Madge Macbeth, ou l’écriture sous toutes ses formes

Par Vasanthi Pendakur

Photographie de type portrait d’une femme portant un chemisier en dentelle, un collier de perles de jade et une broche en diamant, et regardant l’appareil photo.

Portrait de Madge Macbeth (e010935318)

Madge Macbeth, prolifique auteure canadienne d’origine américaine, écrit un grand nombre de nouvelles, de romans, de pièces de théâtre, de livres de voyage, d’articles de journaux et d’entrevues tout au long de la première moitié du 20e siècle. Elle s’engage à fond dans les associations d’auteurs et dans le monde du théâtre : membre fondatrice de l’Ottawa Little Theatre, elle est aussi la première femme à occuper la présidence de la Canadian Authors Association, où elle assure trois mandats.

Madge Macbeth, née Madge Hamilton Lyons le 6 novembre 1878 à Philadelphie, est la fille de Bessie Maffitt et d’Hymen Hart Lyons. Enfant, elle écrit des pièces de théâtre et produit même ses propres journaux. Elle marche sans doute sur les traces de sa grand-mère, Louisa Hart Maffitt, une suffragette et l’une des premières femmes américaines à faire carrière dans la presse.

La famille s’installe à Baltimore, et Madge Lyons est envoyée au Collège Hellmuth de London, en Ontario, pour y poursuivre ses études. Dans son mémoire intitulé Boulevard Career, l’auteure mentionne que dans les années 1890, on n’y enseignait pas la littérature canadienne; on se concentrait plutôt sur les classiques. Après ses études, elle passe quelques années à travailler comme mandoliniste et comédienne de vaudeville, avant d’épouser Charles Macbeth en 1901.

Le couple déménage d’abord à Détroit, puis s’installe à Ottawa, ville dont Madge Macbeth s’éprend instantanément, écrivant que « l’endroit lui donne l’occasion d’apaiser son amour inné et insatiable pour les gens ». Aucun doute ne subsiste à cet égard : elle se fait de nombreux amis parmi les grands noms d’Ottawa, dont le photographe Yousuf Karsh et la mairesse Charlotte Whitton.

Vue de profil de Madge Macbeth portant une robe noire avec une veste de dentelle et un chapeau orné de plumes.

Portrait de Madge Macbeth dans les jeunes années de sa vie adulte à Ottawa (e008406101)

Le malheur frappe vers 1908 : le mari de Madge Macbeth contracte la tuberculose et en meurt, son jeune fils tombe malade, et sa mère perd tout son argent. L’écriture est l’une des seules avenues professionnelles ouvertes aux femmes à l’époque. L’auteure en parlera plus tard dans une entrevue accordée au magazine Maclean’s : « J’ai commencé à écrire […] avec l’illusion que je pourrais le faire à la maison. J’ai compris depuis longtemps que s’il y a un endroit où l’on ne peut écrire en paix, c’est bien chez soi » [traduction]. À l’époque, le marché canadien de la littérature est restreint. Les maisons d’édition recherchent des auteurs américains ou britanniques. Bien souvent, leurs collègues canadiens sont affectés à la rédaction de publicités ou relégués au deuxième rang.

Madge Macbeth commence par écrire de courts textes pour des magazines et connaît un certain succès en début de carrière avec deux romans, The Changeling (1909) et The Winning Game (1910). Vient ensuite une période creuse. Marjorie MacMurchy, l’une des premières femmes dans le domaine de la presse au Canada, joue alors un précieux rôle de sage conseillère. Elle suggère à la jeune écrivaine d’essayer d’obtenir des entrevues avec des députés, parce que les magazines s’intéressent davantage aux politiciens qu’à la fiction.

La chance vient à tourner : une maison d’édition canadienne accepte un texte de Madge Macbeth, et d’autres commandes suivent bientôt. L’auteure écrit tout ce qu’elle peut : publicités, dépliants et brochures pour le Chemin de fer Canadien Pacifique, publications en série, romans, livres de voyage, pièces de théâtre, feuilletons radiophoniques, propagande (pendant la Deuxième Guerre mondiale), articles de journaux et chroniques. Elle signe de son propre nom et utilise divers pseudonymes masculins et féminins. Son style et les sujets qu’elle aborde varient d’un livre à l’autre, mais la plupart de ses textes exploitent un filon humoristique ou satirique, et ses personnages principaux sont généralement des femmes. Elle aborde divers thèmes : mariage, sexualité, voyages, aventure, religion, complots politiques. Plus tard dans sa carrière, elle voyage beaucoup, principalement seule, pour donner des séries de conférences et trouver matière à écrire de nouveaux livres.

Madge Macbeth tenant un document, le regard tourné vers le côté.

Madge Macbeth tenant un document (e010935329)

Madge Macbeth consacre beaucoup de ses romans aux classes moyenne et supérieure. De fait, certains de ses romans de satire politique populaires, comme The Kinder Bees (1935) et The Land of Afternoon (1924), se basent sur sa connaissance de la haute société d’Ottawa. Tous deux sont publiés sous un pseudonyme, Gilbert Knox, dont le secret est bien gardé. L’un des plus célèbres romans de l’auteure, Shackles (1926), présente la pensée de la première vague féministe en racontant l’histoire de Naomi Lennox, une femme de la classe moyenne qui lutte pour le respect en tant qu’écrivaine et défend sa liberté au sein de la religion et du mariage. Le livre est encensé par certains et condamné par d’autres, en raison de sa représentation des rapports sexuels dans le mariage.

Les articles de Madge Macbeth portent sur des thèmes similaires et présentent des femmes dans les domaines de l’art, des affaires, de l’éducation et du militantisme pour le vote des femmes. Dans un article publié en 1947, « How much sex should be put into novels? » (Quelle importance devrait-on accorder à la sexualité dans les romans?), l’auteure soutient que les écrivains sont des reporters qui décrivent leur monde. Elle est critique à l’égard de ceux qui donnent trop de poids à la sexualité dans leurs romans, mais affirme néanmoins que de l’ignorer est un manque de respect pour la réalité et la littérature. Elle relate un échange avec un réformiste [traduction] : « “Pourquoi vous, les écrivains, ne traitez-vous pas de belles choses?”, se plaignit-il. […] “Aimez-vous personnellement les livres édifiants, lui lançai-je, ou ne sont-ils bons que pour les autres?” »

Tout au long de sa carrière, Madge Macbeth s’implique beaucoup auprès des associations d’auteurs et dans le monde du théâtre. Première femme à la présidence de la Canadian Authors Association, elle cumule en plus trois mandats dans ces fonctions, un record à l’époque. Elle en profite pour faire la promotion de la littérature canadienne et offre un appui sans faille aux jeunes auteurs. Qui plus est, son intérêt pour le théâtre mène à la création de l’Ottawa Drama League, qui deviendra l’Ottawa Little Theatre. Dans ce projet, elle se fixe l’objectif de sevrer les enfants des films bas de gamme, pour leur faire découvrir et aimer la littérature dramatique de qualité. Elle insiste sans relâche auprès des députés pour obtenir du financement, jusqu’à la réalisation du projet. Aujourd’hui, la compagnie de théâtre est l’une des plus vieilles du Canada.

Grand groupe de femmes et d’hommes debout devant la porte d’entrée d’un bâtiment.

Portrait de groupe de la Canadian Authors Association (e008406116)

L’œuvre de Madge Macbeth est très progressiste, mais des éléments de son écriture trahissent son éducation victorienne. Si les sujets qu’elle aborde sont visionnaires, ses livres ont toutefois tendance à suivre les conventions de l’époque. Elle soutient les écrivains émergents, et elle est fière de ne dépendre financièrement de personne et d’ouvrir cette même possibilité à d’autres femmes. Néanmoins, elle signe des articles où elle soutient que les femmes ont oublié leurs responsabilités domestiques et qualifie le célibat de vie à moitié vécue. Madge Macbeth écrit comme une femme de son milieu, et une partie du langage qu’elle utilise serait désuet aujourd’hui. Ces contradictions représentent bien sa longue carrière et les changements qui ont secoué la société entre son enfance dans l’univers victorien et sa mort dans les années 1960. D’ailleurs, Boulevard Career se termine sur une réflexion sur l’évolution de la société – celle d’Ottawa tout particulièrement – au fil de sa carrière, surtout pour les femmes. Son écriture et sa vie s’inscrivent dans ces changements : un pied dans l’avenir et l’autre dans le passé.

L’auteure a fait don de ses archives aux Archives nationales du Canada en 1958. Le fonds Madge Macbeth contient les manuscrits de bon nombre de ses livres, des renseignements sur le droit d’auteur, et de la correspondance sur divers sujets, y compris les conférences de l’auteure et ses activités au sein de l’Ottawa Drama League et de la Canadian Authors Association. Le fonds comprend également des journaux intimes, des albums de coupures et une grande collection de photos représentant Madge Macbeth à divers moments de sa vie et montrant son côté théâtral et son amour de la scène. Le fonds Madge Macbeth permet de mieux comprendre la longue carrière de l’auteure et d’assurer que son œuvre ne sera pas oubliée.

Portrait de Madge Macbeth vue de profil, vêtue d’une cape à motifs de couleur pâle.

Portrait de Madge Macbeth portant une cape (e010935313)

Autres ressources :


Vasanthi Pendakur est gestionnaire de projet à la Division du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Les publications rétrospectives : mieux vaut tard que jamais

Par Euphrasie Mujawamungu

Le mandat de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) consiste entre autres à acquérir tous les documents publiés au Canada, sans restriction de format, de sujet ou de langue. S’y ajoutent les œuvres étrangères dont les auteurs, les éditeurs, les traducteurs, les illustrateurs ou les interprètes sont Canadiens, ou dont le sujet a un lien avec le Canada. Nous appelons ces publications « Canadiana ».

La collection rétrospective Canadiana englobe divers types de documents publiés entre 1867 et cinq ans avant l’année courante, soit :

  • les documents publiés avant l’établissement du dépôt légal, en 1953;
  • les documents publiés depuis l’adoption du dépôt légal, mais n’ayant pas été acquis au moment de leur publication;
  • les documents non assujettis au dépôt légal, comme les œuvres publiées à l’étranger par des auteurs canadiens ou portant sur des sujets canadiens.

Puisque BAC se veut une source de savoir permanent accessible à tous, il doit, pour accomplir cette mission, se doter d’une collection aussi exhaustive que possible.

Un passé qui nous façonne

Le présent est tributaire du passé : à chaque époque, son histoire… une histoire aussi vaste que riche en événements. Pensons par exemple à la première Coupe Stanley, au premier premier ministre canadien-français, à la ruée vers l’or du Klondike, à la première députée, à l’obtention du droit de vote pour les femmes, aux deux guerres mondiales ou au roman à succès Anne… La maison aux pignons verts, de l’auteure prince-édouardienne Lucy Maud Montgomery.

Le quotidien d’autrefois a laissé des empreintes sur de nombreux domaines : l’art, la littérature, la mode, le transport, la cuisine, et plus encore. Les publications rétrospectives de la collection de BAC en témoignent, ouvrant des fenêtres tantôt sur la belle époque, tantôt sur les périodes de vaches maigres, et abordant des sujets aussi variés que les voyages, les recettes de nos arrière-arrière-grand-mères, les épidémies, les famines, les coupes gagnées ou les matchs perdus.

Gardien de ce passé aussi bien que de l’histoire récente, BAC est une ressource incontournable pour tous les Canadiens. Il facilite leur recherche au sein de sa riche collection, les aide à y découvrir les documents les plus pertinents et leur permet d’y accéder. C’est là le cœur de son mandat.

Cela dit, les lacunes au sein de la collection nationale doivent être comblées afin de s’assurer qu’aucun aspect de notre histoire n’est négligé ou sous-estimé. Et ce n’est pas un travail d’un jour ni une activité ponctuelle. Au contraire : une attention et une vigilance perpétuelles sont requises pour repérer les occasions d’enrichir la collection.

Photo couleur d’une variété de livres à couvertures souples.

Quelques titres acquis rétrospectivement par BAC pendant l’automne 2019. Photo: David Knox

Les outils

De près ou de loin, l’histoire nous interpelle sans cesse, ce qui rend la recherche de publications vraiment excitante. À titre de bibliothécaire, je dispose de plusieurs ressources pour repérer les publications rétrospectives à acquérir :

  • les catalogues des vendeurs de livres d’occasion
  • les catalogues des antiquaires
  • les sites Web spécialisés dans la vente de livres d’occasion
  • les publications données à BAC (je cherche alors parmi les dons pour y trouver les documents qui manquent à la collection)

L’acquisition de publications d’époque est soumise à de rigoureuses conditions : chaque ouvrage doit être en son édition originale et en bon état. Cette exigence n’est pas un caprice, car des publications contaminées ou moisies vont non seulement se détériorer, mais aussi endommager les autres publications.

En outre, pour qu’un ouvrage garde toute sa valeur, il importe d’en conserver toutes les composantes originales, comme la couverture, les illustrations et les mentions d’édition.

Si BAC ne l’acquiert pas, qui le fera ?

BAC recueille le patrimoine documentaire canadien et assure sa pérennité, avec l’objectif ultime de répondre aux besoins de ses usagers.

Qu’il s’agisse de publications d’époque ou contemporaines, ce patrimoine constitue un héritage pour les générations actuelles et futures. Et il y a encore de la place dans le trousseau!

Véritable carrefour de connaissances, BAC dispose de professionnels compétents, au service de la population et dévoués à la collection. Chaque trésor acquis par l’institution est traité avec toute la délicatesse requise, et nos installations ultramodernes garantissent leur conservation dans des conditions optimales.

De plus, BAC se tient à la fine pointe de la technologie, ce qui facilite la collaboration avec d’autres organisations et les interactions avec la clientèle.

Le métier de bibliothécaire des collections en est un dynamique et gratifiant, qui demande un travail soutenu. En harmonie avec les services offerts à la collectivité, il évolue en suivant la cadence de cette société du savoir qui est la nôtre. Je peux affirmer que BAC, loin d’être un entrepôt de bouquins pêle-mêle, enrichit véritablement la mémoire collective. Chercheurs aguerris, étudiants, mélomanes ou tout simplement citoyens curieux et avides d’information : tous y trouvent leur compte.

Photo couleur d’une variété de livres à couvertures souples.

Quelques titres acquis rétrospectivement par BAC pendant l’automne 2019. Photo: David Knox


Euphrasie  Mujawamungu est bibliothécaire d’acquisitions rétrospectives au sein de l’équipe des acquisitions à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Images de gravures de mode maintenant sur Flickr

Dessin noir et blanc d’une femme vêtue d’une robe avec une jupe unie bordée de cinq rangées de velours le long de l’ourlet avec un corset à plis drapé comme un tablier sur le devant. Elle porte un chapeau orné de plumes et tient un parapluie.

Tenue de ville de Charneville, de la revue Le Moniteur de mode (C-115935k)

Les gravures de mode, ou illustrations de tendances vestimentaires populaires, existent depuis longtemps. C’est toutefois au cours du 19e siècle qu’elles sont devenues courantes grâce aux avancées technologiques de l’imprimerie, à l’alphabétisation accrue et à la hausse du nombre de magazines. Les revues de mode — tant adressées aux femmes qu’aux hommes — abordent le savoir-vivre, la littérature et les nouvelles tendances. De plus en plus de revues produisent leurs propres gravures de mode ou les empruntent à d’autres magazines. Certaines proposent même des patrons de couture. Les gravures figurant dans cet album proviennent de revues publiées en Angleterre (The Lady’s Cabinet), en France (Le Bon Ton : Journal des modes, Journal des dames et des modes, Le Moniteur de la mode et Le Follet : Courrier des Salons) et aux États-Unis (The Season et Peterson’s Magazine).

Gravure en couleur d’une femme vêtue d’une robe de soirée avec un corset à plis laissant les épaules dénudées et des ruches le long de l’ourlet. Elle porte un filet orné de perles sur la tête et tient un éventail dans sa main gantée.

Robe de soirée, de la revue Ladies’ Cabinet of Fashion, Music and Romance (e010863096)

Les gravures sont elles-mêmes des œuvres d’art. Elles représentent les changements artistiques du 19e siècle, du romantisme à l’art déco. La production de gravures pour une revue nécessite souvent le travail d’un artiste pour le dessin et d’un graveur pour l’impression. Les revues populaires sont en mesure d’embaucher les meilleurs illustrateurs du moment. Certaines gravures sont en noir et blanc tandis que d’autres, de grande qualité, ont été coloriées à la main après leur impression. Les techniques d’impression s’améliorent elles aussi : les couleurs sont plus vives et les lignes plus précises.

Gravure en couleur d’une femme assise. Elle porte une longue jupe crème et un chandail vert avec des motifs ovales crème. Le chandail est ceinturé d’un foulard rouge. Elle porte également des chaussures à talons hauts vertes, un long collier de perles et des bagues aux doigts.

Robe d’intérieur, du Journal des dames et des modes (C-115396k)

De nombreuses gravures ont été retirées des magazines puis vendues séparément à des collectionneurs d’œuvres d’art et à d’autres acheteurs intéressés. C’est probablement de cette façon qu’elles se sont retrouvées intégrées à notre collection. La plupart des gravures ont été trouvées dans des collections de particuliers ou de créateurs de costumes.

Gravure en couleur de deux femmes debout dans un salon. L’une porte une robe bleue avec des ruches sur les manches et l’ourlet. L’autre porte une robe ornée de rayures noires et grises, avec une longue tournure et des ruches le long de l’ourlet.

Illustrirte Frauen-Zeitung [Journal illustré des femmes] (C-115400k)

Visitez l’album Flickr maintenant!


 

Un roman avec une âme (ou du moins une moitié!)

Par Kristen Ann Coulas

 À Bibliothèque et Archives Canada, une partie de notre travail consiste à rester au fait des grandes tendances dans le milieu de l’édition. Et parmi celles-ci, la publication au moyen du financement collectif (ou sociofinancement) est certainement l’une des plus intéressantes.

Même si ce procédé ne touche qu’une infime partie de l’industrie, il se démarque par son impressionnante valeur culturelle. En effet, les œuvres ainsi publiées ont déjà obtenu l’appui de leurs futurs lecteurs, et elles sont le résultat direct des efforts déployés par la communauté.

Diverses plateformes se consacrent au sociofinancement. L’une des plus connues est Kickstarter, un site Web qui héberge des projets dans une variété de domaines allant des arts à la technologie. Au moment d’écrire ces lignes, Kickstarter proposait au public un choix de plus de 44 000 projets de publication à financer un peu partout dans le monde. Kelly Chen, une auteure et artiste canadienne, y a eu recours.

Photo couleur de plusieurs piles du roman graphique Halfsoul.

Piles d’exemplaires du roman graphique Halfsoul. Source : Kelly Chen

Kelly avait déjà commencé à publier sur une plateforme de publication ouverte appelée Tapas, dont l’objectif est de rassembler une communauté virtuelle d’auteurs et de promouvoir leur travail. Les utilisateurs de Tapas peuvent publier et lire des œuvres gratuitement sur le site, et même laisser un pourboire aux auteurs s’ils le souhaitent.

C’est aussi sur Tapas que Kelly a publié sa bande dessinée Halfsoul. Pendant plus d’un an et demi, elle en a étoffé le contenu, pour finalement décider d’en faire un roman graphique, à paraître en quatre tomes. En mai 2018, elle a lancé un projet sur Kickstarter pour financer la publication du premier volume.

Un article publié en 2017 par la CBC (en anglais) et portant sur les projets canadiens financés par Kickstarter révèle que ceux qui sont axés sur les arts atteignent plus souvent leurs objectifs de financement. De tous les projets Kickstarter lancés au Canada entre 2010 et 2016, les bandes dessinées constituaient la deuxième catégorie la plus financée, avec une moyenne de 58,4 %. C’est un pourcentage élevé quand on sait qu’au total, à peine le tiers des projets obtiennent des fonds.

Bref, le sociofinancement est une formule gagnante pour les auteurs de romans illustrés, et la publication d’Halfsoul en est la preuve tangible.

Dessin noir et blanc de personnages du roman graphique Halfsoul.

Page du roman graphique Halfsoul. Source : Kelly Chen

Cette œuvre nous emmène dans les pas de quatre chasseurs de moitiés d’âmes (halfsoul en anglais), dans un monde où on peut échanger la moitié de son âme contre un vœu. Mais le prix à payer est élevé, les moitiés d’âmes étant méprisées par la société. L’auteure Kelly Chen s’est inspirée de son propre parcours pour nous faire réfléchir à la perte et à la reconstruction de notre identité. Elle explique que Halfsoul est une histoire sur la vulnérabilité, la maladie mentale et la guérison :

Mon roman se déroule dans un environnement fictif, peuplé de métaphores. J’avais toujours à l’esprit le thème de la santé mentale pendant que je l’écrivais. C’était important, pour moi, de ne pas faire « juste une autre histoire » sur les traumatismes, qui se termine tragiquement ou qui banalise les épreuves des gens. Je voulais absolument qu’il y ait une lueur d’espoir à la fin : la guérison est possible, et peut prendre différents visages. Cette histoire s’inspire de mon propre combat contre le trouble de stress post-traumatique, et j’espère qu’elle aidera d’autres personnes à surmonter leurs problèmes de santé mentale. [Traduction] 

En lançant sa campagne Kickstarter, Kelly espérait amasser 7 000 $ pour financer l’impression et la publication de 500 exemplaires de Halfsoul. En 29 jours seulement, elle avait dépassé son objectif. Cet enthousiasme démontre la pertinence et l’importance de l’œuvre sur le plan culturel. Ce n’est pas qu’un roman destiné à un public : c’est un roman demandé par un public. Une communauté dévouée s’est rassemblée autour de l’auteure, et c’est avec plaisir et enthousiasme que nous conserverons cette publication fascinante dans notre collection nationale.

Graphique circulaire, divisé en quatre pointes de tartes de différentes couleurs, montrant les dépenses liées à la campagne Kickstarter. Les quatre sections correspondent aux catégories suivantes : frais de Kickstarter, impression, expédition et autres rétributions.

Graphique illustrant la ventilation des frais liés à la campagne Kickstarter de Kelly Chen. Source : Kelly Chen


Kristen Ann Coulas est bibliothécaire aux acquisitions à Bibliothèque et Archives Canada.

Premiers ministres et grands lecteurs

Par Meaghan Scanlon

L’exposition Les premiers ministres et l’art : créateurs, collectionneurs et muses présentée par Bibliothèque et Archives Canada explore les liens que nos premiers ministres ont entretenus avec les arts, notamment à titre de collectionneurs et d’amateurs. On peut entre autres y découvrir la correspondance échangée entre sir Wilfrid Laurier et le peintre Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, admirer un tableau tiré de la collection personnelle de William Lyon Mackenzie King et lire une missive élogieuse adressée à l’artiste Alma Duncan par nul autre que John Diefenbaker.

L’exposition fait aussi une grande place aux bibliothèques personnelles des premiers ministres canadiens. Si vous avez lu quelques-unes de leurs biographies, vous aurez remarqué que ceux-ci ont un point en commun : leur passion pour la lecture. Une biographie d’Alexander Mackenzie (no OCLC 20920624) nous apprend que l’homme était un insatiable lecteur, et que les membres de sa famille passaient les soirées d’hiver :

« (…) assis autour du feu qui crépitait dans l’âtre, lisant et discutant joyeusement de sujets littéraires et d’auteurs, surtout de Shakespeare et Byron. La stimulation et la vie intellectuelle qu’on y retrouvait furent une excellente préparation à ses fonctions d’homme d’État. Tous ceux qui ont pu entendre M. Mackenzie ont remarqué qu’il pouvait facilement citer des poètes et des auteurs contemporains. Ses discours étaient de la haute voltige; ils supposaient toujours que ses auditeurs étaient bien instruits. » [Traduction]

Selon ses biographes, sir John A. Macdonald était lui aussi connu pour citer de grands auteurs dans ses discours. Joseph Pope (no OCLC 2886256) affirme qu’il était un lecteur « omnivore », lisant de tout, mais ayant une préférence pour les mémoires d’hommes politiques.

Sir Robert Borden, quant à lui, avait étudié les langues classiques. La Bibliothèque de livres rares Thomas-Fisher de l’Université de Toronto conserve quelques anciens ouvrages grecs et latins lui ayant appartenu et comportant son ex-libris. On y retrouve notamment une édition des écrits de Cicéron publiée en 1725 et prêtée à Bibliothèque et Archives Canada pour l’exposition.

Mackenzie King, pour sa part, commentait régulièrement ses nombreuses lectures dans son journal intime. Nous conservons une bonne partie de sa bibliothèque personnelle dans notre collection; on peut également en admirer une partie dans son bureau de la maison Laurier.

Bien entendu, chaque premier ministre avait des livres et des auteurs préférés. Macdonald était un fervent amateur des romans d’Anthony Trollope, et Mackenzie King admirait Matthew Arnold au point de se procurer les mêmes livres que ce poète.

Livre ouvert montrant l’intérieur de la page couverture. Collé sur le côté gauche, on aperçoit l’ex-libris de Matthew Arnold. La page de droite est vierge et retenue par un poids.

Ex-libris de Matthew Arnold à l’intérieur de la page couverture de la Sainte Bible (Oxford, Clarendon Press, 1828) conservée dans la collection de livres de la bibliothèque de William Lyon Mackenzie King (no OCLC 1007776528). Source : Bibliothèque et Archives Canada

Arthur Meighen était particulièrement attaché à l’œuvre de William Shakespeare, pouvant en réciter de longs passages de mémoire. En 1934, alors qu’il naviguait vers l’Australie, il composa un discours sur le célèbre écrivain, intitulé « The Greatest Englishman of History » (Le plus grand Anglais de tous les temps). Il l’apprit par cœur et le prononça à quelques reprises, notamment au Canadian Club de Toronto, en février 1936, où sa prestation fut enregistrée. L’allocution fut ensuite offerte sur disque vinyle (no OCLC 981934627), faisant de Meighen le premier premier ministre canadien à lancer un album.

Disque vinyle noir de 12 pouces (30 cm) avec étiquette jaune.

Photo du disque vinyle d’Arthur Meighen, « The Greatest Englishman of History » (Le plus grand Anglais de tous les temps). (OCLC 270719760) Source : Bibliothèque et Archives Canada

Vous pouvez entendre un extrait de ce discours dans le balado de Bibliothèque et Archives Canada intitulé « Les premiers ministres et l’art ».

L’exposition Les premiers ministres et l’art : créateurs, collectionneurs et muses est à l’affiche au 395, rue Wellington, à Ottawa, jusqu’au 3 décembre 2019.


Meaghan Scanlon est bibliothécaire principale des collections spéciales à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Alors, vous publiez un livre…

Par Liane Belway

Des rangées de livres aux couvertures multicolores, prêts à être traités, reposent sur des étagères en métal gris.

L’équipe du dépôt légal traite tous les genres de livres publiés au Canada. Photo : Tom Thompson

Quand vous publiez un livre, saviez-vous qu’une des premières choses à faire est de le déposer à Bibliothèque et Archives Canada (BAC)? Notre programme de dépôt légal existe depuis plusieurs décennies, et les éditeurs de partout au pays nous envoient leurs publications pour qu’elles soient intégrées à notre collection. De renommée internationale, celle-ci contien les publications canadiennes, que nous acquérons et préservons pour les générations futures.

Cela dit, l’une des questions que les nouveaux éditeurs nous posent le plus souvent, c’est : « Suis-je obligé de déposer mes publications à BAC? »

Si vous avez récemment publié un ouvrage papier au Canada et que vous ne savez pas comment procéder, notre nouvelle page Web sur le dépôt de publications imprimées vous guidera dans votre démarche. La procédure à suivre est différente pour le dépôt de publications numériques (ces dernières devant aussi être déposées dès leur parution). Bien sûr, le personnel de BAC se fera un plaisir de répondre à vos questions.

Vous publiez un ouvrage à la fois en version papier et numérique, et vous vous demandez quelle version déposer? La réponse est simple : les deux! Les éditeurs doivent déposer leurs publications dans chacune des versions qu’ils mettent à la disposition du public. Compte tenu de l’évolution de l’industrie canadienne de l’édition, c’est de plus en plus important. En effet, si la plupart des publications canadiennes sont encore produites en version imprimée, un nombre croissant de titres sont aussi offerts sur support numérique. Un petit nombre d’éditeurs publient même des ouvrages exclusivement en version numérique!

De plus, on remarque une nouvelle tendance consistant à publier ultérieurement, sur support papier, des œuvres publiées à l’origine en version numérique. Ainsi, la plateforme d’édition numérique Wattpad Books de Toronto a l’intention de publier certains titres populaires sur papier (en anglais) dès cet automne, en partenariat avec le distributeur Raincoast Books de Vancouver. Et les amateurs de Harry Potter sont bien placés pour savoir que Raincoast Books a la réputation de publier des livres très appréciés par les Canadiens!

Des rangées de livres aux couvertures multicolores, prêts à être traités, reposent sur des étagères en métal gris.

L’équipe du dépôt légal traite tous les genres de livres publiés au Canada. Photo : Tom Thompson

Pour savoir comment contribuer à enrichir notre collection nationale, ou encore qui doit déposer ses publications à BAC, quelles publications sont visées et combien d’exemplaires sont requis, consultez la nouvelle page Web de BAC sur le dépôt légal.

N’hésitez pas à nous contacter pour toute question relative au programme de dépôt légal de BAC.


Liane Belway est bibliothécaire à la section des acquisitions du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada

C’est une question de point de vue

Par Kristen Ann Coulas

Pour paraphraser l’héroïne d’Aminata, roman primé de Lawrence Hill, on sollicite rarement notre imagination pour essayer de comprendre les autres. La plupart d’entre nous seront sans doute d’accord : même quand on tente de se mettre dans la peau d’autrui, il est difficile de saisir des concepts que l’on ne connaît pas ou ne comprend pas. C’est pourquoi il est si important d’avoir une littérature riche alimentée par des auteurs de tous horizons.

La magie qui opère quand on se plonge dans leurs univers change notre point de vue sur le monde. Tout à coup, on voit les choses en profondeur et les nuances se multiplient. Élargir sa vision du monde, c’est s’enrichir soi-même, devenir de meilleurs amis et de meilleurs voisins.

Voici quelques œuvres récentes d’auteurs qui ont ajouté leur voix au catalogue collectif national.

Essai

I’ve Been Meaning to Tell You: A Letter to My Daughter, David John Chariandy

ISBN : 978-0-771018-07-7

https://bac-lac.on.worldcat.org/oclc/1027055103

https://bac-lac.on.worldcat.org/oclc/1027055103?lang=fr

Fils d’immigrants noire et sud-asiatique de Trinité, David Chariandy laisse de côté les récits qui lui ont valu plusieurs prix pour se pencher sur son histoire personnelle et ancestrale. Dans cet essai touchant qu’il dédie à sa fille, l’auteur parle de ce qu’il fait pour rester fidèle à son identité culturelle et la cultiver tout en vivant au Canada.

A Mind Spread Out on the Ground, Alicia Elliott

ISBN : 978-0-385692-38-0

Audacieuse, l’auteure tuscarora Alicia Elliott ouvre son cœur et met au jour des détails intimes de sa propre vie et de son expérience des traumatismes intergénérationnels pour livrer un point de vue qui lui est propre dans le livre A Mind Spread Out on the Ground. Elle examine la vie sous toutes ses facettes, prenant de front les questions difficiles et des sujets comme l’héritage du colonialisme.

Forgiveness, Mark Sakamoto

ISBN : 978-1-443417-97-6

L’auteur invite les lecteurs à découvrir le passé de sa famille, de l’expérience de son grand-père, qui fut un prisonnier de guerre canadien par l’armée japonaise, à celle de sa grand-mère, qui vécut l’internement des Canadiens d’origine japonaise par le gouvernement du Canada durant la Deuxième Guerre mondiale. Il y découvre un fil conducteur, le pardon, dont il retrace le parcours jusqu’à sa propre vie. Gagnant d’un Combat des livres en 2018, Forgiveness est une histoire familiale décryptée.

Étienne Boulay : le parcours d’un battant, Marc-André Chabot

ISBN : 978-2-764812-82-2

Cette œuvre récente de Marc-André Chabot décrit le tortueux combat de son ami Étienne Boulay contre la dépendance. Mais loin de se focaliser sur la toxicomanie, le livre jette un regard franc sur la manière dont la vie de cet ami a façonné l’homme qu’il est devenu, montrant au passage l’importance de pouvoir compter sur une équipe solide.

Poésie

heft, Doyali Islam

ISBN : 978-0-771005-59-6

À la fois lyrique et novateur, heft, deuxième recueil de la poète primée Doyali Islam, comprend des œuvres conçues dans le style de « poésie parallèle » qui lui est propre. Les poèmes ont notamment été publiés dans la Kenyon Review Online et The Fiddlehead, et certains d’entre eux ont remporté des concours et des prix d’envergure nationale.

This Wound is a World, Billy-Ray Belcourt

ISBN : 978-1-927823-64-4

Lauréat de plusieurs prix, le poète Billy-Ray Belcourt figurait en 2016 sur la liste des auteurs autochtones à surveiller de CBC Books. Ce recueil éblouissant aborde avec brio les thèmes de l’identité queer, du désir et de la survivance. En 2018, This Wound is a World a remporté le prix Griffin pour la poésie et le prix littéraire Robert-Kroetsch de la ville d’Edmonton.

Fiction

Things Are Good Now, Djamila Ibrahim

ISBN : 978-1-487001-88-9

Things are Good Now est le premier recueil de nouvelles de Djamila Ibrahim, auteure d’origine éthiopienne arrivée au Canada en 1990. Elle y explore des thèmes comme le remords, la race, l’espoir, l’amitié, les relations humaines et le pouvoir de la mémoire, tout cela à travers la lunette de l’immigration. Chacune des histoires du recueil, aussi enlevantes que poignantes, dégage une authenticité qui fait douter de sa nature fictionnelle.

Saints and Misfits, S. K. Ali

ISBN : 978-1-481499-24-8

Saints and Misfits est l’émouvant récit d’une jeune musulmane et de son passage à l’âge adulte. Ce roman pour jeunes adultes s’attaque à des problèmes bien concrets et difficiles : agression sexuelle et abus de pouvoir s’y mêlent à l’exploration des thèmes de l’anxiété et de l’identité à l’adolescence. Respirant l’espoir et le dévouement, le premier roman de S. K. Ali mérite amplement la place qu’il a occupée sur la liste préliminaire du Combat des livres en 2018.

Thelma, Louise et moi, Martine Delvaux

ISBN : 978-2-924666-55-5

Dans ce saisissant portrait du féminisme, Martine Delvaux se penche sur l’influence du film Thelma et Louise. Elle explore l’évolution de sa propre perspective sur l’œuvre en racontant des anecdotes du film et en dévoilant ses réflexions personnelles. Thelma, Louise et moi nous rappelle l’importance de s’affirmer face à une société qui est toujours là pour nous faire douter de nous-mêmes.

Jeunesse

Takannaaluk, Herve Paniaq, illustrations de Germaine Arnaktauyok

ISBN : 978-1-772271-81-2

Ce magnifique album raconte les origines de Takannaaluk, mère des mammifères marins et plus importante figure de la mythologie inuite. La verve saisissante d’Herve Paniaq, aîné respecté, s’anime à travers les illustrations de la célèbre artiste inuite Germaine Arnaktauyok.

Visitez une bibliothèque près de chez vous pour emprunter ces livres, ou consultez le nouveau catalogue de Bibliothèque et Archives Canada, Aurora.


Kristen Ann Coulas est bibliothécaire responsable des acquisitions à Bibliothèque et Archives Canada

Voix maritimes : Alistair MacLeod

Par Leah Rae

À environ 360 kilomètres du centre-ville d’Halifax, sur la côte ouest de l’île du Cap-Breton, se trouve la petite collectivité de Dunvegan. Trop petite pour être une ville, Dunvegan est un carrefour sur la route entre Inverness et Margaree Harbour. C’est ici, dans une petite cabane construite à la main et surplombant l’océan Atlantique (avec vue sur l’Île-du-Prince-Édouard, au loin), que l’écrivain Alistair MacLeod passait ses vacances d’été. C’est dans cette cabane qu’il a écrit quelques-unes des plus grandes nouvelles en langue anglaise et son seul et unique roman, No Great Mischief.

Une première page manuscrite de The Boat.

Page couverture du manuscrit de la nouvelle The Boat, par Alistair MacLeod. © Succession d’Alistair MacLeod

Comme bien d’autres résidents de l’île du Cap-Breton, Alistair MacLeod a passé sa jeunesse à travailler comme mineur et bûcheron. Ses revenus lui ont permis de payer ses études et d’obtenir son diplôme de premier cycle et son diplôme d’enseignement de l’Université Saint-Francis-Xavier à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. M. MacLeod a fait carrière comme professeur d’anglais et de création littéraire à l’Université de Windsor, en Ontario. Entre les exigences d’un poste de professeur à temps plein et celles liées à son rôle de père de six enfants, il trouvait difficile de consacrer du temps à l’écriture pendant l’année scolaire. Toutefois, les vacances d’été lui donnaient l’occasion de retourner avec sa famille à la maison familiale de Dunvegan (nommée en l’honneur de Dun Bheagan sur l’île de Skye, en Écosse), où il avait tout le loisir de se concentrer sur ses écrits. Le travail de M. MacLeod portait sur les luttes quotidiennes des résidents de l’île du Cap-Breton. Ce qui donne à l’écriture d’Alistair MacLeod son pouvoir et sa majesté, c’est son lyrisme : l’écrivain lisait souvent son travail à voix haute afin de parfaire la cadence de chaque ligne. C’était un écrivain lent et méthodique qui examinait attentivement chaque mot. Bien qu’il ait produit un très petit nombre d’œuvres au cours de sa vie, la qualité de son travail est exceptionnelle.

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a la chance d’être le dépositaire du fonds Alistair MacLeod. Au début des années 2000, BAC a acquis environ 4,5 mètres de matériel (textuel et graphique) créé par Alistair MacLeod en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Le matériel couvre toute sa carrière d’écrivain et d’enseignant. Le fonds comprend des manuscrits, de la correspondance, des essais, des notes de thèse, des coupures de presse, des photos d’Alistair MacLeod, et plus encore.

Photographie en noir et blanc d’un homme debout devant un bâtiment. Une falaise et un littoral spectaculaires sont visibles en arrière-plan.

Alistair MacLeod assis dans une cabane. Photo prise par Chuck Clark (e011213686)

L’examen des manuscrits originaux d’Alistair MacLeod nous donne un aperçu fascinant de son processus d’écriture. Dans le milieu littéraire canadien, il était reconnu comme un perfectionniste, et cela se voit dans ses manuscrits. La première version de sa nouvelle The Boat est rédigée à la main dans un livret d’examen de l’Université Notre Dame, où il a obtenu son doctorat. La version publiée du premier paragraphe de cette nouvelle — peut-être l’un des plus beaux paragraphes de la littérature anglaise — est presque identique à la version préliminaire de l’auteur.

Alistair MacLeod a continué d’écrire à la main tout au long de sa carrière (de nos jours, une pratique sans doute perçue comme étant très rétrograde par de nombreux écrivains!). Il a aussi écrit à la main une partie du manuscrit pour son roman No Great Mischief. Il est tout à fait inusité de voir une œuvre de ce calibre écrite à la main plutôt que sous forme de mots dactylographiés sur une page, comme nous sommes habitués à le voir de nos jours. Cela donne une impression très personnelle d’Alistair MacLeod travaillant avec diligence pendant ses quelques précieuses heures de temps libre, admirant les magnifiques falaises du cap Breton qui surplombent la mer.


Leah Rae est archiviste à la Division des services régionaux et de l’AIPRP de Bibliothèque et Archives Canada, à Halifax.

Œuvres de jeunesse dans les archives : une lecture des premiers écrits de Jane Urquhart

Par Sara Viinalass-Smith

Les œuvres de jeunesse d’un auteur offrent un aperçu unique de ses premières influences ainsi que de l’évolution de son style d’écriture. Pour de nombreuses raisons, les chercheurs s’aperçoivent souvent qu’il n’existe aucune œuvre de jeunesse dans les archives d’un auteur. Malheureusement, au fil du temps, ces œuvres sont souvent perdues, retirées ou même détruites.

Parmi les exemples de célèbres œuvres de jeunesse perdues, notons les premiers écrits d’Ernest Hemingway. À l’âge de 23 ans, Hemingway se fait voler une valise remplie de ses premières ébauches et de leurs copies au carbone dans une gare ferroviaire. Il ne reste de ses œuvres de jeunesse que quelques nouvelles, un poème et des copies au carbone d’articles.

Pour ce qui est de Truman Capote, ses œuvres de jeunesse « perdues » n’étaient pas du tout perdues. À sa mort, ses travaux, dont plusieurs nouvelles rédigées pendant son adolescence et au début de la vingtaine, ont été donnés à la Bibliothèque publique de New York. En 2013, un chercheur a trouvé ces histoires. En 2015, elles ont été publiées dans The Early Stories of Truman Capote (Random House) et décrites comme étant des textes récemment découverts. Toutefois, la Division des manuscrits et des archives de la Bibliothèque publique de New York a tôt fait de rappeler la distinction entre des œuvres non découvertes et des œuvres non publiées dans les médias. Bien que les histoires n’avaient pas nécessairement été imprimées, elles avaient été cataloguées et pouvaient être consultées par n’importe qui.

Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles des premiers écrits ne sont pas archivés. Bibliothèque et Archives Canada a cependant la chance d’avoir de diverses œuvres de jeunesse dans sa collection d’archives. Le fonds de Jane Urquhart comprend d’ailleurs un exemple très spécial.

La célèbre auteure des œuvres The Underpainter et The Stone Carvers manifeste rapidement un intérêt pour les activités créatives. À un très jeune âge, Urquhart (née Carter) aime déjà essayer différents styles littéraires et étudie le théâtre. Encore jeune fille, dans les années 1950, elle aime beaucoup les livres de Lucy Maud Montgomery et elle adapte le roman Anne… la maison aux pignons verts en pièce de théâtre.

Un carnet comprenant une adaptation pour le théâtre écrite au crayon d’Anne... la maison aux pignons verts.

Une page du carnet de Jane Urquhart intitulé « Anne of Green Gables [Anne… la maison aux pignons verts] » (e011202224)

Rédigée dans un carnet bleu Hilroy – cet article scolaire emblématique des écoles primaires pendant des décennies – la pièce de théâtre d’Urquhart commence avec une scène connue : Matthew Cuthbert et Anne Shirley, dans ce qu’Urquhart décrit comme une voiture de scène, se dirigent vers la maison aux pignons verts pour la première fois. Bien que le scénario ne couvre qu’une petite partie du roman de Lucy Maud Montgomery, on y décèle rapidement les intérêts de lecture et le style d’écriture de la jeune Urquhart. Même à un si jeune âge, Urquhart respecte les conventions de rédaction de scénarios : elle commence par décrire le décor, puis assigne le dialogue aux interlocuteurs. Elle savait peut-être comment rédiger un scénario en raison de son intérêt pour le théâtre. Quelques années après la rédaction de son adaptation d’Anne… la maison aux pignons verts, Urquhart devient membre d’un atelier de dramaturgie dirigé par Dora Mavor Moore, pionnière canadienne du monde du théâtre.

Pourquoi cette œuvre de jeunesse est-elle si importante? Elle nous aide à comprendre à quel point Lucy Maud Montgomery et ses livres ont influencé Urquhart. Les romans de Montgomery sont toujours lus partout dans le monde, plus d’un siècle après la publication originale d’Anne… la maison aux pignons verts. Comme de nombreuses filles et de nombreux garçons, Urquhart a découvert les livres de Montgomery pendant son enfance. Urquhart, toutefois, a eu l’occasion unique d’explorer la vie et les romans de Montgomery à l’âge adulte. En effet, elle a livré ses impressions à l’égard de ces livres et de leur auteure dans une biographie rédigée pour la série Canadiens extraordinaires de Penguin Canada. L. M. Montgomery a été publié en 2009. Dans cet ouvrage, Urquhart étudie l’auteure et la femme qu’est Lucy Maud Montgomery. Elle y décrit les épreuves d’une auteure couronnée de succès sur le plan commercial, mais ignorée des critiques littéraires. Ces derniers décrivaient son écriture comme sentimentale et peu intellectuelle, insultes encore lancées à des auteures canadiennes – dont Carol Shields – des décennies plus tard. La section la plus personnelle de cette biographie est probablement le dernier chapitre, « Her Reader [Sa lectrice] ». Urquhart y dépeint la découverte d’Anne Shirley par une fille de 11 ans dans les années 1920, une expérience qui la poussa à écrire. Cette jeune fille, Marian, est la mère de Jane Urquhart. C’est ce même exemplaire du premier roman de Montgomery qu’Urquhart a lu lorsqu’elle était jeune, découvrant son inspiration pour un de ses tout premiers efforts littéraires.

Cette œuvre de jeunesse, et d’autres ouvrages semblables, se trouvent dans les fonds de la collection des archives littéraires, que vous pouvez consulter sur le site Web de BAC.


Sara Viinalas-Smith est archiviste littéraire (langue anglaise) à la Division des archives privées de la vie sociale et de la culture de Bibliothèque et Archives Canada.

Tiré de la collection Lowy : la bible de Rebecca

Par Michael Kent

J’adore travailler avec des livres rares, notamment parce que ces ouvrages me permettent souvent d’explorer des volets de l’histoire allant au-delà de l’imprimé. Le Lévitique, publié par Lion Soesmans en 1786, en est un bon exemple. En effet, l’exemplaire de cet ouvrage qui se trouve aujourd’hui dans la collection Jacob M. Lowy est unique, en raison de la signature apposée par l’une de ses anciennes propriétaires : Rebecca Gratz (1781-1869).

Photo couleur de la page titre d’une bible, montrant le troisième livre de Moïse.

La bible de Rebecca (AMICUS 45161685)

Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Rebecca Gratz. Toutefois, vous connaissez probablement le célèbre personnage fictif Rebecca de York, héroïne du roman de 1819 de Walter Scott, Ivanhoé. Ouvrage de fiction historique, ce roman a inspiré les illustrations populaires de Robin des Bois, du frère Tuck, du roi Richard et du prince Jean. Rebecca, une beauté aux cheveux foncés et le personnage féminin principal du roman, est guérisseuse. Convoitée par les hommes, kidnappée, puis accusée de sorcellerie, elle réussit à s’enfuir d’Angleterre. Dans le monde de la fiction, Rebecca de York demeure une inspiration pour les femmes juives.

Selon bon nombre de spécialistes, bien que cela ne fasse pas l’unanimité, Rebecca Gratz aurait été une source d’inspiration pour Scott lorsqu’il a créé son héroïne fictive Rebecca de York. Selon la légende, Scott aurait entendu parler de Gratz alors qu’il visitait son ami, l’auteur américain Washington Irving, à sa résidence d’Abbotsford, en Écosse, en 1817. Irving avait apparemment beaucoup d’admiration pour Gratz et il aurait transmis cette information à Scott.

Le personnage fictif de Rebecca, sans aucun doute inspirant, n’est rien en comparaison de la vraie Rebecca. Née en 1781 à Lancaster, en Pennsylvanie, Rebecca Gratz déménage à Philadelphie pendant son enfance avec sa famille qui se taille une place de choix dans cette ville, tant au sein de la communauté juive que de la société en général.

Dès son jeune âge, Rebecca devient une figure de proue des activités philanthropiques et communautaires. À l’âge de 20 ans, elle participe à la fondation d’une organisation féminine charitable non sectaire visant à soulager les femmes et les enfants défavorisés. En 1815, elle contribue à la mise sur pied d’un orphelinat à Philadelphie, le Philadelphia Orphan Asylum; ce sera l’une de ses grandes initiatives dans la lutte à la pauvreté.

Peinture noir et blanc d’une jeune femme portant des vêtements d’époque à la mode.

Portrait de Rebecca Gratz, par Thomas Sully. Avec l’aimable autorisation de The Jacob Rader Marcus Center of the American Jewish Archives.

Rebecca Gratz participe activement aux activités d’organismes de bienfaisance juifs. En 1819, elle prend part à l’organisation de la Female Hebrew Benevolent Society, actuellement l’organisme de bienfaisance juif à fonctionnement continu le plus ancien des États-Unis. L’organisme avait pour but d’aider les femmes juives défavorisées. Tout en demeurant indépendant des synagogues, il tentait également de contrer les efforts déployés par des organismes chrétiens en vue de convertir les Juives dans le besoin. En 1855, Gratz poursuit sa quête dans la lutte à la pauvreté alors qu’elle participe à la mise sur pied de la Jewish Foster Home and Orphan Asylum, un foyer d’accueil et orphelinat pour Juifs. Cet organisme deviendra un modèle pour les foyers d’accueil aux États-Unis. Rebecca Gratz joue aussi un rôle dans l’United Hebrew Beneficent Fuel Society et la Hebrew Ladies’ Sewing Society.

L’une de ses plus importantes réalisations dans la communauté juive est sans aucun doute liée au secteur de l’éducation. En 1838, elle fonde la Hebrew Sunday School Society grâce à l’aide financière de la Female Hebrew Benevolent Society. S’inspirant des écoles du dimanche, Gratz offre gratuitement dans son école une éducation juive aux enfants juifs de Philadelphie. L’école permet aussi aux filles d’obtenir une éducation juive, une première aux États-Unis. Le modèle de Gratz existe toujours aujourd’hui dans les écoles juives facultatives du Canada et des États-Unis.

Ce qui est peut-être encore plus impressionnant, c’est que Gratz a accompli toutes ces activités de bienfaisance en élevant l’enfant orphelin de sa sœur Rachel.

Lorsqu’on connaît sa vie, il n’est pas étonnant d’apprendre que Rebecca Gratz a été comparée à Mère Teresa.

Que Gratz ait vraiment inspiré Scott ou non, ces deux femmes inspirantes – l’une réelle et l’autre fictive – ont fait preuve d’un engagement extraordinaire à servir leur communauté. Dans le roman Ivanhoé de Scott, le personnage fictif de Rebecca exprime cette opinion avant de fuir l’Angleterre, parlant d’elle à la troisième personne : « […] depuis le temps d’Abraham jusqu’à nos jours, il y a eu des femmes qui ont voué leurs pensées au Ciel et leurs actions aux œuvres de charité, soignant les malades, nourrissant les pauvres et soulageant les malheureux. C’est parmi elles que l’on comptera Rebecca » [traduction].

Je ne peux m’empêcher d’être ému en manipulant cette bible historique et en pensant à son ancienne propriétaire ainsi qu’à son legs, absolument remarquable.

Lien connexe


Michael Kent est conservateur de la collection Jacob M. Lowy à Bibliothèque et Archives Canada.