par Samantha Shields
Biographie
Archibald Brodie Macpherson, alias « Handlebars » (vraisemblablement en référence à sa moustache en forme de guidon) est une figure connue du milieu canadien de la photographie en raison de son rôle durant l’essor de l’impression couleur.
Né à Toronto (Ontario) le 26 novembre 1909, Brodie est l’aîné des trois enfants du professeur d’université Walter Ernest Macpherson et de son épouse Elsie Margaret, et le premier d’entre eux à fréquenter l’Université de Toronto. Il entre à la faculté de sciences appliquées et de génie en 1927 et obtient son diplôme en 1931. Durant la Seconde Guerre mondiale, il sert dans l’Aviation royale canadienne, avant de revenir chez lui pour fonder son studio de photographie au début de 1946. Sa formation en génie, combinée à ses années d’expérience ultérieures dans le monde de la lithographie, lui sera très utile dans le domaine de l’impression couleur.
L’essor de la photographie couleur
Au milieu des années 1930, la photographie couleur commence à prendre de l’ampleur grâce au perfectionnement des diapositives en couleurs. L’impression couleur existe déjà à l’époque, mais elle est beaucoup moins populaire que l’impression noir et blanc parmi les photographes. Le procédé consistant à fabriquer et à imprimer des négatifs de sélection est trop cher et trop complexe pour la plupart des amateurs, et le résultat en vaut rarement la chandelle pour les professionnels. Les photographes portraitistes et paysagistes n’ont aucun intérêt à dépenser une petite fortune pour produire des lithographies que les critiques qualifient régulièrement de criardes, vulgaires et artificielles.

Un présentoir commercial de produits de toilette Colgate Palmolive (e011312591)
Malgré ses nombreux inconvénients, la photo couleur brille réellement dans le domaine publicitaire. Bien que les couleurs vives et contrastantes puissent parfois agresser l’œil, elles permettent aussi d’attirer l’attention. À cette époque, de plus en plus de photographies colorées ornent les pages des magazines, les affiches et le matériel promotionnel.
Le domaine publicitaire est parfaitement adapté à la photo couleur puisqu’on y fait souvent de grosses commandes. La production de nombreux exemplaires permet de répartir les coûts d’impression élevés de la photographie initiale et d’en rentabiliser la grande complexité.
Brodie Macpherson l’entrepreneur
En février 1946, plutôt que de reprendre son emploi d’avant-guerre chez Harris Lithography, Macpherson commence à prendre et à vendre des photographies couleur à l’aide de deux procédés d’Eastman Kodak légèrement remaniés : la reproduction par contact pour le relief et le transfert hydrotypique de colorants. L’expérience de Macpherson dans le domaine de la photo lithographique lui est fort utile en raison des similitudes entre ces techniques.
La stratégie commerciale de Macpherson est simple : fournir le meilleur produit possible au plus bas prix possible. Voici comment il procède :
- Il ne vend que des photographies couleur. Il n’a donc pas besoin d’équipement et de matériel pour développer des photos noir et blanc, et il se spécialise dans la couleur.
- Il ne vend que des photos en grandes quantités. Il optimise ainsi la durée de vie des produits chimiques et réduit ses dépenses. Puisque les produits se détériorent rapidement lorsqu’on les verse dans les bacs, il n’est pas très rentable de faire plusieurs petites commandes espacées dans le temps.
- Il expérimente en créant ses propres produits chimiques. Brodie Macpherson réussit ainsi à simplifier son processus d’impression, à maintenir un niveau de qualité uniforme et à éviter les coûts élevés associés à l’achat de produits préparés. Ces économies sont transmises au consommateur.
- Il fabrique et personnalise ses outils, de l’équipement de production (appareils photo et lampes) au matériel d’impression (ampoules et balance-cuvettes). Macpherson s’emploie constamment à concevoir de nouveaux outils, à expérimenter avec eux et à perfectionner ses processus.
- Il communique et collabore avec des fournisseurs, des fabricants (dont Kodak), d’autres photographes et des laboratoires d’impression, offrant continuellement les fruits de ses recherches, de l’information et des ressources pour améliorer la photographie couleur.

Brodie Macpherson a fabriqué son propre appareil photo trichrome à prise unique, qui lui permet d’exposer simultanément trois plaques photographiques derrière plusieurs filtres couleur. Sans cet appareil, la même photo aurait dû être prise successivement avec chaque filtre. (e011312590)
Dès les débuts de Macpherson, les clients apprécient la qualité de ses tirages couleur et trouvent ses prix raisonnables, même s’ils sont tout de même plus élevés que ceux des photos noir et blanc ou colorées à la main. Ses tarifs sont systématiquement plus bas que ceux des autres imprimeurs couleur de la région, et ils n’augmenteront jamais. Pendant 18 ans, Macpherson honorera les commandes de clients partout au Canada et aux États-Unis.

Publicité pour les photographies couleur de Brodie Macpherson comprenant ses tarifs (e011312588)
Le studio de photographie couleur, situé dans le sous-sol de sa maison familiale au 172, rue Walmer Road à Toronto, sera officiellement ouvert jusqu’à la retraite de Macpherson, en 1964.
Le groupe d’impression couleur du Toronto Camera Club (TCC)
Selon le président du Toronto Camera Club, Frank E. Hessin, Macpherson est sans l’ombre d’un doute le membre du Club qui fait le plus progresser l’impression couleur. En 1946, Macpherson propose la création du groupe d’impression couleur du Club, dont il deviendra le président. Dans les années qui suivent, c’est dans les installations du Club qu’il enseigne le processus de séparation des couleurs à tous ceux qui s’y intéressent.

Brodie Macpherson et Miss 1948, Lialla Raymes, illustrant l’évolution des tendances en photographie dans le cadre du 60e anniversaire du Toronto Camera Club. (e011310464)
Everett Roseborough, un autre membre du Club, dresse un portrait du personnage qui correspond à ce que l’on peut lire dans les lettres et les articles du fonds Brodie Macpherson (R791). En voici une traduction :
« Pendant les rencontres de sociétés de photographie, il est assis à la dernière rangée et caresse sa moustache. Ses opinions sont tranchées; il trouve toujours le moyen de s’opposer à quelque chose. Après un grognement collectif dans l’auditoire, on se rend souvent compte qu’il a raison. » (Photographic Historical Society of Canada, 1994)
Le digne fils d’un bibliothécaire qui enseigne à l’université
D’une intelligence remarquable, Brodie Macpherson transmet volontiers ses connaissances, ses points de vue et ses conseils. Il représente une ressource inestimable pour les photographes de l’époque, qui le considèrent comme le meilleur photographe et imprimeur couleur de la ville.
Au fil du temps, alors que la technologie de photographie couleur gagne en vitesse et en précision, on continue de faire appel au talent de Macpherson et à sa connaissance des particularités de l’impression couleur. Il fait régulièrement part des résultats de ses recherches et appelle au dialogue dans plusieurs publications et lettres privées, au sein de clubs de photo, ainsi que lors de conférences publiques et de soirées dans son studio (rehaussées de musique et d’excellent scotch!).

Une des premières photos couleur de Brodie Macpherson, qui présente la superposition de jaune, magenta et cyan nécessaire pour réaliser un tirage en couleurs. (e011312589)
Retraite
En 1964, alors qu’il passe déjà la majeure partie de l’hiver à la Barbade, Macpherson prend sa semi-retraite du monde de l’impression, à l’âge de 55 ans. Même s’il n’accepte plus de nouveaux clients, il réimprime encore des négatifs existants d’anciens clients lorsqu’il est à Toronto.

Série de photos publicitaires commandées par Purity Factories Ltd, de Saint John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. L’entreprise fait souvent affaire avec Brodie Macpherson et continue de lui demander des réimpressions jusqu’en 1970. (e011312592)
À la fin des années 1960, les procédés photographiques utilisés par Brodie Macpherson sont en grande partie remplacés par la nouvelle gamme Ektacolor de Kodak, beaucoup plus simple d’utilisation. Il devient donc de plus en plus difficile de se procurer le matériel nécessaire au Canada, et Macpherson abandonne complètement la réimpression.

Portrait de Brodie Macpherson à l’œuvre (e011310471)
De nature plutôt solitaire, Macpherson ferme discrètement son studio et vend sa maison dans les années 1970. Selon certaines sources, il aurait déménagé en Floride sans laisser de traces (Roseborough, 1994). Les recherches pour le retrouver à Toronto, en Floride et aux Bermudes après les années 1970 restent vaines.
La grande carrière de Brodie Macpherson dans le monde de la photographie couleur, qui se déroule de surcroît à une époque de développement technologique accéléré, témoigne de son excellent esprit d’entrepreneuriat, de son dévouement et de la grande maîtrise de son art.
Samantha Shields travaille comme archiviste en photographie au sein de la Division de la vie sociale et de la culture à Bibliothèque et Archives Canada.
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