Histoires cachées

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Par Ryan Courchene

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) détient une collection d’archives et de documents publiés si vaste et incroyable que vous ne pourrez jamais la consulter dans sa totalité. Chaque jour, on peut trouver des perles cachées en consultant le site Web de BAC ou en visitant l’un des divers édifices abritant des fonds d’archives répartis partout au Canada.

Le bureau de Winnipeg, où je travaille, contient à lui seul près de 9 150 m (30 000 pi) linéaires d’archives. Lors d’un voyage professionnel à Ottawa en 2016, j’ai eu l’occasion d’observer le travail d’employés des Services de référence du 395, rue Wellington. Sur place, j’ai constaté trois meubles à compartiments près du comptoir d’accueil et j’ai demandé ce qu’ils contenaient.

Photo couleur, prise depuis un corridor, d’une salle de référence que l’on voit à travers une paroi et deux portes vitrées.

La salle de référence de BAC, à Ottawa, vue depuis le corridor. À gauche, on voit les tiroirs des meubles à compartiments contenant des fiches de recherche avec des copies de photographies. Source : Tom Thompson

Photo couleur de quatre étagères en métal dotées de huit tiroirs coulissants contenant des fiches et des exemplaires de photographies ainsi que des renseignements de référence connexes.

Tiroirs des meubles à compartiments se trouvant dans la salle de référence, organisés par vedettes-matières et lieux géographiques et contenant des fiches de recherche avec des copies de photographies conservées dans les collections de BAC, à Ottawa. Source : Tom Thompson

On m’a alors indiqué qu’ils renfermaient de petites fiches qui illustraient des images de la collection, copiées de microfilms et de microfiches. Intrigué, j’ai décidé de jeter un coup d’œil aux fiches pendant la pause du dîner. Je suis bien vite tombé sur la collection Birth of the West [la naissance de l’Ouest], un ensemble comprenant des centaines de remarquables photos de l’Ouest canadien, la majorité étant des images autochtones d’Ernest Brown. Petites et de mauvaise qualité, les photos de ces tiroirs n’étaient en fait que des copies de leurs versions originales. Tout chercheur vous dira que cela peut être à la fois frustrant et utile au moment d’effectuer une recherche sur place. De nombreuses photographies répertoriées dans les fiches catalographiques n’ont jamais été numérisées, comme c’est le cas pour cette image de l’orignal. Dans de telles situations, les fiches fournissent un accès immédiat aux images sans avoir à commander le matériel original entreposé ailleurs.

Les photos de cette prestigieuse collection ne sont pas seulement saisissantes sur le plan visuel, mais exceptionnelles pour la mine de renseignements à caractère historique qu’elles représentent sur le Canada et les peuples de Premières Nations de l’Ouest. Même si la collection compte des centaines d’images, l’une d’entre elles a réellement retenu mon attention. Chaque fois que je la regarde, elle raconte une histoire qui évolue sans cesse.

Photo couleur d’une fiche catalographique au ton crème. La partie gauche comprend de l’information dactylographiée en noir et organisée selon diverses catégories. Une copie d’une photo noir et blanc présentée sur le côté montre un orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, l’animal se tenant devant un tipi.

Fiche catalographique d’une copie d’une photo d’un jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois et qui se tient devant un tipi, lieu inconnu, vers 1870-1910. Source : Tom Thompson

Cette photo montre une petite maison qui pourrait appartenir à une famille de Métis ou de Premières Nations, des couvertures suspendues pour sécher, quelques arbustes nus, un chaudron de nourriture près d’un feu de camp, un beau tipi et, bien sûr, un jeune orignal domestiqué équipé d’un harnais fixé à un travois. Un élément n’a pas capté mon attention au premier coup d’œil, mais est sans doute le plus important de la photo : on voit une main agrippant la corde attachée à l’orignal. Mon grand-père me racontait comment il avait défriché sa propre terre pour la cultiver et y élever du bétail. Est-ce que c’est ce qui se passe sur la photo? Sinon, que nous raconte-t-elle? Chaque fois que je regarde cette photo, diverses possibilités s’offrent à moi et soulèvent toujours plus de questions.

Détail d’une photo noir et blanc montrant la main d’une personne tenant une corde.

Détail de la photo d’un jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois et qui se tient devant un tipi, lieu inconnu, vers 1870-1910. Source : Tom Thompson

Après avoir vu la photo de ce jeune orignal, j’en voulais un exemplaire. Comme je travaillais à rebours, il me fallait trouver l’image dans la collection pour savoir si elle avait déjà été numérisée, et dans le cas contraire, vérifier si l’obtention d’un exemplaire faisait l’objet de restrictions. Malheureusement pour moi, la photo n’était pas numérisée et j’ai préféré ne pas insister pour en obtenir un exemplaire.

Finalement, en 2019, il est venu à mon attention que l’on procédait à la numérisation de la collection d’Ernest Brown dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires. La photo de l’orignal est l’une des 126 images de l’album intitulé Birth of the West [la naissance de l’Ouest]. Datant de la période 1870-1910, l’album comprend des photos prises dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le Nunavut) et la Colombie-Britannique. En plus de numériser et de décrire entièrement cet album, l’équipe de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires a numérisé plus de 450 000 images, y compris des enregistrements photographiques, des documents textuels et des cartes, dans le but de fournir un accès en ligne gratuit aux sources primaires. Aucun déplacement requis!

En octobre 2019, j’ai finalement pu commander un exemplaire. Je me réjouis de savoir que je possède le premier exemplaire imprimé de cette splendide photo numérisée. Aujourd’hui, elle est accrochée à l’un des murs de mon bureau.

Photo noir et blanc entourée d’une large bordure blanche et présentée sur une page gris foncé d’un album. La photo illustre un orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, l’animal se tenant devant un tipi.

Jeune orignal équipé d’un harnais fixé à un travois, lieu inconnu, vers 1870-1910. Cette photo apparaît à la page 28 de l’album Birth of the West [la naissance de l’Ouest]. (e011303100-028)


Ryan Courchene est archvisite à la Direction des initiatives autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

Explorer l’histoire des peuples autochtones dans un livrel multilingue – Partie 1

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].Beth Greenhorn, en collaboration avec Tom Thompson

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a récemment publié le livre électronique interactif et multilingue De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Ce livrel est le fruit de deux initiatives touchant le patrimoine documentaire autochtone, Nous sommes là : Voici nos histoires et Écoutez pour entendre nos voix. Il contient des essais rédigés par des collègues à BAC faisant partie des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse. Le processus de création de cette publication a été bien différent de tout ce que BAC a réalisé auparavant.

Au début, l’équipe du projet ne comptait que deux personnes : Tom Thompson, un spécialiste de la production multimédia, et moi-même. On m’avait demandé de coordonner un livre électronique (livrel) portant sur les documents autochtones conservés à BAC. Nous avions déterminé qu’il s’agissait d’un excellent moyen de présenter le contenu nouvellement numérisé et de la meilleure plateforme pour incorporer du matériel interactif, comme des documents audiovisuels. Un livrel offrait également la possibilité de présenter les langues et les dialectes autochtones.

Les travaux commencent peu de temps après que les Nations Unies déclarent 2019 Année internationale des langues autochtones. C’est dans cet esprit que nous amorçons alors des consultations auprès de nos collègues autochtones; les discussions sont aussitôt encourageantes.

À ce moment, notre intention de départ est de présenter du contenu d’archives et d’autres documents historiques créés par des Autochtones dans leurs langues ancestrales et conservés à BAC. Après plusieurs mois de recherches infructueuses, nous constatons qu’à l’exception d’un petit nombre de documents, il existe peu de contenu écrit dans les langues des Premières Nations ou en inuktut, la langue des Inuit. En ce qui concerne le mitchif, la langue de la Nation Métisse, il n’y a aucun document connu dans la collection préservée à BAC.

Compte tenu de cette réalité, l’équipe chargée du livrel doit alors adopter une nouvelle stratégie pour créer une publication qui appuie les langues autochtones, bien que les documents publiés et archivés aient été créés en grande partie par la société colonisatrice. Après plusieurs séances de remue-méninges, la réponse devient claire et s’avère étonnamment simple. Au lieu de mettre l’accent sur les documents historiques écrits en langue autochtone, les auteurs doivent d’abord choisir des éléments de la collection qu’ils trouvent significatifs, peu importe le média, puis en discuter dans leurs essais. L’étape suivante est de traduire chaque essai dans la langue autochtone représentée par les personnes décrites dans chaque section. Le contenu traduit dans une langue autochtone doit être présenté comme le texte principal, tandis que les versions française et anglaise deviennent secondaires.

Choisi par les auteurs, le titre De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada souligne le caractère distinct de chaque nation et la diversité des voix. En plaçant la voix des auteurs au premier plan, les histoires offrent une compréhension plus riche du monde grâce à la prise en compte des connaissances et des perspectives autochtones.

Puisque de nombreuses collectivités autochtones ne disposent que d’une connectivité Internet limitée, l’équipe de projet prend soin d’intégrer dans le livrel un contenu dynamique, chaque fois que cela est possible. Il s’agit notamment d’images en haute résolution, d’épisodes de baladodiffusion, de clips audio et de séquences de films. Une connexion Internet demeure nécessaire pour télécharger le livrel et accéder à certains contenus, dont les enregistrements de la base de données, les billets de blogue et les liens externes.

Une carte de l’Amérique du Nord avec des symboles placés d’un bout à l’autre du Canada.

Carte montrant l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens, sans frontières géopolitiques. Les icônes font référence aux biographies et aux essais des auteurs du livrel. Image : Eric Mineault, BAC

À la suite d’une recommandation du Cercle consultatif autochtone à BAC, l’équipe de projet engage des experts en langues autochtones et des gardiens du savoir pour traduire les essais et les textes connexes dans le livrel. De toutes les tâches liées à la création de ce livre électronique, la recherche de traducteurs qualifiés restera l’une des plus difficiles, certes, mais aussi l’une des plus gratifiantes. Beaucoup de ces langues sont en péril; dans certains cas, elles sont même sur le point de disparaître. Alors que le travail de revitalisation de la langue commence dans de nombreuses collectivités pour créer des lexiques et des dictionnaires normalisés, on se rend vite compte que de nombreux mots en anglais sont sans équivalent dans les langues autochtones. Très souvent, les traducteurs doivent consulter les aînés de leur collectivité pour confirmer la terminologie et trouver un mot ou une expression transmettant le même sens, le même message.

En créant le livrel, BAC adopte un important changement de paradigme, soit celui de présenter la langue autochtone en tant que contenu principal, et de proposer le français et l’anglais comme textes secondaires. Pour souligner ce changement, les auteurs intègrent dans leurs essais des mots dans leurs langues ancestrales pour dépeindre les lieux, donner des noms propres et fournir des descriptions. La première occurrence d’un de ces mots s’accompagne de traductions en français ou en anglais entre parenthèses. Par la suite, seuls les mots autochtones sont utilisés pour toute référence ultérieure.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.


Beth Greenhorn est gestionnaire principale de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Tom Thompson est spécialiste en production multimédia à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.