Carrioles et tuppies métis

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

par William Benoit

Le mot « carriole » désigne à l’origine un traîneau tiré par des chevaux, en particulier le traîneau léger et ouvert utilisé au Canada français. À l’époque de la traite des fourrures, cependant, les carrioles sont tirées par des chiens. Elles revêtent une importance particulière en hiver, car elles assurent le transport de personnes importantes, du courrier, de marchandises et de pelleteries.

Lithographie couleur de deux hommes marchant près d’un passager assis dans une carriole tirée par trois chiens.

Le gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson à bord d’une carriole tirée par des chiens, avec un guide des Premières Nations et un conducteur métis, rivière Rouge, 1825. (c001940k)

La carriole ressemble à un toboggan, avec des côtés en cuir et une ossature légère en planches de bouleau. Au début de l’hiver, on fait geler le cuir mouillé sur l’ossature; la carriole conserve ainsi sa forme pendant toute la saison froide. Après la fonte printanière, on retire le cuir, qui sert alors à d’autres fins. Au fil du temps, des motifs peints viendront orner les flancs des carrioles métisses.

Reproduction couleur montrant l’arrivée d’une carriole tirée par des chiens. Les voyageurs sont accueillis par un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants rassemblés devant une maison.

Une carriole tirée par des chiens arrive au seuil d’une maison pour Noël, Manitoba, date inconnue. (e002291374)

La coutume consistant à pourvoir les chiens de traîneau de harnais ornementés et de couvertures brodées, appelées « tuppies » (du mitchif « tapi », lui-même dérivé du français « tapis »), voit le jour chez les Métis de la rivière Rouge dans la première moitié du 19e siècle. Les tuppies et les tiges en métal décorant les harnais sont ornés de gros grelots, de franges, de pampilles, de pompons et de plumes. On imagine facilement l’atmosphère de fête qui entoure l’arrivée des chiens de traîneau métis!


William Benoit est conseiller en engagement autochtone interne au bureau du bibliothécaire et archiviste du Canada adjoint à Bibliothèque et Archives Canada.

Histoires cachées

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Par Ryan Courchene

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) détient une collection d’archives et de documents publiés si vaste et incroyable que vous ne pourrez jamais la consulter dans sa totalité. Chaque jour, on peut trouver des perles cachées en consultant le site Web de BAC ou en visitant l’un des divers édifices abritant des fonds d’archives répartis partout au Canada.

Le bureau de Winnipeg, où je travaille, contient à lui seul près de 9 150 m (30 000 pi) linéaires d’archives. Lors d’un voyage professionnel à Ottawa en 2016, j’ai eu l’occasion d’observer le travail d’employés des Services de référence du 395, rue Wellington. Sur place, j’ai constaté trois meubles à compartiments près du comptoir d’accueil et j’ai demandé ce qu’ils contenaient.

Photo couleur, prise depuis un corridor, d’une salle de référence que l’on voit à travers une paroi et deux portes vitrées.

La salle de référence de BAC, à Ottawa, vue depuis le corridor. À gauche, on voit les tiroirs des meubles à compartiments contenant des fiches de recherche avec des copies de photographies. Source : Tom Thompson

Photo couleur de quatre étagères en métal dotées de huit tiroirs coulissants contenant des fiches et des exemplaires de photographies ainsi que des renseignements de référence connexes.

Tiroirs des meubles à compartiments se trouvant dans la salle de référence, organisés par vedettes-matières et lieux géographiques et contenant des fiches de recherche avec des copies de photographies conservées dans les collections de BAC, à Ottawa. Source : Tom Thompson

On m’a alors indiqué qu’ils renfermaient de petites fiches qui illustraient des images de la collection, copiées de microfilms et de microfiches. Intrigué, j’ai décidé de jeter un coup d’œil aux fiches pendant la pause du dîner. Je suis bien vite tombé sur la collection Birth of the West [la naissance de l’Ouest], un ensemble comprenant des centaines de remarquables photos de l’Ouest canadien, la majorité étant des images autochtones d’Ernest Brown. Petites et de mauvaise qualité, les photos de ces tiroirs n’étaient en fait que des copies de leurs versions originales. Tout chercheur vous dira que cela peut être à la fois frustrant et utile au moment d’effectuer une recherche sur place. De nombreuses photographies répertoriées dans les fiches catalographiques n’ont jamais été numérisées, comme c’est le cas pour cette image de l’orignal. Dans de telles situations, les fiches fournissent un accès immédiat aux images sans avoir à commander le matériel original entreposé ailleurs.

Les photos de cette prestigieuse collection ne sont pas seulement saisissantes sur le plan visuel, mais exceptionnelles pour la mine de renseignements à caractère historique qu’elles représentent sur le Canada et les peuples de Premières Nations de l’Ouest. Même si la collection compte des centaines d’images, l’une d’entre elles a réellement retenu mon attention. Chaque fois que je la regarde, elle raconte une histoire qui évolue sans cesse.

Photo couleur d’une fiche catalographique au ton crème. La partie gauche comprend de l’information dactylographiée en noir et organisée selon diverses catégories. Une copie d’une photo noir et blanc présentée sur le côté montre un orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, l’animal se tenant devant un tipi.

Fiche catalographique d’une copie d’une photo d’un jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois et qui se tient devant un tipi, lieu inconnu, vers 1870-1910. Source : Tom Thompson

Cette photo montre une petite maison qui pourrait appartenir à une famille de Métis ou de Premières Nations, des couvertures suspendues pour sécher, quelques arbustes nus, un chaudron de nourriture près d’un feu de camp, un beau tipi et, bien sûr, un jeune orignal domestiqué équipé d’un harnais fixé à un travois. Un élément n’a pas capté mon attention au premier coup d’œil, mais est sans doute le plus important de la photo : on voit une main agrippant la corde attachée à l’orignal. Mon grand-père me racontait comment il avait défriché sa propre terre pour la cultiver et y élever du bétail. Est-ce que c’est ce qui se passe sur la photo? Sinon, que nous raconte-t-elle? Chaque fois que je regarde cette photo, diverses possibilités s’offrent à moi et soulèvent toujours plus de questions.

Détail d’une photo noir et blanc montrant la main d’une personne tenant une corde.

Détail de la photo d’un jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois et qui se tient devant un tipi, lieu inconnu, vers 1870-1910. Source : Tom Thompson

Après avoir vu la photo de ce jeune orignal, j’en voulais un exemplaire. Comme je travaillais à rebours, il me fallait trouver l’image dans la collection pour savoir si elle avait déjà été numérisée, et dans le cas contraire, vérifier si l’obtention d’un exemplaire faisait l’objet de restrictions. Malheureusement pour moi, la photo n’était pas numérisée et j’ai préféré ne pas insister pour en obtenir un exemplaire.

Finalement, en 2019, il est venu à mon attention que l’on procédait à la numérisation de la collection d’Ernest Brown dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires. La photo de l’orignal est l’une des 126 images de l’album intitulé Birth of the West [la naissance de l’Ouest]. Datant de la période 1870-1910, l’album comprend des photos prises dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le Nunavut) et la Colombie-Britannique. En plus de numériser et de décrire entièrement cet album, l’équipe de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires a numérisé plus de 450 000 images, y compris des enregistrements photographiques, des documents textuels et des cartes, dans le but de fournir un accès en ligne gratuit aux sources primaires. Aucun déplacement requis!

En octobre 2019, j’ai finalement pu commander un exemplaire. Je me réjouis de savoir que je possède le premier exemplaire imprimé de cette splendide photo numérisée. Aujourd’hui, elle est accrochée à l’un des murs de mon bureau.

Photo noir et blanc entourée d’une large bordure blanche et présentée sur une page gris foncé d’un album. La photo illustre un orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, l’animal se tenant devant un tipi.

Jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, lieu inconnu, vers 1870-1910. Cette photo apparaît à la page 28 de l’album Birth of the West [la naissance de l’Ouest]. (e011303100-028)


Ryan Courchene est archvisite à la Direction des initiatives autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

Kwaata-nihtaawakihk : la naissance difficile du Manitoba

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par William Benoit

Le Canada célèbre des anniversaires importants en 2020. En effet, 150 ans se sont écoulés depuis l’annexion de la Terre de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest au Canada en 1870. C’est également en 1870 que le Manitoba entre dans la Confédération, ce qui ne se fait pas sans heurts. En effet, le gouvernement du Canada se demande si le Manitoba doit demeurer un vaste territoire ou devenir officiellement une province. Les Métis poussent finalement le Canada à opter pour la province.

Tableau montrant une personne qui tient une cravache au-dessus de sa tête, debout sur un traîneau tiré dans la neige par un cheval brun qui se cabre.

Se frayer un chemin au Manitoba (e011072986)

Le Manitoba est le premier à se joindre aux quatre provinces fondatrices du Canada : l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Il n’y a donc pas de modèle à suivre. Mais alors qu’on s’attendrait à une réflexion approfondie et inclusive sur l’avenir de la province, les Métis vivent une tout autre expérience, marquée par la déportation, les traumatismes et plus tard la résilience. Leur situation se détériore une fois le Manitoba intégré à la Confédération. Les nouveaux pionniers provenant de l’Ontario se montrent hostiles. Pendant plusieurs générations, des aînés décriront cette période comme un règne de terreur contre les Métis.

L’aînée de la Nation métisse Verna DeMontigny a récemment comparé le processus de création de la province du Manitoba à une naissance difficile, ou Kwaata-nihtaawakihk dans la langue michif. Le terme est très approprié.

La Cour suprême du Canada, dans son jugement rendu en 2013 dans l’affaire Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada, présente un récit détaillé sur le peuple métis, la colonie de la rivière Rouge et le conflit à l’origine de la Loi sur le Manitoba et de l’union du Manitoba avec le Canada :

L’histoire commence avec les peuples autochtones qui occupaient ce qui est devenu la province du Manitoba — les Cris et d’autres nations moins populeuses. Vers la fin du dix‑septième siècle, des aventuriers et explorateurs européens ont traversé le territoire sans s’y arrêter. L’Angleterre a revendiqué symboliquement les terres pour ensuite donner à la Compagnie de la Baie d’Hudson […] le contrôle d’un vaste territoire appelé Terre de Rupert, y compris ce qui est aujourd’hui le Manitoba. Les Autochtones ont continué d’occuper ce territoire. Outre les Premières Nations, le territoire a vu naître un nouveau groupe autochtone, les Métis — issus des premières unions entre les explorateurs et négociants européens et les femmes autochtones. À l’origine, les descendants de parents anglophones étaient appelés les Sang‑mêlé, alors que ceux ayant des racines françaises étaient appelés les Métis.

Le 19 novembre 1869, la Compagnie de la Baie d’Hudson cède à la Couronne britannique la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest. Le 15 juillet 1870, par un décret signé quelques semaines plus tôt (le 23 juin), le gouvernement britannique admet ces territoires au sein du Canada, en vertu de l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1867).

Il faudra attendre près de huit mois après la cession de ces territoires pour que le transfert entre pleinement en vigueur.

Le gouvernement du Canada, alors dirigé par le premier ministre John A. Macdonald, a l’intention d’absorber les territoires et de les ouvrir à la colonisation. Toutefois, il doit d’abord régler la question des peuples autochtones qui les habitent. Selon la Proclamation royale de 1763, le Canada a le devoir de traiter avec les nations autochtones souveraines pour obtenir leur consentement avant que la Couronne impériale puisse exercer sa souveraineté sur elles. Rédigée plus de cent ans auparavant, la Proclamation a pour objectif d’organiser et de gérer les territoires nouvellement élargis de l’Amérique du Nord britannique au terme de la guerre de Sept Ans. Elle comporte des règles qui doivent stabiliser les relations avec les peuples autochtones en encadrant le commerce, l’établissement des pionniers et l’achat de terres dans les régions à coloniser.

Dessin montrant des personnes assises autour d’un orateur debout. À l’arrière-plan se trouve un bâtiment avec des personnes assises ou debout sur le balcon.

Le traité avec les Indiens du Manitoba – un chef indien prononce un discours à Stone Fort (l’homme métis assis sur une chaise dans le cercle est peut-être un interprète) (e010967476)

Ainsi, pour les Premières Nations, le processus devrait consister à conclure des traités par lesquels elles accepteraient que leurs terres soient colonisées, en échange d’autres terres qui leur seraient réservées et de certaines promesses. La politique du gouvernement à l’égard des Métis n’est cependant pas aussi bien définie.

Photographie en sépia d’une petite ville où des bâtiments se dressent de chaque côté d’une large rue de terre marquée de traces de charrettes.

La rue principale vue vers le sud, Winnipeg, 1879. La rue est large pour que les charrettes de la rivière Rouge puissent circuler. (e011156541)

L’afflux massif de pionniers blancs dans la région de la rivière Rouge commence avant l’entrée du Manitoba dans la Confédération canadienne. Le contrôle social et politique des Métis s’effrite, ce qui entraîne de la résistance et de l’hostilité. Pour régler le conflit et assurer l’annexion du territoire, le gouvernement du Canada entreprend des négociations avec des représentants du gouvernement provisoire dirigé par les Métis. Ces négociations mènent à l’adoption, en 1870, de la Loi sur le Manitoba, par laquelle le Manitoba devient une province canadienne.

La Loi est un document constitutionnel, mais elle est dotée de nombreuses caractéristiques des traités. Elle officialise les promesses et obligations du Canada envers le peuple métis. Ces promesses représentent les conditions selon lesquelles les Métis acceptent d’intégrer le Canada et d’abandonner leur territoire et leur revendication à l’autodétermination. Ces obligations sont encore en vigueur aujourd’hui.

La Nation métisse est un peuple autochtone reconnu partout dans le monde. Au Canada, ses droits ancestraux et issus de traités sont enchâssés dans la Constitution, au même titre que ceux des Premières Nations (« Indiens ») et des Inuit (« Esquimaux »). La patrie de la Nation métisse couvre un vaste territoire dans le centre-ouest de l’Amérique du Nord. Les Métis ont fondé le Manitoba en 1870 et ont été des partenaires de négociation du Canada au sein de la Confédération. Ils continuent de jouer un rôle de premier plan dans le développement du Canada contemporain.

En michif : Li Michif Naasyoon nishtowinikaatew oobor lii piyii pi li moond nishtowiinikasowak li moond autochtone. Daan li Canada si te payyek enn band di moond avek lii dray tretii daan li constitution, aloon bor li Promii Naasyoon pi li Ziskimoo. Li Michif Naasyoon Nataal li piyii mitoni kihchi-mishow, li taryaen daan li sawntrel west Nor America. Lii Michif, koum li fondateur di Manitoba daan li 1870 pi Canada’s naasaasyi-iwow di maashkihtonikaywin daan li Confederation, kiiyapit il li enportaan daan li Canada’s oosishchikeywiin.


William Benoit est conseiller en engagement autochtone interne au bureau du bibliothécaire et archiviste du Canada adjoint à Bibliothèque et Archives Canada.

L’histoire du Manitoba et du pénitencier de Lower Fort Garry, 1871-1877

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par David Horky

Les archives sur les débuts du pénitencier du Manitoba (1871-1877) sont presque aussi vieilles que le Manitoba lui-même. Le pénitencier était situé à Lower Fort Garry, aussi appelé « le fort de pierre »; son histoire témoigne des origines turbulentes de la province.

Le bureau de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) à Winnipeg conserve de nombreux documents remontant aux débuts du pénitencier, comme les registres d’admission des détenus, les carnets de commandes des directeurs et les lettres quotidiennes du chirurgien; on peut aussi les consulter en ligne sur le site Canadiana Héritage (en anglais). Par ailleurs, BAC et d’autres organismes conservent des archives diverses liées au pénitencier, dont la plupart sont en ligne. L’information qu’on y trouve – tant sur l’établissement lui-même que sur certains détenus – nous donne un aperçu fascinant de l’histoire du Manitoba, tout juste après sa création, en 1870.

Le fort de pierre

Photo noir et blanc d’un grand bâtiment pâle au toit foncé. Le bâtiment est entouré d’une clôture.

Magasin de fourrures situé à l’intérieur du Lower Fort (ou « fort de pierre »), 1858. (e011156706) De 1871 à 1877, le bâtiment héberge d’abord le pénitencier et l’asile du Manitoba.

Le pénitencier du Manitoba est construit à Lower Fort Garry en 1871, un an après l’entrée du Manitoba dans la Confédération à titre de cinquième province canadienne. Lower Fort Garry, le « fort de pierre », est érigé en 1830 par la Compagnie de la Baie d’Hudson sur la rive ouest de la rivière Rouge, 32 kilomètres au nord de Fort Garry (l’actuelle Winnipeg). C’est alors un centre de troc et un dépôt de fournitures pour la colonie de la Rivière-Rouge.

En 1870, l’endroit sert de quartier général pour les troupes britanniques et canadiennes déployées par le gouvernement canadien. Commandées par le colonel Garnet J. Wolseley, ces troupes ont pour mission de maintenir la paix et l’ordre après la Résistance de la rivière Rouge organisée par les Métis –événement qui débouchera sur la création du Manitoba. Or, à l’opposé de leur mission, les troupes canadiennes (et en particulier celles de l’Ontario) sont accusées d’instaurer en toute impunité un véritable règne de terreur, de violence et d’intimidation envers les Métis de la colonie de la Rivière-Rouge. (Notez que la source fournie en hyperlien est en anglais seulement.)

Lorsque les militaires quittent le fort, en 1871, les troupes canadiennes sont réaffectées à Upper Fort Garry et à Fort Osborne. Le sergent quartier-maître du 2e Bataillon des Fusiliers de Québec, Samuel L. Bedson, reste toutefois sur place; il devient le premier directeur du pénitencier du Manitoba, à Lower Fort Garry.

À l’intérieur du fort, le bâtiment de pierre est alors converti en prison et en asile, accueillant tant des criminels que des personnes souffrant de maladie mentale. On pose des barreaux aux fenêtres et aux lucarnes, on bloque l’entrée ouest, on sécurise la porte à l’est, on installe un mât et un ballon de signalisation et on érige des palissades.

Des prisonniers pas ordinaires : les détenus autochtones et l’histoire du Manitoba, 1871-1877

Deux pages d’un carnet, avec des notes manuscrites.

Registre d’admission de détenus, 1871-1885. (T-11089, image 810; R942-29-1-E, RG73-C-7)

Dans le registre d’admission portant sur les deux premières années du pénitencier (1871-1872), on ne relève que sept détenus, incarcérés pour vol de chevaux, petits larcins, vol ou introduction par effraction. Leurs origines sont étonnamment diversifiées : un Suédois, quelques Américains, un Anglais, quelques Ontariens et quelques habitants de la rivière Rouge. On y mentionne aussi, pour 1874, l’admission d’un prisonnier « fou » (lunatic), terme offensant utilisé pour désigner les personnes atteintes de maladie mentale. En effet, le pénitencier sert également d’asile jusqu’en 1886 (y compris après son déménagement à Stony Mountain); cette année-là, l’asile provincial de Selkirk, le premier du genre dans l’Ouest canadien, ouvre ses portes.

Le registre d’admission du pénitencier liste entre autres les noms, les délits et les sentences des premiers détenus. Mais d’autres sources nous renseignent aussi sur les circonstances entourant leur emprisonnement. Dans le cas des prisonniers des Premières Nations et de la Nation métisse, il est particulièrement important de garder à l’esprit les événements qui se déroulent alors dans la colonie de la Rivière-Rouge et, en général, dans les Territoires du Nord-Ouest.

En fait, le tout premier détenu inscrit, en mai 1871, est un membre de la Première Nation Dakota nommé John Longbones. Il est condamné à deux ans de prison pour voies de fait commises dans l’intention de mutiler. En 1873, deux autres hommes de sa communauté, Pee-ma-ta-kow et Mc-ha-ha, sont aussi emprisonnés à Lower Fort Garry, respectivement pour larcin et introduction par effraction.

Une raison particulière explique le petit nombre de détenus autochtones alors incarcérés à Lower Fort Garry. À l’époque, un membre d’une Première Nation est seulement déclaré coupable s’il enfreint la loi – et est pris sur le fait – alors qu’il se trouve sur le territoire d’une communauté de pionniers. En effet, les Premières Nations ne reconnaissent pas l’autorité législative du Dominion du Canada dans les régions du Nord-Ouest; en outre, aucun moyen n’existe pour y faire respecter la loi.

Le pénitencier du Manitoba joue donc un rôle important, quoique symbolique, dans l’application des lois canadiennes au sein des communautés autochtones. En effet, le gouvernement du Canada veut paver la voie à une colonisation ordonnée de la province, ainsi que des Territoires du Nord-Ouest, récemment acquis. Avec l’arrivée d’un nombre croissant d’immigrants en provenance de l’Est du Canada (surtout de l’Ontario) et de l’étranger, le gouvernement accorde une grande importance à la négociation des traités avec les Premières Nations; c’est là une étape primordiale pour instaurer la paix, l’ordre et la bonne gouvernance dans l’Ouest canadien.

Page tapuscrite d’un rapport du gouvernement.

Rapport de la Division des affaires indiennes du Secrétariat d’État pour les Provinces, Adams G. Archibald, 29 juillet 1871. (e18710014)

Le destin veut que le premier de ces traités se négocie à Lower Fort Garry, à l’ombre du pénitencier, le 25 juillet 1871; la loi et les peines deviennent les enjeux centraux des négociations. Dans un rapport de la Division des affaires indiennes daté du 29 juillet 1871, Adams George Archibald, premier lieutenant-gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, décrit sa rencontre avec les chefs des Chippewas et des Cris des marais pour la signature du Traité n° 1. À sa grande surprise, les chefs refusent de signer le traité avant d’avoir « dissipé un nuage ».

Archibald apprend alors que les chefs sont troublés par l’incarcération de certains de leurs frères, détenus au pénitencier du Manitoba pour rupture de contrat et désertion auprès de la Compagnie de la Baie d’Hudson; ils demandent leur libération. Archibald leur répond que toute personne transgressant la loi doit être punie. Néanmoins, à cause de l’importance du traité pour le gouvernement du Canada, il consent à libérer les prisonniers — non pas pour une raison de droit, mais plutôt comme une faveur accordée par la Couronne. Les négociations reprennent, et débouchent sur la signature du Traité n° 1 le 3 août 1871.

Parallèlement aux négociations sur les traités, les Métis de la colonie de la Rivière-Rouge demeurent agités, ce qui préoccupe le gouvernement. En colère, frustrés par le règne de terreur de la milice canadienne et par les promesses brisées concernant la protection de leurs droits et de leurs terres, un petit nombre de Métis s’allient à un groupe de fenians actifs à la frontière américaine, à Pembina (de nos jours le Dakota du Nord). Les fenians sont des nationalistes irlandais vivant aux États-Unis. Ils cherchent à capturer un territoire canadien pour monnayer l’indépendance de l’Irlande vis-à-vis la Grande-Bretagne.

En octobre 1871, quelques Métis participent à un raid mené par les fenians (source en anglais) à Emerson, un avant-poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson situé près de la frontière américaine. Ce raid doit servir de prélude à une éventuelle incursion de la colonie de la Rivière-Rouge. Mais la cavalerie américaine intervient; quelques-uns des Métis capturés sont ramenés à Winnipeg par des représentants canadiens, afin de subir un procès pour « avoir fait la guerre contre Sa Majesté de façon délictuelle et illégal  ».

Un seul de ces Métis, Oiseau Letendre, figure dans le registre d’admission du pénitencier du Manitoba pour l’année 1871. Même si le registre affirme que Letendre est originaire de Rivière-Rouge, celui-ci habite en fait à Pembina, de l’autre côté de la frontière américaine. Le registre passe sous silence la raison de son incarcération, mais précise la lourde peine qui lui est infligée : 20 ans de prison. Une note ultérieure mentionne sa remise en liberté, survenue en 1873 sur ordre du gouverneur général.

Page lignée d’un registre avec des entrées manuscrites. Les mots « Capital case » (peine capitale) et le nombre 1673 sont inscrits en haut.

Oiseau Letendre comparaît devant le juge Johnson dans un procès pour peine capitale à Fort Garry, au Manitoba, pour avoir fait la guerre contre Sa Majesté. Sa peine est réduite à 20 ans d’emprisonnement, 1871-1872. [Traduction] (e002230571)

On peut lire dans le dossier d’Oiseau Letendre que celui-ci chasse le bison et conduit des charrettes sur les pistes de transport des marchandises entre Fort Garry et St. Paul. Plusieurs membres de sa famille vivent dans la colonie de la Rivière-Rouge et dans la communauté de Batoche, le long de la rivière Saskatchewan Sud, ce qui fait craindre aux représentants du Dominion que l’opposition de Letendre au gouvernement fédéral ne soit pas un cas isolé. Ils décident donc d’en faire un exemple et le condamnent à la pendaison; dans un geste de clémence, le premier ministre John A. Macdonald commue cette peine à 20 ans de prison.

Letendre affirme cependant être un citoyen américain, et le gouvernement des États-Unis fait pression pour qu’il soit remis en liberté. C’est ainsi qu’en janvier 1873, il obtient un pardon du gouverneur général, à condition de s’exiler hors du pays jusqu’au terme de sa peine de 20 ans.

Peu après, en septembre 1873, survient une autre affaire qui sera encore plus médiatisée. Une personnalité métisse bien connue est arrêtée et brièvement emprisonnée au fort de pierre. Il s’agit d’Ambroise Lépine, capitaine-adjudant du gouvernement provisoire de Louis Riel. On l’accuse d’avoir participé à l’exécution de Thomas Scott pendant la Résistance de la rivière Rouge, en 1870.

(Ironie du sort : Riel et Lépine s’étaient opposés à ce que les Métis appuient les fenians pour envahir la colonie de la Rivière-Rouge. En octobre 1871, alors qu’ils étaient des fugitifs, ils revinrent même furtivement dans la colonie pour diriger les troupes volontaires de Saint-Boniface afin de défendre la colonie contre cette menace.)

Après son arrestation, on envoie d’abord le prisonnier Lépine au pénitencier de Lower Fort Garry pour qu’il y soit gardé en lieu sûr. On ne sait pas avec certitude quelle est la durée de son séjour là-bas, puisqu’il ne figure pas dans le registre d’admission des détenus. On sait toutefois qu’à la fin de 1873 ou au début de 1874, Lépine est transféré dans la nouvelle prison provinciale construite à côté du palais de justice de Winnipeg. C’est là que se tient son procès et qu’il purgera sa peine.

Le procès d’Ambroise Lépine suscite un immense intérêt, non seulement au Manitoba, mais partout au pays. Comme ce sera le cas lors du procès de Louis Riel à Regina, une douzaine d’années plus tard, le procès d’Ambroise Lépine divise la population : l’Ontario le condamne, tandis que le Québec sympathise à sa cause. Finalement, tout comme Oiseau Letendre, Lépine est condamné à la pendaison. Cependant, le gouverneur général réduit sa peine à deux ans, mais révoque indéfiniment ses droits civiques. Plus tard, Lépine se verra offrir une amnistie totale en échange d’un exil de cinq ans. Il refusera l’offre et purgera sa peine, retrouvant enfin sa liberté en octobre 1876.

Page montrant les portraits dessinés de quatre hommes.

Frontispice du livre Preliminary Investigation and Trial of Ambroise D. Lépine for the Murder of Thomas Scott, 1874 (offert en version numérisée sur Internet Archive). Ambroise Lépine est en bas; Louis Riel, en haut. Les avocats de Lépine, J. A. Chapleau et Joseph Royal, sont respectivement à gauche et à droite.

La fin d’une époque

L’ouverture du pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry s’accompagne de plusieurs enjeux qui témoignent des origines turbulentes de la province et de la précarité des relations avec les Autochtones et la Nation métisse. Ces enjeux toucheront de près la façon dont le gouvernement fera la promotion de la colonisation dans l’Ouest.

En 1877, le gouvernement du Canada a négocié la plupart des traités nos 1 à 7 avec les Premières Nations qui peuplent de vastes régions des Territoires du Nord-Ouest (dans ce qui est de nos jours le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta). Ces négociations ont pavé la voie à l’expansion du Chemin de fer Canadien Pacifique et à la colonisation soutenue des Prairies. Cependant, avec l’arrivée massive des colons, la situation de nombreuses Premières Nations se dégrade : la colonisation compromet de plus en plus leurs modes traditionnels de subsistance, la chasse au bison subissant entre autres un déclin irréversible.

Les communautés métisses de la colonie de la Rivière-Rouge vacillent elles aussi sous la pression des pionniers qui affluent au Manitoba en provenance de l’Est du Canada et de l’étranger. Malgré les promesses de l’Acte du Manitoba, elles ont subi un véritable règne de terreur instauré par la milice canadienne, et se sont fait voler leurs terres avec la complicité des tribunaux. Par conséquent, des milliers de Métis de la rivière Rouge décident de quitter le Manitoba dans les années 1870. Ils se dirigent vers l’Ouest, dans ce qui est aujourd’hui la Saskatchewan et l’Alberta. Là, ils se joignent à d’autres communautés métisses ou en forment de nouvelles.

Ces mouvements de population, chez les Métis dépossédés et désespérés, font peut-être craindre au gouvernement fédéral des perturbations au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest; celui-ci décide alors de se donner les moyens pour faire respecter la loi dans le nord-ouest du pays. Il met sur pied des tribunaux territoriaux pour pouvoir intenter des poursuites judiciaires, et crée la Police à cheval du Nord-Ouest pour faire régner la loi et l’ordre. En outre, il se prépare à remplacer le fort en pierre de Lower Fort Garry par une prison plus grande, qui pourra héberger les détenus de toute la région; en fait, les travaux en ce sens avaient déjà été lancés en 1872.

La nouvelle prison est achevée en 1878, et prend le nom de pénitencier du Manitoba à Stony Mountain. C’est ainsi que prend fin l’histoire du pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry. Le Manitoba, devenu le centre administratif et logistique pour tout l’Ouest du pays, entre alors dans une nouvelle ère.

En plus des archives sur le pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry, le bureau de Bibliothèque et Archives Canada à Winnipeg possède de nombreux documents sur le pénitencier du Manitoba à Stony Mountain (ou le pénitencier de Stony Mountain, comme on l’appellera plus tard). Vous pouvez les consulter sur Canadiana Héritage (en anglais). Toutes ces archives constituent une mine d’histoires fascinantes!


David Horky est archiviste principal au bureau de Bibliothèque et Archives Canada à Winnipeg.

Hommage et souvenir : un soldat métis dans le Corps expéditionnaire canadien, 1917-1918

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par David Horky

Plus de 5 000 noms sont gravés pour la postérité sur le Monument commémoratif du Canada en l’honneur des vétérans métis, à Batoche, en Saskatchewan. Dévoilé en 2014, ce monument rend hommage aux anciens combattants de la Nation métisse ayant servi le Canada au cours de son histoire. Leur mémoire est également perpétuée dans la liste des vétérans métis (PDF) conservée par l’Institut Gabriel-Dumont. Celle-ci décline, en plus de leur identité, leur numéro de matricule, leur période de service (c’est-à-dire la guerre ou la mission à laquelle ils ont participé) et l’emplacement de leur nom sur le monument, par colonne et par rang.

Cette liste fut une ressource précieuse lorsque j’ai entamé mes recherches sur un lointain parent ayant combattu et péri pendant la Première Guerre mondiale. En effet, j’ai récemment découvert des branches métisses dans mon arbre généalogique, grâce aux sources généalogiques sur les Métis trouvées sur le site Web de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Je suis alors tombé sur le dossier de service militaire d’un parent éloigné, le soldat Arthur Carriere.

J’ai eu la fierté de trouver son nom dans la liste de l’Institut Gabriel-Dumont, ce qui confirme qu’il apparaît bien sur le Monument commémoratif du Canada en l’honneur des vétérans métis. J’ai aussi constaté que le numéro de matricule donné dans la liste – 2293697 – correspond au numéro de régiment se rapportant au soldat Arthur Carriere sur le site Web de BAC. Cet exemple illustre la grande valeur de la liste pour les familles et les chercheurs qui désirent répertorier les vétérans métis parmi les 600 000 soldats dont les dossiers ont été numérisés et versés dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Grâce au dossier de service numérisé d’Arthur – une preuve tangible de sa participation au conflit, – j’ai pu honorer, de façon très personnelle, la mémoire d’un de mes ancêtres qui a servi son pays et s’est sacrifié pour lui. Même si, individuellement, les documents contenus dans le dossier fournissent relativement peu de renseignements sur Arthur, ils brossent ensemble un tableau impressionniste de son bref et tragique séjour au front.

Page dactylographiée ayant comme titre « Particulars of Recruit, Drafted under Military Service Act, 1917 » (Renseignements sur le conscrit, rédigés en vertu de la Loi du service militaire, 1917). On y voit des inscriptions au tampon encreur et à la plume.

La feuille d’engagement tirée du dossier de service numérisé d’Arthur Carriere. (Bibliothèque et Archives Canada, CEC 2293697)

Même si le dossier ne mentionnait pas explicitement l’ascendance métisse d’Arthur, j’ai cru en détecter les traces dans certains documents, et particulièrement sa feuille d’engagement. Celle-ci fournit des renseignements de base sur le conscrit au moment de son enrôlement : son âge, sa profession, son lieu de résidence, le nom et l’adresse du plus proche parent, etc.

Né en 1893 à Saint-Adolphe, au Manitoba, Arthur a 24 ans lorsqu’il s’enrôle. Agriculteur célibataire, il réside alors à Saint-Vital, dans la même province. Sa plus proche parente est sa mère, A. (Angèle) Carriere, domiciliée à Sainte-Rose, au Manitoba. (L’information sur le parent proche est très utile pour retracer les origines métisses, puisque l’origine ethnique est habituellement omise dans le dossier.) Les noms des localités ont particulièrement attiré mon attention : ce sont toutes des communautés franco-manitobaines avec de profondes racines métisses qui perdurent à ce jour.

La feuille mentionne aussi les circonstances de l’enrôlement d’Arthur, la plus importante étant qu’il ne se porte pas volontaire, mais qu’il est enrôlé en vertu de la Loi du service militaire. Il se soumet à un examen médical le 14 novembre 1917 à Fort Frances, en Ontario, et est appelé sous les drapeaux le 11 janvier 1918 à Winnipeg, comme soldat au sein du régiment de fusiliers à cheval Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians).

Formulaire dactylographié et manuscrit ayant pour titre « Casualty Form – Active Service » (Formulaire des pertes – service actif). Le numéro de régiment, le rang et le nom du militaire sont tapés à l’encre bleue, accompagnés de notes manuscrites.

Le formulaire des pertes (« Casualty Form ») tiré du dossier de service numérisé d’Arthur Carriere. (Bibliothèque et Archives Canada, (CEC 2293697)

Le formulaire des pertes pendant le service actif nous donne un aperçu des activités d’Arthur après son enrôlement. Ayant quitté Halifax avec son régiment le 15 avril 1918 à bord du S.S. Melita, il débarque à Liverpool, en Angleterre, le 28 avril. Le 20 août, peu après son arrivée en France, il entre au Camp de renfort du Corps canadien, où les troupes sont stationnées en attendant d’aller prêter main-forte aux unités sur le terrain.

Quelques semaines plus tard, le 13 septembre 1918, Arthur est muté aux Royal Canadian Dragoons, un régiment rattaché à la Brigade de cavalerie canadienne, mais qui joue surtout un rôle d’infanterie durant la guerre. Moins d’un mois plus tard, il perd tragiquement la vie. Dans le dossier, on indique simplement qu’il a été « tué au combat » le 10 octobre 1918. Il ne restait qu’un mois et un jour avant la signature de l’Armistice, le 11 novembre 1918, qui allait sonner le glas de la Première Guerre mondiale.

Un autre document militaire nous donne quelques détails supplémentaires sur le décès d’Arthur. Il s’agit des Registres de circonstances du décès, Première Guerre mondiale, dans lesquels le Corps expéditionnaire canadien (CEC) consigne la cause, l’endroit et le moment du décès des soldats, ainsi que l’emplacement de leur sépulture. Le document sur le soldat Arthur Carriere indique que le 10 octobre 1918, « alors qu’il agit comme aide-soignant au quartier général de la brigade, à Troisvilles, il est tué au combat par un obus ennemi ». L’emplacement de son dernier repos est la tombe no 8, lot 11, rangée C dans le Highland British Cemetery, situé à environ un kilomètre et demi au sud de Le Coteau, selon le registre de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth.

BAC possède une multitude de documents datés de la Première Guerre mondiale (trop nombreux pour être tous énumérés ici), ainsi que des sources d’information externes qui fournissent d’autres renseignements importants sur les soldats qui y ont participé et les unités du Corps expéditionnaire canadien qui ont combattu en France et dans les Flandres.

Fiche qui énumère le numéro de régiment, le rang, le nom de famille, le nom de baptême, l’unité, le théâtre d’opérations, la date du service, des remarques ainsi que la dernière adresse du soldat. Dans le coin supérieur droit sont inscrites les lettres B et V, superposées à un crochet bleu.

Le certificat d’obtention de médailles du dossier de service numérisé d’Arthur Carriere. (Bibliothèque et Archives Canada, CEC 2293697)

Fiche sur laquelle est écrit « Soldat Arthur Carriere » et « 649-C25592 », avec un crochet dans le haut. On y voit aussi un grand M écrit à l’encre bleue.

Le certificat d’obtention de la Croix du Souvenir qui figure dans le dossier de service numérisé d’Arthur Carriere. (Bibliothèque et Archives Canada, CEC 2293697)

Le décès d’Arthur ne marque pas la fin de son histoire. Les médailles qu’il a reçues, telles que la Médaille de guerre britannique et la Médaille de la victoire (comme l’indiquent les lettres B et V écrites en majuscules avec un crochet sur son certificat d’obtention de médailles), ont été remises à sa mère endeuillée par une nation reconnaissante, accompagnées de la Croix du Souvenir, du Parchemin commémoratif et de sa plaque.

La mort d’Arthur s’est aussi fait ressentir dans la communauté métisse franco-manitobaine de Saint-Norbert. Peu après la fin de la guerre, le Monument commémoratif de guerre de Saint-Norbert fut érigé en hommage au sacrifice suprême fait par Arthur et 12 autres résidents.

De l’érection du monument de Saint-Norbert, à la fin de la Grande Guerre, jusqu’au dévoilement récent du Monument commémoratif du Canada en l’honneur des vétérans métis, à Batoche, l’histoire d’Arthur témoigne de la volonté de reconnaître les services rendus au Canada par des vétérans de la Nation métisse et de perpétuer leur souvenir.

L’Institut Gabriel Dumont est conscient que de nombreux combattants métis demeurent sans doute inconnus, alors qu’ils méritent qu’on les honore et qu’on se souvienne d’eux. Grâce à son formulaire, il est possible de soumettre les noms et les renseignements militaires d’autres vétérans métis afin qu’ils soient inscrits sur le Monument commémoratif, et que le Canada et la Nation métisse leur rendent les honneurs qui leur sont dus.


David Horky est archiviste principal au bureau de Winnipeg de Bibliothèque et Archives Canada.

Force et puissance : les soldats autochtones, de l’Égypte à l’Europe de la Première Guerre mondiale

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Elizabeth Kawenaa Montour et Sara Chatfield

 Lorsque des membres des Premières Nations, de la Nation inuite et de la Nation métisse ont été recrutés pour participer à la Première Guerre mondiale, en 1914, aucun ne connaissait le nouveau visage des combats au 20e siècle.

En 1884, lors de ce qu’on pourrait qualifier de prélude à la Grande Guerre, environ 56 Kanyen’kehà:kas (Mohawks), 30 Ojibwés et 19 Métis avaient pris part à une expédition britannique de six mois sur le Nil, en Égypte. Ils avaient été choisis pour leur force, leur endurance et leur habileté à manœuvrer embarcations et radeaux; des qualités nécessaires pour naviguer dans les cataractes et les rapides du Nil. Mais les 400 hommes du groupe n’ont pas combattu activement, puisqu’ils sont arrivés deux jours après la prise de Khartoum, au Soudan, et le décès du major britannique Charles G. Gordon.

Les membres de l’expédition sont donc rentrés au bercail, 16 hommes en moins. Ils ont pu témoigner de tout ce qu’ils avaient vu pendant leur voyage sur le Nil : temples monolithiques et statues sculptées dans les collines d’Abou Simbel, sphinx de Gizeh, pyramides, marchés exotiques et scènes de la vie égyptienne au Caire.

Photo noir et blanc d’un grand groupe d’hommes posant devant les édifices du Parlement.

Voyageurs canadiens devant le Parlement (détail du contingent canadien du Nil), 1884. (c002877)

Trois décennies plus tard, on retrouve à nouveau les soldats autochtones sous les drapeaux : alors que la Première Guerre mondiale fait rage, ils participent à une expédition militaire outre-mer avec le Corps expéditionnaire canadien (CEC). C’est pour eux une occasion de voir le monde, de prouver leur courage et de démontrer leurs aptitudes au combat. Mais ces combats ainsi que les stratégies ont grandement changé. Les soldats sont dorénavant confrontés aux armes chimiques, aux mitrailleuses, aux avions de chasse, aux véhicules blindés et à la guerre de tranchées.

Notre nouveau défi Co-Lab, Correspondance sur les soldats des Premières Nations rapatriés après la Première Guerre mondiale met en lumière le vécu des soldats autochtones pendant la guerre et après leur rapatriement, ainsi que l’impact de leur absence dans leurs communautés. En fait, ils contiennent davantage de renseignements que les traditionnels dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. On peut y apprendre, par exemple, ce qu’un soldat comptait faire après la guerre, s’il possédait des terres ou des animaux de ferme, ou s’il était apte à pratiquer l’agriculture; ou encore, s’il souffrait d’incapacités, avec qui il vivait, et s’il avait des personnes à sa charge.

La présence de ces informations additionnelles s’explique par le fait que ces dossiers ont été créés par l’ancien ministère des Affaires indiennes, où un « agent des Indiens » fédéral a inclus des renseignements personnels et des commentaires sur les soldats des Premières Nations qui rentraient au pays. Tel n’était pas le cas pour les soldats non autochtones : il n’existe aucune série de dossiers semblables pour le reste du Corps expéditionnaire canadien.

Page du Indian Agent’s Office (Bureau de l’agent des Indiens), Chippewa Hill, bureau de Saugeen, 14 février 1919.

Document fournissant des renseignements sur John Besito, envoyé à Duncan Campbell Scott par T. A. Stout le 14 février 1919; RG 10, vol. 6771, dossier 452-30. (Image trouvée sur Canadiana)

Tous ces renseignements ont été intégrés aux dossiers du gouvernement fédéral conservés à Ottawa.

Autre particularité : les « agents des Indiens » se sont penchés sur la vie des soldats après leur service. L’information recueillie comprend des renseignements privés obtenus à titre gratuit et des jugements personnels sur les anciens combattants et leur retour à la vie civile. Par exemple, les notes du Bureau de l’agent des Indiens pour le soldat John Besito, recueillies en février 1919 par le bureau de Saugeen, en Ontario, indiquent : « Il possède un terrain de 50 acres dans la réserve. Il a une maison et quelques améliorations sur son terrain. »

En plus de renseignements administratifs (comme les numéros de matricule des soldats et leur appartenance à des organismes ou à des bandes des Premières Nations), ces dossiers nous donnent des renseignements généalogiques.

Par exemple, dans une lettre adressée le 12 février 1919 au ministère des Affaires indiennes, on trouve les noms de trois soldats décédés. Rédigée par l’« agent des Indiens » du bureau de Griswold, au Manitoba, la lettre indique que ces soldats viennent des réserves d’Oak River et d’Oak Lake. Elle précise le numéro de matricule de l’un des défunts (le soldat John Taylor) et indique que le ministère des Affaires indiennes a versé une pension à sa femme et à ses deux enfants.

D’autres lettres nous informent que le soldat Gilbert Moore, tué au combat le 24 mars 1918, a laissé ses parents dans des conditions difficiles et que ceux-ci ont fait une demande de pension; ou encore, que le soldat Thomas Kasto a laissé derrière lui sa mère, et que cette dernière a touché une pension.

Portrait studio en noir et blanc d’un soldat de la Première Guerre mondiale, vêtu d’un uniforme, qui tient une carabine.

Michael Ackabee, soldat membre du Corps expéditionnaire canadien. (e005176082)

Par ailleurs, les dossiers font aussi mention des femmes des Premières Nations qui ont appuyé l’effort de guerre, par exemple en versant des fonds à des organismes comme la Croix-Rouge, le Girls Overseas Comfort Club et le Fonds patriotique canadien. Des femmes ont également tricoté des chaussettes et cousu des chemises, envoyées par colis à l’étranger pour offrir un peu de réconfort aux leurs. D’autres ont amassé des fonds en fabriquant et en vendant des parures perlées, des paniers tissés et des courtepointes.

Les soldats autochtones qui ont survécu à la guerre sont souvent rentrés chez eux transformés, tant positivement que négativement. Jusqu’à son décès en 1955, le sapeur Peter Taylor, un soldat de Kahnawake, a souffert de complications causées par l’empoisonnement au gaz moutarde. Le soldat Tom Longboat, coureur de fond olympique et membre de la réserve des Six Nations de la rivière Grand, est rentré de France pour constater que sa femme s’était remariée après avoir été informée à tort de son décès.

Photo noir et blanc de deux militaires portant un uniforme de la Première Guerre mondiale. Assis, sourire aux lèvres, ils achètent un journal d’un jeune garçon. Le militaire à droite prend le journal d’une main et donne l’argent au garçon de l’autre.

Le soldat Tom Longboat, coureur de fond onondaga, achète un journal d’un garçon français, juin 1917. (a001479)

Bon nombre de soldats rapatriés ont souffert tant physiquement que mentalement. Nous leur sommes reconnaissants de leurs sacrifices et de leur service, et ils seront à jamais reconnus, honorés et respectés.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet et Sara Chatfield est gestionnaire de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne de la Direction générale des services au public de Bibliothèque et Archives Canada.

Louis Riel à Ottawa : un séjour difficile

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Anna Heffernan

De son vivant, Louis David Riel était un personnage controversé. Chef de deux rébellions, il était perçu soit comme un héros, soit comme un traître. De nos jours, il est reconnu pour sa contribution au développement de la Nation métisse, du Manitoba et du Canada. En 1992, il est désigné comme l’un des fondateurs du Manitoba. Près de 25 ans plus tard, en 2016, il est reconnu comme le premier dirigeant de la province. En 2008, le troisième lundi de février devient le jour de Louis Riel au Manitoba.

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède une vaste gamme de documents concernant Louis Riel et les mouvements qu’il dirige. Dans le cadre du projet Nous sommes là : Voici nos histoires, qui vise à numériser les documents relatifs aux Autochtones dans les collections de BAC, une de nos priorités consiste à numériser l’héritage documentaire de Riel pour que les communautés de la Nation métisse et les chercheurs y aient accès plus facilement.

Bien que Riel soit l’un des plus célèbres personnages de l’histoire du Canada, certaines facettes de sa vie sont peu connues. La plupart des Canadiens savent que Louis Riel dirige la résistance de la rivière Rouge en 1869-1870. La Compagnie de la Baie d’Hudson vient de vendre ses droits sur la Terre de Rupert au Dominion du Canada, droits qui lui ont été octroyés par la Couronne britannique. Mais la Nation métisse et les Premières Nations qui habitent cette région ne reconnaissent pas les droits de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur ce territoire et considèrent la vente de leurs terres ancestrales comme illégitime. Louis Riel et ses compatriotes réagissent en mettant sur pied un gouvernement provisoire dont les membres sont représentés dans la photo ci-dessous, prise à Fort Garry.

Une photographie noir et blanc de 14 hommes disposés en trois rangées (assis dans les deux premières et debout dans la dernière). Louis Riel est assis au centre.

Louis Riel (au centre) avec les membres du gouvernement provisoire en 1870 (a012854)

Cependant, le gouvernement provisoire de Riel ne fait pas l’unanimité. Ses forces capturent un groupe de colons ontariens qui se prépare à attaquer Fort Garry. Un des membres du groupe, Thomas Scott, est exécuté pour insubordination le 4 mars 1870. Malgré cet incident, les pourparlers avec le Canada se poursuivent, et Riel négocie avec succès les conditions de l’entrée du Manitoba dans la Confédération. Une fois les négociations terminées, une expédition militaire est lancée à partir de l’Ontario pour renforcer le contrôle du Canada sur le Manitoba. Après l’exécution de Thomas Scott, nombreux sont les Ontariens qui voient en Riel un traître et un assassin. Craignant pour sa vie, Riel se réfugie à Saint Paul, au Minnesota.

Un événement moins connu de la vie de Louis Riel est son séjour difficile à Ottawa. Riel est élu député de Provencher (Manitoba) à la Chambre des communes en 1873, puis réélu à deux reprises en 1874. Il se rend à Ottawa pour occuper son siège, mais son passage en politique fédérale sera de courte durée. Notre collection contient des documents intéressants sur l’aventure de Riel à la Chambre des communes. Le premier est un registre que tout député doit signer lors de son assermentation; il porte la signature de Louis Riel (voir l’image ci-dessous).

Page avec six colonnes de signatures. La signature de Louis Riel est visible en bas à droite.

Image de la page d’un registre d’assermentation de la Chambre des communes signée par Louis Riel (e010771238)

Riel court d’énormes risques en se rendant en Ontario à ce moment-là. L’exécution de Thomas Scott a provoqué la colère des Ontariens, surtout des protestants, car Scott était membre de la fraternité protestante de l’ordre d’Orange. Le premier ministre de l’Ontario offre 5 000 $ de récompense pour la capture de Riel, et un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Au Parlement, l’orangiste ontarien Mackenzie Bowell présente une motion visant à expulser Riel. Celle-ci est adoptée et Riel ne reviendra pas à la Chambre des communes, bien qu’il soit réélu une troisième fois. Le document ci-dessous témoigne du passage de Riel dans la capitale. Avant de partir précipitamment, il se fait prendre en photo à Ottawa; la photographie porte l’inscription « Louis Riel, MP » (c’est-à-dire Louis Riel, député fédéral).

Photographie de couleur sépia montrant Louis Riel face à l’objectif; elle porte l’inscription manuscrite « Louis Riel, MP ».

Portrait réalisé en studio à Ottawa après l’élection de Riel comme député de Provencher (Manitoba) (e003895129)

En 1875, Riel s’exile aux États-Unis. À partir de 1879, il vit dans le territoire du Montana, où il épouse Marguerite Monet, dite Bellehumeur, en 1881. Le couple aura trois enfants. Riel chasse le bison et exerce divers métiers : agent, marchand, bûcheron, puis instituteur. Il retourne au Canada, à Batoche, dans l’actuelle Saskatchewan, en juillet 1884.

Le registre d’assermentation et la photographie de Riel prise à Ottawa le montrent bien : même des documents en apparence anodins peuvent en dire long sur certains épisodes de l’histoire canadienne. L’exploration et la numérisation du patrimoine documentaire autochtone conservé dans nos collections visent à faire connaître l’histoire de personnages célèbres comme Louis Riel, mais aussi celle de nombreux Autochtones au Canada.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Anna Heffernan est archiviste et recherchiste du projet Nous sommes là : voici nos histoires, qui consiste à numériser le contenu relatif aux Autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

Conservateur invité : Adam Gaudry

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Traité de Selkirk, 1817

Image du Traité Selkirk, un grand document manuscrit au bas duquel figurent les signatures des Européens et les marques des chefs.

Le « Traité Selkirk », signé le 18 juillet 1817 par les chefs et guerriers soussignés Chippewa, ou nation des Saulteaux, les Kiltistino de la nation crie et le très honorable Thomas, comte de Selkirk, au nom du roi George III. (MIKAN 3972577)

Lord Selkirk entrevoyait un grand potentiel agricole pour le Canada, notamment grâce à l’apport des colons écossais et irlandais. Les Premières Nations et les Métis étaient exclus de cette vision.


Parlez-nous de vous.

Dans ma carrière universitaire, je fais de la recherche sur l’identité métisse et l’histoire politique. Cela signifie qu’une grande partie des documents que j’écris portent principalement sur les communautés métisses du 19e siècle. Je souhaite connaître la perception des Métis concernant les principales forces sociales, économiques et politiques qui ont façonné leurs vies et savoir de quelle manière ils s’organisaient pour influer sur des Prairies en évolution dans l’Ouest – et comment ils s’épanouissaient. Je suis Métis et professeur adjoint à la Faculté des études autochtones et au Département des sciences politiques de l’Université de l’Alberta.

Les Canadiens devraient-ils savoir autre chose à ce sujet selon vous?

Photo noir et blanc de Thomas Douglas portant une veste noire, un gilet blanc et une cravate blanche.

Thomas Douglas, le 5e comte de Selkirk (1771-1820). (MIKAN 3526168)

Le Traité Selkirk de 1817 est un accord entre lord Selkirk — comte écossais pratiquant la spéculation foncière et actionnaire principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson — et les Nehiyawak ainsi que les Anishinaabeg (Cris et Saulteux) de la vallée de la rivière Rouge (maintenant le sud du Manitoba). Il permettait à des colons écossais de s’établir au pays en échange d’une quantité substantielle de tabac à titre de « présent annuel » ou, comme le voyaient les Anishinaabe, de « redevance ».

Avant 1817, lord Selkirk avait essayé de coloniser les terres sans la permission des Autochtones de l’endroit en achetant celles-ci à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il est compréhensible que la prétention de posséder ce territoire de 116 000 milles carrés sur lequel il n’avait aucune présence ou influence ait fâché les propriétaires véritables des terres. De 1812 à 1816, de nombreux chefs autochtones ont formulé des plaintes importantes, soulignant l’absurdité qu’un étranger affirme posséder leur territoire et menaçant d’intervenir contre tout inconnu qui coloniserait leurs terres.

Cette opposition était plus prononcée parmi les Bois-Brûlés, la « nouvelle nation » du Nord-Ouest, qui s’appelleraient bientôt les Métis. Les communautés autochtones faisaient aussi partie d’un réseau complexe d’alliances qui les reliait à deux compagnies rivales de traite de fourrures —la Compagnie de la Baie d’Hudson, procolonisation, et la Compagnie du Nord-Ouest, anticolonisation. La dernière compagnie était composée de personnes étant aussi chefs des Bois-Brûlés. Au cours des étés 1815 et 1816, les soldats Bois-Brûlés ont dispersé les premiers colons de lord Selkirk et ont activement interdit aux colons étrangers de s’installer dans la vallée de la rivière Rouge. Le 19 juin 1816, les Bois-Brûlés sont sortis victorieux d’un affrontement spontané avec les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson, tuant 21 d’entre eux et s’emparant du fort puis, plus tard, de la colonie de lord Selkirk à la rivière Rouge. Même si les Métis n’avaient pas signé le traité avec lord Selkirk en 1817, l’agitation métisse de 1815–1816 a constitué un facteur de motivation important lors de la négociation de ce traité, lequel a néanmoins façonné les relations entre les Métis et la Compagnie de la Baie d’Hudson pour des générations à venir.

Aquarelle de la bataille montrant les deux côtés armés de fusils qui se font face dans un champ sous un ciel bleu partiellement nuageux. D’un côté, il y a surtout des employés blancs à pied de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et de l’autre, il y a des Métis à cheval ainsi que des employés de la Compagnie du Nord-Ouest.

La bataille des Sept-Chênes, 19 juin 1816, par Charles William Jefferys. (MIKAN 2835228)

En raison de l’échec de la mission de lord Selkirk visant à gagner l’appui des instances politiques en place à la rivière Rouge au plus tard en 1816, lord Selkirk a entrepris le long voyage vers la région pour résoudre d’une certaine façon les hostilités. Puis, il a négocié avec les Nehiyawak et les Anishinaabeg locaux afin d’obtenir la permission d’installer des familles écossaises à la colonie de la rivière Rouge, en échange de présents annuels substantiels qu’il appelait « redevances ». Même si, pour toutes les parties, le traité permettait à des étrangers de s’établir paisiblement, les avis sur la signification du traité en termes de propriété des terres divergeaient. Pendant des années par la suite, lord Selkirk et la Compagnie de la Baie d’Hudson ont affirmé que le traité assurait la cession des terres des Autochtones à lord Selkirk et à la Compagnie. Pour les Autochtones, il établissait une entente de location à long terme les reconnaissant comme les propriétaires tout en amenant de nouvelles personnes dans leur pays, il fournissait des cadeaux annuels généreux aux Nehiyawak et aux Anishinaabeg et il renforçait une nouvelle alliance avec un aristocrate puissant. Le Traité Selkirk est important parce qu’il montre que, lorsque les dirigeants britanniques tentaient de devenir propriétaires des bassins des rivières Rouge et Assiniboine, ils devaient composer avec les titres qu’avaient obtenus les Autochtones par traité s’ils souhaitaient installer leurs sujets à cet endroit.

La description du traité rédigée par l’entourage de lord Selkirk est en soi fascinante de par la terminologie confuse et le langage contradictoire qu’elle contient. En effet, les deux interprétations ci-dessus peuvent être tirées de ce texte. Toutefois, je suis d’avis qu’en lisant ce traité d’un œil critique, nous voyons qu’il reconnaît les Autochtones comme les « propriétaires » de la vallée de la rivière Rouge, en se fondant sur le langage féodal pour décrire une relation de location qui aurait sauté aux yeux d’un noble écossais.

Le document semble contenir des contradictions. D’un côté, il affirme que les chefs des Nehiyawak et des Anishinaabe se sont entendus avec lord Selkirk [traduction] « pour céder à Notre Majesté le Roi toutes les terres adjacentes aux rivières Rouge et Assiniboyne pour l’usage du comte de Selkirk et des colons établis à cet endroit ». D’un autre côté, il mentionne que lord Selkirk, ses héritiers ou ses successeurs « paieraient chaque année aux chefs et aux guerriers un présent annuel ou redevance de 100 livres de bon tabac commercialisable ».

Pour moi, ce qui est particulièrement révélateur à cet égard, ce sont les termes indiquant que cet échange est une relation de location. La redevance, coutume courante à l’époque de lord Selkirk, était une pratique féodale par laquelle un locataire fermier payait un loyer fixe sur les terres occupées par un paysan fermier, ce qui le libérait de toutes les autres obligations envers ce lord. De plus anciennes conventions du système féodal obligeaient les paysans à participer aux travaux publics et aux fonctions militaires définis par leur lord. Cependant, au 19e siècle, afin de maximiser leur rentabilité, de nombreux propriétaires de terres ont regroupé les diverses obligations du système féodal en redevances fixes ou en paiements réguliers remplaçant toutes les autres obligations. La redevance, système de l’époque féodale, reconnaissait explicitement que le seigneur était propriétaire des terres et donnait un caractère officiel à une relation précise entre le lord et le locataire. Au 19e siècle, on savait généralement que la redevance ne transférait pas le titre de propriété au locataire et que la terre demeurait la propriété du seigneur. Eux-mêmes nobles et propriétaires terriens en Écosse, lord Selkirk et ses associés comprenaient intuitivement le langage lié aux redevances. Ainsi, lord Selkirk décrit également une relation dans le cadre de laquelle il donnait une redevance annuelle, 100 livres de tabac commercialisable, à ses propriétaires en échange du droit d’installer des fermiers écossais locataires sur les terres entourant les rivières Rouge et Assiniboine.

Une telle interprétation cadre aussi avec la manière dont les chefs Anishinaabe comprenaient le Traité. Le chef Peguis, l’un des signataires du Traité, maintenait catégoriquement que celui-ci décrivait une entente de location annuelle des terres. En 1859, le chef Peguis a fait une déclaration officielle dans laquelle il racontait que [traduction] « aucun marché officiel n’a été conclu; il s’agissait simplement d’un prêt […]; je l’affirme : les terres n’ont jamais été vendues ». De plus, selon l’historien manitobain J.M. Bumsted, le fils du chef Peguis, Henry Prince, aurait aussi mentionné, lors d’une assemblée métisse tenue en 1869, que « la terre a seulement été louée et la « prime » maintenant payée […] par la Compagnie de la Baie d’Hudson fait partie de l’entente de location ». Du point de vue du chef Peguis et de son fils, le Traité n’a changé en rien la propriété des terres de la vallée de la rivière Rouge, qui ont continué à appartenir aux Autochtones plutôt qu’à lord Selkirk, à la Compagnie ou à la Couronne. En effet, puisque lord Selkirk payait une redevance annuelle, il était le locataire; en d’autres termes, les Autochtones étaient les propriétaires.

En essayant d’obtenir par traité la propriété et le titre des terres appartenant aux Autochtones, lord Selkirk s’est trouvé, intentionnellement ou non, à renforcer la propriété par ceux-ci du territoire qu’il voulait coloniser. C’était probablement tout ce qu’il pouvait faire à une époque d’ascendance militaire et politique des Autochtones dans l’Ouest. Ses compatriotes ayant été dirigés par un membre des Bois-Brûlés l’été précédent, il n’était pas tout à fait dans une position lui permettant de demander le contrôle des terres des Autochtones. De plus, les Autochtones n’ont jamais voulu se départir de leurs terres et de leur indépendance. Par conséquent, le Traité Selkirk constitue un important rappel du pouvoir politique des Autochtones au début du 19e siècle. C’est le pouvoir des Bois-Brûlés qui a forcé lord Selkirk à négocier et ce sont les Nehiyawak et les Anishinaabeg qui l’ont guidé en ce qui concerne la diplomatie et le pouvoir autochtones. En raison du rôle joué par les propriétaires du pays, lord Selkirk n’a pu qu’obtenir la permission d’établir ses compatriotes sur les terres des Autochtones en échange d’une redevance annuelle. Ce traité est donc un document sur les négociations qui visait au départ la cession des terres des Autochtones, mais lord Selkirk n’a réussi qu’à renforcer la primauté territoriale et politique des Autochtones en reconnaissant que les terres qu’il voulait posséder appartenaient à d’autres.

Une ligne fine délimite le lotissement de lord Selkirk sur la carte d’Assiniboia.

Carte de 1817 montrant le lotissement de 116 000 milles carrés de lord Selkirk connu sous le nom d’ « Assiniboia ». Les forts des Cinq forts de Winnipeg (vers 1885), de George Bryce, y figurent. (AMICUS 5279616)

Carte de la colonie de la rivière Rouge représentant la voie ferroviaire, les colonies et les forts. Au bas, une légende énumère les différents points sur la carte.

Fac-similé d’une partie de la carte de 1818 représentant la colonie de la rivière Rouge se trouvant dans Lord Selkirk’s Colonists: the Romantic Settlement of the Pioneers of Manitoba, de George Bryce, vers 1909-1910 (AMICUS 5614009)

En général, on enseigne aux Canadiens à voir les traités comme des documents dont le but est d’inciter les Autochtones à céder leurs droits et leurs titres, par exemple la tentative de lord Selkirk en 1817. Mais l’histoire de la diplomatie sur ce continent est à la fois ancienne et complexe. Les Autochtones ont rarement (voire jamais) perçu les traités avec les empires européens comme un moyen de leur retirer des terres ou des pouvoirs. Les traités, comme celui-ci, cherchaient plutôt à trouver de nouvelles manières pour différentes personnes de tirer parti de la présence des autres sur le même territoire. Lord Selkirk et ses colons étaient accueillis favorablement à un nouvel endroit à partager avec d’autres au sein des Prairies — un cadeau qui a un prix. Cela comprenait aussi une reconnaissance permanente des premiers habitants du territoire : il fallait veiller à ce qu’eux aussi tirent parti de la plus grande présence d’Européens. Ce traité doit nous rappeler que les Autochtones qui ont négocié l’entente étaient des diplomates puissants et astucieux qui pouvaient forcer les négociateurs européens à accepter les normes des systèmes diplomatiques des Autochtones.

En outre, le point de vue selon lequel la conclusion de traités entre les Autochtones et les Anglais est principalement ancrée dans la cession de terres et l’aliénation des Autochtones comporte des pièges. Les traités ont été négociés en public et devant de grands auditoires grâce à des méthodes qui assuraient la reddition de comptes pour l’avenir. Les personnes présentes pouvaient se souvenir des sujets abordés, des accords et, bien sûr, des désaccords. Dans la plupart des cas, les Autochtones n’ont pas discuté de la cession permanente de leurs terres, et ils y ont encore moins consenti. Comme le chef Peguis et Henry Prince, ils se rappellent seulement avoir accepté de partager leurs terres avec de nouveaux alliés. Les traités comme celui-ci cherchaient à conférer des avantages mutuels, et non à restructurer les relations politiques en se fondant sur d’énormes inégalités sur ce plan. Si nous percevons les traités comme des documents de cession — et non comme des accords évolutifs —, nous passons à côté de leur but. C’est pourquoi le Traité Selkirk — en fait, tous les traités conclus entre les Autochtones et la Couronne — est si mal compris. La plupart des historiens des Prairies de l’Ouest ont pendant longtemps échoué dans leurs tentatives visant à comprendre les motivations des Autochtones et le contexte diplomatique dans lequel les négociations avaient lieu. En commençant par écouter les voix des Autochtones — passées et actuelles — qui comprennent les choses différemment, puis en donnant à leurs voix le pouvoir de narrer nos propres histoires et relations politiques, nous obtiendrons une vision plus exacte et plus complète de l’histoire.

Parlez-nous d’un élément connexe que vous aimeriez ajouter à l’exposition.

La même question ressort lorsque nous essayons de comprendre les traités entre les Autochtones et la Couronne qui ont suivi le Traité Selkirk dans l’Ouest. Il est aussi mentionné que les traités numérotés (traités 1-11, négociés de 1871 à 1921) ont retiré les titres de propriété des terres aux Autochtones, les remettant à la Couronne. Les Autochtones nient cette affirmation, faisant valoir qu’aucune discussion de ce genre n’a eu lieu et que leurs ancêtres n’ont jamais consenti à céder leurs terres. Une grande partie des éléments dont il est question semble découler de la mentalité impériale selon laquelle les Autochtones sont trop primitifs et pas assez intelligents pour avoir compris ce qui était négocié ou ils se sont fait avoir par des représentants de la Couronne plus astucieux. Ces suppositions sont sans fondement et trouvent leur origine dans un racisme normalisé renforcé par des générations de pratique coloniale canadienne. Comme le montre le Traité Selkirk, les Autochtones savaient tout à fait ce que les Européens voulaient et ils ont pu exercer leur propre influence sur les événements, ce qui signifie que les négociations pour la signature d’un traité ont été juste cela : des négociations.

Pour les traités conclus ensuite, les Autochtones ont aussi réussi à orienter les négociations dans le cadre de leurs traditions diplomatiques bien établies. Ils ont négocié l’arrivée de nouveaux colons sur leur territoire en échange de présents annuels continus reconnaissant leurs intérêts permanents dans le territoire. Bien que les gouvernements fédéral et provincial perçoivent toujours les traités numérotés comme des documents de cession, les intellectuels autochtones ont un point de vue différent (ils sont presque unanimes) : ces accords établissaient une relation durable reconnaissant les droits et les titres des Autochtones, plutôt que d’y mettre fin. Comme les Canadiens commencent à poser un œil plus critique sur ces accords, il est primordial d’élaborer un meilleur cadre pour aborder les relations entre les Autochtones et le Canada ainsi qu’entre les Autochtones et la Couronne.

Il est essentiel de recourir à son esprit critique en lisant les documents relatifs aux traités ainsi que les notes sur les négociations, de même qu’en étudiant la tradition orale. Comme pour le traité Selkirk, il est possible de lire une ligne d’un document officiel et de supposer qu’elle retirait les droits et les titres aux Autochtones pour toujours, mais nous devons aller beaucoup plus en profondeur et comprendre les nouvelles relations complexes imaginées par toutes les parties. Les historiens en particulier ont l’obligation d’adopter une vue d’ensemble de ces relations et de faire intervenir un plus vaste éventail de sources archivistiques, certaines desquelles n’ont peut-être pas été consignées. Dans une ère de réconciliation, les intellectuels doivent voir au-delà des récits courants et des approches habituelles de narration de ces récits. Les Autochtones ont longtemps raconté différemment ces événements; les intellectuels canadiens doivent les prendre au sérieux. Un examen critique des événements nous permettra d’aller au-delà du contexte colonial contemporain afin de voir les différentes relations imaginées par nos ancêtres concernant la manière de vivre ensemble. Les traités, comme le Traité Selkirk, fournissent tous des lignes directrices sur la coexistence et les relations justes – il nous faut simplement les étudier plus attentivement afin de réaliser cette vision.

Biographie

Une photo couleur montrant un jeunne homme portant une chemise blanche et une cravate assis dans un champs.

Adam Gaudry
crédit Amanda Laliberté

Adam Gaudry, titulaire d’un doctorat, est Métis et professeur adjoint à la Faculté des études autochtones du Département des sciences politiques de l’Université de l’Alberta. Ses recherches portent sur la pensée politique des Métis au 19e siècle, la formation des relations entre les Métis et le Canada pour la conclusion de traités en 1870 et l’absence de mise en œuvre de l’accord subséquente. Le projet d’Adam Gaudry soutient l’existence d’un « traité du Manitoba » entre les Métis et le Canada qui requiert le maintien d’une relation politique bilatérale et respectueuse entre les partenaires du traité. Ses travaux sont révisés pour la publication d’un livre. Il a obtenu son doctorat dans le cadre du Programme de gouvernance autochtone de l’Université de Victoria et sa maîtrise ès arts en sociologie ainsi que son baccalauréat spécialisé en études politiques de l’Université Queen’s. Pour sa recherche doctorale sur les relations historiques entre les Métis et le Canada, il a reçu la bourse Henry Roe Cloud de l’université Yale récompensant une dissertation. Il est aussi coenquêteur pour le projet de recherche sur les traités concernant les Métis financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il a publié des articles dans Native American and Indigenous Studies, le Wicazo Sa Review, aboriginal policy studies et le Canadian Journal of Native Education ainsi que des chapitres dans des collections sur l’identité métisse, la méthodologie et l’éthique en matière de recherche.

Ressources connexes

  • Bibliothèque et Archives Canada. Traités, cessions et ententes.
  • J.M. Bumsted. Fur Trade Wars: The Founding of Western Canada. Winnipeg, Great Plains Publications, vers 1999. AMICUS 20975923
  • J. M. Bumsted. The Red River Rebellion. Winnipeg, Watson & Dwyer, vers 1996. AMICUS 15446457
  • Sharon Venne. Aboriginal and Treaty Rights in Canada: Essays on Law, Equity, and Respect for Difference, « Understanding Treaty 6: An Indigenous Perspective », pp. 173–207, Michael Asch, Presses de l’Université de la Colombie-Britannique, vers 1997. AMICUS 15883635
  • Michael Asch. On Being Here to Stay: Treaties and Aboriginal Rights in Canada. Presses de l’Université de Toronto, 2014. AMICUS 42148617

Voix du passé

Par Harriett Mathews

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède environ 30 millions de photos dans ses collections, et bon nombre d’entre elles portent sur les Autochtones. Le Programme fédéral d’expérience de travail étudiant (PFETE) m’a donné la chance de contribuer au projet Un visage, un nom et de fouiller dans la base de données pour trouver des photos extraordinaires prises dans des communautés autochtones de partout au Canada.

Corriger le dossier historique

Si les photos sont tout simplement magnifiques, leurs descriptions laissent souvent à désirer. Les légendes de nombreuses images d’Autochtones comprennent des termes désuets ou offensants, ou au mieux restent vagues. Il est donc crucial de les mettre à jour à l’aide de la technologie moderne et de l’information recueillie dans les communautés où les photos ont été prises. La participation des Autochtones est essentielle, car ces documents racontent leurs histoires et décrivent leurs cultures, leurs familles. Ce sont leurs voix qui ont été tues et perdues. Étant moi-même Autochtone, j’étais ravie d’actualiser les documents pour faire connaître ma culture et donner une voix aux personnes photographiées.

L’image ci-dessous, montrant une femme inuite et son enfant souffrant de malnutrition, est un excellent exemple. La légende fournie est « Dirty Daisy et son bébé ». Cette femme ne s’appelle pas Daisy; il s’agit probablement d’un surnom attribué par un fonctionnaire. En l’affublant d’un sobriquet, l’auteur de la légende porte atteinte à la dignité de cette femme et la condamne à l’anonymat. Espérons que le projet Un visage, un nom permettra de découvrir un jour le nom de cette femme et du nourrisson. En attendant, la nouvelle légende dit désormais : « Femme inuite (Daisy) nourrissant son bébé, assise dans une tente à Chesterfield Inlet (Igluligaarjuk), au Nunavut ».

Photo noir et blanc d’une femme inuite amaigrie assise dans une petite tente avec son bébé, devant des provisions. La femme nourrit son bébé à l’aide d’un biberon rectangulaire.

Femme inuite (Daisy) nourrissant son bébé, assise dans une tente à Chesterfield Inlet (Igluligaarjuk), au Nunavut (MIKAN 3855414)

Améliorer l’accès, une photo à la fois

Depuis le début du projet, en 2002, plus de 2 000 photos ont été identifiées, et des milliers d’autres ont vu des termes inexacts ou offensants être retirés du titre et placés dans une note décrivant le contexte historique. L’identification de noms, de lieux, d’événements et d’objets culturels aide à faire connaître la culture et l’histoire autochtones à ceux qui font des recherches dans les archives.

Les histoires concernant des politiciens autochtones, comme le sénateur inuit Charlie Watt, du Québec, en sont un exemple. J’ai eu le plaisir de travailler avec l’album 38 du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui comprend plusieurs photos du jeune Charlie Watt avec ses parents, Daisy et Johnny. Les photos ont été prises pendant une fête à Kuujjuaq (anciennement Fort Chimo), au Québec. Même en noir et blanc, elles montrent le dynamisme de la communauté inuite.

Photo d’une page verte sur laquelle sont collées trois photos noir et blanc (no 154, 156, et 157) ainsi que des légendes dactylographiées sur du papier blanc. La photo en haut à gauche montre une femme inuite vêtue d’une robe unie et d’un châle à carreaux, debout sur une galerie avec une petite fille dans une parka qui boit un verre de lait. La photo dans le coin supérieur droit montre deux femmes inuites vêtues de châles à carreaux et de bandeaux, assises devant des caisses de bois. Une d’entre elles tient un accordéon. Un bébé est assis à l’avant-plan, à gauche, et un petit garçon en tenue est debout à côté de la joueuse d’accordéon. La photo du bas représente une femme vêtue d’une veste et d’un bandeau, dansant avec un homme en habit; la femme à gauche tient la main d’un homme dont on ne voit que l’avant-bras. Trois femmes situées de part et d’autre d’une lampe à l’huile sont visibles à l’arrière-plan.

Page 53 de l’album sur laquelle on trouve trois photos : une femme et une fille inuites (Daisy Watt, possiblement avec Harriat Ruston); un groupe de femmes et d’enfants inuits – Daisy Watt joue de l’accordéon, Christina Gordon est à droite et Charlie Watt, fils de Daisy, est debout à gauche; S. J. Bailey et H. Lamberton dansant avec deux femmes inuites – Daisy Watt est à droite avec S. J. Bailey, la femme derrière elle s’appelle Susie, et Hannah (la sœur de Susie) est à gauche, tenant la main de H. Lamberton. La fête se déroule à Kuujjuaq (anciennement Fort Chimo), au Québec. (MIKAN 4326945)

Photo noir et blanc de cinq femmes. Quatre sont assises, et une autre, à l’extrême droite, est debout avec un bébé enroulé dans un châle à carreaux. La femme au centre joue de l’accordéon, et la femme à sa gauche a un jeune garçon sur ses genoux. Des caisses de bois portant l’inscription « Marven’s Biscuits » sont empilées derrière elles, et une autre caisse dit « H.B.C. Wholesale Vancouver ».

Groupe de femmes et d’enfants faisant la fête à Kuujjuaq (anciennement Fort Chimo), au Québec. Lizzie Suppa joue de l’accordéon. Daisy Watt et son fils Charlie sont à sa gauche. (MIKAN 3855585)

Photo d’une page verte sur laquelle sont collées trois photos noir et blanc (no 158 à 160) et des légendes sur du papier blanc. La photo en haut à gauche montre des femmes et des enfants assis devant des caisses de bois portant la mention « Marven’s Biscuits », et une autre, l’inscription « H.B.C. Wholesale Vancouver ». La photo en haut à droite montre deux couples dansant pendant qu’une femme joue de l’accordéon. Sur la photo du bas, un spermophile arctique (un écureuil vivant sur le sol) est debout dans un champ d’herbes avec un rocher à l’avant plan.

Page 54 de l’album portant trois photos : un groupe de femmes et d’enfants [Lizzie Suppa joue de l’accordéon, avec Daisy et Charlie Watt assis à sa gauche]; deux couples inuits dansant [Johnny et Daisy Watt sont à gauche tandis que Lizzie est au bout à droite, toujours avec son accordéon]; et un spermophile arctique (un écureuil vivant sur le sol). (MIKAN 4326946)

Redonner une voix aux Autochtones

Ces photos constituent des sources essentielles sur l’histoire du Canada puisqu’elles témoignent de la relation entre les Autochtones et le gouvernement canadien. Plus important encore, elles racontent la vie des personnes photographiées et diffusent leur culture. Pendant plusieurs décennies, les voix des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont restées silencieuses dans ces documents. Un visage, un nom joue un rôle crucial en offrant une tribune aux Autochtones, leur permettant de se réapproprier leur histoire et leur identité. En tant que femme autochtone, je suis très heureuse d’avoir pu faire entendre ma voix dans ces documents. D’innombrables histoires restent à raconter, mais je suis convaincue que le partenariat entre BAC et les Autochtones nous permettra de les connaître un jour.


Harriett Mathews était une participante au PFETE qui a travaillé à la Division des expositions et du contenu en ligne à Bibliothèque et Archives Canada pendant l’été 2016.

Nommer les Autochtones Canadiens

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Lorsqu’ils effectuent une recherche historique quelconque, les chercheurs doivent choisir une variété de termes de recherche. Ils espèrent qu’en utilisant le bon terme, ils pourront trouver et utiliser des sources primaires et secondaires. Choisir les bons termes de recherche est un défi dans le meilleur des cas, mais les problèmes inhérents à la recherche dans le contenu autochtone sont particulièrement importants. Plusieurs termes de recherche reflètent des préjugés historiques et des malentendus. Au fil du temps, les noms ou les termes changent complètement tandis que l’orthographe est modifiée en fonction de la période, du lieu et des circonstances.

Et les termes continuent de changer.

Rien ne semble indiquer que les Premières Nations, les Métis ou les Inuits, en tant que gardiens du savoir, aient participé à la création et au développement historique des documents que l’on retrouve à Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Toutefois, les personnes ou les institutions qui ont créé les documents ont laissé sur eux une empreinte déterminante colorée par la raison, la période et l’endroit de leur création.

Le langage et l’imagerie utilisés dans le passé, même s’ils peuvent être problématiques, demeurent dans les descriptions de la base de données. Les termes comme « squaw », « sang-mêlé », « massacre », « sauvage » et « victoire » doivent être utilisés avec une attention toute particulière et dans un contexte approprié.

Aquarelle montrant une femme vêtue d’une robe rouge avec une couverture enroulée autour de la tête et des épaules. Elle porte des raquettes et regarde vers la gauche. Derrière elle, au loin, on aperçoit la silhouette d’une église et une montagne derrière elle.

Femme indienne dans ses beaux habits; vue de Montréal au loin. Peinture par Francis George Coleridge, 1866 (MIKAN 2836790)

Lithographie montrant un groupe de neuf personnes, probablement une famille, y compris un bébé et trois enfants assis devant un tipi. Une personne est debout et tient une carabine, et deux hommes métis fument la pipe.

Tipi indien et sang-mêlé [Métis] rebelle, 1885 (MIKAN 2933963)

Aquarelle montrant trois figures debout près d'une étendue d’eau. De gauche à droite : une femme fumant la pipe portant un bébé sur le dos, un homme portant des jambières, une longue veste bleue et une ceinture fléchée métisse et tenant une carabine dans sa main droite et une autre femme vêtue d'une robe bleue avec un châle enroulé autour de la tête et du corps.

Un sang-mêlé [Métis] et ses deux épouses (MIKAN 2897207)

Le matériel dont la description n’est pas idéale est tout aussi problématique. Les descriptions ne sont pas toujours utiles. On obtient peu de détails lorsque des termes comme « type indigène » et « Peau-Rouge » sont utilisés. Parallèlement, la majorité des personnes représentées sur les images des collections de Bibliothèque et Archives Canada n’ont jamais été identifiées. De nombreuses descriptions archivistiques relatives à certains événements ou activités sont absentes ou contiennent des informations périmées (par exemple, les noms de lieu et de bande ou la terminologie). Par ailleurs, l’information est fondée sur des inscriptions et des légendes originales trouvées dans les documents et elle reflète donc les préjugés et les attitudes de la société non autochtone de l’époque.

Le très grand nombre de descriptions de ce type fait de la recherche d’une photographie ou d’un document particulier une tâche colossale.

BAC modifie les descriptions dans sa collection. Tout en assurant l’intégrité de la description originale, BAC s’efforce de clarifier les données incomplètes et de modifier le langage inapproprié lorsque des exemples sont portés à notre attention. Nous ne modifions jamais l’original d’un document ou d’une image, seulement la description qui a été créée pour le document ou l’image.

Photographie en noir et blanc d’un homme inuit vêtu d’une chemise et de bretelles et regardant directement le photographe.

[Gros plan d’un homme portant des bretelles, Chesterfield Inlet (Igluligaarjuk), Nunavut]. Titre original : Type indigène, Chesterfield Inlet (T.N.-O.), juillet 1926 (MIKAN 3379826)