Brodie Macpherson, précurseur de la photographie couleur

par Samantha Shields

Biographie

Archibald Brodie Macpherson, alias « Handlebars » (vraisemblablement en référence à sa moustache en forme de guidon) est une figure connue du milieu canadien de la photographie en raison de son rôle durant l’essor de l’impression couleur.

Autoportrait couleur de Brodie Macpherson en uniforme militaire arborant une moustache en guidon. Le sujet est représenté jusqu’à la poitrine devant un arrière-plan vierge.

Autoportrait, vers 1945 (e010767976)

Né à Toronto (Ontario) le 26 novembre 1909, Brodie est l’aîné des trois enfants du professeur d’université Walter Ernest Macpherson et de son épouse Elsie Margaret, et le premier d’entre eux à fréquenter l’Université de Toronto. Il entre à la faculté de sciences appliquées et de génie en 1927 et obtient son diplôme en 1931. Durant la Seconde Guerre mondiale, il sert dans l’Aviation royale canadienne, avant de revenir chez lui pour fonder son studio de photographie au début de 1946. Sa formation en génie, combinée à ses années d’expérience ultérieures dans le monde de la lithographie, lui sera très utile dans le domaine de l’impression couleur.

L’essor de la photographie couleur

Au milieu des années 1930, la photographie couleur commence à prendre de l’ampleur grâce au perfectionnement des diapositives en couleurs. L’impression couleur existe déjà à l’époque, mais elle est beaucoup moins populaire que l’impression noir et blanc parmi les photographes. Le procédé consistant à fabriquer et à imprimer des négatifs de sélection est trop cher et trop complexe pour la plupart des amateurs, et le résultat en vaut rarement la chandelle pour les professionnels. Les photographes portraitistes et paysagistes n’ont aucun intérêt à dépenser une petite fortune pour produire des lithographies que les critiques qualifient régulièrement de criardes, vulgaires et artificielles.

Deux photographies couleur identiques d’un présentoir à étages contenant des produits Colgate et Palmolive, comme de la crème à raser, du shampooing, du dentifrice et de la poudre dentifrice. Le présentoir a été photographié en studio sur un fond bleu.

Un présentoir commercial de produits de toilette Colgate Palmolive (e011312591)

Malgré ses nombreux inconvénients, la photo couleur brille réellement dans le domaine publicitaire. Bien que les couleurs vives et contrastantes puissent parfois agresser l’œil, elles permettent aussi d’attirer l’attention. À cette époque, de plus en plus de photographies colorées ornent les pages des magazines, les affiches et le matériel promotionnel.

Le domaine publicitaire est parfaitement adapté à la photo couleur puisqu’on y fait souvent de grosses commandes. La production de nombreux exemplaires permet de répartir les coûts d’impression élevés de la photographie initiale et d’en rentabiliser la grande complexité.

Brodie Macpherson l’entrepreneur

En février 1946, plutôt que de reprendre son emploi d’avant-guerre chez Harris Lithography, Macpherson commence à prendre et à vendre des photographies couleur à l’aide de deux procédés d’Eastman Kodak légèrement remaniés : la reproduction par contact pour le relief et le transfert hydrotypique de colorants. L’expérience de Macpherson dans le domaine de la photo lithographique lui est fort utile en raison des similitudes entre ces techniques.

La stratégie commerciale de Macpherson est simple : fournir le meilleur produit possible au plus bas prix possible. Voici comment il procède :

  • Il ne vend que des photographies couleur. Il n’a donc pas besoin d’équipement et de matériel pour développer des photos noir et blanc, et il se spécialise dans la couleur.
  • Il ne vend que des photos en grandes quantités. Il optimise ainsi la durée de vie des produits chimiques et réduit ses dépenses. Puisque les produits se détériorent rapidement lorsqu’on les verse dans les bacs, il n’est pas très rentable de faire plusieurs petites commandes espacées dans le temps.
  • Il expérimente en créant ses propres produits chimiques. Brodie Macpherson réussit ainsi à simplifier son processus d’impression, à maintenir un niveau de qualité uniforme et à éviter les coûts élevés associés à l’achat de produits préparés. Ces économies sont transmises au consommateur.
  • Il fabrique et personnalise ses outils, de l’équipement de production (appareils photo et lampes) au matériel d’impression (ampoules et balance-cuvettes). Macpherson s’emploie constamment à concevoir de nouveaux outils, à expérimenter avec eux et à perfectionner ses processus.
  • Il communique et collabore avec des fournisseurs, des fabricants (dont Kodak), d’autres photographes et des laboratoires d’impression, offrant continuellement les fruits de ses recherches, de l’information et des ressources pour améliorer la photographie couleur.
Photographie noir et blanc de l’appareil photo de Brodie Macpherson.

Brodie Macpherson a fabriqué son propre appareil photo trichrome à prise unique, qui lui permet d’exposer simultanément trois plaques photographiques derrière plusieurs filtres couleur. Sans cet appareil, la même photo aurait dû être prise successivement avec chaque filtre. (e011312590)

Dès les débuts de Macpherson, les clients apprécient la qualité de ses tirages couleur et trouvent ses prix raisonnables, même s’ils sont tout de même plus élevés que ceux des photos noir et blanc ou colorées à la main. Ses tarifs sont systématiquement plus bas que ceux des autres imprimeurs couleur de la région, et ils n’augmenteront jamais. Pendant 18 ans, Macpherson honorera les commandes de clients partout au Canada et aux États-Unis.

Deux portraits studio identiques d’une femme blonde inconnue portant du rouge à lèvres et un tricot rouge. Les tarifs et les coordonnées de Brodie Macpherson sont superposés dans le coin inférieur gauche et sont aussi inscrits sous l’image.

Publicité pour les photographies couleur de Brodie Macpherson comprenant ses tarifs (e011312588)

Le studio de photographie couleur, situé dans le sous-sol de sa maison familiale au 172, rue Walmer Road à Toronto, sera officiellement ouvert jusqu’à la retraite de Macpherson, en 1964.

Le groupe d’impression couleur du Toronto Camera Club (TCC)

Selon le président du Toronto Camera Club, Frank E. Hessin, Macpherson est sans l’ombre d’un doute le membre du Club qui fait le plus progresser l’impression couleur. En 1946, Macpherson propose la création du groupe d’impression couleur du Club, dont il deviendra le président. Dans les années qui suivent, c’est dans les installations du Club qu’il enseigne le processus de séparation des couleurs à tous ceux qui s’y intéressent.

Photographie noir et blanc de Brodie Macpherson faisant semblant de prendre en photo Miss 1948, Lialla Raymes, alors qu’elle est allongée.

Brodie Macpherson et Miss 1948, Lialla Raymes, illustrant l’évolution des tendances en photographie dans le cadre du 60e anniversaire du Toronto Camera Club. (e011310464)

Everett Roseborough, un autre membre du Club, dresse un portrait du personnage qui correspond à ce que l’on peut lire dans les lettres et les articles du fonds Brodie Macpherson (R791). En voici une traduction :

« Pendant les rencontres de sociétés de photographie, il est assis à la dernière rangée et caresse sa moustache. Ses opinions sont tranchées; il trouve toujours le moyen de s’opposer à quelque chose. Après un grognement collectif dans l’auditoire, on se rend souvent compte qu’il a raison. » (Photographic Historical Society of Canada, 1994)

Le digne fils d’un bibliothécaire qui enseigne à l’université

D’une intelligence remarquable, Brodie Macpherson transmet volontiers ses connaissances, ses points de vue et ses conseils. Il représente une ressource inestimable pour les photographes de l’époque, qui le considèrent comme le meilleur photographe et imprimeur couleur de la ville.

Au fil du temps, alors que la technologie de photographie couleur gagne en vitesse et en précision, on continue de faire appel au talent de Macpherson et à sa connaissance des particularités de l’impression couleur. Il fait régulièrement part des résultats de ses recherches et appelle au dialogue dans plusieurs publications et lettres privées, au sein de clubs de photo, ainsi que lors de conférences publiques et de soirées dans son studio (rehaussées de musique et d’excellent scotch!).

Photo d’un gâteau rond coupé sur une assiette noire, placé sur une boîte portant la matrice d’impression et le numéro de créateur C363.

Une des premières photos couleur de Brodie Macpherson, qui présente la superposition de jaune, magenta et cyan nécessaire pour réaliser un tirage en couleurs. (e011312589)

Retraite

En 1964, alors qu’il passe déjà la majeure partie de l’hiver à la Barbade, Macpherson prend sa semi-retraite du monde de l’impression, à l’âge de 55 ans. Même s’il n’accepte plus de nouveaux clients, il réimprime encore des négatifs existants d’anciens clients lorsqu’il est à Toronto.

Photo publicitaire montrant huit variétés de biscuits et de petits gâteaux Purity dans des sacs transparents sur fond blanc.

Série de photos publicitaires commandées par Purity Factories Ltd, de Saint John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. L’entreprise fait souvent affaire avec Brodie Macpherson et continue de lui demander des réimpressions jusqu’en 1970. (e011312592)

À la fin des années 1960, les procédés photographiques utilisés par Brodie Macpherson sont en grande partie remplacés par la nouvelle gamme Ektacolor de Kodak, beaucoup plus simple d’utilisation. Il devient donc de plus en plus difficile de se procurer le matériel nécessaire au Canada, et Macpherson abandonne complètement la réimpression.

Photo noir et blanc de Brodie Macpherson avec son appareil photo à prise unique de marque Devin.

Portrait de Brodie Macpherson à l’œuvre (e011310471)

De nature plutôt solitaire, Macpherson ferme discrètement son studio et vend sa maison dans les années 1970. Selon certaines sources, il aurait déménagé en Floride sans laisser de traces (Roseborough, 1994). Les recherches pour le retrouver à Toronto, en Floride et aux Bermudes après les années 1970 restent vaines.

La grande carrière de Brodie Macpherson dans le monde de la photographie couleur, qui se déroule de surcroît à une époque de développement technologique accéléré, témoigne de son excellent esprit d’entrepreneuriat, de son dévouement et de la grande maîtrise de son art.


Samantha Shields travaille comme archiviste en photographie au sein de la Division de la vie sociale et de la culture à Bibliothèque et Archives Canada.

Le Canada en couleur

Par Samantha Shields

Les débuts de la photographie couleur

La photographie couleur voit le jour au 19e siècle. Toutefois, il faut attendre le milieu des années 1930 avant que la technologie ne se perfectionne suffisamment pour devenir accessible aux amateurs. Avec la production en série de photographies sur pellicules diapositives en couleur (comme le film inversible couleur Kodachrome), on obtient facilement des images impressionnantes aux couleurs vives. Même s’il faut un projecteur ou une autre source de lumière pour visionner les diapositives, celles-ci gagnent vite en popularité, l’impression couleur demeurant hors de portée pour le photographe amateur moyen.

Au milieu du 20e siècle, les procédés d’impression couleur demeurent complexes et demandent temps et argent. Ils requièrent également une précision technique et des connaissances en chimie plus poussées que pour le noir et blanc ou les diapositives couleur. Et malgré tous leurs efforts, les adeptes de cette nouvelle technique sont souvent déçus. Couleurs trop vives qui détonnent, plage chromatique restreinte… le résultat est souvent décrit comme irréaliste et criard.

L’impression couleur met donc du temps à s’imposer. Ce sont d’abord les amateurs bien nantis et les expérimentateurs curieux qui l’adoptent, ainsi que les imprimeurs de magazines, de publicités et de documents commerciaux.

Un homme en chemise et cravate est assis auprès d’une fillette en robe à carreaux; il sourit en regardant une photo. Le nom de la marque (Kodak) figure dans le coin supérieur gauche de l’image.

Épreuve d’une publicité de Kodak, 1946. Photo : Yousuf Karsh/Kodak (a215007k)

Le procédé d’impression couleur

À l’aube de la photographie couleur, les fabricants du monde entier déploient de grands efforts pour mettre au point des produits qui simplifieront et amélioreront le procédé. Durant cette période d’innovation, l’une des méthodes les plus prisées consiste à imprimer à partir de « négatifs de sélection » distincts.

En termes simples, l’image (provenant d’une prise de vue ou d’une diapositive) est séparée en trois négatifs, chacun ne montrant qu’une couleur : rouge, vert ou bleu. Le photographe peut obtenir ces négatifs l’un après l’autre – mais il court alors le risque que le sujet ou l’appareil bouge entre les poses –, ou encore utiliser un appareil trichrome à prise unique (one-shot) qui réfléchit l’image pour que plusieurs plaques soient exposées au même moment.

Les négatifs ainsi obtenus servent à créer des positifs en relief (appelés matrices) sur lesquelles sont appliquées les teintes correspondantes : cyan, magenta et jaune. Les matrices sont ensuite pressées ou roulées l’une après l’autre sur le papier photo, dans un alignement parfait qu’on nomme « coïncidence des couleurs ». On obtient ainsi une impression polychrome.

Photo couleur d’une mallette accompagnée de trois négatifs identiques, le premier de couleur magenta, le deuxième de couleur cyan et le troisième de couleur jaune.

Publicité pour une mallette : impression finale accompagnée des trois matrices couleur. Photo : Brodie Macpherson (e011310465-e011310468)

Au début des années 1940, d’autres options d’impression couleur sont mises à la disposition des photographes, comme le procédé d’impression en trichromie, l’oléobromie, le procédé de blanchiment et le procédé de transfert hydrotypique de colorants. Ce dernier, créé au milieu des années 1930, est d’abord commercialisé par la société Eastman Kodak sous le nom de « procédé de reproduction par contact pour le relief » (ou procédé wash-off), et attire rapidement l’attention. Il est éventuellement remplacé par le transfert de colorant (1946), où l’assemblage des impressions n’est pas sans rappeler la lithographie couleur. Ce dernier procédé facilite la création de copies et l’impression par lots, tout en permettant davantage de manipulations à diverses étapes de l’impression. En outre, les matériaux requis sont moins sensibles à la température et à l’humidité.

Difficultés techniques et logistiques

Des années 1930 aux années 1960, quiconque veut imprimer des photos couleur au Canada doit surmonter tout un lot d’obstacles relatifs à la géographie, au financement et aux procédés chimiques.

Photo noir et blanc d’un ancien appareil photo, 1943.

Appareil photo couleur automatique. Photo : Ministère de la Défense nationale (a064809)

Photo noir et blanc de l’appareil photo de Brodie Macpherson.

Appareil photo trichrome à prise unique de marque Devin ayant appartenu à Brodie Macpherson. Source : e011312590

À l’époque, le Canada compte parmi les pays qui adoptent rapidement les nouveaux procédés photo. Mais s’il possède le savoir-faire, on ne peut en dire autant du matériel. Comme ce dernier provient surtout de l’étranger, le transport est lent et imprévisible, et l’approvisionnement, peu fiable. Cette situation force de nombreux photographes et imprimeurs à collaborer pour trouver des solutions novatrices.

Eastman Kodak est une pionnière de la photo par transfert hydrotypique, tant en ce qui concerne le matériel que l’impression. Mais comme son siège social et son usine se trouvent à Rochester, dans l’État de New York, la distribution au Canada s’en trouve restreinte. Le centre du pays fait exception : il peut compter sur la présence à Toronto de la Canadian Kodak Co. (établie en 1899 et devenue plus tard Kodak Canada Inc.), dotée d’une usine et d’un centre de distribution. Mais les installations canadiennes n’ont pas de tout en stock, et on n’y produit pas de matériel couleur avant la fin des années 1960.

Ailleurs au pays, les photographes ont accès aux installations de Kodak en 1961, année où l’entreprise établit un laboratoire de traitement de film couleur à North Vancouver pour desservir l’Ouest du Canada. Mais la plupart des Canadiens qui souhaitent se procurer du matériel couleur de Kodak doivent se tourner vers leurs fournisseurs locaux.

Or, les marchands du coin s’approvisionnent auprès de fabricants étrangers ou de centres de distribution. Les commandes s’accompagnent donc inévitablement de certains défis, dont :

  • des retards : il faut souvent compter cinq semaines ou plus pour la livraison. Par conséquent, les imprimeurs de photos couleur se prêtent ou s’échangent souvent du matériel afin de pouvoir respecter leurs échéances;
  • une certaine dépendance : la pénurie de matériel et l’irrégularité des livraisons (allant parfois jusqu’à plusieurs semaines) empêchent les laboratoires d’honorer des commandes ou d’en accepter de nouvelles ou de trop grosses;
  • d’éventuels déplacements de l’autre côté de la frontière : en effet, les commandes passées ou reçues aux États-Unis arrivent souvent beaucoup plus vite (environ cinq jours).
Page montrant, en cinq exemplaires, une photo sur laquelle on voit un minuscule piano bleu avec un banc, à l’intérieur d’une boîte rouge et jaune couverte de notes de musique. Sur la page, on peut lire « 200 reproductions directes de photographies couleur coûtent moins cher qu’une gravure en quatre couleurs! »

Publicité pour les services de Brodie Macpherson, avec liste des prix. Photo : Brodie Macpherson (e011310469)

Difficultés financières

Comparativement au noir et blanc, l’impression couleur coûte beaucoup plus cher, tant pour l’imprimeur que pour le client. Or, les particuliers et les entreprises hésitent à engager les sommes requises, de crainte que les images soient ratées en raison de l’effet peu naturel des couleurs. Les imprimeurs ont donc avantage à produire de belles impressions de haute qualité, au plus bas prix raisonnable. Pour y parvenir :

  • Ils limitent les petites commandes, qui exigent beaucoup de travail et coûtent cher. (Les produits chimiques, une fois ouverts, peuvent devenir périmés entre deux commandes.)
  • Ils font de plus grands tirages pour étaler les coûts associés au perfectionnement de la première impression. De plus, les images peuvent être commandées à nouveau, même des années plus tard.
  • Ils visent les entreprises publicitaires et commerciales : attirées par les couleurs vives qui retiennent l’attention, celles-ci ont les moyens de faire de grosses commandes et demandent des réimpressions.
  • Par l’intermédiaire de clubs et de bulletins d’information, ils collaborent pour recommander des imitations moins coûteuses de produits chimiques, de même que pour échanger sur la façon d’améliorer les procédés et la qualité d’impression.
  • Ils s’adonnent à l’importation privée. Le matériel acheté au Canada coûte souvent plus cher, même en tenant compte des frais d’importation. Ceux qui ont la chance d’habiter à proximité de la frontière canado-américaine reçoivent leur commande plus vite en la passant auprès d’un fournisseur américain; ils traversent aussi la frontière pour acheter du matériel moins cher et plus récent.
Impression couleur de huit emballages de biscuits vendus par Purity Factories Ltd.

Publicité pour les biscuits de Purity Factories Ltd. Photo : Brodie Macpherson (e011312592)

Comme les petites commandes irrégulières compliquent le travail d’impression pour la plupart des entreprises, beaucoup de studios n’offrent pas de photos couleur. Les autres, au lieu de transformer leur chambre noire, envoient souvent leur pellicule dans des laboratoires externes qui développent et impriment les photos. Le coût exorbitant des petits tirages est alors absorbé par le client.

Pour toutes ces raisons, le portrait photo en noir et blanc perdure longtemps malgré les progrès de la couleur. On note toutefois quelques exceptions : on produit des photos couleur pour les portraits de mariage et de groupe ainsi que pour les cartes des Fêtes, car les clients en demandent plus de copies, ce qui permet d’offrir un prix plus raisonnable.

Portrait couleur d’une femme portant une robe fleurie, le visage éclairé, assise dans une chaise à appuie-bras en bois.

C309 – Femme inconnue. Photo : Brodie Macpherson (e011310460)

Trois versions détaillées de l’image précédente, en noir et blanc, identiques à une exception près : la densité de l’exposition varie en fonction de la couleur filtrée (A = rouge, B = vert, C = bleu).

Épreuves d’impression des négatifs de sélection pour la photo C309 – Femme inconnue. Photo : Brodie Macpherson (e011310461-e011310463)

Avec l’amélioration de l’impression couleur et la popularité croissante des publicités couleur, les imprimeurs reçoivent parfois de grosses commandes de différents clients. Pour pouvoir livrer un produit de qualité sans délai, certains forment alors de petits réseaux avec des partenaires de confiance vers qui ils dirigent leurs clients au besoin.

Par ailleurs, l’aménagement d’une chambre noire pour le traitement des couleurs entraîne des dépenses considérables. Il en va de même pour l’apprentissage des techniques, qui se fait en grande partie par essais et erreurs. Ces coûts élevés (et le niveau de difficulté du procédé) rebutent les simples amateurs, mais d’autres se tournent vers leur club de photographie pour expérimenter cette nouvelle technique.

Difficultés liées aux procédés chimiques

Comme c’est souvent le cas en photographie, l’impression couleur, à ses débuts, est à la fois une science et un art. Ceux qui s’y essaient se trouvent souvent démunis devant la précision exigée par cette technique : en effet, il faut en gérer toutes les variables – temps, température, eau et tension électrique – pour obtenir la même qualité du début à la fin.

Les produits chimiques apportent aussi leur lot de restrictions. Outre leur coût exorbitant, ils se dégradent au fil du temps, et encore plus rapidement une fois ouverts. Ils donnent alors des résultats inégaux, brisant tout espoir de qualité et rendant impossible la constance du tirage. Si l’on ajoute le temps requis pour les faire venir au Canada, leur durée de conservation est encore moindre. Accumuler des surplus devient donc risqué; c’est pourquoi on encourage les commandes en gros et l’impression en lots.

Douze grilles de couleurs, sur quatre colonnes et trois rangées.

Matrice de couleurs. Photo : Brodie Macpherson (e011310470)

Bien sûr, les fabricants indiquent pour chaque produit la durée de conservation, la quantité et les additifs recommandés. Mais en raison de toutes les variables, ces renseignements sont rarement parfaits pour tous les utilisateurs. En effet, plusieurs facteurs dépendent en grande partie de l’emplacement de l’imprimeur : dans une grande ville ou un petit village, avec des températures froides ou élevées, un climat stable ou changeant, etc.

Eau

  • Comme les sources d’eau varient (ainsi que la façon dont l’eau est traitée), on remarque des différences chimiques au fil du temps et selon les régions. Par exemple, dans le procédé d’impression en trichromie, les imprimeurs doivent contrebalancer la présence de chaux ou de sels de durcissement dans leur eau, car ces substances réagissent avec le bromure d’argent.

Température

  • Les variations de température durant le transport jusqu’au Canada altèrent certains types de papier couché.
  • Comme les imprimeurs canadiens sont parfois soumis à de grands écarts de température au cours d’une année, ils doivent réussir à maintenir une température constante dans leur chambre noire. L’imprimeur torontois de photos couleur Brodie Macpherson proposait d’utiliser un élément chauffant isolé à l’amiante, placé sous un plateau à balancement déphasé, comme solution pour réchauffer un révélateur.

Jeune garçon assis dans un grand traîneau sur la neige. Photo : Rosemary Gilliat Eaton (e010980928)

Tension électrique

  • À peine quelques volts de différence suffisent à modifier l’intensité de la lumière des agrandisseurs. L’inconstance de l’exposition fait varier la densité des négatifs de sélection et, par conséquent, le résultat de l’impression couleur. Il est donc d’usage d’employer un régulateur et de vérifier la tension.
  • Certains imprimeurs cherchent à se procurer une « lampe froide ». De fabrication américaine, ce tube fluorescent à cathode en forme de U élimine les « points chauds » des agrandisseurs. On peut ainsi imprimer de plus grandes photos, augmenter la durée de vie du matériel et réduire l’incidence des variations de tension électrique. Mais le Canada en interdit l’importation; les imprimeurs motivés commandent donc des pièces pour la fabriquer eux-mêmes.
Photo noir et blanc d’une femme en uniforme militaire manipulant un agrandisseur.

Vue d’ensemble d’un agrandisseur. Photo : Photographe inconnu /ministère de la Défense nationale (a064866)

Photo noir et blanc d’un homme appuyé sur un bureau à côté d’un agrandisseur.

Jack Marsters avec un agrandisseur horizontal dans la chambre noire de la Montreal Gazette. Photo : Richard Arless (a114447)

En définitive, le succès de l’impression couleur découle des essais et erreurs que font les imprimeurs avec les différentes variables pour obtenir des conditions d’impression optimales selon leur environnement et leurs préférences. Dans leurs réussites comme dans leurs échecs, les clubs de photographie et les publications sur le sujet (dont Canadian Photography et Photographic Canadiana) servent souvent de source de conseils aux photographes, ainsi que de tribune pour leurs découvertes.

Photo noir et blanc de membres du club de photographie de Toronto, à l’extérieur avec leurs appareils photo.

Membres du club de photographie de Toronto au travail. Photo : T. Cannon (a132365)

La vue d’ensemble

Malgré les difficultés, l’impression couleur se pratique encore au Canada dans les années suivant la Deuxième Guerre mondiale.

La survie du procédé et son succès commercial reposent surtout sur les premiers imprimeurs de photos couleur. Ceux-ci s’entraident pour régler leurs problèmes, échangent des connaissances dans les clubs de photographie, des conférences et des sommets internationaux, et publient leur travail dans des revues nationales et internationales et des bulletins de clubs. Leur grand dévouement – leur envie d’expérimenter, de se perfectionner et de faire de la photo couleur un moyen d’expression viable – jette les bases du succès de cette discipline.

Photo couleur de la longue file devant le pavillon de Kodak lors de l’Expo 67.

Pavillon de Kodak à l’Expo 67 de Montréal, vu de l’extérieur avec la foule. Photo : Photographe inconnu/BAC (e011199279)

Représentante de Kodak à l’extérieur du pavillon de l’entreprise lors de l’Expo 67.

Pavillon de Kodak à l’Expo 67 de Montréal (plan extérieur rapproché montrant une représentante de Kodak). Photo : Photographe inconnu/BAC (e011199282)

On aperçoit au premier plan une représentante de Kodak et un homme. On voit derrière eux des diapositives couleur rétroéclairées montrant des vues aériennes.

Intérieur du pavillon de Kodak à l’Expo 67 de Montréal. Photo : Photographe inconnu/BAC (e011199283)

À voir également : notre billet de blogue sur Brodie Macpherson, précurseur de la photographie couleur, grand imprimeur torontois de photos couleur. Ingénieux, n’hésitant jamais à défendre ses opinions, Brodie Macpherson a multiplié les écrits et les conférences sur la photographie et l’impression couleur. Son travail et sa contribution à la profession lui ont valu une place parmi les meilleurs imprimeurs couleur de son temps.


Samantha Shields est archiviste en photographie à la Division des supports spécialisés privés de Bibliothèque et Archives Canada.

Trouvez des photos couleur de soldats canadiens de la Deuxième Guerre mondiale

Saviez-vous que Bibliothèque et Archives Canada possède de rares photos couleur de la Deuxième Guerre mondiale? Ces photos ont été prises sur pellicule Kodak Kodachrome par des membres de l’Unité de film et de photographie de l’Armée canadienne dans les jours suivant le 6 juin 1944 — le jour J. À cette époque, pour la plupart des photographes professionnels, la pellicule couleur était un nouveau médium qui n’avait pas encore été mis à l’épreuve.

L’Unité de film et de photographie de l’Armée canadienne était formée de Canadiennes et de Canadiens enrôlés. Mise sur pied en 1941, elle était dirigée par le capitaine William Abell, de Winnipeg. Son objectif était de prendre en photo des militaires canadiens en action afin que le ministère de la Défense puisse publier ces images par l’entremise de différents médias. De nos jours, ces photos couleur sont une source inestimable de renseignements sur les soldats canadiens et l’évolution des technologies dans le domaine de la photographie.

Au total, quelque 1 200 photos couleur numérisées de la Deuxième Guerre mondiale peuvent être visionnées à partir de la base de données en ligne de Bibliothèque et Archives Canada. Elles portent sur des sujets variés, comme les troupes sur le terrain en Angleterre, en France, en Hollande, en Allemagne et en Italie, ou à l’entraînement sur des bases militaires au Canada; d’éminents personnages militaires; le Service féminin de l’Armée canadienne; le divertissement des troupes; les navires de transport médical; et le rôle du Canada dans la libération et l’occupation à travers la lentille de Ken Bell, un membre de l’Unité.

Explorez la collection
La collection complète de photos couleur de Bibliothèque et Archives Canada contient plus de 2 000 images supplémentaires remontant jusqu’à 1961, qui se trouvent dans la sous-série ZK. Pour y effectuer une recherche, cliquez sur Recherche d’archives avancée, et utilisez le préfixe ZK et les critères de recherche de votre choix. Vous pouvez également recourir à l’instrument de recherche électronique pour la sous-série SK afin de trouver des images précises. Pour en savoir plus sur l’utilisation des instruments de recherche, consultez le billet Découvrez les instruments de recherche — Partie II.

Voir aussi :