Recensement de 1931 : coup d’œil sur la numérisation

Par Melissa Beckett et François Deslauriers

Incursion dans la salle des microfilms

Deux photos du numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan. À gauche, le numériseur complet; à droite, un gros plan d’une bobine dont la pellicule passe autour de deux rouleaux.

Numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan. Crédit : François Deslauriers

Dans une salle faiblement éclairée, deux spécialistes de l’imagerie sont assis dans des coins opposés. Chacun fixe son écran, où défilent en permanence des images. Le son rythmé des numériseurs de microfilms est parfois interrompu par le long sifflement du rembobinage, qui s’achève par un bruit sourd.

Les mains gantées de blanc, une spécialiste retire une bobine d’un numériseur et la remet dans sa cartouche métallique, qu’elle replace à son tour dans une boîte d’archivage. Puis elle prend une nouvelle cartouche, scellée par un ruban qu’elle découpe avec un canif. Elle en retire une bobine et la monte sur le numériseur, faisant passer la pellicule autour de plusieurs rouleaux jusqu’à une autre bobine en plastique.

De son côté, son collègue a stoppé les machines. Il doit modifier certains paramètres pour uniformiser la luminosité : les images qu’il vient d’examiner sont beaucoup plus claires que les précédentes. Il ajuste les valeurs d’exposition dans le logiciel, jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant. Puis il numérise une courte section de la pellicule et l’ouvre dans un logiciel de vérification. Il examine attentivement l’un des documents en taille réelle avant de rembobiner la pellicule jusqu’au début, recommençant ainsi tout le processus de numérisation.

Le recensement de 1931

Pour mener à bien le projet du recensement de 1931, l’équipe des Services de numérisation a numérisé pas moins de 187 bobines de microfilm, pour un total de 234 678 images.

Tout au long du projet, les bobines du recensement de 1931 ont été conservées selon un protocole de sécurité bien précis. En effet, comme l’explique la page Préparation du recensement de 1931, la loi exige d’attendre 92 ans avant de publier les renseignements personnels compilés dans un recensement. Seul le personnel désigné ayant prêté le serment de confidentialité de Statistique Canada était autorisé à consulter le matériel. Lors de leur numérisation, les bobines ont donc été conservées sous clé dans une salle sécurisée, et tout le travail a été fait hors ligne.

Chaque bobine du recensement de 1931 contient environ 1 200 images sur pellicule de polyester noir et blanc 35 mm. Pour éviter toute détérioration des originaux, les spécialistes de l’imagerie procèdent à partir de copies appelées « copies maîtresses ».

Les microfilms sont un excellent moyen pour conserver des renseignements pendant de longues périodes : les bobines peuvent durer 500 ans! On peut y stocker de grandes quantités d’informations dans un format compact. Et puisqu’on n’a pas besoin de manipuler les originaux à répétition, ceux-ci sont mieux protégés.

Dernier point, mais non le moindre : en numérisant les microfilms, on crée un support de préservation supplémentaire pour les documents et on les rend accessibles au public, qui peut les consulter en ligne, n’importe où et n’importe quand.

La numérisation

Photo du numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan, avec les principales parties identifiées : bobine de microfilm original, rouleaux stationnaires, guides de film, objectif de la caméra et bobine de réception.

Les principales parties du numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan. Crédit : François Deslauriers

Les dossiers du recensement de 1931 ont été numérisés avec le numériseur Eclipse Rollfilm de nextScan. On utilise cet appareil, conçu pour les bobines 16 mm et 35 mm, de pair avec un ordinateur hors réseau.

À partir de la bobine originale, on enfile la pellicule jusqu’à une bobine de réception, en la faisant passer par des rouleaux stationnaires et des guides. On abaisse ensuite d’autres rouleaux pour maintenir la pellicule en place tout en ajustant automatiquement sa tension. Puis on fait défiler la pellicule devant un objectif macro surmonté d’un capteur numérique. Simultanément, le dessous de la pellicule est éclairé par un rayon de lumière rouge.

Ces manipulations sont toujours faites avec le plus grand soin : les spécialistes de l’imagerie portent des gants de coton et ne touchent que les bords de la pellicule. À l’aide du logiciel NextStarPLUS® Capture, ils règlent la résolution et choisissent le type de pellicule (16 ou 35 mm), la polarité (négative ou positive) ainsi que le facteur de réduction. Ce dernier, indiqué sur la pellicule, permet de reproduire les images à leur taille réelle (rapport de 1:1).

Avant de lancer la numérisation, les spécialistes s’assurent également que l’exposition est correcte et que la mise au point est adéquate, afin d’obtenir des images bien nettes. Toutes leurs interventions sont visibles en direct à l’écran. Pour guider leur travail, ils peuvent aussi zoomer sur une charte de mise au point et sur les indications du fabricant, imprimées à intervalles réguliers le long de la pellicule.

Les spécialistes peuvent aussi se fier aux rayures ou aux poussières visibles pour déterminer le degré de netteté d’un document. Cependant, pour faire la mise au point à partir du document comme tel, celui-ci doit avoir été photographié de façon parfaitement nette au départ.

Une fois la numérisation lancée, une fenêtre de prévisualisation permet de voir s’il faut réajuster certains paramètres en cours de route. Par exemple, l’éclairage et l’exposition peuvent varier d’une photo à l’autre sur une même bobine. Résultat : certaines images sont plus claires, et d’autres plus sombres. Pour que la majorité du contenu soit lisible, les spécialistes procèdent donc aux ajustements requis. Ce travail se fait sur l’ensemble de la pellicule, puisqu’on ne peut retoucher les images individuelles.

Une fois la numérisation terminée, on rembobine la pellicule et on replace la bobine dans sa cartouche.

Photo d’une bobine de microfilm 16 mm placée sur une bobine 35 mm. À côté, on voit une loupe et une cartouche avec couvercle contenant une bobine 35 mm.

Bobines de microfilms 16 mm et 35 mm. Crédit : François Deslauriers

La vérification

Chaque bobine numérisée se présente sous la forme d’un long fichier image appelé « bande image » (un fichier non compressé en nuances de gris). Les spécialistes en imagerie les traitent à l’aide du logiciel NextStarPLUS® Auditor. Ce dernier cible et sélectionne chaque document dans la bande image, ce qui permet de les exporter individuellement.

Plus précisément, le logiciel génère un rectangle de couleur autour de chaque document détecté. On fait ensuite défiler la bande image pour repérer les documents « oubliés ». On en profite aussi pour ajuster les rectangles lorsque ceux-ci ne contiennent qu’une partie du document.

Étape supplémentaire dans le contrôle de la qualité : on procède à une deuxième vérification, où le contenu des rectangles s’affiche en noir grâce à un paramètre d’occultation. Les parties non repérées la première fois apparaissent en blanc, ce qui indique aux spécialistes à quels endroits faire les derniers ajustements.

Une fois la numérisation terminée, chaque document du recensement reçoit un numéro d’identification électronique permettant de trier les images par endroit.

Les images obtenues du recensement de 1931 ont d’abord été exportées en fichiers TIFF de 10 mégaoctets. Il s’agit d’un format sans perte, c’est-à-dire sans compression de l’image. Pour les besoins du projet, on a ensuite créé des fichiers dérivés en format JPEG, un format qui entraîne des pertes, mais qui est plus accessible et exige moins d’espace de stockage. L’équipe de la TI a créé un script pour convertir efficacement les fichiers TIFF en JPEG.

Autre avantage des fichiers JPEG : ils sont plus faciles à relier aux districts et aux sous-districts du recensement. Ils sont également plus faciles à utiliser pour les partenaires externes travaillant dans le domaine de l’intelligence artificielle.

D’hier à demain

À Bibliothèque et Archives Canada, travailler dans le domaine de la numérisation signifie améliorer constamment les processus et explorer de nouvelles techniques et technologies pour créer des images de la meilleure qualité possible. Le recensement de 1931 n’a pas fait exception à la règle. En tant que spécialistes en imagerie, nous sommes heureux de jouer un petit rôle afin de préserver l’histoire du Canada et la rendre accessible au public.


Melissa Beckett est spécialiste en imagerie par intérim et François Deslauriers est gestionnaire par intérim de la Reprographie. Tous deux travaillent à la Division des services de numérisation de Bibliothèque et Archives Canada.

Généalogie des Canadiens d’origine chinoise : Registres généraux et certificats C.I.9

Par Valerie Casbourn

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Nombre de ressources et de documents historiques différents permettent de faire des recherches sur la généalogie des Canadiens d’origine chinoise. Parmi ces ressources, les Registres généraux sur l’immigration chinoise et les certificats d’immigration chinoise (C.I.) 9 constituent deux séries importantes de documents. Ils renferment une mine d’information généalogique et peuvent être consultés dans la banque de données Immigrants de la Chine, 1885-1949 de Bibliothèque et Archives Canada. Vous trouverez sur la page d’aide une description de ces documents et d’autres fichiers indexés dans la base de données, ainsi que des directives pour la recherche.

Ces documents ont été créés en raison de la Loi de l’immigration chinoise de 1885, texte discriminatoire adopté par le gouvernement fédéral pour restreindre l’immigration des Chinois au Canada. Première loi canadienne visant à restreindre l’immigration sur la base de l’origine ethnique, elle exigeait l’inscription de toutes les personnes ayant immigré de la Chine au Canada, en plus d’imposer un droit de 50 $, appelé taxe d’entrée, à chaque immigrant chinois arrivant au Canada, à quelques exceptions près. Le montant a été porté à 100 $ en 1900, puis à 500 $ en 1903. Cette loi a ensuite été remplacée par la Loi de l’immigration chinoise de 1923, laquelle a aboli la taxe d’entrée, mais presque complètement stoppé l’immigration chinoise au Canada. Elle n’a été abrogée qu’en 1947.

Un système complexe de tenue de registres et de C.I. a été mis en place en 1885. D’autres certificats ont été ajoutés au cours des années suivantes. Ce système a été progressivement supprimé entre 1947 et 1953, après l’abrogation de la Loi de l’immigration chinoise.

Registres généraux sur l’immigration chinoise

Les Registres généraux sur l’immigration chinoise étaient administrés par le bureau du contrôleur en chef de l’immigration chinoise, à Ottawa. Ils ont servi à inscrire toutes les personnes chinoises ayant immigré au Canada de 1885 à 1949. On y trouve également des registres sur des personnes arrivées dès 1860. Ils sont classés par ordre chronologique approximatif, en fonction de la date d’arrivée.

Vous trouverez dans les entrées du registre la date à laquelle chaque personne a immigré au Canada, son âge à l’époque, son lieu de naissance en Chine, sa profession et les détails de son arrivée. Il y est également mentionné la taxe d’entrée et le montant payé par chaque personne (le cas échéant) ainsi que les certificats d’admission délivrés.

Le plus connu de ces certificats est le C.I.5, également connu sous le nom de « certificat de taxe d’entrée ». Il était délivré pour confirmer le paiement de la taxe d’entrée, et la plupart étaient conservés par les personnes qui les recevaient. La première version du C.I.5 a été introduite en 1885 et a été émise jusqu’en 1912; cette année-là, le certificat a été remplacé par une nouvelle version avec photo.

Page en noir et blanc des Registres généraux sur l’immigration chinoise. On y voit un tableau comportant 25 lignes d’entrées manuscrites sur des personnes arrivées au Canada en mai 1899.

Registres généraux sur l’immigration chinoise, RG76, volume 700 (e006066717)
Cette page présente les entrées des personnes arrivées au Canada en 1899.

La quatrième ligne de la page des Registres généraux figurant sur la photo ci-dessus correspond à l’entrée pour Jung Hang, arrivé à Vancouver (Colombie-Britannique) en mai 1899, à bord du navire S.S. Empress of India. Vous pouvez consulter les listes de passagers pour obtenir le nom des personnes arrivées au Canada par bateau, mais il n’en existe pas pour la Colombie-Britannique avant 1905. Si vous cherchez une personne ayant immigré de Chine avant cette date, vous trouverez peut-être des renseignements sur son arrivée dans les Registres généraux.

Sur l’inscription de Jung Hang aux Registres généraux, on peut voir qu’il avait 25 ans lorsqu’il est arrivé en 1899, ce qui signifie qu’il est né vers 1874. Son lieu de naissance est indiqué comme étant Ling Chung, Senway, Chine.

Les Registres indiquent également que le certificat C.I.5 no 23333 a été délivré à Jung Hang et que ce dernier a acquitté les droits de douane de 50 $, soit le montant de la taxe d’entrée à l’époque.

Certificat d’immigration chinoise 9 (C.I.9)

De 1885 à 1947, tous les Chinois vivant au Canada devaient s’inscrire auprès des services d’immigration s’ils souhaitaient quitter temporairement le pays. Cette pratique s’est poursuivie pendant plusieurs années après l’abrogation de la Loi de l’immigration chinoise, pour ne prendre fin qu’en 1953. Les C.I.9 étaient des documents de sortie attestant du départ et du retour de chaque personne et renfermant des renseignements personnels précieux pour les généalogistes. Les C.I.9 pour Vancouver et Victoria regroupent, à quelques exceptions près, les certificats délivrés de 1910 à 1953. Les C.I.9 figurant sur les bobines de microfilm T-6038 à T-6052 sont indexés dans la Base de données sur les immigrants de la Chine de 1885-1949. Ces bobines contiennent des C.I.9 délivrés dans les ports de Vancouver et de Victoria de 1910 à 1920 à des personnes nées à l’étranger et de 1913 à 1952 à des personnes nées au Canada.

Outre l’information relative aux voyages, les certificats incluent également le nom de la personne (et une deuxième version de son nom, le cas échéant) ainsi que son âge et son lieu de naissance. On y trouve aussi la profession qu’elle exerce et son lieu de résidence au Canada. Pour ceux et celles qui ont immigré au Canada, l’année de leur arrivée au pays y figure également. De plus, on y trouve une photo et une signature en caractères chinois.

Copie en noir et blanc d’un C.I.9 avec texte dactylographié, annotations manuscrites et signatures. On y trouve la photo d’une jeune fille, sa signature en caractères chinois et un timbre du port de Vancouver, en Colombie-Britannique.

C.I.9 no 146 délivré à Wong Yat Shun, 1919, RG76, bobine microfilm T-6052 (e008280743)

Ce certificat, délivré à Wong Yat Shun le 30 avril 1919, indique que cette dernière a voyagé de Vancouver à Hong Kong à bord du navire S.S. Empress of Asia, dont le départ a eu lieu le 1er mai 1919. La section au bas de la page comporte un timbre du port de Vancouver (Colombie-Britannique) indiquant que l’enfant est revenue le 19 juillet 1920 sur le S.S. Empress of Russia.

Selon les renseignements personnels précisés sur le certificat, on peut voir que Wong Yat Shun est née en 1907 à Ladner (Colombie-Britannique); elle avait 12 ans et vivait toujours à Ladner lorsque le certificat a été délivré.

Autres ressources sur la généalogie des Canadiens d’origine chinoise

Consultez notre page Canadiens chinois pour obtenir d’autres ressources qui vous aideront à faire des recherches généalogiques et à connaître l’histoire des familles : registres de recensement, registres d’immigration, registres de citoyenneté et de naturalisation, sources publiées, etc.


Valerie Casbourn est archiviste au bureau de Halifax de Bibliothèque et Archives Canada.

Un artefact d’outre-Atlantique

Par Forrest Pass

Ce n’est pas les roches qui manquent au Canada, mais une pierre de Grande-Bretagne captive depuis longtemps l’imagination des gens de ce côté-ci de l’Atlantique. Si vous avez regardé la cérémonie du couronnement du roi Charles III, vous l’avez peut-être aperçue. Connu sous les noms de pierre du couronnement, pierre du destin ou pierre de Scone, ce modeste bloc oblong de grès rouge logé sous un trône en bois est au cœur des rituels de couronnement britanniques depuis presque mille ans.

D’origine écossaise, la pierre du destin a servi à couronner des monarques pendant des siècles. Bien que les légendes associent cette pierre aux légendaires Hauts Rois d’Irlande et même à la « pierre de Jacob » du livre biblique de la Genèse, l’analyse géologique donne à penser qu’elle a été extraite près de Scone, dans les environs de Perth, dans l’est de l’Écosse. Les forces du roi Édouard Ier d’Angleterre prirent la pierre comme butin de guerre en 1296, et pendant 700 ans, elle resta à l’abbaye de Westminster, un lieu incontournable des couronnements anglais et, plus tard, britanniques. En 1996, elle retourna en Écosse, où le château d’Édimbourg est aujourd’hui sa résidence permanente. Exception faite ce mois-ci : cette pierre, qui mesure 66 cm x 41 cm x 28 cm et pèse 152 kg, a été déplacée temporairement à Londres pour le dernier couronnement.

Dessin de la chaise du couronnement et de la pierre du destin.

Dessin de la chaise du couronnement et de la pierre du destin par le célèbre illustrateur historique canadien C.W. Jefferys, vers 1929. Bibliothèque et Archives Canada conserve ce dessin original, que C.W Jefferys a préparé pour un manuel scolaire d’histoire, Britain’s History, rédigé par l’historien George M. Wrong de l’Université de Toronto (e011408968-001)

Même si la pierre du couronnement n’a jamais vu le pays, le Canada et les Canadiens ont joué un rôle dans son histoire. En 1939, Paul de Labillière, doyen de l’abbaye de Westminster, où la pierre a été conservée de 1296 à 1996, cacha discrètement la pierre dans la crypte de l’abbaye, afin d’en empêcher sa profanation advenant une invasion nazie. Il dessina une carte de sa cachette et en envoya la seule copie à Ottawa, où elle demeura sous clé à la Banque du Canada. Après la guerre, notre prédécesseur, les Archives publiques Canada, acquit la carte. Elle fait maintenant partie de notre exposition Inattendu! Trésors surprenants de Bibliothèque et Archives Canada au Musée canadien de l’histoire, qui se poursuit jusqu’au 26 novembre 2023.

Carte montrant l’endroit tenu secret de la pierre du destin en temps de guerre dans la crypte située sous la chapelle de l’îlot de l’abbaye de Westminster.

Carte dessinée par le doyen Paul de Labillière montrant l’emplacement de la pierre du destin cachée dans la crypte sous la chapelle de l’îlot de l’abbaye de Westminster. Cette carte a été conservée dans une enveloppe scellée à l’intérieur d’une voûte de la Banque du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle n’était censée être remise qu’au premier ministre du Canada, au haut-commissaire britannique ou au doyen de l’abbaye de Westminster (e011309358)

Paul De Labillière n’aurait pas pu prédire que la plus grande « menace » qui pèserait sur la pierre du destin serait d’ordre national. En 1950, le jour de Noël, de jeunes nationalistes écossais pénétrèrent dans l’abbaye de Westminster et transportèrent la pierre à l’abbaye d’Arbroath, dans l’est de l’Écosse, lieu symbolique de leur mouvement. Il fallut quatre mois à la police pour récupérer la pierre et la retourner à Westminster.

Deux ans après le vol de la pierre du destin, une jeune femme de l’île du Cap-Breton se rendit en pèlerinage à l’abbaye d’Arbroath et y rencontra les premiers conspirateurs. Elle admirait leur dévouement à la cause de l’indépendance écossaise, même si elle pensait que leur complot révolutionnaire n’était que de la bravade. « Sans aucun doute, si j’étais née en Écosse, j’aurais été une nationaliste écossaise passionnée comme [le libérateur de la pierre du destin] Ian Hamilton », écrit Flora MacDonald à propos de la rencontre dans ses mémoires [en anglais]. « Je suis plutôt convaincue que c’est mon sang et mon tempérament écossais qui ont fait de moi une nationaliste canadienne passionnée. » Cette passion pour le Canada, Flora MacDonald la mettra au service de la politique : en 1979, elle devient la première femme à occuper le poste de secrétaire d’État aux Affaires extérieures. Sa vie et sa carrière remarquables sont documentées dans le vaste fonds Flora MacDonald de Bibliothèque et Archives Canada, qui comprend un journal de son premier voyage en Écosse.

Flora MacDonald ne fut pas la première Canadienne à se rendre au Royaume-Uni en quête de la signification de la pierre du destin. En 1921, Edward Odlum, un Vancouvérois excentrique, se rendit à Londres pour examiner la composition de la pierre. Il était un adepte de l’anglo-israélisme, théorie selon laquelle les Britanniques sont les descendants directs et génétiques des tribus perdues d’Israël. Au mieux, l’anglo-israélisme s’appuyait sur une pseudoscience bancale; au pire, il favorisait l’antisémitisme et la suprématie blanche. Edward Odlum, qui avait une certaine formation en géologie, espérait trouver un lien entre la pierre du couronnement et le Moyen-Orient pour admettre la théorie anglo-israélite.

Edward Odlum a fait appel à l’aide d’une personnalité de haut rang pour mener à bien son projet singulier. Sir George Halsey Perley, haut-commissaire du Canada à Londres, convainquit le doyen de l’abbaye de Westminster d’accorder à Edward Odlum un accès privilégié à la pierre. Les lettres d’Edward Odlum à son fils, le journaliste, soldat et futur diplomate Victor Wentworth Odlum, décrivent l’examen qui se déroula à l’aide d’une loupe et d’« une grande lumière électrique préparée à cet effet ». Cette étude terminée, il se précipita à Jérusalem pour chercher des roches similaires en Terre sainte. L’analyse géologique professionnelle [en anglais seulement] de la pierre confirme qu’elle provient d’Écosse, mais des affirmations selon lesquelles Edward Odlum aurait « prouvé » son origine moyen-orientale circulent encore dans d’obscurs recoins d’Internet.

Lettre portant l’en-tête « The British Israel Association of Canada », écrite par Edward Odlum à son fils, Victor Wentworth Odlum.

Dans cette lettre adressée à son fils, Victor Wentworth Odlum, Edward Odlum décrit l’aide apportée par le haut-commissaire canadien sir George Halsey Perley pour obtenir l’accès à la pierre du destin (MIKAN no 118465)

La plupart des Canadiens n’ayant pas la possibilité de se rendre à l’étranger pour admirer la chaise du couronnement et la pierre du destin, deux bienfaiteurs commandèrent des répliques pour les exposer au pays. En 1904, John Ross Robertson, journaliste torontois et collectionneur de Canadiana, exposa sa réplique, ainsi que d’autres chaises historiques, à l’Exposition nationale canadienne. Il se vanta dans le catalogue de l’exposition [en anglais] que la reproduction était telle que « si elle était placée à côté de l’original, il serait impossible de la distinguer de la vraie chaise ».

Page d’un catalogue présentant un dessin de la chaise du couronnement de la Grande-Bretagne.

Catalogue de l’exposition de chaises historiques de John Ross Robertson en 1904, qui présentait sa réplique de la chaise du couronnement et de la pierre du destin (OCLC no 62994338 [en anglais])

Une deuxième réplique de la chaise du couronnement arriva en Ontario au même moment que celle de John Ross Robertson. Son propriétaire était le docteur Oronhyatekha, le célèbre médecin kanienʼkehá꞉ka (mohawk), qui entretenait depuis longtemps des liens avec la famille royale. En 1860, alors jeune homme, il s’était adressé au prince de Galles en visite au nom de la Confédération des Haudenosaunee et avait souligné l’importance des rapports fondés sur des traités en vigueur. Des décennies plus tard, en 1902, il se rendit à Londres pour assister au couronnement d’une vieille connaissance, le roi Édouard VII. Il plaisantera plus tard en disant que sa réplique de la chaise du couronnement lui avait été offerte par la famille royale. Selon Keith Jamieson et Michelle A. Hamilton, auteurs du livre Dr. Oronhyatekha: Security, Justice, and Equality [en anglais], la chaise du couronnement représentait pour le docteur Oronhyatekha la relation privilégiée entre la Couronne et les Premières Nations. 

Médaillon représentant le profil droit du docteur Oronhyatekha et une image de l’édifice Temple à Toronto.

Médaillon de 1904 représentant le docteur Oronhyatekha avec, à droite de son nez, une image de l’édifice Temple, siège de l’Ordre Indépendant des Forestiers, que ce dernier dirigeait. L’édifice Temple, premier gratte-ciel de Toronto, abritait également la collection historique du docteur Oronhyatekha, dont sa réplique de la chaise du couronnement et de la pierre du destin (e011086464)

Photo de la réplique de la chaise du couronnement et de la pierre du destin appartenant au docteur Oronhyatekha, exposée au Foresters’ Home.

La réplique de la chaise du couronnement et de la pierre du destin du docteur Oronhyatekha exposée au Foresters’ Home, un orphelinat à Deseronto, en Ontario, avant qu’elle ne soit déplacée à l’édifice Temple des Forestiers à Toronto (archives de la ville de Deseronto par le truchement de Flickr)

Des Canadiens d’horizons divers ont donné à la pierre du destin des significations nouvelles que les carriers écossais l’ayant taillée n’auraient jamais prédites. La modestie même de la pierre explique peut-être son attrait. Elle paraît extraordinairement ordinaire parmi les couleurs et la richesse des autres objets de couronnement. Et c’est dans cette simplicité que réside sa souplesse. Au Canada, où la roche-mère n’a rien de mythique, les gens ont adopté cet ancien artefact britannique, une pierre simple en apparence, comme emblème éloquent de l’histoire, de l’identité et de la souveraineté.


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Les raisons de notre engouement pour le recensement de 1931

Par Sara Chatfield

Bienvenue à la série de billets de blogue portant sur le recensement de 1931, publiés par Bibliothèque et Archives Canada. La publication des dossiers de ce septième recensement de l’histoire du Canada offre une occasion exceptionnelle d’en apprendre davantage sur notre pays. Conformément à la loi, il faut qu’il s’écoule 92 ans avant la publication des renseignements personnels recueillis dans le cadre du recensement. Ce délai étant échu, la vie de plus de 10 millions de personnes vivant au Canada en 1931 sera très bientôt dévoilée. Nous attendons ce moment depuis longtemps, et la date de publication approche à grand pas.

Une page dactylographiée sur laquelle on peut voir les mots Bureau national de la statistique et « Canada » dans la partie supérieure et un emblème.

La page couverture de la publication officielle du septième Recensement du Canada, 1931 (OCLC 796971519)

Il reste encore plusieurs étapes à franchir avant de pouvoir publier en ligne les 234 678 images du recensement de 1931. Ces étapes sont brièvement mentionnées sur le site Préparation du recensement de 1931. Cette série de billets de blogue nous permettra de clarifier quelques détails et contribuera à insuffler une vie au recensement. Elle servira notamment à répondre aux questions sur le mode de compilation des données, les questions que comportaient le recensement et la façon dont nous mettons celui-ci à la disposition des utilisateurs, en plus de traiter d’autres sujets qui éveilleront davantage notre conscience collective à toute l’importance que revêtent les recensements pour les générations présente et futures.

Les résultats de recensements sont des outils de recherche très utiles pour les généalogistes, les historiens, les universitaires et tous les Canadiens qui souhaitent explorer le passé. À l’origine, le recensement contribuait à déterminer la représentation parlementaire en fonction de la population. Toutefois, leur utilité dépasse largement ce rôle. Ces documents fournissent des informations sur la composition du Canada, l’histoire des familles canadiennes et les changements sociaux qui s’opéraient à l’époque.

Les données de recensement se rapportant à un ménage donnent un aperçu des vies des Canadiens à l’époque. Chaque page relate deux histoires. D’abord, elle révèle l’histoire d’une famille : les noms des personnes qui la constituent, leurs âges, leur religion et d’autres aspects de leur identité. Ensuite, les autres données dressent le portrait de son histoire au Canada : le quartier, le logement, la profession, la situation d’emploi et la communauté. Le recensement de 1931 révèle non seulement le lieu d’habitation des gens, mais aussi le mode de vie : dans une maison en famille élargie, en milieu immigrant, dans une maison de chambres ou dans un établissement.

Une carte du Canada sur laquelle on peut voir des points noirs de différentes tailles.

Une carte tirée du compte rendu administratif du septième Recensement du Canada, 1931 (OCLC 1007482727)

Les données du recensement de 1931 montrent également qu’il s’agissait d’une période marquée par les déplacements au pays. Des gens immigraient au Canada à la recherche d’emploi et de stabilité, et les Canadiens déménageaient partout au pays pour aller habiter en ville ou à l’autre bout du pays, souvent en raison de la conjoncture économique difficile durant la Grande Dépression.

Même si vous n’êtes pas un passionné de la généalogie, le recensement de 1931 a de quoi vous intéresser malgré tout. Vous pouvez en apprendre davantage sur votre ville ou province, notamment sur les industries qui s’y trouvaient ou les tendances d’emploi dans une région donnée. Les recensements peuvent même servir de source d’informations complémentaires aux chercheurs qui souhaitent se renseigner sur des groupes particuliers. Ils peuvent donner des indices concernant l’identité des personnes ayant vécu à une adresse à un moment donné ainsi que des informations sur leur situation, y compris des précisions permettant de savoir si elles parlaient le français ou l’anglais, si elles pouvaient lire et écrire ou si elles sont allées à l’école. Le recensement de 1931 contenait également une nouvelle question : « Le ménage possède-t-il une radio? ». Cette question présentera un grand intérêt pour les personnes qui souhaitent en savoir plus sur l’apparition des télécommunications au Canada. Elle permet aussi de déterminer la rapidité avec laquelle les informations pouvaient être diffusées ainsi que l’ampleur de la diffusion. Vous pourrez être aux premières loges des débuts d’une nouvelle forme de culture populaire en expansion. Fantastique, n’est-ce pas?

Nous nous doutons qu’un bon nombre de Canadiens éminents figureront dans ce recensement. Toutefois, nous ne pouvons le savoir avec certitude tant que nous n’aurons pas l’index complet à notre disposition. Dès la publication de l’index plus tard cette année, vous pourrez effectuer des recherches par nom de personnes comme le militant syndical devenu juge de la citoyenneté Stanley Grizzle, la militante kanien’kehá:ka Mary Two-Axe Earley, les comédiens William Shatner et Gordon Pinsent, l’artiste Pauline Julien, la chanteuse La Bolduc, le peintre Kazuo Nakamura, et la militante noire Viola Desmond. Vous pourrez peut-être en apprendre davantage sur leurs débuts dans la vie.

Joignez-vous à nous pour découvrir à quoi ressemblaient les ménages canadiens le lundi 1er juin 1931.

Nous vous invitons donc à rester à l’affût des prochains billets de blogue sur la publication de ce recensement important.


Sara Chatfield est gestionnaire de projet à la Division des services à la clientèle de Bibliothèque et Archives Canada.

Les auxiliaires féminines de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs

Par Stacey Zembrzycki

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Porteur de voitures-lits pendant 20 ans, Stanley Grizzle a aussi été juge de la citoyenneté, politicien, fonctionnaire et syndicaliste. À la fin des années 1980, il parcourt le pays afin de documenter l’expérience des porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique et leur combat pour se syndiquer. Il se penche non seulement sur la création de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, mais aussi sur le rôle primordial des femmes noires qui ont appuyé le syndicat.

Dix membres de la section torontoise des auxiliaires féminines prennent la pose.

Section torontoise des auxiliaires féminines de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs (e011181016)

Dans ses entrevues, Grizzle documente avant tout la vie exigeante des porteurs. Cela dit, il prend toujours soin de poser des questions sur les mères, les sœurs, les épouses et les filles qui soutiennent en coulisse le mouvement syndical – et qui restent aussi à l’arrière-scène pendant l’enregistrement des entrevues. La collection d’entrevues Stanley Grizzle fait ainsi connaître les points de vue d’hommes et de femmes de diverses générations qui ont rendu possible la syndicalisation des communautés noires au Canada. Elle montre aussi comment la Fraternité et ses auxiliaires féminines ont inspiré d’autres personnes à se mobiliser dans divers domaines, et comment elles ont aidé à former des leaders communautaires.

Au pays, les dirigeants syndicaux s’inspirent d’A. Philip Randolph, un Américain célèbre pour son travail dans la mouvance syndicale, la défense des droits civils et l’organisation de la Fraternité aux États-Unis. Ils réalisent très vite que les femmes sont essentielles à la création et à la durabilité du syndicat. Comme le mentionne Essex Silas Richard « Dick » Bellamy :

« Je n’oublierai jamais les paroles de frère Randolph, quand il est venu à Calgary, et de frère Benny Smith. Ils ont dit qu’aucune organisation ne peut réussir sans les femmes. Je ne l’ai jamais oublié. Vous aurez du mal à trouver des organisations qui n’ont pas l’appui des femmes. Elles ont l’air de motiver les hommes, de leur donner le coup de pouce dont ils ont besoin. » (Traduction de l’entrevue 417401)

Frank Collins est du même avis : « Vous avez besoin de femmes pour avoir un syndicat solide. Sans elles, vous n’allez nulle part. » (Traduction de l’entrevue 417402)

La contribution des femmes se fait sentir d’abord et avant tout dans la vie quotidienne des porteurs. Ceux-ci font souvent de longs voyages pouvant durer jusqu’à un mois. En leur absence, leurs épouses, leurs mères, leurs sœurs et leurs filles jouent des rôles essentiels. Elles communiquent avec les hommes et les femmes des communautés noires pour encourager la création de la Fraternité. Elles recrutent activement les porteurs dans les gares locales, les églises et les organismes communautaires. Et une fois le syndicat mis sur pied, elles collectent les frais d’adhésion et les cotisations.

Velma Coward King est membre des auxiliaires féminines à Montréal. Elle fait partie de ces femmes qui réalisent à quel point la création du syndicat est parsemée d’embûches. Les longs voyages empêchent les hommes d’assister régulièrement aux réunions syndicales. Comme les femmes « sont le pilier de leur foyer, elles doivent absolument s’impliquer ». C’est la seule manière d’aller de l’avant : « Quand il y a un syndicat pour te défendre, les patrons savent qu’ils ne peuvent plus te traiter comme un moins que rien. » (Traduction de l’entrevue 417383)

La collection d’entrevues Stanley Grizzle montre comment le mouvement syndical (et les efforts des femmes à leur base) a rendu possibles les avancées sociales. Les conventions collectives, obtenues grâce à la solidarité communautaire, améliorent les conditions de travail et les salaires. Ces gains permettent aux familles de s’acheter des maisons en banlieue et d’offrir des études universitaires à leurs enfants. Helen Bailey, présidente des auxiliaires féminines à Winnipeg, note un élément encore plus important : « Je pense que ça a rehaussé l’estime de soi des hommes, car ils arrivaient à bien gagner leur vie et celle de leurs familles. » (Traduction de l’entrevue 417400)

Affiche annonçant une soirée dansante pour le 10e anniversaire de la section torontoise de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et de leurs auxiliaires féminines.

Affiche annonçant une danse pour souligner le 10e anniversaire de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et de leurs auxiliaires féminines (e011536972)

Les entrevues décrivent aussi les liens qui se créent entre générations grâce aux auxiliaires féminines. Partout au pays, des femmes de tout âge se réunissent pour organiser et financer le syndicat au moyen de salons de thé, d’activités sociales et de bals. Les fonds recueillis remboursent les frais de déplacement, ce qui permet aux dirigeants syndicaux de parcourir le pays pour se faire entendre lors d’assemblées nationales et internationales. Enfin, des bourses d’études sont versées.

Affiche annonçant un congrès spécial de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs à Los Angeles, en Californie.

Affiche annonçant un congrès spécial de la Fraternité internationale des porteurs de wagons-dortoirs à Los Angeles, en Californie (e011536973)

Les auxiliaires féminines ont aussi pour objectif de donner des occasions d’emploi à leurs fils, afin que ceux-ci n’aient pas à devenir porteurs comme leurs pères. Certaines, comme Ivy Lawrence Mayniar, voient de leurs propres yeux le racisme systémique et la discrimination subis chaque jour par les ouvriers noirs au Canada. Constatant ce que son père vivait comme porteur, Mme Mayniar a voulu faire des études supérieures. Elle raconte un souvenir qui l’a marquée lorsqu’elle étudiait à l’Université McGill :

« Je suis allée à la bibliothèque pour étudier un peu. Puis je suis allée à la gare, et là, j’ai cherché la voiture de mon père. La nuit était très froide. Je n’étais vraiment pas bien. Mais je voulais y aller, car je savais que mon père travaillait et qu’il était sur appel. Je suis allée à la gare, et j’ai cherché mon père le long de la voie. Il était là, debout, à l’extérieur. C’était un tout petit homme. Je suis allée le voir. Il était là, debout, la casquette couverte de neige. Ses épaules étaient voûtées, comme ça. Et il ventait très fort sur la voie. C’était terrible. Il restait planté debout, et la neige s’accumulait sur lui. Je suis allée m’asseoir près de l’endroit où les trains partaient. Je me suis assise sur un banc et j’ai pleuré. Je n’oublierai jamais ce moment. » (Traduction de l’entrevue 417387)

Mme Mayniar devient la première femme noire diplômée en droit à l’Université de Toronto. Consciente des limites imposées aux personnes de couleur au Canada, elle part étudier en Angleterre, où elle s’inscrit à un Inn of Court pour préparer son accession au barreau. Elle exerce ensuite le droit à Trinité-et-Tobago. Elle y passe le reste de sa carrière, luttant contre le racisme et la discrimination dont son père a été victime lors de cette rigoureuse soirée d’hiver à la gare de Windsor.

De manière indirecte, les entrevues menées par Stanley Grizzle brossent ainsi l’histoire de l’ascension des familles et des communautés noires au Canada. Et cette ascension n’aurait pas pu avoir lieu sans le syndicat. Ce qui est frappant, quand on écoute toutes ces voix, c’est l’importance de tous les gestes –petits et grands – posés collectivement par les femmes, et la fierté qu’éprouvent ces épouses, ces mères, ces sœurs et ces filles à l’idée d’avoir changé les choses, non seulement pour les porteurs, mais aussi pour leurs enfants et pour elles-mêmes. Quand Stanley Grizzle demande à Evelyn Braxton si les auxiliaires féminines ont réussi à donner aux porteurs l’appui qu’ils espéraient, elle répond avec conviction : « Absolument! Les auxiliaires féminines étaient le pilier des hommes de la Fraternité. » (Traduction de l’entrevue 417386) Ces femmes n’étaient pas seulement le cœur de leur foyer : elles ont aussi été un roc pour leur communauté et les générations suivantes.

Autres ressources

  • My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada: Personal Reminiscences of Stanley G. Grizzle, Stanley G. Grizzle, avec la collaboration de John Cooper (noOCLC 883975589)
  • Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence, and Class, chapitre 3 : The Black City below the Hill, Steven High (noOCLC 1274199219)
  • North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870–1955, Sarah-Jane Mathieu (noOCLC 607975641)

Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés et des minorités ethniques. Elle mène actuellement des recherches pour le compte de Bibliothèque et Archives Canada.

Un peuple dans l’ombre et la Nation Métisse : comment tout a débuté

Beth Greenhorn et William Benoit

Lorsque nous avons commencé nos recherches en vue d’une éventuelle exposition sur les Métis en 2014, nous n’avions aucune idée des sujets qui seraient explorés ni de la façon dont ils seraient présentés, du contenu que nous pourrions découvrir ni de la perception qu’en aurait le public. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) n’avait jamais auparavant créé d’exposition axée sur les citoyens, la culture et l’histoire de la Nation Métisse. Quand nous préparons une exposition, nous nous demandons souvent si notre travail sera bien accueilli. Le projet va-t-il perdurer ou passer comme un éclair?

Nous voulions mettre en valeur les documents sur les Métis contenus dans les archives de BAC, mais nous nous sommes vite rendu compte que même pour nous, le personnel de BAC, ces documents étaient difficiles à trouver. À l’automne 2014, la recherche du mot-clé « Métis » dans les œuvres d’art, les photos, les cartes et les timbres donnait comme résultat moins de cent documents. Nous avions du mal à croire que les collections de BAC contenaient si peu de documents relatifs aux Métis. Le problème devait être lié aux termes de recherche utilisés autrefois par les archives pour décrire les Métis. Ou encore, les images représentant des personnes, des activités et des communautés métisses devaient être décrites de façon erronée. Malgré ces obstacles, nous étions prêts à relever le défi!

Les travaux pour préparer l’exposition se sont accélérés en 2015. Nous avons organisé l’exposition en partenariat avec la Fédération Métisse du Manitoba (FMM) et le Ralliement national des Métis (RNM). Leur aide et leurs connaissances à cet égard ont contribué de façon inestimable à son succès.

De 2014 à 2016, nous avons examiné et mis à jour plus de 1 800 documents en ajoutant le mot « Métis » aux titres ou aux notes descriptives, afin de rendre ces documents plus accessibles et de mieux refléter la diversité des collections de BAC. En plus d’améliorer l’accès aux documents existants, BAC a numérisé plus de 300 nouveaux documents photographiques portant sur l’histoire des Métis, dont bon nombre ont été intégrés à l’exposition. Les stratégies que nous avons élaborées pour découvrir le contenu métis dans les collections de BAC (en utilisant les communautés métisses historiques et en cherchant des indications de la culture matérielle métisse) ont donné un titre parfait à l’exposition. Le contenu que nous recherchions était là depuis le début, mais caché « dans l’ombre »; il fallait seulement le trouver.

L’exposition Un peuple dans l’ombre a été inaugurée en février 2016 dans l’édifice principal de BAC au 395, rue Wellington, à Ottawa. Nous avons organisé l’exposition autour de deux thèmes : les portraits connus de citoyens métis, et les œuvres d’art et les photos représentant des indices visuels de la culture métisse.

L’exposition a pris une ampleur que nous n’avions jamais imaginée. En février 2017, elle a été adaptée pour un public international. Un peuple dans l’ombre : la Nation Métisse a été présenté au siège de l’UNESCO à Paris, en France. Grâce à l’enthousiasme et à l’aide financière de la FFM, du RNM et du gouvernement du Canada, Un peuple dans l’ombre a été transformé en une exposition itinérante de reproductions numériques. Depuis son ouverture en juin 2017 au Centre du patrimoine de Saint-Boniface, au Manitoba, l’exposition a été présentée dans 15 communautés du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Photo en couleur d’un lieu d’exposition présentant de grands panneaux verticaux avec des photos et du texte.

Installation de l’exposition Un peuple dans l’ombre au Centre du patrimoine de Saint-Boniface, au Manitoba, en juin 2017. Photo : Bibliothèque et Archives Canada

Un peuple dans l’ombre a été présenté au Red Deer Museum and Art Gallery, en Alberta, de décembre 2018 à mars 2019. Des citoyens métis de la région ont généreusement prêté des souvenirs et des trésors de leurs propres collections, ce qui a permis de personnaliser l’exposition et est venu enrichir les reproductions d’œuvres d’art et de photos détenues par BAC.

L’exposition est actuellement présentée au Swift Current Museum, en Saskatchewan. Nous sommes ravis de sa popularité, et en particulier du fait que les citoyens de la Nation Métisse résidant en dehors d’Ottawa ont accès à des documents patrimoniaux sur leur histoire. Il est également important que le grand public ait la possibilité d’en apprendre davantage sur les Métis, leur riche histoire et leur culture, d’une manière qui soit exacte et appropriée.

Ouvrir la voie à un meilleur accès aux documents concernant les Autochtones

Depuis l’instauration de l’exposition Un peuple dans l’ombre, axée sur les collections d’œuvres d’art et de photos, BAC a augmenté la quantité de contenu numérisé lié à la Nation Métisse. De 2018 à 2021, l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires a permis de numériser près de 600 000 documents, sur tous les types de support, qui concernaient les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse au Canada. Plus de la moitié de ces documents portent sur la Nation Métisse. L’équipe responsable de cette initiative a intégré aux descriptions des noms de lieux, de communautés et de personnes ainsi que des termes culturels afin de décrire les documents avec plus d’exactitude et de faciliter la recherche des documents pertinents. Parmi les documents numérisés, il y a des milliers de certificats de Métis et de cartes de lots de la rivière Rouge, y compris ce plan de 1880 montrant la paroisse de Lorette, au Manitoba.

Une carte en couleur montre des lots agricoles numérotés le long d’une rivière, avec des noms de personnes.

Plan des lots riverains dans la paroisse de Lorette, au Manitoba, 1880 (e011213853)

En 2021, BAC a publié De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Ce livrel multilingue et interactif présente 28 essais écrits par des collègues de BAC issus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse. Neuf de ces essais portent sur la Nation Métisse et comprennent des enregistrements audio en michif traditionnel qui accompagnent certaines images. De Nations à Nations est gratuit et téléchargeable sur la plateforme Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). Il est possible de consulter une version en ligne à partir d’un ordinateur de bureau, d’une tablette ou d’un navigateur Web sur appareil mobile sans module d’extension.

La seconde initiative « Nous sommes là : Voici nos histoires » a commencé en 2022 et se poursuit, avec la numérisation d’autres documents liés aux Premières Nations, aux Inuit et à la Nation Métisse. Soulignons que l’équipe responsable de cette seconde initiative s’appuie sur les travaux de réparation entrepris en 2014 en trouvant des documents d’archives et en modifiant leur description dans une perspective de décolonisation.

Pour en savoir plus sur Un peuple dans l’ombre, vous pouvez lire le billet de blogue rédigé en 2016, lorsque l’exposition a ouvert ses portes à Ottawa.

Pour en savoir plus sur l’engagement pris par BAC de jouer un rôle important en faveur de la réconciliation, vous pouvez lire le Plan d’action pour le patrimoine autochtone de BAC.

Autres ressources liées à la Nation Métisse


Beth Greenhorn est une pionnière habitant sur le territoire traditionnel non cédé des Anishinabeg de Kitigan Zibi et des Algonquins de Pikwakanagan. Elle est gestionnaire de projet principale à la Direction de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

 William Benoit est un Métis de la Rivière-Rouge. Il a grandi dans la communauté métisse historique de St. Norbert, au Manitoba. Il a de l’expérience dans le domaine de l’histoire canadienne et de la généalogie autochtone. Il est conseiller en engagement autochtone interne à la Direction de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Timbres faux, falsifiés et contrefaits à Bibliothèque et Archives Canada

Par James Bone

Vous savez peut-être que Bibliothèque et Archives Canada détient de nombreux timbres-poste dans ses collections. Mais saviez-vous que nous avons aussi beaucoup de timbres faux, falsifiés et contrefaits?

Ces trois termes sont parfois utilisés de manière interchangeable. Techniquement, un faux désigne un objet qui n’est ni officiel ni authentique; une falsification, un objet authentique modifié illégalement; et une contrefaçon, une copie d’un objet authentique. Ces articles sont produits à diverses fins, notamment pour priver frauduleusement l’autorité postale de ses recettes, tromper des collectionneurs aveuglés par l’appât du gain ou relever le défi de produire une imitation convaincante. Dans le domaine de la philatélie (l’étude des timbres-poste et de leur utilisation), la collecte intentionnelle et l’étude des faux, des falsifications et des contrefaçons aident à éviter que les collectionneurs ne soient dupés.

Certaines contrefaçons se repèrent facilement. Par exemple, comparez ces deux timbres de l’Île-du-Prince-Édouard antérieurs à la Confédération. On identifie sans mal la contrefaçon, à gauche (dont le portrait de la reine Victoria est de qualité nettement inférieure).

Deux timbres de l’Île-du-Prince-Édouard ornés d’un portrait de la reine Victoria. La contrefaçon est à gauche, et l’authentique, à droite.

La contrefaçon d’un timbre-poste de l’Île-du-Prince-Édouard représentant la reine Victoria, et le timbre authentique (e001219314 et e001219313)

Discerner le vrai du faux est souvent beaucoup plus difficile, mais certains collectionneurs s’attaquent à ce défi avec enthousiasme. Trois des principales collections de BAC comprenant des timbres de provenance douteuse sont celles de Rowcliffe F. Wrigley (R4595), Andre Frodel (R3759) et E. A. Smythies (R3853). Chacune d’elles a des particularités qui émoussent la curiosité des chercheurs et des collectionneurs.

Rowcliffe « Roy » Wrigley (1885-?) commence à collectionner les timbres à l’âge de 10 ans. Il devient célèbre en publiant des catalogues à l’intention des collectionneurs de timbres spéciaux, utilisés par les ministères. Ces timbres se caractérisent par les trous perforés formant les lettres OHMS (qui signifient « Au service de Sa Majesté »), ou par la surimpression de la lettre G. Wrigley arrive, sans que l’on sache comment, à posséder des milliers d’exemplaires sur lesquels ces lettres ont été soigneusement perforées pour frauder les collectionneurs.

Le problème, c’est que Wrigley est aussi un vendeur bien connu de timbres de cette nature. Le détachement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Vancouver s’intéresse donc de près à ses activités. Bien que Wrigley ne soit jamais condamné par un tribunal, il accepte de remettre sa collection à la GRC pour qu’elle la donne à l’ancien Musée national de la poste. Celui-ci appose la marque « counterfeit » (contrefaçon) sur tous les timbres de Wrigley.

Trois timbres-poste canadiens d’un cent. Chacun a le portrait du roi George V, des feuilles d’érable, des couronnes et de petits trous formant les lettres O-H-M-S.

Timbres-poste du Canada ornés du portrait du roi George V. Les lettres OHMS ont été frauduleusement perforées. (MIKAN 16142) Photo : James Bone

Andrzej Frodel s’est fait connaître sous le nom d’Andre Frodel au Canada. Il naît en 1890 dans une famille polonaise à Lviv, une ville ukrainienne qui appartient à l’époque à la monarchie austro-hongroise des Habsbourg. Dans l’entre-deux-guerres, il travaille à la compagnie produisant les billets de banque de l’État hongrois. Pendant cette période, il étudie les processus d’impression lithographique et les papiers pour timbre-poste. Il rejoint ensuite les forces armées polonaises pour combattre aux côtés des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. À la fin du conflit, Frodel se réinstalle au Canada après avoir reçu une terre agricole en Alberta. Après la faillite de sa ferme, quelques années plus tard, il déménage en Colombie-Britannique.

Exploitant son expertise de l’impression, de l’encre et des timbres, il se lance dans la création de timbres contrefaits. À notre connaissance, Frodel n’a aucune mauvaise intention et veut seulement démontrer ses compétences. Toutefois, ses acquéreurs finissent par profiter de l’occasion pour revendre ses timbres comme des authentiques. Un excellent exemple est sa contrefaçon de la plus célèbre erreur dans l’histoire de la philatélie au Canada : le timbre de 1959 honorant la voie maritime du Saint-Laurent, dont l’image est imprimée à l’envers. Il existe un nombre bien établi d’exemplaires authentiques de ce timbre, qui valent plus de 10 000 $.

Une contrefaçon à côté d’un véritable timbre de cinq cents de la Société canadienne des postes. Sur chacun d’eux, l’image centrale de la voie maritime du Saint-Laurent, sur laquelle se trouvent aussi un aigle et une feuille d’érable, est imprimée à l’envers.

Une contrefaçon et le véritable timbre-poste canadien de la voie maritime du Saint-Laurent, avec l’image centrale imprimée à l’envers (e010784418 et s002662k)

Frodel a aussi créé une fantaisie, c’est-à-dire un timbre plutôt vraisemblable, mais qui n’a jamais existé.

Un timbre fantaisiste de quatre cents des États-Unis. L’image de la voie maritime du Saint-Laurent, qui comprend une feuille d’érable et un aigle, est imprimée à l’envers.

Faux timbre fantaisiste de la poste des États-Unis créé par Andre Frodel. L’image de la voie maritime du Saint-Laurent est renversée. (e010784431)

Frodel meurt dans la pauvreté en 1963. Il a passé la fin de ses jours comme pensionnaire du lieutenant-colonel Frederick E. Eaton, propriétaire d’un magasin de timbres. Frodel a probablement fabriqué des faux et des contrefaçons pour ce marchand. On peut supposer qu’Eaton compte aussi sur d’autres fournisseurs de faux articles qu’il vend comme des authentiques. La GRC finit par enquêter sur lui et son magasin. Comme Wrigley, Eaton donnera finalement ses timbres frauduleux au Musée national de la poste. Il semble en profiter pour attribuer faussement la responsabilité du trafic à Frodel. Celui-ci, étant mort, est le bouc émissaire idéal. Pour dérouter les autorités et les chercheurs en philatélie, une marque est apposée au dos de bon nombre des falsifications afin de les faire passer pour des œuvres de Frodel.

Un authentique timbre fiscal canadien de cinq cents et une falsification. Les deux ont le portrait du roi George V, des feuilles d’érable et des couronnes.

Une falsification d’un timbre fiscal de la poste canadienne et le timbre authentique. Les deux représentent le roi George V et portent les mots « War tax » (impôt de guerre) en surimpression. (e010783309 et s001014k)

Evelyn Arthur Smythies est né de parents britanniques en Inde, en 1885. Il fait ses études à l’Université d’Oxford. Grand amateur de philatélie, il s’intéresse notamment aux timbres de l’Amérique du Nord britannique, bien qu’il n’ait jamais vécu au Canada. Il recueille des timbres faux, falsifiés et contrefaits de la meilleure qualité, et les étudie minutieusement pendant des années dans le but d’identifier leurs créateurs. Des recherches qui se poursuivent à ce jour jettent cependant des doutes sur ses conclusions.

Smythies est mort en 1975. Une partie de sa collection est présentée jusqu’au 26 novembre 2023 dans notre exposition Inattendu! Trésors surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, au Musée canadien de l’histoire à Gatineau (Québec).

Une contrefaçon à côté d’un authentique timbre de six pence du Nouveau-Brunswick. Chacun d’eux porte des images de fleurs et de couronnes.

Des versions fausse et authentique d’un timbre-poste du Nouveau-Brunswick (e001219080 et e001219065)

On peut comparer la fabrication et la découverte de faux timbres en tous genres au jeu du chat et de la souris. Les collectionneurs et les utilisateurs du système postal s’y adonnent encore de nos jours. Au cours de la dernière décennie, un expert en philatélie a estimé que les timbres frauduleux coûtent, chaque année, plusieurs millions de dollars à Postes Canada. Heureusement, des services d’authentification diminuent les risques pour les collectionneurs. Avant d’acheter un article, ils peuvent le soumettre à un comité d’experts qui se spécialise dans l’art de distinguer le vrai du faux. Grâce à sa bibliothèque de timbres faux, falsifiés et contrefaits, Bibliothèque et Archives Canada peut donner un coup de main dans cette discipline hautement spécialisée.

Autres ressources


James Bone est archiviste philatélique et artistique à la Division des archives visuelles et sonores de Bibliothèque et Archives Canada.

Origines de l’écriture syllabique crie

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Pour lire ce billet de blogue en syllabique crie et orthographe romaine normalisée, visitez le livrel.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Par Samara mîkiwin Harp

Œuvre de techniques mixtes. Au centre se trouve une photo noir et blanc rectangulaire montrant deux rangées d’enfants autochtones se tenant assis et debout devant un immeuble en briques. La photo est superposée sur un fond agencé en bandes verticales de part et d’autre, et en bandes horizontales qui traversent le haut et le bas. Les bandes sont principalement dans des teintes de violet, de rouge et de bleu. Dans la partie supérieure, chaque bande présente des tracés curvilignes multicolores et angulaires qui ressemblent à des crayons de couleur. Une bande noire avec de l’écriture syllabique en blanc figure en haut de la photo. Dans le coin inférieur droit, une petite forme rectangulaire blanche comporte une inscription en anglais de couleur noire.

If Only We Could Have Our Stories Told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées], par Jane Ash Poitras, 2004 (e010675581)

Cette œuvre de techniques mixtes de l’artiste crie Jane Ash Poitras illustre un groupe d’enfants dans un pensionnat autochtone en attente des enseignements des missionnaires. L’Église et la Couronne ont intentionnellement fait abstraction de nos enseignements et de nos récits en vue de notre assimilation. If only we could have our stories told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées] témoigne de notre désir, en tant que peuple, de nous réapproprier la langue et la culture que l’on nous a enlevées.

« Dans tous les récits oraux sur les origines du syllabaire cri, on dit que les missionnaires ont appris l’écriture syllabique crie des Cris eux-mêmes. Dans le récit de [Wes] Fineday, un Cri du nom de Badger Call s’est fait dire par les esprits que les missionnaires changeraient la version des choses et diraient que l’écriture leur appartenait1. » [Traduction] [À noter que Badger Call est aussi connu sous les noms « Calling Badger » et « Badger Voice » dans la littérature sur le sujet.]

Selon des recherches préliminaires, il est généralement admis que c’est vers le début du 19e siècle que le révérend James Evans (1801-1846) crée le syllabaire cri. En 1828, alors qu’il enseigne dans le territoire des Anishinaabe (Ojibwa), l’immersion dans la culture ojibwa lui permet d’apprendre à parler couramment la langue. En août 1840, il est envoyé comme missionnaire dans la collectivité de langue crie de Norway House (qui se trouve aujourd’hui au Manitoba). L’anishinaabemowin (langue anishinaabe) et le nêhiyawêwin (langue crie) font partie de la famille des langues algonquiennes et sont semblables au niveau des sons.

Illustration noir et blanc d’un groupe de personnes assises au sol autour d’un homme agenouillé qui écrit des caractères syllabiques sur un morceau d’écorce posé à plat sur une grosse roche. Plusieurs personnes tiennent dans leurs mains un morceau d’écorce sur lequel figurent des caractères syllabiques. Au premier plan à droite, une femme debout observe le groupe. Elle transporte sur son dos un nourrisson installé dans un tikinagan. On voit trois tipis derrière le groupe et une forêt à l’arrière-plan.

James Evans, en compagnie d’un groupe de nêhiyawak (membres de la Nation crie), consigne des caractères syllabiques sur de l’écorce de bouleau, date inconnue. Illustration tirée de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899]; planche insérée entre les pages 190 et 191 (OCLC 3832900)

Pendant plusieurs années, James Evans travaille à l’élaboration d’un système d’écriture de l’ojibwa. De nos jours, on estime que c’est ce travail qui a jeté les bases de l’élaboration réussie d’un syllabaire cri (un ensemble de caractères écrits représentant les sons de la langue crie). En octobre 1840, Evans avait déjà produit un tableau du syllabaire cri; en novembre de la même année, il imprimait 300 exemplaires du court hymne Jesus, My All, to Heaven Is Gone, rédigé en écriture syllabique.

Page de livre de couleur crème comportant des caractères noirs. On y voit un tableau comprenant une large colonne centrale flanquée de part et d’autre de deux étroites colonnes latérales. La première ligne de la colonne centrale contient des sons de la langue; suivent ensuite neuf lignes de caractères syllabiques. La colonne de gauche contient neuf groupes de lettres en alphabet latin correspondant aux caractères syllabiques, alors que celle de droite contient neuf groupes de caractères syllabiques et romains. Deux en-têtes en anglais se trouvent en haut de la page au-dessus du tableau, et trois lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques suivent le tableau. Le numéro de page apparaît au centre du pied de page.

Réplique du syllabaire cri mis au point vers 1840, publié dans l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 187. (OCLC 3832900)

Page de livre de couleur crème comportant du texte en anglais et des caractères syllabiques noirs. On y voit cinq paragraphes numérotés comptant chacun quatre lignes de caractères syllabiques. Le titre de la page se trouve dans l’en-tête. Le premier paragraphe de caractères syllabiques est précédé de deux lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques.

Le premier hymne écrit et imprimé en caractères syllabiques cris, vers 1840. Tiré de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 193. (OCLC 3832900)

À l’époque, même si James Evans semble posséder une maîtrise exceptionnelle du nêhiyawêwin, il a besoin de l’aide d’un interprète, Thomas Hassall, pendant son séjour sur le territoire des Cris. Hassall, un Déné qui maîtrise le déné, le cri, le français et l’anglais, connaîtra une fin tragique lorsqu’Evans le tuera accidentellement lors d’une expédition de chasse au canard. Selon la rumeur, Evans ne s’est jamais complètement remis de la mort de son interprète. Plus tard, en 1845, le révérend est accusé d’inconduite sexuelle envers trois femmes autochtones et est rapatrié en Angleterre pour rendre compte de ses crimes. Son frère écrira plus tard qu’avant de quitter Norway House pour l’Angleterre, James Evans a brûlé presque tous ses manuscrits. À en croire ce témoignage, il est tout à fait possible que les preuves matérielles permettant d’identifier l’auteur de l’écriture syllabique crie aient été perdues à jamais.

Des recherches plus poussées laissent penser qu’Evans a conçu ses idées pour le syllabaire à partir d’autres sources qu’il n’a jamais citées. Selon le rapport annuel de la Société biblique britannique et étrangère publié en 1859, « l’idée lui serait venue d’un chef indien. » [Traduction]

Des preuves additionnelles laissent entendre que les nêhiyawak (membres de la Nation crie) ont influencé la création de l’écriture syllabique. Par exemple, la conception quadridirectionnelle que l’on trouve dans l’écriture syllabique fait allusion à l’influence des Cris, étant donné que le savoir cri est transmis par les enseignements des quatre directions. De plus, à l’époque, les missionnaires rapportent que des hiéroglyphes ont été peints sur des morceaux d’écorce de bouleau avant leur arrivée [traduction] : « Ce n’est qu’à partir du moment où les missionnaires ont été envoyés parmi les Indiens cris qu’un moyen de communiquer des idées, sauf oralement, a vu le jour; si l’on exclut ces hiéroglyphes grossiers peints sur de grands morceaux d’écorce de bouleau. » Par ailleurs, les nêhiyawak sont alors connus pour le mordillage de motifs sur l’écorce de bouleau. À l’aide de ses canines, l’artiste mordille de minces feuilles d’écorce de bouleau pour créer des motifs, qui forment des dessins parfaitement symétriques lorsque le morceau d’écorce est déplié. Cette ancienne forme d’art peut être réalisée en pliant l’écorce de différentes manières. Une technique caractéristique consiste à plier soigneusement un morceau carré d’écorce en angle droit, puis en angle complémentaire. Le travail terminé donne lieu à une œuvre que les mathématiciens qualifient de symétrie parfaite. Avant l’arrivée des Européens, les Autochtones pratiquent cet art en utilisant la réflexion spatiale et le raisonnement pour consigner les cérémonies, les récits et les événements. Plus tard, ils utilisent des motifs de broderies perlées. Dans le même ordre d’idées, on peut organiser l’écriture syllabique crie en symétrie parfaite. D’après la tradition orale des Cris, l’écriture syllabique, offerte en cadeau au peuple par le monde des esprits, figurait sur un morceau d’écorce de bouleau.

Pour ma part, je crois que l’écriture syllabique d’aujourd’hui est le résultat d’une collaboration entre de nombreux Autochtones et James Evans. Cependant, pour en savoir plus sur les origines de cette écriture, les apprenants doivent plonger dans l’univers de la tradition orale crie. Accessibles en ligne, mes recherches sur les récits oraux m’ont permis de découvrir l’histoire de mistanâkôwêw (Calling Badger), un homme spirituel de l’Ouest, dans la région appelée aujourd’hui Stanley Mission, en Saskatchewan. Dans ces narratifs, on apprend que mistanâkôwêw est entré en communication avec le monde des esprits et en est ressorti avec la connaissance de l’écriture syllabique crie. Un autre récit semblable concerne un homme nommé mâcîminâhtik (Hunting Rod) qui vivait dans l’Est. Heureusement, des enregistrements de Winona Wheeler et de Wes Fineday sont accessibles en ligne sur le site Web de la CBC, dans lesquels ils discutent des histoires sur l’origine crie de l’écriture syllabique.

Autres ressources


Samara mîkiwin Harp était archiviste avec l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires à Bibliothèque et Archives Canada. Elle travaille maintenant à la revitalisation de la langue crie de Woods et poursuit des études en archivistique. Samara a grandi à Winnipeg, au Manitoba, et a des racines cries dans les régions de Southend et de Pelican Narrows du Traité 6, dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers membres de la famille de son père sont arrivés en Ontario dans les années 1800 en provenance d’Irlande et d’Angleterre.

Donner une voix aux porteurs noirs : la collection d’entrevues Stanley Grizzle

Par Stacey Zembrzycki

 Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

L’histoire du chemin de fer au Canada est souvent racontée sous son meilleur jour : cet immense chantier unit le pays d’un océan à l’autre, et le dernier crampon symbolise la concrétisation de la Confédération. Cependant, cette histoire est aussi celle d’Autochtones expropriés de leurs terres et territoires ancestraux, d’ouvriers chinois exploités et de porteurs noirs de voitures-lits confrontés à la discrimination.

L’exceptionnelle collection d’entrevues Stanley Grizzle réunit les témoignages de 35 hommes et 8 femmes qui ont été porteurs, ou dont un proche a travaillé pour une société ferroviaire. Elle explore les recoins de l’histoire du chemin de fer en présentant un point de vue rarement entendu : celui des ouvriers noirs (Canadiens ou migrants). Le racisme qu’ils ont subi en tant qu’employés du Chemin de fer Canadien Pacifique se trouve au cœur de leur récit.

Les entrevues abordent de nombreux sujets : la Grande Dépression, la Deuxième Guerre mondiale, la lutte pour la création d’un syndicat des porteurs, la création de la section canadienne de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et de leurs auxiliaires féminines, ainsi que la vie dans les communautés noires au Canada. Ces histoires, souvent pénibles, témoignent de la force et de la résilience des personnes discriminées en raison de la couleur de leur peau.

Portrait en buste d’un homme noir âgé, vêtu d’une toge noire de juge, d’une chemise blanche et d’une écharpe bourgogne. L’homme regarde l’objectif; ses cheveux courts et sa moustache sont gris.

Portrait du juge de la citoyenneté Stanley Grizzle par William J. Stapleton (c151473k)

En 1986 et 1987, Stanley Grizzle se rend dans les principaux points de jonction du Canadien Pacifique : Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver. Il y documente les expériences de personnes nées entre 1900 et 1920 et qui ont connu, pour la plupart, de longues et tumultueuses carrières en tant que porteurs.

Grizzle fut lui-même porteur pendant 20 ans. Il s’est aussi impliqué dans le mouvement syndical et a œuvré en politique avant de devenir fonctionnaire et juge de la citoyenneté. Les récits qu’il a recueillis ont servi de base à la rédaction de ses mémoires, parus en 1998 et intitulés My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada, Personal Reminiscences of Stanley G. Grizzle [Ne m’appelez pas George : L’histoire de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs au Canada – Mémoires de Stanley G. Grizzle].

Les porteurs ne choisissaient pas leur profession; c’était tout simplement l’un des seuls emplois offerts aux hommes noirs dans les années 1950 et 1960. Comme l’explique le Torontois Leonard Oscar Johnston (entrevue 417394) :

« Je faisais des demandes d’emploi, mais on me refusait à cause de ma couleur. En fait, on me traitait de n****. Je me souviens qu’un jour, je marchais sur la rue King, entre les rues Jane et Bloor, à la recherche d’un emploi de machiniste. J’avais déjà quelques années d’expérience dans le métier, mais on m’a dit d’aller cirer des chaussures. Eh oui! C’était il y a 50 ou 60 ans. Alors je me suis dit : “OK, je vais aller cirer des chaussures.” Et je suis allé au Chemin de fer Canadien Pacifique. »

Pour d’autres, devenir porteur permet d’échapper à la violence raciale dans les États du Sud, ou de quitter les Caraïbes à la recherche d’une meilleure qualité de vie. À l’époque, de nombreux migrants ne parviennent pas à trouver un emploi au Canada malgré leur diplôme universitaire ou leur spécialisation professionnelle. En désespoir de cause, ils répondent aux campagnes de recrutement lancées par le Chemin de fer Canadien Pacifique et deviennent porteurs. Certains occupent ce poste une dizaine d’années avant de se lancer dans d’autres secteurs quand l’occasion se présente. D’autres y restent plus longtemps, parfois une quarantaine d’années afin d’obtenir leur pension.

Une foule débarque d’un train et reçoit de l’aide d’employés et de porteurs pour les bagages.

Des porteurs aident les passagers à descendre d’un train (a058321)

Les porteurs accueillent les passagers et répondent à leurs moindres besoins. Avant la création de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, qui ratifie sa première convention collective avec le Canadien Pacifique en 1945, ils passent régulièrement de trois à quatre semaines consécutives en voyage. Loin de leur famille et de leur communauté, ils travaillent 21 heures par jour. Ils sont autorisés à dormir trois heures par nuit dans les fauteuils en cuir situés dans les voitures-fumoirs, juste à côté des toilettes. Pour obtenir ce moment de répit, ils doivent d’abord terminer toutes leurs tâches : laver les toilettes, cirer les chaussures, faire les lits, compter les draps et répondre aux demandes des passagers.

Le Canadien Pacifique ne relâche pas sa surveillance pendant les escales. Les porteurs sont tenus de se rendre à la gare tous les jours pour rendre compte de leurs activités et déplacements. Tout ce labeur leur rapporte 75 $ par mois. Comme les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, les pourboires sont essentiels à leur subsistance.

Or, bon nombre des porteurs ont déjà travaillé pour un syndicat ou en ont entendu parler. Y voyant le seul moyen d’améliorer leur sort, ils se rallient à A. Philip Randolph, un Américain célèbre pour son travail dans la mouvance syndicale, la défense des droits de la personne et l’organisation de la Fraternité des porteurs de wagons-lits aux États-Unis.

La première convention collective des porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique débouche sur plusieurs gains : augmentations salariales, rémunération des heures supplémentaires, couchettes personnelles et repas décents. Ces avancées améliorent considérablement l’existence des porteurs, mais aussi celle de leurs familles, se traduisant par l’achat de maisons, le déménagement dans les banlieues et l’accès à une meilleure éducation.

La collection d’entrevues Stanley Grizzle met en lumière la difficulté d’organiser des syndicats locaux dans l’ensemble du pays. Elle parle également des personnes qui ont joué un rôle essentiel dans cette réussite, notamment des auxiliaires féminines.

Bien que parfois lourds à entendre, ces récits sont aussi fascinants, car ils nous plongent dans la vie des porteurs, comme le mentionne Melvin Crump (entrevue 417403). Grâce à eux, nous pouvons comprendre ce que vivaient les porteurs. Ces hommes, faisant fi du racisme et de la discrimination systémique, transforment leur quotidien en occasions d’apprentissage. Il devient ainsi possible d’avoir du plaisir et de regagner un certain pouvoir. George Forray en est un bon exemple :

« C’était un enseignement que je n’aurais pu recevoir dans aucune université. C’était l’école de la vie, sous toutes ses facettes. Je n’aurais jamais pu acheter, mériter ou étudier tout ça. Il fallait que je le vive. » (Entrevue 417383)

La collection d’entrevues Stanley Grizzle préserve de véritables histoires de survie. Elle montre le point de vue des porteurs sur les voyageurs, sur eux-mêmes et sur un monde où tout était fait pour les rabaisser.

Autres ressources

    • My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada, Personal Reminiscences of Stanley G. Grizzle, Stanley G. Grizzle avec la collaboration de John Cooper (no OCLC 1036052571)
    • « Chapter 3 : The Black City below the Hill », dans Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence, and Class, Steven High, p. 92-128 (nOCLC 1274199219)
    • Unsettling the Great White North: Black Canadian History, Michelle A. Johnson et Funké Aladejebi, directrices de publication (no OCLC 1242464894)
    • North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870–1955, Sarah-Jane Mathieu (no OCLC 607975641)
    • The Sleeping Car Porter, Suzette Mayr (no OCLC 1302576764)

Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés et des minorités ethniques. Elle effectue actuellement des recherches pour le compte de Bibliothèque et Archives Canada.

Mary Ann Shadd Cary : vedette de la journée Douglass et de notre défi Co-Lab

Né dans l’esclavage vers 1818, Frederick Douglass devient une figure de proue du mouvement abolitionniste aux États-Unis. En plus d’être un auteur prolifique, c’est un brillant orateur, capable de captiver son auditoire. Tant dans son pays d’origine qu’en Grande-Bretagne, il stimule la pensée antiesclavagiste. Beaucoup le considèrent comme le plus influent défenseur des droits de la personne du 19e siècle.

Comme de nombreux esclaves, Douglass ne connaît pas sa date de naissance. Il décide donc de célébrer son anniversaire le 14 février. En son honneur, cette date deviendra la journée Douglass. Chaque année, pour l’occasion, on met en vedette des ressources sur l’histoire des Noirs, et on tourne souvent les projecteurs vers les archives de femmes noires ayant marqué l’histoire. En 2023, les archives de Mary Ann Shadd Cary sont à l’honneur.

Enseignante, journaliste, avocate et activiste, Mary Ann Shadd Cary a travaillé au sud et au nord de la frontière. Elle est entrée dans l’histoire en tant que première femme noire à créer et publier un journal.

Une femme noire regarde l’objectif.

Mary Ann Shadd Cary (c029977)

Mary Ann Shadd Cary est née libre dans l’État esclavagiste du Delaware, en 1823. Ses parents, Abraham et Harriet Parnell Shadd, prônent l’abolition. Leur domicile sert de refuge au chemin de fer clandestin. En 1850, le Congrès américain adopte une loi sur les esclaves fugitifs pour contraindre la population américaine à participer à leur capture. De lourdes amendes sont infligées aux contrevenants.

En 1851, la famille Shadd Cary déménage au Canada-Ouest (aujourd’hui l’Ontario). Installée à Windsor, Mary Ann ouvre une école pour desservir la population croissante d’esclaves en fuite. Elle devient une personnalité influente au sein de plusieurs sociétés qui luttent contre l’esclavage. En 1853, elle participe à la fondation de l’hebdomadaire The Provincial Freeman, dans lequel elle fait la promotion de l’émigration au Canada, de l’égalité, de l’intégration et de l’apprentissage autonome des personnes noires au Canada et aux États-Unis. Elle poursuit également sa carrière d’enseignante à Chatham (Ontario). En 1862, au début de la guerre de Sécession, elle devient citoyenne naturalisée du Canada-Ouest. Elle retourne néanmoins aux États-Unis par la suite.

Une feuille de papier grand format, en deux couleurs, comprenant du texte imprimé et écrit à la main.

Le certificat de naturalisation de Mary Ann Shadd Cary (e000000725)

Après son déménagement à Washington D.C., Mary Ann Shadd Cary étudie à l’Université Howard. Elle y écrit une nouvelle page d’histoire en 1883 lorsqu’elle devient la deuxième femme noire diplômée en droit aux États-Unis. À cette époque, elle s’implique également dans les mouvements américains en faveur des droits de la personne. Elle ne reviendra que brièvement au Canada, en 1881, pour y organiser un rassemblement de suffragettes.

Document comprenant du texte imprimé et écrit à la main. Dans le coin supérieur droit, on voit un emblème, la lettre A et le numéro 128.

Le passeport de Mary Ann Shadd Cary (e011536884-004)

En 1960 et 1964, Muriel E. Thompson, petite-fille de Mary Ann Shadd Cary, a donné à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) des documents originaux ayant appartenu à sa grand-mère. On y trouve de la correspondance familiale, un certificat de naturalisation du Canada-Ouest, un passeport de la province du Canada (qui couvrait le Québec et l’Ontario actuels) ainsi que des parties d’un numéro du Pioneer Press publié à Martinsburg, en Virginie-Occidentale. On y trouve aussi un véritable trésor : la seule photo connue de Mary Ann!

Les Archives publiques de l’Ontario et l’Université Howard à Washington conservent elles aussi des archives de Mary Ann Shadd Cary.

Pour célébrer la journée Douglass de 2023, des activités virtuelles et locales seront organisées afin de transcrire, lire et faire connaître les documents de Mary Ann Shadd Cary conservés à BAC et aux Archives publiques de l’Ontario. Les célébrations culmineront avec un marathon de transcription, pendant lequel des milliers de personnes transcriront des documents numérisés aussi fascinants qu’importants. Ceux-ci seront ensuite mis à la disposition des chercheurs et chercheuses du monde entier.

Nous vous invitons à transcrire, étiqueter, traduire et décrire les documents numérisés de notre défi Co-Lab sur Mary Ann Shadd Cary. Vous pouvez également décrire des images avec l’outil Recherche dans la collection.