombreuses préoccupations de l’époque, en particulier les virages dans le domaine de la religion à la suite de découvertes scientifiques. Beaucoup de photographies dites objectives de l’époque reflètent également des croyances spirituelles et la moralité. En outre, les valeurs esthétiques de l’Ouest jouent un rôle dans la communication des idéaux, et les meilleurs photographes d’alors, comme Alexander Henderson, sont très compétents pour manier le ton, la ligne, la forme et la texture, afin de combiner le sublime du paysage et la foi fervente de la période avec les progrès scientifiques et technologiques.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Bien que cette photographie présente un paysage aride et apparemment désert, l’endroit était loin de l’être. Albert Peter Low (1861-1942), agent principal de la Commission géologique du Canada, a pris cette photographie à l’entrée de l’île Blacklead lors d’une expédition en 1903-1904, financée par le gouvernement canadien. Il a publié le récit de son voyage dans son livre célèbre, The Cruise of the Neptune. Par le passé, l’île Blacklead était une importante station baleinière; toutefois, au temps de Low, la population de baleines avait presque complètement disparu du secteur. De plus, les stations baleinières avaient radicalement changé le style de vie, les cycles de chasse et l’économie des Inuits. La raison d’être de l’expédition de Low était d’établir la souveraineté canadienne dans le Nord, au moyen de proclamations et dans le respect de la primauté du droit. Toutefois, la photographie de Low ne révélait rien de ce programme politique. Elle présente plutôt un aperçu paisible, tirant avantage d’un panorama étendu et d’éléments classiques du paysage sublime. L’iceberg semble gigantesque et insurmontable, attrayant dans sa blancheur. Par contre, l’île est sombre et plus détaillée. Les deux sujets, glace et roc, semblent être en opposition, suspendus entre un ciel nuageux et une mer ondoyante et glacée.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

Représentation aux teintes sépia d'herbes des prairies qui s'élancent vers le ciel, avec un crâne et un os à l'avant-plan.

La Prairie regardant vers l’ouest par Humphrey Lloyd Hime, 1858 (MIKAN 4631344)

La prairie, regardant vers l’ouest (1858), de Humphrey Lloyd Hime, est une des images les plus énigmatiques de l’histoire de la photographie canadienne. Elle montre un paysage austère, dans lequel paraissent un crâne et un os (humains?). La photographie a été prise près de la colonie de la rivière Rouge, maintenant la ville de Winnipeg. Hime travaillait pour l’expédition de l’Assiniboine et de la Saskatchewan, envoyée par le gouvernement afin d’évaluer le potentiel agricole de la région ainsi que la pertinence de celle-ci pour le peuplement. Elle contient le territoire désert, qui attend apparemment l’occupation humaine. Toutefois, la présence du crâne est provocatrice. Hime a fort probablement organisé la photographie en se servant du crâne d’une femme autochtone, trouvé plus tôt dans un secteur du Sud manitobain. Comme il l’écrivait dans son journal le 28 juin 1858, « […] trouvé un crâne près d’une tombe de la prairie – il avait été sorti par des loups – conservé le crâne […] » Cette rencontre permet d’expliquer l’image de diverses façons. La photographie peut évoquer l’expérience vécue par Hime ou être une façon d’ajouter un élément dramatique à un paysage par ailleurs vague. La présence du crâne est également liée à la fascination de la société du XIXe siècle pour les méthodes d’inhumation autochtones. Toutefois, comme la légende n’explique pas qu’il s’agissait d’un crâne autochtone, les personnes qui regardent peuvent comprendre avec angoisse que le territoire comporte la possibilité de leurs propres épreuves et décès. L’intérieur du pays était alors en grande partie inconnu, et nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il s’agissait d’un désert aux proportions bibliques.

Biographie

Photo en couleur d'une femme portant des lunettes regardant directement dans la caméra.Andrea Kunard est conservatrice associée des photographies au Musée des beaux-arts du Canada. Elle a présenté plusieurs expositions collectives et monographiques axées sur la photographie contemporaine, notamment Mouvance et mutation (2000), Susan McEachern : Multiplicité de sens (2004), Regards d’acier : Portraits par des artistes autochtones (2008), Scott McFarland : La réalité aménagée (2009), Fred Herzog (2011), Collision : Le conflit et ses conséquences (2012), et Michel Campeau : Icônes de l’obsolescence (2013). Elle est actuellement co-conservatrice d’une rétrospective majeure sur une artiste qui vit et travaille à Terre-Neuve, Marlene Creates, ainsi que d’une exposition bilan, La photographie au Canada : 1960-2000, pour 2017. Elle a enseigné l’histoire de la photographie, l’art canadien et la théorie culturelle à l’Université Carleton et à l’Université Queen’s. De plus, elle a codirigé The Cultural Work of Photography in Canada, ouvrage publié par McGill-Queen’s University Press. Elle a présenté des exposés sur la photographie au Canada et rédigé des articles sur la photographie contemporaine et historique dans diverses publications, dont The Journal of Canadian Art History, International Journal of Canadian Studies, Early Popular Visual Culture, Muse, BlackFlash, ETC Montréal. Elle travaille actuellement à un projet Web majeur portant sur la photographie documentaire, projet qui est centré sur la collection du Service de la photographie de l’Office national du film, au Musée des beaux-arts et à Bibliothèque et Archives Canada.

 

 

Conservateur invité : Adam Gaudry

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Traité de Selkirk, 1817

Image du Traité Selkirk, un grand document manuscrit au bas duquel figurent les signatures des Européens et les marques des chefs.

Le « Traité Selkirk », signé le 18 juillet 1817 par les chefs et guerriers soussignés Chippewa, ou nation des Saulteaux, les Kiltistino de la nation crie et le très honorable Thomas, comte de Selkirk, au nom du roi George III. (MIKAN 3972577)

Lord Selkirk entrevoyait un grand potentiel agricole pour le Canada, notamment grâce à l’apport des colons écossais et irlandais. Les Premières Nations et les Métis étaient exclus de cette vision.


Parlez-nous de vous.

Dans ma carrière universitaire, je fais de la recherche sur l’identité métisse et l’histoire politique. Cela signifie qu’une grande partie des documents que j’écris portent principalement sur les communautés métisses du 19e siècle. Je souhaite connaître la perception des Métis concernant les principales forces sociales, économiques et politiques qui ont façonné leurs vies et savoir de quelle manière ils s’organisaient pour influer sur des Prairies en évolution dans l’Ouest – et comment ils s’épanouissaient. Je suis Métis et professeur adjoint à la Faculté des études autochtones et au Département des sciences politiques de l’Université de l’Alberta.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Photo noir et blanc de Thomas Douglas portant une veste noire, un gilet blanc et une cravate blanche.

Thomas Douglas, le 5e comte de Selkirk (1771-1820). (MIKAN 3526168)

Le Traité Selkirk de 1817 est un accord entre lord Selkirk — comte écossais pratiquant la spéculation foncière et actionnaire principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson — et les Nehiyawak ainsi que les Anishinaabeg (Cris et Saulteux) de la vallée de la rivière Rouge (maintenant le sud du Manitoba). Il permettait à des colons écossais de s’établir au pays en échange d’une quantité substantielle de tabac à titre de « présent annuel » ou, comme le voyaient les Anishinaabe, de « redevance ».

Avant 1817, lord Selkirk avait essayé de coloniser les terres sans la permission des Autochtones de l’endroit en achetant celles-ci à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il est compréhensible que la prétention de posséder ce territoire de 116 000 milles carrés sur lequel il n’avait aucune présence ou influence ait fâché les propriétaires véritables des terres. De 1812 à 1816, de nombreux chefs autochtones ont formulé des plaintes importantes, soulignant l’absurdité qu’un étranger affirme posséder leur territoire et menaçant d’intervenir contre tout inconnu qui coloniserait leurs terres.

Cette opposition était plus prononcée parmi les Bois-Brûlés, la « nouvelle nation » du Nord-Ouest, qui s’appelleraient bientôt les Métis. Les communautés autochtones faisaient aussi partie d’un réseau complexe d’alliances qui les reliait à deux compagnies rivales de traite de fourrures —la Compagnie de la Baie d’Hudson, procolonisation, et la Compagnie du Nord-Ouest, anticolonisation. La dernière compagnie était composée de personnes étant aussi chefs des Bois-Brûlés. Au cours des étés 1815 et 1816, les soldats Bois-Brûlés ont dispersé les premiers colons de lord Selkirk et ont activement interdit aux colons étrangers de s’installer dans la vallée de la rivière Rouge. Le 19 juin 1816, les Bois-Brûlés sont sortis victorieux d’un affrontement spontané avec les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson, tuant 21 d’entre eux et s’emparant du fort puis, plus tard, de la colonie de lord Selkirk à la rivière Rouge. Même si les Métis n’avaient pas signé le traité avec lord Selkirk en 1817, l’agitation métisse de 1815–1816 a constitué un facteur de motivation important lors de la négociation de ce traité, lequel a néanmoins façonné les relations entre les Métis et la Compagnie de la Baie d’Hudson pour des générations à venir.

Aquarelle de la bataille montrant les deux côtés armés de fusils qui se font face dans un champ sous un ciel bleu partiellement nuageux. D’un côté, il y a surtout des employés blancs à pied de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et de l’autre, il y a des Métis à cheval ainsi que des employés de la Compagnie du Nord-Ouest.

La bataille des Sept-Chênes, 19 juin 1816, par Charles William Jefferys. (MIKAN 2835228)

En raison de l’échec de la mission de lord Selkirk visant à gagner l’appui des instances politiques en place à la rivière Rouge au plus tard en 1816, lord Selkirk a entrepris le long voyage vers la région pour résoudre d’une certaine façon les hostilités. Puis, il a négocié avec les Nehiyawak et les Anishinaabeg locaux afin d’obtenir la permission d’installer des familles écossaises à la colonie de la rivière Rouge, en échange de présents annuels substantiels qu’il appelait « redevances ». Même si, pour toutes les parties, le traité permettait à des étrangers de s’établir paisiblement, les avis sur la signification du traité en termes de propriété des terres divergeaient. Pendant des années par la suite, lord Selkirk et la Compagnie de la Baie d’Hudson ont affirmé que le traité assurait la cession des terres des Autochtones à lord Selkirk et à la Compagnie. Pour les Autochtones, il établissait une entente de location à long terme les reconnaissant comme les propriétaires tout en amenant de nouvelles personnes dans leur pays, il fournissait des cadeaux annuels généreux aux Nehiyawak et aux Anishinaabeg et il renforçait une nouvelle alliance avec un aristocrate puissant. Le Traité Selkirk est important parce qu’il montre que, lorsque les dirigeants britanniques tentaient de devenir propriétaires des bassins des rivières Rouge et Assiniboine, ils devaient composer avec les titres qu’avaient obtenus les Autochtones par traité s’ils souhaitaient installer leurs sujets à cet endroit.

La description du traité rédigée par l’entourage de lord Selkirk est en soi fascinante de par la terminologie confuse et le langage contradictoire qu’elle contient. En effet, les deux interprétations ci-dessus peuvent être tirées de ce texte. Toutefois, je suis d’avis qu’en lisant ce traité d’un œil critique, nous voyons qu’il reconnaît les Autochtones comme les « propriétaires » de la vallée de la rivière Rouge, en se fondant sur le langage féodal pour décrire une relation de location qui aurait sauté aux yeux d’un noble écossais.

Le document semble contenir des contradictions. D’un côté, il affirme que les chefs des Nehiyawak et des Anishinaabe se sont entendus avec lord Selkirk [traduction] « pour céder à Notre Majesté le Roi toutes les terres adjacentes aux rivières Rouge et Assiniboyne pour l’usage du comte de Selkirk et des colons établis à cet endroit ». D’un autre côté, il mentionne que lord Selkirk, ses héritiers ou ses successeurs « paieraient chaque année aux chefs et aux guerriers un présent annuel ou redevance de 100 livres de bon tabac commercialisable ».

Pour moi, ce qui est particulièrement révélateur à cet égard, ce sont les termes indiquant que cet échange est une relation de location. La redevance, coutume courante à l’époque de lord Selkirk, était une pratique féodale par laquelle un locataire fermier payait un loyer fixe sur les terres occupées par un paysan fermier, ce qui le libérait de toutes les autres obligations envers ce lord. De plus anciennes conventions du système féodal obligeaient les paysans à participer aux travaux publics et aux fonctions militaires définis par leur lord. Cependant, au 19e siècle, afin de maximiser leur rentabilité, de nombreux propriétaires de terres ont regroupé les diverses obligations du système féodal en redevances fixes ou en paiements réguliers remplaçant toutes les autres obligations. La redevance, système de l’époque féodale, reconnaissait explicitement que le seigneur était propriétaire des terres et donnait un caractère officiel à une relation précise entre le lord et le locataire. Au 19e siècle, on savait généralement que la redevance ne transférait pas le titre de propriété au locataire et que la terre demeurait la propriété du seigneur. Eux-mêmes nobles et propriétaires terriens en Écosse, lord Selkirk et ses associés comprenaient intuitivement le langage lié aux redevances. Ainsi, lord Selkirk décrit également une relation dans le cadre de laquelle il donnait une redevance annuelle, 100 livres de tabac commercialisable, à ses propriétaires en échange du droit d’installer des fermiers écossais locataires sur les terres entourant les rivières Rouge et Assiniboine.

Une telle interprétation cadre aussi avec la manière dont les chefs Anishinaabe comprenaient le Traité. Le chef Peguis, l’un des signataires du Traité, maintenait catégoriquement que celui-ci décrivait une entente de location annuelle des terres. En 1859, le chef Peguis a fait une déclaration officielle dans laquelle il racontait que [traduction] « aucun marché officiel n’a été conclu; il s’agissait simplement d’un prêt […]; je l’affirme : les terres n’ont jamais été vendues ». De plus, selon l’historien manitobain J.M. Bumsted, le fils du chef Peguis, Henry Prince, aurait aussi mentionné, lors d’une assemblée métisse tenue en 1869, que « la terre a seulement été louée et la « prime » maintenant payée […] par la Compagnie de la Baie d’Hudson fait partie de l’entente de location ». Du point de vue du chef Peguis et de son fils, le Traité n’a changé en rien la propriété des terres de la vallée de la rivière Rouge, qui ont continué à appartenir aux Autochtones plutôt qu’à lord Selkirk, à la Compagnie ou à la Couronne. En effet, puisque lord Selkirk payait une redevance annuelle, il était le locataire; en d’autres termes, les Autochtones étaient les propriétaires.

En essayant d’obtenir par traité la propriété et le titre des terres appartenant aux Autochtones, lord Selkirk s’est trouvé, intentionnellement ou non, à renforcer la propriété par ceux-ci du territoire qu’il voulait coloniser. C’était probablement tout ce qu’il pouvait faire à une époque d’ascendance militaire et politique des Autochtones dans l’Ouest. Ses compatriotes ayant été dirigés par un membre des Bois-Brûlés l’été précédent, il n’était pas tout à fait dans une position lui permettant de demander le contrôle des terres des Autochtones. De plus, les Autochtones n’ont jamais voulu se départir de leurs terres et de leur indépendance. Par conséquent, le Traité Selkirk constitue un important rappel du pouvoir politique des Autochtones au début du 19e siècle. C’est le pouvoir des Bois-Brûlés qui a forcé lord Selkirk à négocier et ce sont les Nehiyawak et les Anishinaabeg qui l’ont guidé en ce qui concerne la diplomatie et le pouvoir autochtones. En raison du rôle joué par les propriétaires du pays, lord Selkirk n’a pu qu’obtenir la permission d’établir ses compatriotes sur les terres des Autochtones en échange d’une redevance annuelle. Ce traité est donc un document sur les négociations qui visait au départ la cession des terres des Autochtones, mais lord Selkirk n’a réussi qu’à renforcer la primauté territoriale et politique des Autochtones en reconnaissant que les terres qu’il voulait posséder appartenaient à d’autres.

Une ligne fine délimite le lotissement de lord Selkirk sur la carte d’Assiniboia.

Carte de 1817 montrant le lotissement de 116 000 milles carrés de lord Selkirk connu sous le nom d’ « Assiniboia ». Les forts des Cinq forts de Winnipeg (vers 1885), de George Bryce, y figurent. (AMICUS 5279616)

Carte de la colonie de la rivière Rouge représentant la voie ferroviaire, les colonies et les forts. Au bas, une légende énumère les différents points sur la carte.

Fac-similé d’une partie de la carte de 1818 représentant la colonie de la rivière Rouge se trouvant dans Lord Selkirk’s Colonists: the Romantic Settlement of the Pioneers of Manitoba, de George Bryce, vers 1909-1910 (AMICUS 5614009)

En général, on enseigne aux Canadiens à voir les traités comme des documents dont le but est d’inciter les Autochtones à céder leurs droits et leurs titres, par exemple la tentative de lord Selkirk en 1817. Mais l’histoire de la diplomatie sur ce continent est à la fois ancienne et complexe. Les Autochtones ont rarement (voire jamais) perçu les traités avec les empires européens comme un moyen de leur retirer des terres ou des pouvoirs. Les traités, comme celui-ci, cherchaient plutôt à trouver de nouvelles manières pour différentes personnes de tirer parti de la présence des autres sur le même territoire. Lord Selkirk et ses colons étaient accueillis favorablement à un nouvel endroit à partager avec d’autres au sein des Prairies — un cadeau qui a un prix. Cela comprenait aussi une reconnaissance permanente des premiers habitants du territoire : il fallait veiller à ce qu’eux aussi tirent parti de la plus grande présence d’Européens. Ce traité doit nous rappeler que les Autochtones qui ont négocié l’entente étaient des diplomates puissants et astucieux qui pouvaient forcer les négociateurs européens à accepter les normes des systèmes diplomatiques des Autochtones.

En outre, le point de vue selon lequel la conclusion de traités entre les Autochtones et les Anglais est principalement ancrée dans la cession de terres et l’aliénation des Autochtones comporte des pièges. Les traités ont été négociés en public et devant de grands auditoires grâce à des méthodes qui assuraient la reddition de comptes pour l’avenir. Les personnes présentes pouvaient se souvenir des sujets abordés, des accords et, bien sûr, des désaccords. Dans la plupart des cas, les Autochtones n’ont pas discuté de la cession permanente de leurs terres, et ils y ont encore moins consenti. Comme le chef Peguis et Henry Prince, ils se rappellent seulement avoir accepté de partager leurs terres avec de nouveaux alliés. Les traités comme celui-ci cherchaient à conférer des avantages mutuels, et non à restructurer les relations politiques en se fondant sur d’énormes inégalités sur ce plan. Si nous percevons les traités comme des documents de cession — et non comme des accords évolutifs —, nous passons à côté de leur but. C’est pourquoi le Traité Selkirk — en fait, tous les traités conclus entre les Autochtones et la Couronne — est si mal compris. La plupart des historiens des Prairies de l’Ouest ont pendant longtemps échoué dans leurs tentatives visant à comprendre les motivations des Autochtones et le contexte diplomatique dans lequel les négociations avaient lieu. En commençant par écouter les voix des Autochtones — passées et actuelles — qui comprennent les choses différemment, puis en donnant à leurs voix le pouvoir de narrer nos propres histoires et relations politiques, nous obtiendrons une vision plus exacte et plus complète de l’histoire.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

La même question ressort lorsque nous essayons de comprendre les traités entre les Autochtones et la Couronne qui ont suivi le Traité Selkirk dans l’Ouest. Il est aussi mentionné que les traités numérotés (traités 1-11, négociés de 1871 à 1921) ont retiré les titres de propriété des terres aux Autochtones, les remettant à la Couronne. Les Autochtones nient cette affirmation, faisant valoir qu’aucune discussion de ce genre n’a eu lieu et que leurs ancêtres n’ont jamais consenti à céder leurs terres. Une grande partie des éléments dont il est question semble découler de la mentalité impériale selon laquelle les Autochtones sont trop primitifs et pas assez intelligents pour avoir compris ce qui était négocié ou ils se sont fait avoir par des représentants de la Couronne plus astucieux. Ces suppositions sont sans fondement et trouvent leur origine dans un racisme normalisé renforcé par des générations de pratique coloniale canadienne. Comme le montre le Traité Selkirk, les Autochtones savaient tout à fait ce que les Européens voulaient et ils ont pu exercer leur propre influence sur les événements, ce qui signifie que les négociations pour la signature d’un traité ont été juste cela : des négociations.

Pour les traités conclus ensuite, les Autochtones ont aussi réussi à orienter les négociations dans le cadre de leurs traditions diplomatiques bien établies. Ils ont négocié l’arrivée de nouveaux colons sur leur territoire en échange de présents annuels continus reconnaissant leurs intérêts permanents dans le territoire. Bien que les gouvernements fédéral et provincial perçoivent toujours les traités numérotés comme des documents de cession, les intellectuels autochtones ont un point de vue différent (ils sont presque unanimes) : ces accords établissaient une relation durable reconnaissant les droits et les titres des Autochtones, plutôt que d’y mettre fin. Comme les Canadiens commencent à poser un œil plus critique sur ces accords, il est primordial d’élaborer un meilleur cadre pour aborder les relations entre les Autochtones et le Canada ainsi qu’entre les Autochtones et la Couronne.

Il est essentiel de recourir à son esprit critique en lisant les documents relatifs aux traités ainsi que les notes sur les négociations, de même qu’en étudiant la tradition orale. Comme pour le traité Selkirk, il est possible de lire une ligne d’un document officiel et de supposer qu’elle retirait les droits et les titres aux Autochtones pour toujours, mais nous devons aller beaucoup plus en profondeur et comprendre les nouvelles relations complexes imaginées par toutes les parties. Les historiens en particulier ont l’obligation d’adopter une vue d’ensemble de ces relations et de faire intervenir un plus vaste éventail de sources archivistiques, certaines desquelles n’ont peut-être pas été consignées. Dans une ère de réconciliation, les intellectuels doivent voir au-delà des récits courants et des approches habituelles de narration de ces récits. Les Autochtones ont longtemps raconté différemment ces événements; les intellectuels canadiens doivent les prendre au sérieux. Un examen critique des événements nous permettra d’aller au-delà du contexte colonial contemporain afin de voir les différentes relations imaginées par nos ancêtres concernant la manière de vivre ensemble. Les traités, comme le Traité Selkirk, fournissent tous des lignes directrices sur la coexistence et les relations justes – il nous faut simplement les étudier plus attentivement afin de réaliser cette vision.

Biographie

Une photo couleur montrant un jeunne homme portant une chemise blanche et une cravate assis dans un champs.

Adam Gaudry
crédit Amanda Laliberté

Adam Gaudry, titulaire d’un doctorat, est Métis et professeur adjoint à la Faculté des études autochtones du Département des sciences politiques de l’Université de l’Alberta. Ses recherches portent sur la pensée politique des Métis au 19e siècle, la formation des relations entre les Métis et le Canada pour la conclusion de traités en 1870 et l’absence de mise en œuvre de l’accord subséquente. Le projet d’Adam Gaudry soutient l’existence d’un « traité du Manitoba » entre les Métis et le Canada qui requiert le maintien d’une relation politique bilatérale et respectueuse entre les partenaires du traité. Ses travaux sont révisés pour la publication d’un livre. Il a obtenu son doctorat dans le cadre du Programme de gouvernance autochtone de l’Université de Victoria et sa maîtrise ès arts en sociologie ainsi que son baccalauréat spécialisé en études politiques de l’Université Queen’s. Pour sa recherche doctorale sur les relations historiques entre les Métis et le Canada, il a reçu la bourse Henry Roe Cloud de l’université Yale récompensant une dissertation. Il est aussi coenquêteur pour le projet de recherche sur les traités concernant les Métis financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il a publié des articles dans Native American and Indigenous Studies, le Wicazo Sa Review, aboriginal policy studies et le Canadian Journal of Native Education ainsi que des chapitres dans des collections sur l’identité métisse, la méthodologie et l’éthique en matière de recherche.

Ressources connexes

  • Bibliothèque et Archives Canada. Traités, cessions et ententes.
  • J.M. Bumsted. Fur Trade Wars: The Founding of Western Canada. Winnipeg, Great Plains Publications, vers 1999. AMICUS 20975923
  • J. M. Bumsted. The Red River Rebellion. Winnipeg, Watson & Dwyer, vers 1996. AMICUS 15446457
  • Sharon Venne. Aboriginal and Treaty Rights in Canada: Essays on Law, Equity, and Respect for Difference, « Understanding Treaty 6: An Indigenous Perspective », pp. 173–207, Michael Asch, Presses de l’Université de la Colombie-Britannique, vers 1997. AMICUS 15883635
  • Michael Asch. On Being Here to Stay: Treaties and Aboriginal Rights in Canada. Presses de l’Université de Toronto, 2014. AMICUS 42148617