Par Melissa Beckett et François Deslauriers
Incursion dans la salle des microfilms
Dans une salle faiblement éclairée, deux spécialistes de l’imagerie sont assis dans des coins opposés. Chacun fixe son écran, où défilent en permanence des images. Le son rythmé des numériseurs de microfilms est parfois interrompu par le long sifflement du rembobinage, qui s’achève par un bruit sourd.
Les mains gantées de blanc, une spécialiste retire une bobine d’un numériseur et la remet dans sa cartouche métallique, qu’elle replace à son tour dans une boîte d’archivage. Puis elle prend une nouvelle cartouche, scellée par un ruban qu’elle découpe avec un canif. Elle en retire une bobine et la monte sur le numériseur, faisant passer la pellicule autour de plusieurs rouleaux jusqu’à une autre bobine en plastique.
De son côté, son collègue a stoppé les machines. Il doit modifier certains paramètres pour uniformiser la luminosité : les images qu’il vient d’examiner sont beaucoup plus claires que les précédentes. Il ajuste les valeurs d’exposition dans le logiciel, jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant. Puis il numérise une courte section de la pellicule et l’ouvre dans un logiciel de vérification. Il examine attentivement l’un des documents en taille réelle avant de rembobiner la pellicule jusqu’au début, recommençant ainsi tout le processus de numérisation.
Le recensement de 1931
Pour mener à bien le projet du recensement de 1931, l’équipe des Services de numérisation a numérisé pas moins de 187 bobines de microfilm, pour un total de 234 678 images.
Tout au long du projet, les bobines du recensement de 1931 ont été conservées selon un protocole de sécurité bien précis. En effet, comme l’explique la page Préparation du recensement de 1931, la loi exige d’attendre 92 ans avant de publier les renseignements personnels compilés dans un recensement. Seul le personnel désigné ayant prêté le serment de confidentialité de Statistique Canada était autorisé à consulter le matériel. Lors de leur numérisation, les bobines ont donc été conservées sous clé dans une salle sécurisée, et tout le travail a été fait hors ligne.
Chaque bobine du recensement de 1931 contient environ 1 200 images sur pellicule de polyester noir et blanc 35 mm. Pour éviter toute détérioration des originaux, les spécialistes de l’imagerie procèdent à partir de copies appelées « copies maîtresses ».
Les microfilms sont un excellent moyen pour conserver des renseignements pendant de longues périodes : les bobines peuvent durer 500 ans! On peut y stocker de grandes quantités d’informations dans un format compact. Et puisqu’on n’a pas besoin de manipuler les originaux à répétition, ceux-ci sont mieux protégés.
Dernier point, mais non le moindre : en numérisant les microfilms, on crée un support de préservation supplémentaire pour les documents et on les rend accessibles au public, qui peut les consulter en ligne, n’importe où et n’importe quand.
La numérisation
Les dossiers du recensement de 1931 ont été numérisés avec le numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan. On utilise cet appareil, conçu pour les bobines 16 mm et 35 mm, de pair avec un ordinateur hors réseau.
À partir de la bobine originale, on enfile la pellicule jusqu’à une bobine de réception, en la faisant passer par des rouleaux stationnaires et des guides. On abaisse ensuite d’autres rouleaux pour maintenir la pellicule en place tout en ajustant automatiquement sa tension. Puis on fait défiler la pellicule devant un objectif macro surmonté d’un capteur numérique. Simultanément, le dessous de la pellicule est éclairé par un rayon de lumière rouge.
Ces manipulations sont toujours faites avec le plus grand soin : les spécialistes de l’imagerie portent des gants de coton et ne touchent que les bords de la pellicule. À l’aide du logiciel NextStarPLUS® Capture, ils règlent la résolution et choisissent le type de pellicule (16 ou 35 mm), la polarité (négative ou positive) ainsi que le facteur de réduction. Ce dernier, indiqué sur la pellicule, permet de reproduire les images à leur taille réelle (rapport de 1:1).
Avant de lancer la numérisation, les spécialistes s’assurent également que l’exposition est correcte et que la mise au point est adéquate, afin d’obtenir des images bien nettes. Toutes leurs interventions sont visibles en direct à l’écran. Pour guider leur travail, ils peuvent aussi zoomer sur une charte de mise au point et sur les indications du fabricant, imprimées à intervalles réguliers le long de la pellicule.
Les spécialistes peuvent aussi se fier aux rayures ou aux poussières visibles pour déterminer le degré de netteté d’un document. Cependant, pour faire la mise au point à partir du document comme tel, celui-ci doit avoir été photographié de façon parfaitement nette au départ.
Une fois la numérisation lancée, une fenêtre de prévisualisation permet de voir s’il faut réajuster certains paramètres en cours de route. Par exemple, l’éclairage et l’exposition peuvent varier d’une photo à l’autre sur une même bobine. Résultat : certaines images sont plus claires, et d’autres plus sombres. Pour que la majorité du contenu soit lisible, les spécialistes procèdent donc aux ajustements requis. Ce travail se fait sur l’ensemble de la pellicule, puisqu’on ne peut retoucher les images individuelles.
Une fois la numérisation terminée, on rembobine la pellicule et on replace la bobine dans sa cartouche.
La vérification
Chaque bobine numérisée se présente sous la forme d’un long fichier image appelé « bande image » (un fichier non compressé en nuances de gris). Les spécialistes en imagerie les traitent à l’aide du logiciel NextStarPLUS® Auditor. Ce dernier cible et sélectionne chaque document dans la bande image, ce qui permet de les exporter individuellement.
Plus précisément, le logiciel génère un rectangle de couleur autour de chaque document détecté. On fait ensuite défiler la bande image pour repérer les documents « oubliés ». On en profite aussi pour ajuster les rectangles lorsque ceux-ci ne contiennent qu’une partie du document.
Étape supplémentaire dans le contrôle de la qualité : on procède à une deuxième vérification, où le contenu des rectangles s’affiche en noir grâce à un paramètre d’occultation. Les parties non repérées la première fois apparaissent en blanc, ce qui indique aux spécialistes à quels endroits faire les derniers ajustements.
Une fois la numérisation terminée, chaque document du recensement reçoit un numéro d’identification électronique permettant de trier les images par endroit.
Les images obtenues du recensement de 1931 ont d’abord été exportées en fichiers TIFF de 10 mégaoctets. Il s’agit d’un format sans perte, c’est-à-dire sans compression de l’image. Pour les besoins du projet, on a ensuite créé des fichiers dérivés en format JPEG, un format qui entraîne des pertes, mais qui est plus accessible et exige moins d’espace de stockage. L’équipe de la TI a créé un script pour convertir efficacement les fichiers TIFF en JPEG.
Autre avantage des fichiers JPEG : ils sont plus faciles à relier aux districts et aux sous-districts du recensement. Ils sont également plus faciles à utiliser pour les partenaires externes travaillant dans le domaine de l’intelligence artificielle.
D’hier à demain
À Bibliothèque et Archives Canada, travailler dans le domaine de la numérisation signifie améliorer constamment les processus et explorer de nouvelles techniques et technologies pour créer des images de la meilleure qualité possible. Le recensement de 1931 n’a pas fait exception à la règle. En tant que spécialistes en imagerie, nous sommes heureux de jouer un petit rôle afin de préserver l’histoire du Canada et la rendre accessible au public.
Melissa Beckett est spécialiste en imagerie par intérim et François Deslauriers est gestionnaire par intérim de la Reprographie. Tous deux travaillent à la Division des services de numérisation de Bibliothèque et Archives Canada.