Arthur Lismer et les cours d’art pour enfants : un défi Co-Lab

Par Brianna Fitzgerald

Depuis que les restrictions liées à la COVID-19 ont mis sur pause les programmes dédiés aux enfants, l’énergie, le bruit et la créativité qui animaient plusieurs musées des beaux-arts du pays, pendant les matinées de fin de semaine, semblent chose du passé. Comme les cours et les ateliers d’arts ont dû passer en mode virtuel pour s’adapter au contexte actuel, nous vivons une période de grand changement dans le domaine de l’éducation artistique des enfants. Susciter la créativité des jeunes en mode virtuel constitue en effet un beau défi.

Ce n’est pas la première fois que les méthodes d’éducation artistique des enfants sont bousculées. Dans les années 30, le peintre Arthur Lismer (1885-1969), membre du Groupe des Sept, a entrepris de réformer radicalement l’éducation artistique au Canada. Il voulait transformer les musées d’art en faisant de ces lieux formels des espaces communautaires animés.

Lorsque j’ai posé les yeux sur des images de cours d’art donnés par Lismer, dans le fonds Ronny Jaques conservé à Bibliothèque et Archives Canada, j’ai senti émerger en moi un flot de souvenirs de ma propre enfance passée dans les cours d’arts, et de l’enthousiasme frénétique des petites mains et des jeunes esprits au travail. Avant de trouver ces images, j’ignorais l’importance de l’enseignement dans la vie de Lismer, ainsi que ses efforts inlassables pour populariser l’éducation artistique et en faire reconnaître l’importance. J’ignorais également à quel point son modèle éducatif des années 30 ressemblait à celui que j’avais connu des décennies plus tard. Dans les années 30, les cours d’art dédiés aux enfants ont gagné en popularité partout au pays, en grande partie grâce au travail acharné et à l’innovation de Lismer.

Photographie noir et blanc d’une jeune fille aux tresses noires vêtue d’un tablier pâle et agenouillée sur le plancher avec un pinceau dans la main droite. On peut voir le bas d’un tableau encadré derrière elle.

Une jeune fille avec un pinceau pendant un cours d’art pour enfants donné par Arthur Lismer, Toronto (e010958789)

En 1929, Lismer est nommé directeur de l’éducation au Musée des beaux-arts de Toronto (maintenant le Musée des beaux-arts de l’Ontario). Il commence à mettre en place plusieurs programmes pour concrétiser son désir de rendre l’art accessible à tous, et ainsi faire du musée un espace communautaire.

Sa première réussite consiste à organiser des visites pour les écoles, visites qui feront partie intégrante de certains programmes au conseil scolaire de Toronto. Lismer lance ensuite les cours d’art pour enfants du samedi matin. Le personnel enseignant et la direction des écoles de la région sélectionnent leurs meilleurs artistes pour que ces enfants soient invités aux cours du Musée. Ces cours ne coûtent que quelques dollars pour l’achat du matériel, et les élèves ont la chance de remporter une bourse permettant de suivre un cours élémentaire à l’Ontario College of Art (maintenant l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario).

Accueillant environ 300 élèves chaque semaine, le Musée connaît des samedis matin animés. Les enfants sont autorisés à travailler librement et encouragés à explorer leurs idées et leurs pulsions créatrices. En plus de peindre et dessiner, ils pratiquent la sculpture à l’argile, créent des costumes et participent à des spectacles. Les cours ont lieu dans les musées. Les enfants, éparpillés sur le plancher, travaillent sur de multiples moyens d’expression, entourés d’œuvres d’art célèbres accrochées aux murs. Pendant les années 30 et 40, des expositions d’œuvres créées par les enfants pendant les cours du samedi matin figurent couramment dans le programme du Musée.

Photographie noir et blanc d’enfants agenouillés dans un musée d’art, au milieu du plancher, entourés de papier et de fournitures artistiques. Une enseignante debout au milieu de la pièce aide une élève. Les murs sont parsemés de peintures encadrées, et on peut voir une galerie adjacente derrière quatre colonnes foncées. De la scène émane l’énergie des enfants qui construisent des maisons en papier.

: Participants au cours d’art pour enfants organisé par Arthur Lismer (e010980053)

Les cours du samedi donneront finalement naissance au Centre d’art du Musée des beaux-arts de Toronto, qui appuiera les activités pédagogiques du Musée. Ce centre permettra la tenue de classes plus petites pour intensifier les interactions avec chacun des enfants, en plus d’ouvrir de nouvelles possibilités pour concrétiser les projets de Lismer.

Après plusieurs années de succès à la tête du programme du Centre d’art, Lismer est invité à faire une tournée de conférences dans l’ensemble du pays pour parler de l’art canadien et des cours d’art pour enfants. Lismer avait déjà présenté ses méthodes à des enseignants de Toronto pour que ceux-ci les intègrent dans leurs propres cours. Grâce à cette tournée de conférences, Lismer a maintenant la chance de changer la manière dont on enseigne l’art partout au pays.

Le Musée des beaux-arts de Toronto n’est ni la première ni la dernière aventure de Lismer dans le monde de l’éducation artistique pour enfants. En 1917, à Halifax, il organise des cours du samedi matin à la Victoria School of Art and Design (aujourd’hui le Nova Scotia College of Art and Design), dont il est le directeur. Après son poste à Toronto et sa tournée de conférences, Lismer est nommé, en 1940, directeur de l’éducation au Musée des beaux-arts de Montréal. Comme à Toronto, il met sur pied un centre d’art et un programme éducatif. Même après sa retraite en 1967, et jusqu’à sa mort en 1969, à l’âge de 83 ans, il poursuit son engagement auprès du Centre d’art de Montréal.

Photographie noir et blanc sur laquelle six garçons sont assis dans un musée d’art. Devant chacun d’eux, une chaise sert de chevalet. Deux toiles encadrées ornent le mur en arrière-plan et du papier journal recouvre le sol.

Garçons en train de dessiner dans un cours d’art pour enfants organisé par Arthur Lismer (e010980075)

Plus de cent images de ces enfants suivant des cours d’art peuvent être consultées en ligne. Elles témoignent de la grande variété d’activités créées par Lismer pour ses programmes éducatifs, et offrent un point de vue intéressant sur des cours tenus il y a plus de 80 ans. Elles montrent des scènes bien connues d’enfants éparpillés sur les planchers d’un musée, ramassant du matériel d’art, peignant devant des chevalets de fortune ou sculptant l’argile sur une table minutieusement recouverte de papier journal.

Bien que les cours d’art pour enfants donnés pendant la pandémie n’aient pas le même aspect, nous pouvons tous espérer que les musées d’art seront bientôt repris d’assaut par le bruit, le désordre et l’enthousiasme des cours du samedi matin.

BAC a créé un défi Co-Lab sur les cours d’art pour enfants de Lismer. Si vous reconnaissez une personne, un endroit dans le Musée ou une œuvre d’art sur les photographies, n’hésitez pas à ajouter une étiquette!


Brianna Fitzgerald est technicienne d’imagerie numérique à la Direction générale des opérations numériques et de la préservation de Bibliothèque et Archives Canada.

La petite histoire : les récits cachés des enfants, une exposition au Musée canadien de l’histoire

Trop souvent, nos livres d’histoire présentent une vision romancée de la vie et de la contribution des enfants, quand ils ne les ignorent pas carrément. Pourtant, la vie des moins puissants, même si elle laisse bien peu de traces, peut s’avérer très révélatrice – à condition d’être préservée!

L’exposition La petite histoire : les récits cachés des enfants, tenue au Musée canadien de l’histoire, met en lumière les expériences uniques de certains enfants, retrouvées parmi les archives. On peut y admirer des documents, des photos, des œuvres d’art et des artéfacts rares tirés des collections du Musée et de Bibliothèque et Archives Canada.

Les enfants écrivent rarement leurs propres récits et anecdotes, que l’on découvre plutôt par bribes dans du matériel produit par des adultes, comme des portraits officiels tirés de collections familiales ou des documents gouvernementaux ou institutionnels. Ces fragments d’existences révèlent l’attitude des adultes à l’égard des enfants et les répercussions que les lois et politiques ont eues sur eux au fil du temps.

Peinture à l’huile de deux fillettes vêtues à l’identique, avec des robes rouges à cols de dentelle et des colliers rouges. L’une d’entre elles tient un petit chien.

Céline et Rosalvina Pelletier. Attribuée à James Bowman, vers 1838. Huile sur toile (MIKAN 2837219)

Avant l’avènement de la photographie, les individus étaient représentés au moyen de portraits peints. Les enfants pauvres y figuraient rarement, ce qui témoigne de l’élitisme de cette forme d’art. Dans ce portrait des sœurs Pelletier, tout reflète la richesse et le statut social de leur famille. Représentées à l’image d’adultes en miniature, elles portent une tenue empesée; l’une tient un teckel nain, symbole de fidélité, et toutes deux arborent un collier de corail, censé repousser les maladies infantiles.

Photo noir et blanc de trois enfants : l’un assis au centre, et les deux autres debout.

The children we seek to help [Ces enfants que l’on cherche à secourir]. Photographe inconnu, vers 1900. Épreuve à la gélatine argentique (MIKAN 3351178)

Les documents institutionnels contiennent de précieux renseignements sur les enfants. À la fin du 19e siècle, le mouvement de « secours aux enfants » a suscité la création d’organismes de protection de l’enfance, dont la Société d’aide à l’enfance. Ces organismes caritatifs aidaient les enfants pauvres, abandonnés et négligés en tenant des orphelinats et des écoles de formation, et en offrant des services d’adoption. Les travailleurs sociaux ont eu recours à la photographie pour documenter leur travail, n’hésitant pas à promouvoir leur cause à l’aide d’images contradictoires où les enfants étaient représentés comme d’innocentes victimes ou des criminels en devenir.

Les récits du passé négligent parfois la présence des enfants, quand ils ne l’occultent pas complètement. Pourtant, ces derniers ont eux aussi participé à des événements marquants de l’histoire du Canada ou en ont ressenti les effets.

Photo noir et blanc de deux enfants appuyés contre un guéridon, une main sur la joue.

Jean-Louis et Marie-Angélique Riel. Steele & Wing, vers 1888. Impression à l’albumine (MIKAN 3195233)

Jean-Louis et Marie-Angélique sont nés au Montana alors que leur père, le chef métis Louis Riel, y était exilé en raison de son rôle dans la Résistance de la rivière Rouge en 1869-1870. Après l’exécution de leur père en 1885, Marie-Angélique est allée vivre à Winnipeg auprès d’un oncle; elle a succombé à la tuberculose en 1896. Après avoir adopté le nom de sa mère, Jean-Louis est déménagé à Montréal et est décédé à l’âge de 25 ans des suites d’un accident de charrette.

Lettre écrite à la main par Louis Riel, adressée à sa femme et à ses enfants.

Lettre de Louis Riel à sa femme et à ses enfants, 1885. Encre sur papier (MIKAN 126629)

Cette ultime lettre de Louis Riel à son épouse et à ses enfants donne une perspective personnelle du chef métis. Riel l’a rédigée le 16 novembre 1885, le jour de sa pendaison à Regina. Il y parle de ses enfants, demande à sa femme de les faire prier pour lui, et la termine ainsi : « Gardez courage. Je vous bénis. Votre père, Louis ‟David” Riel ».

Les objets créés par des enfants ont une vie éphémère et se retrouvent rarement dans des collections. Et lorsque c’est le cas, ils sont bien cachés, souvent intégrés au patrimoine des familles et des communautés; en outre, l’identité de leurs jeunes auteurs n’est pas toujours mentionnée. Néanmoins, ils sont plus susceptibles de resurgir si leurs auteurs ont grandi au sein de familles célèbres ou le sont eux-mêmes devenus.

Le journal intime de Sandford Fleming, ouvert et montrant un exemple de son écriture.

Journal intime de Sandford Fleming, 1843. Crayon et papier (MIKAN 4938908)

Ce journal, tenu par Sandford Fleming à l’âge de 16 ans, laisse présager sa réussite à titre d’ingénieur et d’inventeur. Rempli de dessins architecturaux, de formules scientifiques et d’inventions, le document illustre le bouillonnement intellectuel de Fleming.

Peu communs, les lettres et les journaux d’enfants ouvrent une fenêtre sur leur univers, révélant leurs façons uniques de parler, de penser et d’appréhender le monde. Intimes, candides et parfois fantaisistes, les journaux intimes, les lettres et les dessins créés par des enfants nous invitent à voir l’histoire autrement.

Portrait noir et blanc d’un jeune homme vêtu d’un uniforme, les bras croisés.

Portrait d’Arthur Wendell Phillip Lawson. Photographe inconnu, 1918. Épreuve sur collodion mat (MIKAN 187937)

Journal écrit à la main. Pour chaque journée, on aperçoit des tableaux montrant les résultats des parties de la série mondiale du baseball majeur.

Journal intime d’Arthur Wendell Phillip Lawson, 1914. Encre, papier, cuir (MIKAN 129683)

Dans ce journal, Arthur Lawson, alors âgé de 16 ans, livre ses états d’âme ainsi que sa vision du monde, d’un point de vue d’adolescent. Rédigé au début de la Première Guerre mondiale, il entremêle les mentions des batailles faisant rage outre-mer et des remarques anodines sur la météo, les événements familiaux (comme l’anniversaire du frère de Lawson) et les résultats de la série mondiale du baseball majeur en cours, opposant les Braves de Boston aux Athletics de Philadelphie. Arthur Lawson s’est enrôlé avant la fin de la guerre.

Pour découvrir d’autres récits captivants, visitez l’exposition La petite histoire : les récits cachés des enfants, présentée du 30 mars 2018 au 27 janvier 2019 au Musée canadien de l’histoire, dans la salle « Les trésors de Bibliothèque et Archives Canada ».