Par Ellen Bond
Le voyage en autobus qui m’a menée de Barrie à Kleinburg, en Ontario, en 1972, n’a pas été long. Nous sommes arrivés à la galerie d’art McMichael, qui abrite la collection d’art canadien McMichael, par une belle journée de printemps ensoleillée. Je me souviens d’un grand espace dégagé avec de longs sentiers bordés de petits arbres partant du stationnement et menant à un superbe édifice en bois orné d’imposants piliers de pierre.
À cette époque, ma famille et moi passions une partie de nos étés à Wymbolwood Beach, sur la baie Georgienne (lac Huron), et à Terrace Bay, sur la rive nord du lac Supérieur. En entrant dans la galerie McMichael, j’ai eu l’impression de voir défiler mes étés et les lieux qui m’ont apporté tant de bonheur. J’ai immédiatement succombé aux couleurs, aux traits, aux larges coups de pinceau et à la manière dont les peintures représentaient les rochers, les arbres balayés par le vent et les majestueux paysages.

Le canot rouge, peint par J. E. H. MacDonald, 1915 (e003894355)
Il y a cent ans, le 7 mai 1920, le Groupe des Sept présentait sa première exposition officielle au Musée des beaux-arts de Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario). C’est la première fois que le public a la chance de voir plus de 120 œuvres du Groupe au même endroit. Selon le site Web de la galerie McMichael, seulement six peintures sont vendues lors de cette exposition. Une seule d’entre elles vaudrait aujourd’hui beaucoup plus que le montant total payé pour les six œuvres d’art.
En 1920, le Groupe des Sept se compose de Franklin Carmichael, Lawren Harris, A. Y. Jackson, Frank Johnston, Arthur Lismer, J. E. H. MacDonald et Frederick Varley. Johnston quitte le Groupe en 1920 pour s’installer à Winnipeg, et en 1926, A. J. Casson est invité à prendre sa place. Deux autres membres, Edwin Holgate et L. L. FitzGerald, se greffent respectivement au Groupe en 1930 et en 1932. Tom Thompson est parfois considéré comme un des membres fondateurs, mais c’est une erreur, car il est décédé tragiquement en 1917, avant même la formation du Groupe.

Des membres du Groupe à l’Arts and Letters Club de Toronto. Sur la photo : Bertram Booker, A. Y. Jackson, Merrill Denison, J. E. H. MacDonald, Lawren Harris, Frederick B. Housser et un homme non identifié. (PA-196166)
Les membres du Groupe des Sept sont célèbres partout au Canada. Dans les écoles, les bibliothèques et les écoles d’art, leurs œuvres servent de modèles. Les étudiants apprennent souvent à peindre des paysages en imitant leur style. Ma nièce Emma l’a d’ailleurs fait à son école. Son tableau était accroché au mur dans l’escalier de sa maison; il avait une allure très professionnelle.
Le Groupe des Sept est extrêmement facile à trouver sur Google. Certaines œuvres y sont montrées et même offertes à la vente au Canada, d’un océan à l’autre. Récemment, en visitant la galerie d’art Thompson Landry dans le district Distillery, à Toronto, j’ai vu pour la première fois un tableau du Groupe des Sept à vendre. Je l’ai longuement regardé, émerveillée. Si j’avais disposé de 133 000 $, je n’aurais pas hésité un instant!
Selon la théorie des six degrés de séparation, toute personne est reliée à n’importe quelle autre sur la planète par l’entremise d’au plus six relations sociales. Deux de mes amis ont des liens étroits (deux ou moins) avec les membres du Groupe Arthur Lismer et A. Y. Jackson.
J’ai fait la connaissance de Ronna Mogelon grâce à un ami. Son habileté à décorer des gâteaux m’épatait. Quand j’ai réalisé qu’elle vivait dans l’ancienne cabane en bois rond que j’admirais tant, j’étais encore plus heureuse de la connaître. Puis, j’ai découvert le lien qui l’unissait à Lismer. Voici son histoire :
Mes parents étaient des passionnés d’art; ils étaient très engagés au sein de la communauté artistique montréalaise dans les années 1960. Ils organisaient des expositions dans leur résidence, avant que les artistes ne trouvent une galerie pour les représenter. Ma mère, Lila, est originaire de Saint John au Nouveau-Brunswick. Elle était très proche du peintre Fred Ross, son professeur à l’école d’art. (Plusieurs de ses œuvres sont présentées au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, en Ontario.) Avant d’avoir une galerie pour le représenter, Fred Ross exposait ses œuvres dans notre maison.
Mon père, Alex, rédigeait une chronique artistique mensuelle dans le magazine The Montrealer, publié dans les années 1960 et 1970. En général, ma mère interviewait les artistes et mon père écrivait l’histoire à partir des enregistrements. Un vrai travail d’équipe! Les arts occupaient une très grande place dans notre famille.
Quoi qu’il en soit, mes parents voulaient que nous ayons une bonne formation de base en art. Le samedi matin, ils nous envoyaient au Musée des beaux-arts de Montréal suivre des cours d’art avec Arthur Lismer. La plupart des enfants fréquentaient la maternelle, mais nous, nous allions à l’école d’Arthur Lismer.

Portrait d’Arthur Lismer, photographié à Québec par Basil Zarov en 1953 (e011000857)
Comme j’étais très jeune, mes souvenirs sont assez vagues. Je me rappelle qu’il était très grand, mais je n’avais que six ans et j’étais plutôt petite à l’époque. Je crois me souvenir qu’il fumait la pipe. J’avais l’impression d’être une vraie artiste parce que nous devions peindre debout au chevalet. Ma sœur aînée, Marcia, qui avait suivi des cours quelques années avant moi, se souvient de la grande exposition de fin d’année où toutes les œuvres des artistes étaient présentées. Elle devait revêtir ses plus beaux atours pour la circonstance. Mon cousin Richard se rappelle les pipes de réglisse que nous recevions à la fin du cours pour le retour à la maison.
Je ne sais pas si ses cours m’ont influencé, mais je suppose que oui, car j’ai choisi d’étudier dans le domaine des arts et obtenu un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia, à Montréal. Certains de ses enseignements ont peut-être déteint sur moi finalement!
Comme je l’ai mentionné, j’ai passé plusieurs étés au lac Supérieur. Mes parents ont grandi dans le nord-ouest de l’Ontario. Je suis née à Terrace Bay et je me sens chez moi ici. Une amie de ma sœur, Johanna Rowe, a grandi à Wawa, en Ontario. Nous avons séjourné dans son camp situé à l’embouchure de la rivière Michipicoten, là où celle-ci se jette dans le lac Supérieur. C’est un des plus beaux endroits que je connaisse. Des plages de sable blanc, de magnifiques rochers, un énorme banc de sable – à l’embouchure de la rivière – qui disparaît parfois après une tempête, d’immenses billes de bois provenant de forêts inconnues… c’est vraiment spectaculaire!

A. Y. Jackson dans son uniforme de la Première Guerre mondiale, en 1915. (e002712910) Jetez un coup d’œil à son dossier militaire (PDF).
Johanna est une historienne de Wawa, membre de l’Association canadienne d’experts-conseils en patrimoine. Elle entretient une relation spéciale avec cette région où A. Y. Jackson a choisi de créer ses œuvres. Elle nous raconte à son tour son histoire :
J’ai grandi en écoutant les histoires de ma grand-mère à propos d’un membre du Groupe des Sept. Il avait un chalet à Wawa et faisait souvent des tours avec les propriétaires de bateaux du coin pour explorer le littoral du lac Supérieur et peindre ses tableaux.
Dans le cadre d’une formation sur Glenn Gould et le Groupe des Sept, en 2015, j’ai été présentée à Ken Ross, fils de Harry et Jennie Ross, des amis d’A. Y. Jackson. Ils avaient acheté un chalet avec lui à Sandy Beach en 1955.
De 1955 à 1966, Jackson a exploré la région à pied et en canot à partir de son modeste chalet de Sandy Beach. En compagnie de ses amis et d’autres explorateurs, il a réalisé des centaines de dessins et de peintures représentant des paysages du lac Supérieur, de la baie Batchawana jusqu’à Pukaskwa. Jackson a créé plusieurs œuvres dans les environs de Sandy Beach.
Lorsqu’ils revenaient de leurs expéditions à Wawa, Jackson et la famille Ross invitaient des amis et des voisins à une fête sur la plage, autour d’un feu de camp. Jackson exposait ses croquis sur de gros morceaux de bois flotté ou sur les rondins à l’extérieur du chalet.
Les gens pouvaient acheter une de ses créations pour 30 $ ou 50 $, ou commander une version plus grande, que Jackson réalisait dans son studio durant l’hiver pour 300 $ ou plus. On raconte que les œuvres invendues alimentaient parfois le feu de camp. Jackson était très généreux et faisait souvent cadeau de ses dessins à des résidents du coin qui le transportaient au lac Supérieur, l’invitaient à manger chez eux ou le laissaient s’asseoir pour peindre la vue depuis leur propriété.
En effectuant mes recherches, j’ai constaté qu’il n’existe aucun inventaire complet de ses
œuvres. Ses dessins se retrouvent maintenant dans des ventes aux enchères d’un bout à l’autre du continent. Au cours des cinq dernières années, on a vu surgir de nulle part au moins une trentaine de peintures qui, nous le savons, ont été peintes par Jackson dans la région de Wawa. Il écrivait souvent Wawa ou Michipicoten au dos de la peinture. Ceux qui connaissent bien ces paysages, l’ondulation des collines, l’échancrure du littoral, savent exactement où Jackson s’est assis pour peindre. C’est la chasse au trésor par excellence au Canada : découvrir le site qui a inspiré un des membres du Groupe des Sept à laisser sa créativité guider son pinceau sur la toile blanche. J’en frissonne chaque fois que j’y pense!

A. Y. Jackson dans un canot, 1959 (e011177131)
Les moments passés à la baie Georgienne et au lac Supérieur m’ont laissé des souvenirs impérissables. Je peux encore sentir le vent des Grands Lacs ébouriffer mes cheveux, les vagues se briser et rugir dans mes oreilles, et le bleu étincelant de l’eau miroiter devant mes yeux. Je suis très heureuse d’avoir vécu ces expériences et de savoir que les artistes les plus reconnus au Canada s’en sont inspirés dans leurs œuvres. J’ai hâte de revivre de tels moments lors de mon prochain voyage.
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Ellen Bond est adjointe de projet au sein de l’équipe du contenu en ligne de Bibliothèque et Archives Canada.
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