Servir malgré la ségrégation : 2e Bataillon de construction

Par Andrew Horrall

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) détient la plus grande collection de documents sur le 2e Bataillon de construction, une unité ségrégée du Corps expéditionnaire canadien (CEC). Ils veulent alors se battre, mais les attitudes racistes des dirigeants politiques et militaires – ainsi que de la société en général – les empêchent de servir en première ligne. Au lieu de cela, le 2e Bataillon de construction est affecté au Corps forestier canadien. Les hommes passent la guerre dans les Alpes françaises, où ils abattent des arbres, transforment des troncs bruts en bois fini et transportent le bois jusqu’au chemin de fer. À l’époque, le travail est vital, puisque d’énormes quantités de bois sont nécessaires pour construire et renforcer les défenses de première ligne, mais il est loin du type de service que les hommes avaient espéré.

Dessin noir et blanc d’un insigne en forme de bouclier. Au sommet se trouvent une couronne royale et une bannière indiquant « Canada Overseas ». En dessous se trouvent les mots « No. 2 » au-dessus d’une autre bannière avec le mot « Construction ». Des feuilles d’érable ornent les côtés de l’insigne. Un pont en bois sous la couronne et un outil sous la deuxième bannière symbolisent que les membres de l’unité étaient des bâtisseurs.

Le badge de casquette du 2e Bataillon de construction (e011395922)

Dossiers de service du Corps expéditionnaire canadien – Les membres sont identifiés par la mention « No. 2 Construction Battalion » (2e Bataillon de construction) dans le champ Unité de la base de données. Les dossiers de service de plus de 800 militaires donnent la 2e Compagnie de construction comme unité. Cependant, bon nombre de ces hommes ont plutôt servi au sein d’autres unités du Corps expéditionnaire canadien. Les raisons expliquant les écarts entre les dossiers du personnel et ceux des unités ne sont pas claires. Il est possible que des besoins pressants aient forcé les autorités militaires canadiennes à envoyer des hommes dans d’autres unités, même si elles avaient l’intention de les affecter à la 2e Compagnie de construction au départ. Il est également possible que la guerre se soit terminée avant que certains hommes n’aient le temps de se joindre à la compagnie.

C’est en juillet 1916 que l’unité est mobilisée à Truro, en Nouvelle-Écosse. Elle recrute alors dans les communautés noires établies dans les Maritimes et le sud-ouest de l’Ontario, ainsi qu’ailleurs au Canada, dans les Caraïbes et aux États-Unis. Au moins deux membres viennent de beaucoup plus loin, soit Cowasjee Karachi (matricule 931759), originaire de l’actuel Yémen, et Valdo Schita (matricule 931643), né près de Johannesburg, en Afrique du Sud.

Photo noir et blanc montrant 21 soldats posant en toute décontraction, en plein air, assis ou debout sur une pile de longues planches de bois. Huit des hommes semblent porter des uniformes russes, et les autres – dont deux Noirs – sont des Canadiens.

Le lieutenant F. N.  Ritchie, le lieutenant Courtney et quelques-uns des hommes enrôlés du Corps forestier canadien en France. Il s’agit de la seule photo de l’unité conservée dans la collection à BAC (a022752).

Si l’unité est composée d’hommes noirs, les officiers sont Blancs, à l’exception de l’aumônier, le capitaine William « Andrew » White.

L’unité est désignée à la fois par les termes « bataillon » et « compagnie » dans les documents d’archives et les sources publiées. Créée à l’origine comme un bataillon dans le Corps expéditionnaire canadien, elle est composée d’environ 1 000 hommes. Lorsque seulement quelque 600 hommes arrivent en Angleterre en 1917, les autorités militaires la renomme « compagnie », ce qui reflète mieux sa taille.

L’unité rentre au Canada à la fin de la guerre et est officiellement dissoute en septembre 1920. Au fil du temps, l’histoire du 2e Bataillon de construction s’estompe jusqu’à ce que les familles, les membres de la communauté et les historiens commencent à la faire renaître au début des années 1980. Il ne reste alors plus qu’une poignée de membres survivants.

Note sur les termes utilisés dans les documents

De nombreux documents relatifs à la 2e Compagnie de construction contiennent des termes qui étaient couramment utilisés pendant la Première Guerre mondiale, mais qui ne sont plus acceptables aujourd’hui. BAC a remplacé ces termes dans les descriptions, mais on les trouve encore dans de nombreux documents originaux. L’utilisation de ces termes par les autorités militaires est une preuve du racisme subi par les hommes de l’unité.


Andrew Horrall, archiviste à Bibliothèque et Archives Canada, a rédigé le billet de blogue. Il a aussi recensé les documents relatifs au 2e Bataillon de construction, avec l’aide d’Alexander Comber et de Mary Margaret Johnston-Miller.

Le 100e anniversaire du légendaire Bluenose

Par Valerie Casbourn

L’année 2021 marque le 100e anniversaire des premiers exploits de course du Bluenose, la légendaire goélette de pêche de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse. Mis à l’eau en mars 1921, ce voilier a remporté l’International Fishermen’s Cup Race en octobre suivant, gagnant les cœurs et marquant les esprits des gens de la Nouvelle-Écosse et d’ailleurs. Pas étonnant que cette remarquable goélette soit rapidement devenue un symbole canadien reconnu.

La première édition de l’International Fishermen’s Cup Race a lieu à l’automne 1920; le trophée remis au vainqueur est un don du Halifax Herald. Pour concourir, les embarcations doivent être des goélettes de pêche en activité, ayant à leur actif au moins une saison de pêche dans les Grands Bancs. Les courses éliminatoires pour déterminer le concurrent de chaque pays se déroulent au large d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, et de Gloucester, au Massachusetts. Les deux finalistes s’affrontent ensuite dans un deux de trois pour le trophée. Le concurrent américain, l’Esperanto, file avec la victoire.

Un groupe de la Nouvelle-Écosse riposte en construisant une nouvelle goélette, baptisée d’après le surnom de longue date des Néo-Écossais, « Bluenosers ». Un architecte naval de la province, William Roué, conçoit le Bluenose afin d’en faire un voilier à la fois rapide pour la course et pratique pour la pêche. Celui-ci est construit sur le chantier naval Smith and Rhuland, à Lunenburg. Et le 26 mars 1921, devant une foule enthousiaste, il est mis à l’eau.

Photo noir et blanc de la goélette Bluenose à la ligne d’arrivée d’une course.

La goélette Bluenose traversant la ligne d’arrivée, W. R. MacAskill, 1921. (PA-030802)

Le 15 avril 1921, le Bluenose est inscrit au registre d’immatriculation des bâtiments de Lunenburg, où sont consignés le propriétaire, le type, les dimensions et le moyen de propulsion des embarcations. Bibliothèque et Archives Canada conserve des archives de ports d’immatriculation de partout au pays. Bon nombre d’anciens documents sont indexés dans la base de données « Immatriculation des navires (1787-1966); on y trouve le célèbre Bluenose de Lunenburg (1921) ainsi que six autres navires portant le même nom.

Certains registres plus anciens sont accessibles sur bobines de microfilms numérisées, sur le site d’une organisation partenaire, Canadiana Héritage. L’inscription du Bluenose se trouve à la page 34 du registre d’immatriculation des bâtiments de Lunenburg de 1919 à 1926 (RG42, volume 1612 [anciennement volume 399]), dont une copie numérisée figure sur la bobine de microfilm C-2441 (en anglais). Le Bluenose avait pour numéro officiel le 150404, et son propriétaire inscrit était la Bluenose Schooner Company Limited de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse.

Deux pages montrant l’inscription du Bluenose dans le registre d’immatriculation des bâtiments de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse.

Page d’inscription du Bluenose datant de 1921, dans les archives du registre d’immatriculation des bâtiments de Lunenburg, Nouvelle-Écosse. (Bobine C-2441, image 615; RG42, volume 1612 [anciennement volume 399], page 34, en anglais)

Le Bluenose prend le large pour sa première saison de pêche, dirigé par le capitaine Angus Walters et son équipage. Puis, en octobre 1921, il s’inscrit à la deuxième édition de l’International Fishermen’s Cup Race. (Une description de la course se trouve dans le rapport annuel 1921-1922 de la Direction de la pêche du ministère de la Marine et des Pêcheries.)

Le Bluenose remporte les éliminatoires, devenant ainsi le concurrent canadien. À deux reprises, il se mesure ensuite à la goélette américaine Elsie, gagnant chaque fois. Les courses se déroulent au large d’Halifax, le samedi 22 octobre et le lundi 24 octobre, suscitant un vif intérêt et attirant de nombreux visiteurs (documents parlementaires du Dominion du Canada, 1923, volume 59, numéro 6, document parlementaire numéro 29, page 38, en anglais). Le rapport annuel décrit ainsi la deuxième et dernière course :

Lors de la deuxième course, le lundi 24 octobre, l’Elsie a encore une fois été le premier à franchir la ligne de départ, à 9 h 00 et 32 secondes, suivi du Bluenose, à 9 h 01 et 52 secondes. Pendant près de trois heures, la goélette de Gloucester a été talonnée par celle de Lunenburg, mais le Bluenose a montré de quoi il est capable au retour, franchissant la ligne d’arrivée à 14 h 21 et 41 secondes, soit dix minutes avant l’Elsie.

Les courses ont attiré énormément de spectateurs, et mèneront sans aucun doute à la conception de goélettes bien adaptées à la pêche aux poissons d’eau salée et d’eau douce. [Traduction]

Photo noir et blanc de voiliers au départ d’une course.

Début de la course éliminatoire, W. R. MacAskill, 1921. (PA-030801)

La victoire du Bluenose insuffle une profonde fierté et un grand intérêt en Nouvelle-Écosse, des sentiments qui font rapidement boule de neige au-delà des frontières de la province. L’année suivante, l’International Fishermen’s Cup Race se déroule au large de Gloucester, au Massachusetts. Le Bluenose y participe, accompagné d’une délégation de la Nouvelle-Écosse. Le gouvernement du Canada y envoie également un représentant, George Kyte, député de Cap-Breton-Sud et de Richmond, escorté du NCSM Patriot. Le premier ministre Mackenzie King avait écrit à Kyte le 23 septembre 1922 pour lui annoncer la nouvelle, une décision entérinée par un décret du Conseil privé. (PC 1922-1937)

Page du décret PC 1922-1937 du Conseil privé datée du 21 septembre 1922.

Décret PC 1922-1937 du Conseil privé nommant George Kyte (député de Cap-Breton-Sud et de Richmond) représentant du gouvernement du Canada à l’International Fishermen’s Cup Race de 1922. (Bobine C-2246, image 211; MG26-J1, volume 75, page 64113, en anglais)

 

Le Bluenose remporte de nouveau l’International Fishermen’s Cup Race en 1922. Il concourt dans les trois éditions suivantes, soit en 1923, 1931 et 1938, et sa renommée ne cesse de grandir.

En 1928, le ministère des Postes commence à représenter des éléments canadiens sur les timbres réguliers. Le Bluenose est alors choisi pour représenter la pêche, la construction navale et le matelotage de la Nouvelle-Écosse. Le 6 janvier 1929, moins de dix ans après la mise à l’eau de la goélette, le ministère des Postes émet le timbre de 50 cents du Bluenose, une conception composite inspirée de photos de Wallace R. MacAskill illustrant le Bluenose dans une course au large du port d’Halifax.

Timbre de 50 cents de Postes Canada montrant la goélette Bluenose sous deux angles différents.

Timbre de 50 cents du Bluenose, émis le 6 janvier 1929. Droit d’auteur : Société canadienne des postes (s000218k)

Le Bluenose continue d’être utilisé pour pêcher le long des côtes de l’Atlantique Nord; son équipage rapporte même la plus grosse prise de Lunenburg. Il représente aussi la Nouvelle-Écosse et le Canada sur la scène internationale : en 1933, il navigue vers Chicago pour l’exposition universelle, et en 1935, il se rend en Angleterre pour le jubilé d’argent du roi George V.

Mais les temps changent, et la célèbre goélette est vendue en 1942. Malheureusement, elle coule quatre ans plus tard, en 1946, après avoir heurté un récif au large d’Haïti.

Surnommé « la reine de l’Atlantique Nord », le Bluenose est resté gravé dans les mémoires, et on le célèbre encore de diverses façons. Par exemple, le capitaine Angus Walters et l’architecte naval William J. Roué ont tous deux un timbre commémoratif à leur effigie, émis respectivement en 1988 et en 1998. La goélette apparaît quant à elle sur les pièces de dix cents depuis 1937, et est mentionnée dans une chanson du chanteur folk canadien Stan Rogers. Et le Bluenose II, une réplique du navire original ancrée au port de Lunenburg, vogue toujours comme ambassadeur de la province.

Autres ressources

Exposition virtuelle des Archives de la Nouvelle-Écosse : Le Bluenose, symbole canadien

Musée canadien de l’histoire : Articles de la collection de William James Roué

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Valerie Casbourn est archiviste à la Division des services de référence du bureau d’Halifax de Bibliothèque et Archives Canada.

Les drapeaux oubliés

Par Forrest Pass

L’année 2015 marquait le 50e anniversaire du drapeau national du Canada, reconnaissable à son emblématique feuille d’érable rouge. La collection de Bibliothèque et Archives Canada contient des documents liés au débat houleux qui a mené à l’adoption de l’unifolié, en 1965, mais elle jette aussi une lumière sur d’anciens drapeaux canadiens moins connus, où figurait également la feuille d’érable. Si ces drapeaux proposés en 1870 étaient toujours utilisés, on soulignerait cette année leurs 150 ans.

Les peintures de six anciens drapeaux subsistent dans les archives du Conseil privé, où elles sont rattachées à un décret de 1870. Cinq de ces drapeaux, qui sont basés sur celui de l’Union royale (le Union Jack), étaient utilisés à titre personnel par le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs des quatre provinces originales : l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Le sixième, qui réunit sur fond bleu le drapeau britannique et un écusson représentant le Canada, faisait office de pavillon pour les navires du gouvernement fédéral, par exemple les bateaux de pêche.

Peinture d’un drapeau bleu comprenant le Union Jack dans le coin supérieur gauche et des armoiries dans le coin inférieur droit. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau bleu, 1870 (e011309109)

Sur le drapeau du gouverneur général est illustrée une couronne de feuilles d’érable; c’est la première fois que cette feuille orne un drapeau officiel du Canada. La couronne accueille en son centre un écusson où figurent les armoiries des quatre provinces originales. Premier emblème héraldique national, cet écusson est l’œuvre du Collège des hérauts, à Londres; il reçoit la proclamation de la reine Victoria en 1868.

Peinture d’un drapeau qui consiste en une représentation du Union Jack au centre duquel sont superposées des armoiries entourées d’une couronne de feuilles d’érable. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau pour le gouverneur général, 1870 (e011309110)

Les drapeaux des lieutenants-gouverneurs des provinces portent les armoiries nouvellement redessinées de leur province respective, entourées dans chaque cas d’une guirlande de feuilles d’érable. Les armoiries de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick demeurent inchangées à ce jour, mais le temps a légèrement altéré la couleur du drapeau proposé pour le lieutenant-gouverneur de l’Ontario. L’artiste, anonyme, avait possiblement coloré la partie supérieure des armoiries (appelée le « chef ») avec de la peinture faite d’argent véritable. Celle-ci s’est ternie au fil des ans pour prendre une teinte gris foncé. De nos jours, la plupart des artistes héraldiques utilisent de la peinture blanche pour représenter l’argent afin d’éviter une telle altération.

Peinture d’un drapeau qui consiste en une représentation du Union Jack au centre duquel sont superposées des armoiries cernées d’une couronne de feuilles d’érable. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau pour le lieutenant-gouverneur de l’Ontario, 1870 (e011309113)

Peinture d’un drapeau qui consiste en une représentation du Union Jack au centre duquel se trouvent des armoiries entourées d’une couronne de feuilles d’érable. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau pour le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, 1870 (e011309111)

La fleur de lis, le léopard et les feuilles d’érable sur les armoiries du Québec représentent trois périodes de l’histoire de la province : le Régime français, le Régime britannique et la Confédération. Le gouvernement provincial utilise encore aujourd’hui ces armoiries, mais il y a ajouté une fleur de lis et a modifié légèrement les couleurs en 1939 pour accentuer l’allusion visuelle aux anciennes armoiries royales de France.

Peinture d’un drapeau qui consiste en une représentation du Union Jack au centre duquel se trouvent des armoiries entourées d’une couronne de feuilles d’érable. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau pour le lieutenant-gouverneur du Québec, 1870 (e011309114)

Les armoiries sur le drapeau utilisé en 1870 par le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse diffèrent des armoiries actuelles de la province et rappellent un malentendu. Les armoiries que nous connaissons aujourd’hui résultent de la tentative infructueuse, menée par sir William Alexander dans les années 1620, de fonder une colonie écossaise en Amérique du Nord. En 1868, les hérauts anglais, qui ne connaissaient possiblement pas l’existence des armoiries d’inspiration écossaise, en ont dessiné de toutes nouvelles, où figuraient trois chardons écossais ainsi qu’un saumon symbolisant les pêcheries de la province. Ce sont donc ces nouvelles armoiries qui se sont retrouvées sur le drapeau du lieutenant-gouverneur. En 1929, à la demande des gouvernements provincial et fédéral, le Collège des hérauts a restauré les armoiries originales de la Nouvelle-Écosse.

Peinture d’un drapeau qui consiste en une représentation du Union Jack au centre duquel se trouvent des armoiries entourées d’une couronne de feuilles d’érable. Des inscriptions manuscrites figurent à la droite et en dessous du drapeau.

Proposition de drapeau pour le lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, 1870 (e011309112)

Comme le suggère le choix des emblèmes, ce n’est pas le Canada mais la Grande-Bretagne qui est à l’origine de ces drapeaux. En 1869, la reine Victoria a autorisé le gouverneur de chaque colonie britannique à utiliser comme drapeau personnel distinctif un Union Jack portant l’emblème de la colonie. Au Canada, un artiste inconnu du ministère de la Marine et des Pêcheries a réalisé les peintures présentées dans ce billet à la demande du Cabinet fédéral.

Les Canadiens n’ont pas vu ces drapeaux très souvent; à l’origine, ceux-ci n’étaient déployés que sur des navires. En 1911, le lieutenant-gouverneur de la Saskatchewan a jugé qu’il n’avait pas besoin d’un drapeau officiel parce que sa province n’avait pas accès à la mer. Au fil du temps, les gouvernements fédéral et provinciaux ont adopté, pour le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs, de nouveaux drapeaux qui évoquent moins le statut de colonies. Ces drapeaux flottent chaque jour sur les résidences officielles des représentants en question, et sur d’autres édifices quand ces personnes s’y trouvent. Les peintures préservées dans nos archives rappellent les origines britanniques de certains de nos emblèmes nationaux et provinciaux.


Forrest Pass travaille comme conservateur au sein de l’équipe des expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Voix maritimes : Alistair MacLeod

Par Leah Rae

À environ 360 kilomètres du centre-ville d’Halifax, sur la côte ouest de l’île du Cap-Breton, se trouve la petite collectivité de Dunvegan. Trop petite pour être une ville, Dunvegan est un carrefour sur la route entre Inverness et Margaree Harbour. C’est ici, dans une petite cabane construite à la main et surplombant l’océan Atlantique (avec vue sur l’Île-du-Prince-Édouard, au loin), que l’écrivain Alistair MacLeod passait ses vacances d’été. C’est dans cette cabane qu’il a écrit quelques-unes des plus grandes nouvelles en langue anglaise et son seul et unique roman, No Great Mischief.

Une première page manuscrite de The Boat.

Page couverture du manuscrit de la nouvelle The Boat, par Alistair MacLeod. © Succession d’Alistair MacLeod

Comme bien d’autres résidents de l’île du Cap-Breton, Alistair MacLeod a passé sa jeunesse à travailler comme mineur et bûcheron. Ses revenus lui ont permis de payer ses études et d’obtenir son diplôme de premier cycle et son diplôme d’enseignement de l’Université Saint-Francis-Xavier à Antigonish, en Nouvelle-Écosse. M. MacLeod a fait carrière comme professeur d’anglais et de création littéraire à l’Université de Windsor, en Ontario. Entre les exigences d’un poste de professeur à temps plein et celles liées à son rôle de père de six enfants, il trouvait difficile de consacrer du temps à l’écriture pendant l’année scolaire. Toutefois, les vacances d’été lui donnaient l’occasion de retourner avec sa famille à la maison familiale de Dunvegan (nommée en l’honneur de Dun Bheagan sur l’île de Skye, en Écosse), où il avait tout le loisir de se concentrer sur ses écrits. Le travail de M. MacLeod portait sur les luttes quotidiennes des résidents de l’île du Cap-Breton. Ce qui donne à l’écriture d’Alistair MacLeod son pouvoir et sa majesté, c’est son lyrisme : l’écrivain lisait souvent son travail à voix haute afin de parfaire la cadence de chaque ligne. C’était un écrivain lent et méthodique qui examinait attentivement chaque mot. Bien qu’il ait produit un très petit nombre d’œuvres au cours de sa vie, la qualité de son travail est exceptionnelle.

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a la chance d’être le dépositaire du fonds Alistair MacLeod. Au début des années 2000, BAC a acquis environ 4,5 mètres de matériel (textuel et graphique) créé par Alistair MacLeod en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Le matériel couvre toute sa carrière d’écrivain et d’enseignant. Le fonds comprend des manuscrits, de la correspondance, des essais, des notes de thèse, des coupures de presse, des photos d’Alistair MacLeod, et plus encore.

Photographie en noir et blanc d’un homme debout devant un bâtiment. Une falaise et un littoral spectaculaires sont visibles en arrière-plan.

Alistair MacLeod assis dans une cabane. Photo prise par Chuck Clark (e011213686)

L’examen des manuscrits originaux d’Alistair MacLeod nous donne un aperçu fascinant de son processus d’écriture. Dans le milieu littéraire canadien, il était reconnu comme un perfectionniste, et cela se voit dans ses manuscrits. La première version de sa nouvelle The Boat est rédigée à la main dans un livret d’examen de l’Université Notre Dame, où il a obtenu son doctorat. La version publiée du premier paragraphe de cette nouvelle — peut-être l’un des plus beaux paragraphes de la littérature anglaise — est presque identique à la version préliminaire de l’auteur.

Alistair MacLeod a continué d’écrire à la main tout au long de sa carrière (de nos jours, une pratique sans doute perçue comme étant très rétrograde par de nombreux écrivains!). Il a aussi écrit à la main une partie du manuscrit pour son roman No Great Mischief. Il est tout à fait inusité de voir une œuvre de ce calibre écrite à la main plutôt que sous forme de mots dactylographiés sur une page, comme nous sommes habitués à le voir de nos jours. Cela donne une impression très personnelle d’Alistair MacLeod travaillant avec diligence pendant ses quelques précieuses heures de temps libre, admirant les magnifiques falaises du cap Breton qui surplombent la mer.


Leah Rae est archiviste à la Division des services régionaux et de l’AIPRP de Bibliothèque et Archives Canada, à Halifax.

Images de la Nouvelle-Écosse maintenant sur Flickr

La Nouvelle-Écosse est l’une des trois provinces maritimes du Canada, avec le Nouveau-Brunswick au nord-ouest et l’Île-du-Prince-Édouard au nord, de l’autre côté du détroit de Northumberland. Les  Micmacs constituent le principal groupe de Premières Nations dans la région; leur présence sur le territoire remonte à environ 10 000 ans.

Au début de la traite des fourrures, les interactions entre les groupes de Premières Nations et les colons français étaient généralement positives; la Nouvelle-Écosse faisait alors partie d’une région appelée l’Acadie. Cependant, au cours du 18e siècle, les Britanniques s’emparèrent de toutes les possessions françaises en Amérique du Nord et renommèrent ces colonies. Après la guerre civile américaine, la migration des loyalistes vers le nord y amena une population coloniale britannique; les colons ayant reçu des concessions réclamaient leurs terres et repoussaient les Micmacs aux limites de leur territoire.

Une photo noir et blanc de deux femmes et un homme au bord d’une falaise  avec une vue de l’océan.

Touristes avec le bus de Mike Sullivan admirant le paysage au Parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton (Nouvelle-Écosse) (MIKAN 3265746)

La Nouvelle-Écosse obtint un gouvernement responsable en 1848, avant les autres colonies britanniques, et participa à la mise sur pied de la Confédération. Sous la direction de Charles Tupper, un ardent défenseur de la Confédération, elle devint, en 1867, l’une des premières provinces canadiennes. Toutefois, un grand nombre de Néoécossais étaient opposés à cette idée et portèrent au pouvoir un gouvernement anti-confédération lors de l’élection provinciale suivante.

Le saviez-vous?

  • La Nouvelle-Écosse fut ainsi nommée en référence aux premiers colons écossais venus s’y installer durant la période coloniale britannique.
  • La Nouvelle-Écosse abrita le plus important établissement de Noirs libres en Amérique du Nord, des loyalistes ayant migré vers le nord après la révolution américaine.

Visitez l’album Flickr maintenant!

Portia White : en l’honneur du 75e anniversaire de ses débuts à Toronto

Par Joseph Trivers           

Au cours du 20e siècle, de très grands chanteurs lyriques ont marqué la scène culturelle canadienne, de Raoul Jobin à Gerald Finley et Measha Brueggergosman, en passant par Maureen Forrester et Jon Vickers. À l’image des personnages qu’ils ont interprétés à l’opéra, ces artistes ont souvent eu une vie dramatique et inspirante. La contralto néo-écossaise Portia White ne fait pas exception. Admirée pour sa voix magnifique et constante, ainsi que pour sa présence sur scène empreinte de noblesse et de dignité, elle est la première cantatrice afro-canadienne à obtenir une reconnaissance internationale. Le 7 novembre 2016 marque le 75e anniversaire de ses débuts triomphaux à Toronto, une occasion en or de décrire brièvement son parcours, ses réalisations et sa carrière.

« J’ai fait mes véritables débuts à Toronto, en novembre 1941. C’était mon quatrième engagement professionnel, mais le tout premier dans une grande ville. Le lendemain, on m’a offert un contrat. J’ai toujours considéré que c’est Toronto qui m’a découverte. » – Portia White [traduction]

Les réflexions de Portia White concernant ses débuts à Toronto pourraient donner l’impression qu’elle a connu le succès rapidement. Pourtant, ce concert de 1941 et le contrat qui en a découlé sont le fruit de nombreuses années de travail acharné, d’un peu de chance et du soutien indéfectible de sa famille, de ses concitoyens et des gouvernements de la ville d’Halifax et de la Nouvelle-Écosse.

Jeunesse et éducation

Dès sa naissance, Portia semble destinée à manifester un tempérament fort et résolu et à faire carrière dans les arts de la scène. En effet, un ami de la famille lui donne le nom de Portia, d’après une héroïne du Marchand de Venise de Shakespeare. Dans cette pièce, Portia réalise son rêve d’épouser le prétendant de son choix, à force d’intelligence, de grâce et de tranquille détermination. On ne peut affirmer que ce nom présage les mêmes traits de personnalité chez Portia White, mais son éducation a certainement favorisé leur développement.

Ses parents sont eux-mêmes des gens remarquables. Son père, le révérend William A. White, est le fils d’esclaves affranchis de Virginie; il est le deuxième Afro-Canadien admis à l’Université Acadia et le premier à recevoir un doctorat en théologie de cette université. Il sera aussi le seul aumônier noir dans l’armée britannique durant la Première Guerre mondiale. La mère de Portia, une descendante de loyalistes noirs installés en Nouvelle-Écosse, lui donne ses premières leçons de musique. La famille de Portia déménage de Truro (Nouvelle-Écosse) à Halifax après la Première Guerre mondiale. De retour au pays, son père devient pasteur de l’église baptiste sur la rue Cornwallis.

La vie de la famille White gravite autour de l’église; il n’est donc pas surprenant qu’une grande partie de l’éducation musicale de Portia se passe dans ce milieu. C’est ainsi qu’elle commence à chanter dans la chorale de l’église dirigée par sa mère. Elle étudie en enseignement à l’Université Dalhousie, puis devient professeure dans les communautés noires de Nouvelle-Écosse, notamment à Lucasville et Africville. Ce travail l’aide à payer ses cours de musique. Durant les années 1930, elle suit les cours de chant de Bertha Cruikshanks au Conservatoire de musique d’Halifax. En 1939, elle reçoit une bourse qui lui permet d’étudier au même conservatoire avec le professeur italien Ernesto Vinci. C’est ce dernier qui l’aide à perfectionner sa voix de contralto.

Toronto et au-delà

Portia White est d’abord reconnue et acclamée en Nouvelle-Écosse, où elle se produit dans des festivals et des concerts-bénéfice ainsi qu’à l’émission radiophonique de son père, diffusée une fois par semaine. Elle gagne la coupe d’argent Helen Kennedy au festival de musique d’Halifax en 1935, 1937 et 1938. De nouvelles possibilités s’offrent à elle lorsque Edith Read, la directrice de Branksome Hall, une école privée pour filles de Toronto, l’entend chanter pour la première fois. Madame Read était alors en vacances en Nouvelle-Écosse, sa province natale. C’est grâce au soutien du Branksome Ladies Club que Portia White a pu chanter au Eaton Hall à Toronto, le 7 novembre 1941.

Le concert de Toronto est un tel succès que Portia se voit immédiatement offrir un contrat des Presses de l’Université Oxford pour une série de concerts et de tournées. Elle quitte alors son poste d’enseignante pour se consacrer à la musique. En 1942 et 1943, elle se produit dans plusieurs villes du Canada, ce qui accroît sa renommée au pays, et chante même devant le gouverneur général à l’occasion d’un concert privé. Elle donne son premier concert aux États-Unis au Town Hall de New York, en mars 1944; sa prestation est accueillie avec enthousiasme. Portia s’installe à New York pour se rapprocher de ses gérants et reçoit le soutien financier de la ville d’Halifax et du gouvernement de la Nouvelle-Écosse par l’intermédiaire du Nova Scotia Talent Trust. C’est la première fois que deux paliers de gouvernement s’unissent pour soutenir la carrière d’un artiste. Portia White signe un contrat avec Columbia Concerts Incorporated et entreprend une tournée au Canada, aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Amérique centrale et en Amérique du Sud.

Fin de carrière et héritage

La vie en tournée devenant de plus en plus frénétique, Portia White n’arrive plus à se reposer suffisamment entre les concerts et les déplacements. Elle éprouve des problèmes de voix de plus en plus fréquents, au point où certains critiques le lui reprochent. Dans de telles circonstances, auxquelles s’ajoutent des différends avec ses gérants, elle décide de ne plus se produire en public. Portia s’installe à Toronto, où elle suit des cours de chant au Conservatoire royal de musique auprès de la soprano Gina Cigna. Elle donne elle-même des cours de chant au Branksome Hall, ainsi que des cours particuliers. Elle offre quelques rares concerts durant les décennies 1950 et 1960. À l’occasion d’un de ces concerts, elle chante pour la reine Élisabeth le 6 octobre 1964, lors du passage de la souveraine au Centre des arts de la Confédération de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard). Moins de quatre ans plus tard, en février 1968, Portia White s’éteint à Toronto, des suites d’un cancer.

Célèbre pour sa polyvalence et son répertoire varié, Portia White était aussi à l’aise avec les chants religieux que les arias d’opéras italiens, les lieds allemands ou les mélodies françaises. De son vivant, elle n’enregistra aucune œuvre destinée au marché commercial. Cependant, Bibliothèque et Archives Canada a pu acquérir, auprès de la famille White, quelques enregistrements sonores de concerts offerts à Moncton (Nouveau-Brunswick) et à New York. Certains enregistrements commerciaux furent diffusés à titre posthume, dont l’album Think on me en 1968, deux chansons sous étiquette Analekta dans la série Great Voices of Canada (volume 5), ainsi que l’album First You Dream en 1999 (tous se trouvent dans la collection de BAC). Un documentaire intitulé Portia White: Think on Me fut réalisé par Sylvia Hamilton et diffusé en 1999.

L’héritage de Portia White perdure encore aujourd’hui grâce à un fonds créé et géré par le Nova Scotia Talent Trust : la bourse annuelle Portia White, offerte à une jeune personne démontrant un « potentiel vocal exceptionnel ». Le gouvernement du Canada inscrivit Portia White sur la liste des personnes d’importance historique nationale en 1995 et lui rendit hommage en 1999 par l’émission d’un timbre du millénaire à son effigie.

Timbre-poste en couleur montrant, au premier plan, une jeune femme en train de chanter, et à l’arrière-plan, le visage en gros plan de la même femme, les yeux clos. Une partition contenant des notes de musique et des paroles apparaît en surimpression sur la moitié inférieure du timbre.

Portia White : talent et persévérance [document philatélique], timbre-poste canadien de 46 cents, collection du millénaire (MIKAN 2266861)


Joseph Trivers est bibliothécaire aux acquisitions (musique) au sein de la Direction générale du patrimoine publié à Bibliothèque et Archives Canada.