L’histoire du Manitoba et du pénitencier de Lower Fort Garry, 1871-1877

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par David Horky

Les archives sur les débuts du pénitencier du Manitoba (1871-1877) sont presque aussi vieilles que le Manitoba lui-même. Le pénitencier était situé à Lower Fort Garry, aussi appelé « le fort de pierre »; son histoire témoigne des origines turbulentes de la province.

Le bureau de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) à Winnipeg conserve de nombreux documents remontant aux débuts du pénitencier, comme les registres d’admission des détenus, les carnets de commandes des directeurs et les lettres quotidiennes du chirurgien; on peut aussi les consulter en ligne sur le site Canadiana Héritage (en anglais). Par ailleurs, BAC et d’autres organismes conservent des archives diverses liées au pénitencier, dont la plupart sont en ligne. L’information qu’on y trouve – tant sur l’établissement lui-même que sur certains détenus – nous donne un aperçu fascinant de l’histoire du Manitoba, tout juste après sa création, en 1870.

Le fort de pierre

Photo noir et blanc d’un grand bâtiment pâle au toit foncé. Le bâtiment est entouré d’une clôture.

Magasin de fourrures situé à l’intérieur du Lower Fort (ou « fort de pierre »), 1858. (e011156706) De 1871 à 1877, le bâtiment héberge d’abord le pénitencier et l’asile du Manitoba.

Le pénitencier du Manitoba est construit à Lower Fort Garry en 1871, un an après l’entrée du Manitoba dans la Confédération à titre de cinquième province canadienne. Lower Fort Garry, le « fort de pierre », est érigé en 1830 par la Compagnie de la Baie d’Hudson sur la rive ouest de la rivière Rouge, 32 kilomètres au nord de Fort Garry (l’actuelle Winnipeg). C’est alors un centre de troc et un dépôt de fournitures pour la colonie de la Rivière-Rouge.

En 1870, l’endroit sert de quartier général pour les troupes britanniques et canadiennes déployées par le gouvernement canadien. Commandées par le colonel Garnet J. Wolseley, ces troupes ont pour mission de maintenir la paix et l’ordre après la Résistance de la rivière Rouge organisée par les Métis –événement qui débouchera sur la création du Manitoba. Or, à l’opposé de leur mission, les troupes canadiennes (et en particulier celles de l’Ontario) sont accusées d’instaurer en toute impunité un véritable règne de terreur, de violence et d’intimidation envers les Métis de la colonie de la Rivière-Rouge. (Notez que la source fournie en hyperlien est en anglais seulement.)

Lorsque les militaires quittent le fort, en 1871, les troupes canadiennes sont réaffectées à Upper Fort Garry et à Fort Osborne. Le sergent quartier-maître du 2e Bataillon des Fusiliers de Québec, Samuel L. Bedson, reste toutefois sur place; il devient le premier directeur du pénitencier du Manitoba, à Lower Fort Garry.

À l’intérieur du fort, le bâtiment de pierre est alors converti en prison et en asile, accueillant tant des criminels que des personnes souffrant de maladie mentale. On pose des barreaux aux fenêtres et aux lucarnes, on bloque l’entrée ouest, on sécurise la porte à l’est, on installe un mât et un ballon de signalisation et on érige des palissades.

Des prisonniers pas ordinaires : les détenus autochtones et l’histoire du Manitoba, 1871-1877

Deux pages d’un carnet, avec des notes manuscrites.

Registre d’admission de détenus, 1871-1885. (T-11089, image 810; R942-29-1-E, RG73-C-7)

Dans le registre d’admission portant sur les deux premières années du pénitencier (1871-1872), on ne relève que sept détenus, incarcérés pour vol de chevaux, petits larcins, vol ou introduction par effraction. Leurs origines sont étonnamment diversifiées : un Suédois, quelques Américains, un Anglais, quelques Ontariens et quelques habitants de la rivière Rouge. On y mentionne aussi, pour 1874, l’admission d’un prisonnier « fou » (lunatic), terme offensant utilisé pour désigner les personnes atteintes de maladie mentale. En effet, le pénitencier sert également d’asile jusqu’en 1886 (y compris après son déménagement à Stony Mountain); cette année-là, l’asile provincial de Selkirk, le premier du genre dans l’Ouest canadien, ouvre ses portes.

Le registre d’admission du pénitencier liste entre autres les noms, les délits et les sentences des premiers détenus. Mais d’autres sources nous renseignent aussi sur les circonstances entourant leur emprisonnement. Dans le cas des prisonniers des Premières Nations et de la Nation métisse, il est particulièrement important de garder à l’esprit les événements qui se déroulent alors dans la colonie de la Rivière-Rouge et, en général, dans les Territoires du Nord-Ouest.

En fait, le tout premier détenu inscrit, en mai 1871, est un membre de la Première Nation Dakota nommé John Longbones. Il est condamné à deux ans de prison pour voies de fait commises dans l’intention de mutiler. En 1873, deux autres hommes de sa communauté, Pee-ma-ta-kow et Mc-ha-ha, sont aussi emprisonnés à Lower Fort Garry, respectivement pour larcin et introduction par effraction.

Une raison particulière explique le petit nombre de détenus autochtones alors incarcérés à Lower Fort Garry. À l’époque, un membre d’une Première Nation est seulement déclaré coupable s’il enfreint la loi – et est pris sur le fait – alors qu’il se trouve sur le territoire d’une communauté de pionniers. En effet, les Premières Nations ne reconnaissent pas l’autorité législative du Dominion du Canada dans les régions du Nord-Ouest; en outre, aucun moyen n’existe pour y faire respecter la loi.

Le pénitencier du Manitoba joue donc un rôle important, quoique symbolique, dans l’application des lois canadiennes au sein des communautés autochtones. En effet, le gouvernement du Canada veut paver la voie à une colonisation ordonnée de la province, ainsi que des Territoires du Nord-Ouest, récemment acquis. Avec l’arrivée d’un nombre croissant d’immigrants en provenance de l’Est du Canada (surtout de l’Ontario) et de l’étranger, le gouvernement accorde une grande importance à la négociation des traités avec les Premières Nations; c’est là une étape primordiale pour instaurer la paix, l’ordre et la bonne gouvernance dans l’Ouest canadien.

Page tapuscrite d’un rapport du gouvernement.

Rapport de la Division des affaires indiennes du Secrétariat d’État pour les Provinces, Adams G. Archibald, 29 juillet 1871. (e18710014)

Le destin veut que le premier de ces traités se négocie à Lower Fort Garry, à l’ombre du pénitencier, le 25 juillet 1871; la loi et les peines deviennent les enjeux centraux des négociations. Dans un rapport de la Division des affaires indiennes daté du 29 juillet 1871, Adams George Archibald, premier lieutenant-gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, décrit sa rencontre avec les chefs des Chippewas et des Cris des marais pour la signature du Traité n° 1. À sa grande surprise, les chefs refusent de signer le traité avant d’avoir « dissipé un nuage ».

Archibald apprend alors que les chefs sont troublés par l’incarcération de certains de leurs frères, détenus au pénitencier du Manitoba pour rupture de contrat et désertion auprès de la Compagnie de la Baie d’Hudson; ils demandent leur libération. Archibald leur répond que toute personne transgressant la loi doit être punie. Néanmoins, à cause de l’importance du traité pour le gouvernement du Canada, il consent à libérer les prisonniers — non pas pour une raison de droit, mais plutôt comme une faveur accordée par la Couronne. Les négociations reprennent, et débouchent sur la signature du Traité n° 1 le 3 août 1871.

Parallèlement aux négociations sur les traités, les Métis de la colonie de la Rivière-Rouge demeurent agités, ce qui préoccupe le gouvernement. En colère, frustrés par le règne de terreur de la milice canadienne et par les promesses brisées concernant la protection de leurs droits et de leurs terres, un petit nombre de Métis s’allient à un groupe de fenians actifs à la frontière américaine, à Pembina (de nos jours le Dakota du Nord). Les fenians sont des nationalistes irlandais vivant aux États-Unis. Ils cherchent à capturer un territoire canadien pour monnayer l’indépendance de l’Irlande vis-à-vis la Grande-Bretagne.

En octobre 1871, quelques Métis participent à un raid mené par les fenians (source en anglais) à Emerson, un avant-poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson situé près de la frontière américaine. Ce raid doit servir de prélude à une éventuelle incursion de la colonie de la Rivière-Rouge. Mais la cavalerie américaine intervient; quelques-uns des Métis capturés sont ramenés à Winnipeg par des représentants canadiens, afin de subir un procès pour « avoir fait la guerre contre Sa Majesté de façon délictuelle et illégal  ».

Un seul de ces Métis, Oiseau Letendre, figure dans le registre d’admission du pénitencier du Manitoba pour l’année 1871. Même si le registre affirme que Letendre est originaire de Rivière-Rouge, celui-ci habite en fait à Pembina, de l’autre côté de la frontière américaine. Le registre passe sous silence la raison de son incarcération, mais précise la lourde peine qui lui est infligée : 20 ans de prison. Une note ultérieure mentionne sa remise en liberté, survenue en 1873 sur ordre du gouverneur général.

Page lignée d’un registre avec des entrées manuscrites. Les mots « Capital case » (peine capitale) et le nombre 1673 sont inscrits en haut.

Oiseau Letendre comparaît devant le juge Johnson dans un procès pour peine capitale à Fort Garry, au Manitoba, pour avoir fait la guerre contre Sa Majesté. Sa peine est réduite à 20 ans d’emprisonnement, 1871-1872. [Traduction] (e002230571)

On peut lire dans le dossier d’Oiseau Letendre que celui-ci chasse le bison et conduit des charrettes sur les pistes de transport des marchandises entre Fort Garry et St. Paul. Plusieurs membres de sa famille vivent dans la colonie de la Rivière-Rouge et dans la communauté de Batoche, le long de la rivière Saskatchewan Sud, ce qui fait craindre aux représentants du Dominion que l’opposition de Letendre au gouvernement fédéral ne soit pas un cas isolé. Ils décident donc d’en faire un exemple et le condamnent à la pendaison; dans un geste de clémence, le premier ministre John A. Macdonald commue cette peine à 20 ans de prison.

Letendre affirme cependant être un citoyen américain, et le gouvernement des États-Unis fait pression pour qu’il soit remis en liberté. C’est ainsi qu’en janvier 1873, il obtient un pardon du gouverneur général, à condition de s’exiler hors du pays jusqu’au terme de sa peine de 20 ans.

Peu après, en septembre 1873, survient une autre affaire qui sera encore plus médiatisée. Une personnalité métisse bien connue est arrêtée et brièvement emprisonnée au fort de pierre. Il s’agit d’Ambroise Lépine, capitaine-adjudant du gouvernement provisoire de Louis Riel. On l’accuse d’avoir participé à l’exécution de Thomas Scott pendant la Résistance de la rivière Rouge, en 1870.

(Ironie du sort : Riel et Lépine s’étaient opposés à ce que les Métis appuient les fenians pour envahir la colonie de la Rivière-Rouge. En octobre 1871, alors qu’ils étaient des fugitifs, ils revinrent même furtivement dans la colonie pour diriger les troupes volontaires de Saint-Boniface afin de défendre la colonie contre cette menace.)

Après son arrestation, on envoie d’abord le prisonnier Lépine au pénitencier de Lower Fort Garry pour qu’il y soit gardé en lieu sûr. On ne sait pas avec certitude quelle est la durée de son séjour là-bas, puisqu’il ne figure pas dans le registre d’admission des détenus. On sait toutefois qu’à la fin de 1873 ou au début de 1874, Lépine est transféré dans la nouvelle prison provinciale construite à côté du palais de justice de Winnipeg. C’est là que se tient son procès et qu’il purgera sa peine.

Le procès d’Ambroise Lépine suscite un immense intérêt, non seulement au Manitoba, mais partout au pays. Comme ce sera le cas lors du procès de Louis Riel à Regina, une douzaine d’années plus tard, le procès d’Ambroise Lépine divise la population : l’Ontario le condamne, tandis que le Québec sympathise à sa cause. Finalement, tout comme Oiseau Letendre, Lépine est condamné à la pendaison. Cependant, le gouverneur général réduit sa peine à deux ans, mais révoque indéfiniment ses droits civiques. Plus tard, Lépine se verra offrir une amnistie totale en échange d’un exil de cinq ans. Il refusera l’offre et purgera sa peine, retrouvant enfin sa liberté en octobre 1876.

Page montrant les portraits dessinés de quatre hommes.

Frontispice du livre Preliminary Investigation and Trial of Ambroise D. Lépine for the Murder of Thomas Scott, 1874 (offert en version numérisée sur Internet Archive). Ambroise Lépine est en bas; Louis Riel, en haut. Les avocats de Lépine, J. A. Chapleau et Joseph Royal, sont respectivement à gauche et à droite.

La fin d’une époque

L’ouverture du pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry s’accompagne de plusieurs enjeux qui témoignent des origines turbulentes de la province et de la précarité des relations avec les Autochtones et la Nation métisse. Ces enjeux toucheront de près la façon dont le gouvernement fera la promotion de la colonisation dans l’Ouest.

En 1877, le gouvernement du Canada a négocié la plupart des traités nos 1 à 7 avec les Premières Nations qui peuplent de vastes régions des Territoires du Nord-Ouest (dans ce qui est de nos jours le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta). Ces négociations ont pavé la voie à l’expansion du Chemin de fer Canadien Pacifique et à la colonisation soutenue des Prairies. Cependant, avec l’arrivée massive des colons, la situation de nombreuses Premières Nations se dégrade : la colonisation compromet de plus en plus leurs modes traditionnels de subsistance, la chasse au bison subissant entre autres un déclin irréversible.

Les communautés métisses de la colonie de la Rivière-Rouge vacillent elles aussi sous la pression des pionniers qui affluent au Manitoba en provenance de l’Est du Canada et de l’étranger. Malgré les promesses de l’Acte du Manitoba, elles ont subi un véritable règne de terreur instauré par la milice canadienne, et se sont fait voler leurs terres avec la complicité des tribunaux. Par conséquent, des milliers de Métis de la rivière Rouge décident de quitter le Manitoba dans les années 1870. Ils se dirigent vers l’Ouest, dans ce qui est aujourd’hui la Saskatchewan et l’Alberta. Là, ils se joignent à d’autres communautés métisses ou en forment de nouvelles.

Ces mouvements de population, chez les Métis dépossédés et désespérés, font peut-être craindre au gouvernement fédéral des perturbations au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest; celui-ci décide alors de se donner les moyens pour faire respecter la loi dans le nord-ouest du pays. Il met sur pied des tribunaux territoriaux pour pouvoir intenter des poursuites judiciaires, et crée la Police à cheval du Nord-Ouest pour faire régner la loi et l’ordre. En outre, il se prépare à remplacer le fort en pierre de Lower Fort Garry par une prison plus grande, qui pourra héberger les détenus de toute la région; en fait, les travaux en ce sens avaient déjà été lancés en 1872.

La nouvelle prison est achevée en 1878, et prend le nom de pénitencier du Manitoba à Stony Mountain. C’est ainsi que prend fin l’histoire du pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry. Le Manitoba, devenu le centre administratif et logistique pour tout l’Ouest du pays, entre alors dans une nouvelle ère.

En plus des archives sur le pénitencier du Manitoba à Lower Fort Garry, le bureau de Bibliothèque et Archives Canada à Winnipeg possède de nombreux documents sur le pénitencier du Manitoba à Stony Mountain (ou le pénitencier de Stony Mountain, comme on l’appellera plus tard). Vous pouvez les consulter sur Canadiana Héritage (en anglais). Toutes ces archives constituent une mine d’histoires fascinantes!


David Horky est archiviste principal au bureau de Bibliothèque et Archives Canada à Winnipeg.

Des siècles de liens familiaux — La généalogie comme outil d’exploration de l’identité métisse

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Delia Chartrand

Je me suis rapprochée de mes racines métisses en découvrant la lignée familiale de mon père, Maurice Emile William Chartrand. On pourrait dire que je suis une Métisse des temps modernes. Si mon père a grandi sur un territoire métis traditionnel, sur la propriété de sa famille près d’Inwood au Manitoba, j’ai de mon côté grandi dans une petite ville minière du nord du Manitoba. Nous ne parlions pas le mitchif, la langue métisse traditionnelle, puisque mon père avait depuis longtemps oublié cette langue qu’il appelait le « français de la brousse ».

Durant nos réunions familiales, j’écoutais ma famille jouer des chansons métisses traditionnelles au violon et mon père raconter les histoires colorées de son enfance. Ces réunions n’étaient cependant que sporadiques, puisque, vivant dans le Nord, nous étions assez isolés de ma famille élargie. Au fil des générations, beaucoup se sont éloignés de nos communautés et de nos territoires traditionnels : le peuple métis s’est dispersé. Je me demande souvent si, par atavisme, notre instinct de coureurs des bois – que je soupçonne être inscrit dans l’ADN de beaucoup de Métis – n’aurait pas repris le dessus.

Document manuscrit et dactylographié.

Page de la demande de certificat de Josephte Chartrand (e000011889).

L’étude de la généalogie a occupé une place importante chez les jeunes Métis comme moi désireux de reprendre contact avec leurs racines afin de découvrir comment leurs ancêtres autochtones et européens sont venus à la rencontre les uns des autres pour créer un peuple unique embrassant les deux pans de sa culture. Lorsque l’on examine les documents généalogiques d’avant la création de la Nation métisse, soit vers la fin du XVIIIe siècle, on discerne des mouvements d’immigration et de migration de colons européens, ainsi que des tendances indiquant une cohabitation et des mariages interculturels.

Mon propre arbre généalogique a des racines dans différentes régions de la France comme la Gironde et la Picardie, d’où provenaient bon nombre de colons partis pour la Nouvelle-France. On compte par exemple parmi mes ancêtres Jacques Lussier, qui a été baptisé en 1620 à Rouen, en Normandie, et Marie Guyon, qui a été baptisée en 1624 à St-Jean de Mortagne, au Perche.

Pour les colons, bien avant que la Nation métisse ne soit créée, la conclusion d’alliances militaires avec les Premières Nations voisines était d’une importance capitale. Et ces relations ont laissé des traces dans mon arbre généalogique. Les Français et les Hurons étaient au départ liés par une relation symbiotique les amenant à faire front commun devant leurs adversaires de toujours : l’Empire britannique et les nations iroquoises. Ma propre histoire familiale porte aussi les traces du conflit entre les Hurons et les Iroquois : les documents de décès d’un de mes ancêtres d’il y a neuf générations, Nicolas Arendanki, mort en 1649, portent la mention « Huron tué par les Iroquois ». La fille de cet ancêtre, Catherine Anenontha (ou Annennontak), épousa en 1662 un colon français du nom de Jean Durand, dit Lafortune. La vie de ces personnes témoigne du conflit qui opposa les différentes nations autochtones de la région durant les premières années de la colonie, et confirme que des mariages entre des Hurons et des Européens avaient bel et bien lieu. Mais même si les descendants de ces personnes avaient des origines ethniques mixtes, on ne les considérait alors pas comme des Métis.

À mesure que les colons migraient vers l’intérieur du continent, on commença à voir des mariages avec des membres d’autres nations autochtones. Les archives nous montrent que ces unions ont eu différentes répercussions sociales et économiques. Parmi mes ancêtres ayant vécu vers la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXsiècle, on recense de nombreux mariages unissant des colons avec des femmes de différentes nations autochtones. Mes recherches ont aussi mis en évidence des unions entre des Québécois francophones et des femmes autochtones souvent désignées uniquement par leur prénom et par une mention de leur appartenance à une certaine nation. Certains des termes utilisés à l’époque ne sont plus employés de nos jours.

Aquarelle mettant en scène deux bâtiments blancs aux abords d’une rivière à l’avant-plan, où voguent deux bateaux.

Saint-Boniface, colonie de la rivière Rouge, de William Henry William Napier (c001065k)

Dans ma famille, des documents d’archives indiquent que Laurent Cadotte, baptisé en 1766 à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, au Québec, a épousé Susanne Crise (ou Crie) à Saint-Boniface, au Manitoba; qu’Etienne Boucher a épousé Marie Siouse (ou Sioux); que Pierre St-Germaine a épousé Louise Montagnaise (ou Chipewyan); et que Joseph Rocque a épousé une femme au prénom inconnu, désignée par la mention Amérindienne (ou Amerindian). Ce mouvement vers l’intérieur du pays et la multiplication des mariages interculturels indique que la majorité de ces personnes, sinon toutes, prenaient part à la traite de fourrures. Ces mariages et l’établissement de tels liens familiaux avec le peuple autochtone visaient donc vraisemblablement à consolider la situation économique des colons se consacrant à la trappe aux fins de commerce de la fourrure.

Sous l’impulsion des nouvelles structures politiques régissant la traite des fourrures au XIXe siècle, on assista à la naissance de plusieurs générations de familles aux origines métissées, qui ne s’identifiaient plus à un héritage exclusivement européen ou autochtone : elles avaient leur propre identité culturelle mariant différentes cultures. On appelle ce peuple la Nation métisse.

Si l’identité métisse est souvent associée à certaines familles à double ascendance de la région de la rivière Rouge, il est important de mentionner qu’il existe aussi des communautés métisses hors de cette zone, par exemple à Saint-Laurent, soit près du lac Manitoba, au sud-ouest de la province. C’est de là que viennent mes plus récents ancêtres. Vers la fin des années 1820, les Métis qui vivaient de manière semi-permanente dans cette région menaient différentes activités de subsistance caractéristiques, par exemple la pêche ou la production de sel pour répondre à la demande de postes des alentours.

Vers la moitié du XIXe siècle, quatre familles métisses étaient établies de façon permanente dans la région de Saint-Laurent au Manitoba : les Chartrand, les Pangman, les Lavallée et les Sayer. Les patronymes Chartrand et Lavallée ont pour moi une importance particulière : l’ascendance maternelle de mon père vient de Marie Rose Germaine Lavallée (que j’appelais « grand-maman »), baptisée à Saint-Laurent en 1918, et son ascendance paternelle, de Joseph Gedeon Harvey Chartrand, baptisé en 1907 à Saint-Laurent. Je ne l’ai jamais rencontré, mais on l’appelait apparemment Harvey.

Photographie couleur d’un homme et d’une jeune fille souriants, posant devant une caravane blanche et une voiture.

L’auteure de ces lignes et son père, Maurice Chartrand, qui forment une famille métisse contemporaine (vers la fin des années 1990).

Le terme « métis » évoque une multitude d’éléments culturels. Je souhaitais ici raconter l’histoire de l’une des communautés métisses du sud du Manitoba. En examinant les onze générations me précédant dans l’arbre généalogique de mon père, Maurice Emile William Chartrand, nous pouvons retracer l’histoire de colons français ayant immigré en Nouvelle-France au XVIIe siècle et de négociants de fourrure européens ayant migré vers l’intérieur du continent. Les mariages recensés dans mon propre arbre généalogique au cours des quatre derniers siècles illustrent le caractère graduel du métissage d’une famille.

De mon côté, j’aime penser à mes ancêtres et à la manière dont ils ont partagé leurs perspectives culturelles et leurs connaissances les uns avec les autres pour créer de nouvelles communautés et proposer une identité unique à leurs enfants. Et ça me donne le sourire de penser que mes parents ont fait de même pour moi, une Métisse des temps modernes.

Vous vous intéressez à l’histoire de votre famille ou à vos racines autochtones? La page Web sur la généalogie de Bibliothèque et Archives Canada est un excellent outil d’exploration.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Delia Chartrand travaille comme archiviste pour le projet Écoutez pour entendre nos voix de Bibliothèque et Archives Canada.

Les archives, une ressource précieuse pour la revitalisation des langues des Premières Nations

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Karyne Holmes

La préservation des langues des Premières Nations est essentielle à la survie de l’identité propre à chacune des communautés. La capacité de parler notre langue renforce le lien qui nous unit à notre patrimoine ancestral, à notre communauté, à la terre et à la nature. En effet, la connaissance de la langue inspire un fort sentiment de fierté et de confiance en notre identité, et elle est intimement associée au bien-être psychique et émotionnel.

Depuis les premiers contacts coloniaux, des politiques gouvernementales ont fait en sorte que nos gens ont été déplacés, séparés de leur famille et de leur communauté, et dépossédés de leurs terres et de leur langue. Des tentatives d’assimilation comme l’établissement de pensionnats, et la rafle du millénaire qui se poursuit, ont éloigné plusieurs générations d’Autochtones de leur langue et de leur culture. Comme les seules langues officielles du Canada sont le français et l’anglais, les communautés des Premières Nations ont pris l’initiative d’assurer la préservation de leurs langues. En réaction au déclin de la transmission naturelle de la langue en milieu familial, elles ont mis sur pied des projets de revitalisation et de préservation des langues.

Les locuteurs d’une langue sont les ressources les plus précieuses pour sa survie. Les projets de revitalisation dirigés par des Autochtones continuent d’innover pour aider les aînés à transmettre des enseignements et des histoires aux jeunes générations. L’immersion, par exemple dans le cadre de camps linguistiques, est particulièrement efficace, car les vocabulaires des Premières Nations sont étroitement associés à des activités précises. Les étudiants doivent donc participer à celles-ci pour comprendre les mots.

La langue et la culture sont inextricablement reliées, et les langues des Premières Nations touchent particulièrement la vie culturelle, elle-même façonnée par les ressources de la terre. Les programmes d’enseignement oral au moyen d’expériences concrètes, plutôt que dans une salle de classe, sont davantage en harmonie avec les modes de transmission des savoirs traditionnels; ils sont efficaces parce que les apprenants utilisent la langue dans des contextes culturellement pertinents. Au lieu d’apprendre une langue à l’aide de traductions, le sens des mots est transmis grâce au contexte et aux activités.

En plus d’aider leurs membres à retrouver leur langue maternelle, les collectivités se prennent en main en rétablissant collectivement les noms d’origine des lieux situés sur les territoires qu’elles occupent. Ces noms riches en enseignements témoignent de l’histoire de la région. Ils sont très descriptifs, reflètent les caractéristiques physiques des plans d’eau et du terrain, ou rappellent des événements marquants, des histoires ou des activités associés aux lieux. Certains noms révèlent des connaissances écologiques ou communiquent des informations sur les voyages ou la navigation.

Ces savoirs ont progressivement disparu en raison de l’imposition des cartes dessinées par les colons, qui ont créé et officialisé leurs propres toponymes. Dans le cadre du mouvement visant à décoloniser les espaces, les cartes sont redessinées, et les toponymes autochtones des territoires traditionnels et des organismes qui s’y trouvent sont rétablis.

Carte dessinée à la main montrant une rivière et des plans d’eau, avec des noms de lieux et des points cardinaux. Une règle à mesurer blanche, servant à illustrer l’échelle, est située à la droite de la page.

Un dessin, daté de 1896, montre une voie canotable entre les lacs Waswanipi et Mistassini ainsi que des noms de lieux cris (n0117726)

Les archives peuvent appuyer les processus de revitalisation et de préservation des langues autochtones. La recherche dans les archives contribue grandement à la réalisation de projets, car les chercheurs y trouvent de nombreux types de renseignements sur ces langues.

Les journaux, les cartes et les dictionnaires présentent un intérêt particulier, bien qu’ils aient été créés par des explorateurs, des missionnaires ou des anthropologues non autochtones, car ils révèlent souvent ce que leurs créateurs ont appris au contact des Premières Nations. Les enregistrements de chants et d’histoires sont particulièrement utiles, tout comme les documents historiques qui permettent de retrouver des noms de lieux traditionnels et d’anciens mots de vocabulaire, avec des indications sur les origines et les savoirs associés à ces noms.

Une page dactylographiée montrant une colonne de mots en anglais et une autre de mots en nakoda.

Transcription d’une page d’un dictionnaire anglais-nakoda rédigé entre 1883 et 1886 (e011055392)

Document manuscrit montrant deux colonnes listant respectivement des mots en anglais et des mots en innu-aimun.

Page d’un carnet où sont notés des mots en innu-aimun appris dans le cadre d’échanges commerciaux, vers 1805 (e011211380)

Les archives aident à découvrir le passé, mais elles peuvent aussi contribuer au maintien et à la protection des langues. Elles peuvent servir à préserver et rendre accessibles aux générations futures de nouvelles ressources qui témoignent de la connaissance actuelle d’une langue par les personnes qui la parlent couramment.

Les archives sont des centres de ressources physiques ou numériques pour ceux et celles qui apprennent une langue; elles donnent accès à de nombreux documents de nature linguistique. La collaboration entre les responsables des projets de revitalisation, les gardiens de la langue et les archivistes garantit que nos petits-enfants seront fiers de leur identité et s’épanouiront grâce à elle, non seulement en parlant leur langue traditionnelle, mais aussi en écoutant leurs ancêtres la parler.

Ne manquez pas les prochains blogues sur les ressources accessibles à Bibliothèque et Archives Canada concernant les langues des Premières Nations, des Inuits et de la Nation métisse.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Karyne Holmes est archiviste pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires, visant à numériser les documents relatifs aux Autochtones conservés à Bibliothèque et Archives Canada.

La signification et la polyvalence du tikinagan

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Elizabeth Kawenaa Montour

Encore de nos jours, le tikinagan est une partie intégrante des pratiques culturelles des peuples des Premières Nations. J’ai moi-même utilisé ce type de porte-bébé après en avoir reçu un en cadeau de ma belle-mère. Il n’était pas neuf : la peinture s’écaillait et le repose-pieds était brisé. Je l’ai apporté chez un restaurateur d’antiquités pour qu’il retouche la peinture et répare le repose-pieds. J’ai ensuite choisi un tissu fleuri pour confectionner un coussin et brodé de multiples couleurs sur une longue écharpe de denim. J’ai emmitouflé ma petite fille dans une mince couverture en flanelle, je l’ai installée dans le tikinagan et j’ai bien enroulé l’écharpe autour d’elle. Ravie de se promener dans le porte-bébé, elle s’endormait d’habitude en quelques minutes. J’utilisais le tikinagan pour l’emmener aux différents événements culturels de notre région. Mais malheureusement, il est devenu trop petit pour elle en un mois environ.

Aujourd’hui, ce tikinagan me sert de décoration; il me rappelle les premiers mois de la vie de ma fille, de précieux souvenirs. Ce n’est que plus tard, en lisant un livre sur les biens culturels des Premières Nations, que j’ai découvert sa signification culturelle et historique. Notre tikinagan ressemblait à l’un de ceux qui y étaient représentés, qui avait plus de cent ans. Les plus vieux tikinagans des Premières Nations sont exposés dans des musées ou font partie de collections privées, puisque les anthropologues et les antiquaires visitaient les communautés et abordaient directement les familles pour les acheter et les ajouter à leur collection.

Photographie noir et blanc de neuf personnes prenant la pose pour l’appareil. Un homme porte un enfant dans un tikinagan.

Réserve Caughnawaga [Kahnawake], près de Montréal, vers 1910 [de gauche à droite : Kahentinetha Horn (née Delisle), Joseph Assenaienton Horn, Peter Ronaiakarakete Horn (père) portant Peter Horn (fils) couché dans un tikinagan, Theresa Deer (née Horn), Lilie Meloche (née Horn), anonyme, Andrew Horn, anonyme]. (e010859891)

D’un océan à l’autre, la forme et les matériaux du tikinagan varient selon la culture des Premières Nations. Typiquement, les Algonquins, les Haudenosaunee (Six Nations/Iroquois) et les Nations des plaines et de la côte Ouest préfèrent le tikinagan aux autres types de porte-bébés, comme les paniers, les sacs, les écharpes, les capuchons ou les berceaux sculptés dans le bois.

Photographie noir et blanc de trois enfants. Le plus jeune est installé dans un tikinagan au motif de broderie fleurie.

Deux jeunes filles debout sur une galerie de bois tout près d’un petit garçon dans un tikinagan, Première Nation Temagami, probablement dans la région du lac Temagami (Ontario), date inconnue. (e011156793)

La base du tikinagan est constituée d’une planche de bois à laquelle on ajoute différentes composantes. À son extrémité supérieure se trouve la poignée ou l’auvent. Cette pièce, fabriquée d’un arceau de bois ou d’écorce voûtée, sert à protéger la tête de l’enfant. Une petite planche d’écorce ou une pièce de bois plat est fixée à l’extrémité inférieure et sert de repose-pieds. C’est aussi ce qui maintient l’enfant en place quand le tikinagan est à la verticale. On utilise divers matériaux pour fabriquer un tikinagan : bois, cuir, écorce, corde, fibres de plantes, fibres tissées, ou toute combinaison de ces matériaux. On peut le personnaliser en y ajoutant de la gravure, de la sculpture, de la peinture ou des décorations. Puisque les nouveau-nés grandissent vite, on utilise parfois une deuxième planche, plus grande, pour suivre les poussées de croissance. Certaines familles se partagent une même planche qu’elles prêtent aux nouvelles mamans qui en ont besoin. Dans certains cas, les femmes enceintes demandent expressément la fabrication d’un tikinagan, qui peut être un objet simplement utilitaire ou une véritable œuvre d’art.

Photographie noir et blanc d’une femme et de deux enfants dans un canot. Un des enfants est endormi dans un tikinagan.

Une femme atikamekw, un bébé dans un tikinagan et une petite fille, tous à bord d’un canot, Sanmaur (Québec), vers 1928. (a044224)

Grâce au tikinagan, une mère peut reprendre ses activités quotidiennes plus facilement après l’accouchement, tout en gardant son nouveau-né à proximité. Il s’agit d’une méthode sécuritaire et rassurante pour transporter l’enfant, qui y est emmailloté, c’est-à-dire emmitouflé dans une couverture mince qui retient juste assez fermement ses bras. On considère que cette position est bénéfique pour la posture du bébé, dont la colonne vertébrale est maintenue droite par la planche. Quand le porte-bébé est à l’horizontale, une barre sous la planche élève la tête de l’enfant légèrement plus haut que ses pieds, ce qui, grâce à la gravité, favorise la circulation sanguine. Bien sûr, les bébés ne sont pas toujours dans un tikinagan; c’est la situation qui justifie son utilisation.

Photographie noir et blanc de huit personnes en forêt, dont un bébé dans un tikinagan. On voit un canot à l’avant-plan.

Une famille de Premières Nations au portage d’Ishkaugua [île Newton, Ontario], 1905. (a059502)

Après avoir emmailloté le bébé, on l’installe sur la planche recouverte d’un mince coussin, puis on enroule d’une écharpe l’enfant, le coussin et la planche pour que tout reste en place. On peut aussi mettre l’enfant dans un nid d’ange (aussi appelé sac de mousse) fait de cuir ou de tissu qu’on peut facilement fixer sur la planche à l’aide de lacets de cuir ou de corde; le nid d’ange est tout aussi facile à enlever. Parfois, la mère ou ses proches confectionnent des écharpes et des couvertures supplémentaires, ornées de motifs originaux de broderies, de perles et de rubans pouvant représenter des symboles traditionnels ou de clan, ou encore des plantes, des animaux ou la nature.

On fabrique aussi de petits tikinagans pour les enfants. Ainsi, les jeunes filles peuvent se préparer à prendre soin d’un bébé et développer leur instinct maternel tout en jouant. Habituellement, c’est un bout de tissu, une poupée de feuilles de maïs ou un bouquet de sauge ou d’une autre plante séchée qui sert de bébé.

Photographie noir et blanc de sept femmes, sept enfants et une adolescente sur la rive d’un lac. Deux des enfants sont dans des tikinagans.

Des femmes et des enfants cris, Little Grand Rapids (Manitoba), 1925. (a019995)

Zone de l’est

Les tikinagans des nations haudenosaunee (Six Nations/Iroquois) et algonquine ont comme base une planche de bois. À l’arrière des tikinagans des Haudenosaunee, on trouve généralement des gravures peu profondes représentant des animaux, des fleurs et des feuilles peintes dans des couleurs de base comme le rouge, le noir, le vert, le jaune et le bleu. Le haut de la planche, la poignée, le repose-pieds et la barre de bois peuvent aussi comporter d’autres gravures. En de rares occasions, on a également déjà vu de l’argent et d’autres métaux incrustés dans la barre.

Photographie couleur d’un homme portant une chemise blanche et mauve assis à une table et parlant dans un microphone. Devant lui sur la table, un bébé est couché dans un tikinagan dont le tissu est blanc et rouge.

Kenneth Atsenienton (« la flamme brûle toujours ») Deer et son petit-fils Shakowennenhawi (« il porte le message ») Deer à la Commission royale sur les peuples autochtones, Kahnawake (Québec), mai 1993. (e011207022)

Dans certains cas, des éléments de la structure sont fixés au moyen de chevilles de bois. Les poignées sont renforcées de lanières de cuir, d’intestin ou de corde; la courbe des poignées est réalisée à partir de bois dur passé à la vapeur, puis plié. Chez les Haudenosaunee, les poignées de bois sont droites; chez les Algonquins, elles sont courbées. Dans tous les cas, on peut poser une couverture sur la poignée pour protéger l’enfant des éléments ou lui offrir un endroit calme. On peut aussi y accrocher des objets à regarder comme des guirlandes de perles, des breloques ou encore des hochets. Le repose-pieds de certains porte-bébés algonquins consiste en une seule pièce de bois courbée, remontant de chaque côté de la planche.

Le tikinagan peut être porté sur le dos au moyen d’une ceinture ou de courroies attachées à la planche, puis enroulées autour de la poitrine ou du front pour libérer les mains.

Une aquarelle représentant deux femmes et un homme. Une des femmes tient une pipe et porte un enfant dans un tikanigan sur son dos. L’homme tient un fusil.

Aquarelle montrant une femme qui porte un bébé dans un tikinagan, vers 1825-1826. (e008299398)

Zone de l’ouest

Les membres des Premières Nations de la région des plaines recouvrent le cuir ou le tissu du tikinagan de leurs parures perlées traditionnelles; les nourrissons sont installés dans une sorte d’enveloppe fixée à la planche.

Sur la côte nord-ouest, on utilise plusieurs types de tikinagans ainsi que des berceaux sculptés dans le bois. Les porte-bébés y sont faits de fibres végétales tissées, de planches de cèdre et de bûches de bois évidées.

De nos jours, les graveurs et les sculpteurs des Premières Nations perpétuent la tradition des tikinagans. Pour célébrer la naissance de nouvelles générations, ils allient les savoirs d’autrefois à des conceptions plus modernes, comprenant des éléments personnalisés et des représentations stylistiques de la culture d’aujourd’hui.

Visitez l’album Flickr sur les tikinagans pour plus d’images.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet à la Division du contenu en ligne de la Direction générale des services au public, à Bibliothèque et Archives Canada.

La vie et l’héritage de Tom Cogwagee Longboat

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Elizabeth Kawenaa Montour

Vitesse, athlétisme, détermination, courage et persévérance : voilà les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on pense à Tom Cogwagee Longboat, dont le nom onondaga (Cogwagee) signifie « Tout ». Au cours du siècle dernier, de nombreux faits, récits et photographies ont été compilés pour tenter de mieux connaître et comprendre l’homme derrière le mythe.

Thomas Charles Cogwagee Longboat, fils de George Longboat et d’Elizabeth Skye, est né le 4 juillet 1886 (certaines sources mentionnent le 4 juin 1887). Membre du clan du Loup de la Nation onondaga du Territoire des Six Nations, il adopte le mode de vie traditionnel des Haudenosaunee (mot qui signifie « peuple de la maison longue »).

À l’âge de 12 ou 13 ans, Longboat est envoyé de force au pensionnat indien de l’Institut mohawk, une école anglaise de confession anglicane qui fut active de 1823 à 1970. C’est un choc pour ses camarades et lui, obligés d’abandonner leur langue et leurs croyances pour parler anglais et pratiquer le christianisme.

Décidé à rentrer chez lui, Longboat s’enfuit du pensionnat, mais on le rattrape et il est puni. Il tente de nouveau sa chance, se réfugiant cette fois à la ferme de son oncle, espérant ainsi mieux dissimuler ses traces. La stratégie fonctionne et met fin à son éducation officielle. Longboat travaillera ensuite comme ouvrier agricole à plusieurs endroits, ce qui l’obligera à se déplacer à pied sur de longues distances.

C’est en 1905 que Tom Longboat entame son parcours de coureur amateur. À peine deux ans plus tard, le 19 avril 1907, il remporte le marathon de Boston – le plus prestigieux au monde – en 2 heures, 24 minutes et 24 secondes, retranchant presque 5 minutes du record précédent. Cet exploit est source de grande fierté et d’inspiration pour les Autochtones et les Canadiens. Le lendemain, on peut lire dans le Boston Globe :

« Bravant la pluie et le froid, les milliers de personnes massées le long des rues, d’Ashland au B.A.A [Boston Athletic Association], ont été largement récompensées lors du passage de Tom Longboat, le plus admirable coureur ayant traversé notre ville. Il a franchi la ligne d’arrivée tout sourire. Rien n’indiquait que ce jeune homme venait de parcourir, en quelques heures, plus de kilomètres qu’une personne n’en marche en une semaine. Gagnant en vitesse à chaque foulée, porté par les acclamations de la foule, le jeune homme au teint de bronze, aux cheveux et aux yeux de jais, au corps long et souple et aux jambes élancées, a volé vers la victoire.

Assourdi par le plus grand vacarme entendu depuis des années, Longboat a franchi la ligne d’arrivée, déchirant le ruban alors que les chronométreurs arrêtaient leur montre et que retentissaient les déclics de dizaines d’appareils photo. Il venait de remporter le plus important des marathons modernes. Des bras se sont tendus, prêts à soutenir le gagnant, mais Longboat n’en a pas eu besoin.

Repoussant ceux qui souhaitaient l’étreindre, il a embrassé la foule du regard et remercié tous ses supporteurs. De nombreuses personnes se sont avancées pour lui serrer la main; si ce n’était du fait que les policiers avaient installé de solides cordons pour retenir le public, il aurait reçu de longues accolades. Il s’est ensuite élancé vers le club d’un pas solide et robuste. »

The Boston Globe, 20 avril 1907 [Traduction]

Un an après cette éclatante victoire, Longboat participe au marathon des Jeux olympiques de Londres, en Angleterre. La course totalise 42,2 km, mais il ne peut la compléter, s’effondrant au 32e kilomètre. Il bifurque alors vers la course professionnelle, décrochant en 1909 le titre de champion professionnel du monde lors de la course du Madison Square Garden à New York.

Page noir et blanc du Recensement de 1911, avec du texte dans chacune des 38 colonnes. Les renseignements recueillis se divisent en plusieurs catégories : nom, lieu du domicile, renseignements sur la personne, pays ou lieu de naissance, emploi principal ou métier, citoyenneté, langue et scolarité.

Page du Recensement de 1911 sur laquelle figurent Thomas C. Longboat et sa femme Loretta [Lauretta], comté de York (Ontario). Sous la catégorie « Emploi principal ou métier », on peut lire « Runner » (Coureur). (e002039395)

Photo noir et blanc de deux militaires portant un uniforme de la Première Guerre mondiale. Assis, sourire aux lèvres, ils achètent un journal d’un jeune garçon. Le militaire à droite prend le journal d’une main et donne l’argent au garçon de l’autre.

Le soldat Tom Longboat, coureur de fond onondaga, achète un journal d’un garçon français, juin 1917. (a001479)

En 1916, alors que la Première Guerre mondiale fait rage, Longboat est envoyé outre-mer avec le Corps expéditionnaire canadien. Ses aptitudes physiques hors du commun lui sont d’un grand secours pour accomplir ses fonctions d’estafette, qui l’amènent régulièrement à se déplacer à la course.

Mais après un bombardement intensif en Belgique, Longboat se retrouve prisonnier des décombres. À tort, on le croit décédé; une méprise qui ne sera pas sans conséquence puisque, se croyant veuve, son épouse kanienkenha:ka (mohawk), Lauretta Maracle, se remarie. Le couple avait convolé en justes noces en 1908.

Après la guerre, Tom Longboat se remariera lui aussi, épousant Martha Silversmith, une femme onondaga avec qui il aura quatre enfants.

La carrière militaire de Tom Longboat se poursuit lors de la Deuxième Guerre mondiale, plus précisément au sein de la Garde des anciens combattants, située dans un camp militaire près de Brantford (Ontario). La famille Longboat s’établit ensuite à Toronto, où Tom occupe un poste dans la fonction publique municipale. À sa retraite, il retourne vivre sur le Territoire des Six Nations. Il décède le 9 janvier 1949.

En 1951, on crée à titre posthume un prestigieux prix destiné à perpétuer la mémoire de ce grand athlète : le trophée Tom Longboat, remis chaque année à des athlètes autochtones qui incarnent le travail acharné et la détermination. Le trophée est conservé au Panthéon des sports canadiens, à Calgary; une réplique se trouve actuellement au Cercle autochtone des sports, à Ottawa.

En 1955, Tom Longboat est introduit au Panthéon des sports canadiens et au Indian Hall of Fame.

Plaque rouge rectangulaire arborant un texte doré, surmonté de l’emblème du Canada et de l’inscription « Tom Longboat 1886-1949 ».

Plaque de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada créée en l’honneur de Tom Longboat. On peut la voir sur la 4th Line Road, dans la réserve des Six Nations de la rivière Grand, à Ohsweken, en Ontario. (Photo : Gracieuseté de Parcs Canada)

Les exploits de Longboat sont honorés encore de nos jours. En 1976, le gouvernement du Canada installe une plaque en son honneur sur la 4th Line Road, dans la réserve des Six Nations de la rivière Grand, à Ohsweken (Ontario). En 1999, le magazine Maclean’s nomme Tom Longboat plus grand athlète canadien du 20e siècle. En 2000, Postes Canada émet un timbre soulignant ses victoires. Puis, en 2008, l’Ontario adopte une loi provinciale faisant du 4 juin le Jour Tom Longboat. Ce jour-là, la course Tom Longboat se tient aux Six Nations, tandis qu’en septembre on organise à Toronto la course Longboat Toronto Island Run.

Plusieurs endroits portent également le nom de Tom Longboat: une intersection aux Six Nations, un sentier à Brantford (Ontario), une voie à Toronto et une école élémentaire publique à Scarborough (Ontario). Au 1087, rue Queens Ouest, à Toronto, on retrouve un Longboat Hall au YMCA où l’athlète s’entraînait.

On peut aussi admirer au Centre culturel Woodland des Six Nations une statue de Longboat intitulée « Challenge and Triump » (Défis et triomphe) réalisée par le sculpteur David General, et visiter une exposition consacrée à l’athèlte. Plus récemment, en 2019, on a publié un livre jeunesse sur sa vie : Voici Tom Longboat.

Le destin et les exploits de Tom Cogwagee Longboat sont aussi fascinants qu’inspirants. Pour en savoir plus à son sujet, écoutez notre balado Il s’appelait Tom Longboat, Cogwagee, Tout.  Jetez aussi un coup d’œil à l’album Tom Longboat sur Flickr.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne de la Direction générale des services au public à Bibliothèque et Archives Canada.

George Mully : fixer sur pellicule le quotidien des Autochtones

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Annabelle Schattmann

George Mully (1926-1999) est un dramaturge et un réalisateur de films documentaires américain. Il débute sa carrière comme dramaturge en contribuant à des spectacles Off-Broadway, à des productions itinérantes et à des opéras, tant aux États-Unis qu’en Europe. Il est tour à tour machiniste, régisseur, éclairagiste, metteur en scène et même marionnettiste. Après son mariage, il s’établit en Angleterre avec sa femme Ann et délaisse la scène pour se tourner vers la production audiovisuelle, mettant sur pied son propre studio de production éducative. Il écrit, réalise et produit des documentaires sur des sujets et des enjeux qui le passionnent. En 1979, la famille immigre au Canada et s’installe à Ottawa.

La collection George Mully, conservée à Bibliothèque et Archives Canada, se compose de photographies personnelles et de photos documentaires professionnelles que Mully a prises vers la fin de sa carrière. Celles-ci témoignent de la diversité de ses intérêts : le développement international, l’environnement, l’histoire, les questions socioculturelles, la musique et l’art. Au Canada, Mully a étroitement collaboré avec l’Office national du film et plusieurs musées de la région de la capitale nationale, réalisant de nombreux documentaires, dont le remarquable film Une pluie acide du ciel (1981), qui fait partie de la collection George Mully.

Jeune fille regardant l’appareil photo

Une jeune Inuite portant des lunettes de soleil jaunes, un manteau rouge et des mitaines multicolores. Crédit : George Mully (e011218259)

La collection contient 363 photographies, prises de 1978 à 1988, qui présentent un intérêt particulier pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires. Les photos mettent en scène des membres de Premières Nations et des Inuits de partout au Canada, ainsi que des membres des Nations Diné (Navajo) et Indé (Apache), aux États-Unis. Les œuvres de Mully documentent les modes de vie et les habitudes de travail des Autochtones. La plupart montrent des personnes dans leur vie quotidienne, souvent en train d’accomplir une tâche. Il s’agit parfois d’une activité traditionnelle, comme la chasse, la cueillette, la création artistique ou l’artisanat, ou d’une activité contemporaine, comme le travail dans une industrie. Certaines photos montrent la superposition de la tradition et de la modernité.

Photographie couleur montrant quatre hommes assis sur des chaises de bois, entourés de microphones et se faisant face. Ils chantent et jouent du tambour.

Quatre membres des Premières Nations non identifiés jouant du tambour sous une tente. Crédit : George Mully (e011218157)

L’intérêt de Mully pour les droits de la personne apparaît clairement dans une série de photos prises en juillet 1979, au moment où la marche pour les droits des femmes autochtones arrive à Ottawa. Cette marche, menée par les Malécites Sandra Lovelace et Caroline Ennis, vise à dénoncer la discrimination subie par les femmes qui perdent leur statut d’Autochtone en mariant un homme non inscrit. En juin 1985, le projet de loi C-31 modifie la Loi sur les Indiens, notamment en retirant les dispositions concernées et en rétablissant le statut de ceux et celles qui l’avaient perdu. Ces modifications ont été critiquées parce qu’elles ne réglaient pas adéquatement le problème.

Photographie couleur d’une personne assise sur une pelouse verte derrière une pancarte où sont écrits les mots « Save our sisters », ou « Sauvez nos sœurs ».

Personne non identifiée assise sur la pelouse de la Colline du Parlement, à Ottawa, tenant une pancarte pour protester. Crédit : George Mully (e011218140)

Dans certains cas, il est difficile de comprendre pourquoi les photos ont été prises ou à quoi elles auraient pu servir. Ces clichés ont peut-être été pris en vue d’un éventuel documentaire ou dans le cadre d’une recherche pour un projet. Le nom des personnes représentées, le lieu et la date sont inconnus. Aucune légende détaillée n’est fournie et très peu de documents textuels accompagnent la collection.

Pour tenter de pallier ces lacunes, une sélection de plus de 300 photographies sera intégrée à un défi Co-Lab sur George Mully et à un album Flickr. Si vous reconnaissez une personne ou un endroit, ou si vous savez quand l’événement a eu lieu, allez étiqueter les photos sur le défi Co-Lab. Vous aiderez ainsi d’autres personnes à trouver des images de leurs parents et amis ou de leur communauté. Grâce à vous, ces personnes et ces lieux ne tomberont pas dans l’oubli! Merci de partager vos connaissances et de nous aider dans ce travail.

Photographie d’un homme portant des vêtements bleu foncé et des lunettes de soleil. Il est assis sur un banc de bois et sculpte un vase.

Artiste inuit non identifié sculptant un motif abstrait sur un vase en céramique lors d’un événement artistique. Crédit : George Mully (e011218140)

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Annabelle Schattmann est adjointe en archivistique pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires, qui vise à numériser les documents relatifs aux Autochtones conservés à Bibliothèque et Archives Canada.

Les soldats inuits de la Première Guerre mondiale : le caporal suppléant John Shiwak

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Heather Campbell

Photo noir et blanc d’un jeune homme inuit vêtu d’un uniforme militaire, qui regarde l’objectif.

Le caporal suppléant John Shiwak, du First Royal Newfoundland Regiment, vers 1915. Source : Anciens Combattants Canada

En cette période où nous nous rappelons les sacrifices des soldats qui ont participé à la Première et à la Seconde Guerre mondiale, nous pensons notamment aux Métis et aux membres des Premières Nations qui se sont battus pour notre pays. Or, peu de gens savent que des soldats inuits ont aussi livré bataille aux côtés des soldats autochtones et non autochtones. Mon arrière-grand-oncle, le caporal suppléant John Shiwak, était l’un d’eux. Chasseur doué, il est devenu tireur d’élite, « l’un des meilleurs de l’armée britannique » selon un frère d’armes.

Mon arrière-grand-oncle venait du Nunatsiavut, territoire inuit couvrant le Nord et le centre du Labrador, qui faisait partie du Dominion de Terre-Neuve de l’Empire britannique en 1914. Lorsqu’on a invité les hommes de Terre-Neuve à s’enrôler, l’appel a aussi été entendu dans les établissements inuits le long de la côte nord du Labrador.

Dans la culture inuite, on cherche généralement à éviter les affrontements; c’était le cas à l’époque, et ce l’est encore aujourd’hui. Des personnes en situation d’autorité, comme le docteur Harry Paddon, médecin de l’International Grenfell Association, ont donc incité de nombreux jeunes hommes inuits à aller sous les drapeaux. Une quinzaine d’entre eux se sont ainsi enrôlés, pour différentes raisons, et ont mis le cap sur l’Angleterre à l’été 1915.

Photo noir et blanc de deux femmes et d’un enfant inuits, debout à côté d’une maison en bois.

Hopedale, Terre-Neuve-et-Labrador, 1913. Source : Edith S. Watson (e010791418)

Le choc culturel a dû être immense pour ces hommes qui, comme mon arrière-grand-oncle, venaient de petits hameaux isolés comptant quelques centaines d’habitants tout au plus. Outre la taille et le tumulte des villes et des villages européens, ils faisaient face à une vision du monde tout à fait différente. Les Inuits chassent pour survivre, mais ils respectent chaque vie sacrifiée; dès notre enfance, on nous apprend qu’il ne faut jamais faire souffrir un animal ni lui causer de détresse. Ainsi, chaque tir doit être précis et efficace. C’était encore plus vrai au début du 20e siècle, époque où l’on ne pouvait se permettre de gaspiller des munitions, vu leur coût et leur rareté. Parfois, cela signifiait qu’on revenait à la maison bredouille.

J’imagine que ces soldats inuits se sentaient exactement de la même façon lorsqu’ils utilisaient leurs armes au front. Comme cela a dû être difficile pour eux de tirer à la hâte, sachant qu’ils avaient peut-être blessé quelqu’un! Mais ils comprenaient qu’il fallait arrêter les hommes de l’autre côté des tranchées pour que d’autres puissent vivre, tout comme ils avaient dû tuer des animaux au Labrador pour que leur famille survive. C’est sans doute ce qu’ils se disaient pour pouvoir accepter les horreurs de la guerre.

Photo noir et blanc d’un paysage d’arbres et de maisons aux toits noirs. À l’arrière-plan, on voit un bateau sur l’eau.

Bâtiments de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Rigolet, Labrador, septembre 1926. Photo : L. T. Burwash (a099501)

L’histoire de mon arrière-grand-oncle, le caporal suppléant John Shiwak, est particulière parce qu’en plus de ses occupations traditionnelles (chasseur, trappeur et pêcheur), il était aussi écrivain, poète et artiste. Du front, il a écrit de nombreuses lettres à son ami Lacey Amy, un journaliste et auteur ontarien. Celui-ci a d’ailleurs raconté leur amitié dans un article intitulé « Un patriote esquimau » (An Eskimo Patriot), paru en juillet 1918 dans The Canadian Magazine. Il y témoigne des émotions vécues par son ami durant la guerre :

La durée de la guerre commençait à le miner. Il n’avait aucun ami proche, personne avec qui entretenir le lien avec son lointain patelin. En septembre, il se plaignit : « Je n’ai reçu aucune lettre de chez moi depuis juillet. Et il n’y en aura plus jusqu’à la débâcle. » Dans sa dernière lettre, il exprimait sa nostalgie des bons vieux jours de chasse. Le Labrador, qui n’avait jamais pu satisfaire ses ambitions, lui apparaissait alors comme un lieu chaleureux et accueillant… On était à la mi-novembre. Un mois plus tard, je recevais une enveloppe officielle, contenant ma dernière lettre. Sur le dessus, le damné tampon : « Décédé ». [Traduction]

Chaque année, durant le jour du Souvenir, ma famille parle de cet oncle John avec un respect solennel, se rappelant le grand deuil vécu lorsqu’il n’est pas revenu de la guerre. Tous les Labradoriens expatriés que j’ai rencontrés m’ont dit vouloir retourner au Labrador. Notre rapport avec cette terre est difficile à exprimer. Nous voyons de nos propres yeux comment elle nous fournit toutes les ressources nécessaires pour survivre. Des générations d’histoires sont imprégnées dans la communauté, mais aussi dans chaque site de pêche, chaque ligne de piégeage, chaque sentier de bûchage, chaque aire de chasse et chaque lieu où nous cueillons des baies. C’est ce qui explique le lien très spécial que nous avons avec notre terre. Ceux qui sont loin du Labrador sont déconnectés d’une partie d’eux-mêmes.

La première fois que je suis allée au Musée canadien de la guerre, j’ai été attirée par la reconstitution d’une tranchée de la Première Guerre mondiale. Les visiteurs pouvaient y entrer et se mettre dans la peau des soldats au front. Je l’ai parcourue lentement, en proie à l’émotion. Les larmes coulaient sur mes joues alors que j’imaginais mon arrière-grand-oncle accroupi dans la boue, en train d’écrire dans son journal ou de dessiner la terre et les animaux, souhaitant plus que tout retrouver la paix et la solitude de sa terre ancestrale. Une terre qu’il ne reverrait plus jamais.

Photo noir et blanc d’un cimetière derrière une clôture, avec quelques petits arbres sans feuilles, près de Cambrai, en France. À l’arrière-plan, on aperçoit une maison et une ferme.

Le cimetière britannique Raillencourt près de Cambrai. John Shiwak n’a pas été enterré dans ce cimetière, mais il est tout aussi loin de chez lui. (a004409)

Mon arrière-grand-oncle et six autres soldats ont été tués par un obus durant la bataille de Cambrai, le 20 novembre 1917. Quatre-vingt-huit ans plus tard, en 2005, mon cousin Jason Sikoak (patronyme qui s’écrivait autrefois « Shiwak ») a participé à la Tournée spirituelle autochtone, lors de laquelle il a parcouru l’Europe avec un groupe pour rendre hommage aux soldats autochtones. Mon cousin m’a confié que durant le voyage, il a vu notre arrière-grand-oncle en songe. Nous espérons qu’il a suivi Jason jusqu’au rivage de Rigolet et qu’il est en paix.

Photo noir et blanc de bateaux dans une baie. On voit des arbres à l’avant-plan.

Une langue de terre, vue de loin, s’avance dans une baie. Des bâtiments de la Compagnie de la Baie d’Hudson sont érigés le long de sa côte. Des bateaux ont jeté l’ancre dans la baie. Rigolet, vers 1930. Photo : Fred. C. Sears (e010771588)

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Heather Campbell travaille comme archiviste à la Direction générale des services au public de Bibliothèque et Archives Canada.

Force et puissance : les soldats autochtones, de l’Égypte à l’Europe de la Première Guerre mondiale

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Elizabeth Kawenaa Montour et Sara Chatfield

 Lorsque des membres des Premières Nations, de la Nation inuite et de la Nation métisse ont été recrutés pour participer à la Première Guerre mondiale, en 1914, aucun ne connaissait le nouveau visage des combats au 20e siècle.

En 1884, lors de ce qu’on pourrait qualifier de prélude à la Grande Guerre, environ 56 Kanyen’kehà:kas (Mohawks), 30 Ojibwés et 19 Métis avaient pris part à une expédition britannique de six mois sur le Nil, en Égypte. Ils avaient été choisis pour leur force, leur endurance et leur habileté à manœuvrer embarcations et radeaux; des qualités nécessaires pour naviguer dans les cataractes et les rapides du Nil. Mais les 400 hommes du groupe n’ont pas combattu activement, puisqu’ils sont arrivés deux jours après la prise de Khartoum, au Soudan, et le décès du major britannique Charles G. Gordon.

Les membres de l’expédition sont donc rentrés au bercail, 16 hommes en moins. Ils ont pu témoigner de tout ce qu’ils avaient vu pendant leur voyage sur le Nil : temples monolithiques et statues sculptées dans les collines d’Abou Simbel, sphinx de Gizeh, pyramides, marchés exotiques et scènes de la vie égyptienne au Caire.

Photo noir et blanc d’un grand groupe d’hommes posant devant les édifices du Parlement.

Voyageurs canadiens devant le Parlement (détail du contingent canadien du Nil), 1884. (c002877)

Trois décennies plus tard, on retrouve à nouveau les soldats autochtones sous les drapeaux : alors que la Première Guerre mondiale fait rage, ils participent à une expédition militaire outre-mer avec le Corps expéditionnaire canadien (CEC). C’est pour eux une occasion de voir le monde, de prouver leur courage et de démontrer leurs aptitudes au combat. Mais ces combats ainsi que les stratégies ont grandement changé. Les soldats sont dorénavant confrontés aux armes chimiques, aux mitrailleuses, aux avions de chasse, aux véhicules blindés et à la guerre de tranchées.

Notre nouveau défi Co-Lab, Correspondance sur les soldats des Premières Nations rapatriés après la Première Guerre mondiale met en lumière le vécu des soldats autochtones pendant la guerre et après leur rapatriement, ainsi que l’impact de leur absence dans leurs communautés. En fait, ils contiennent davantage de renseignements que les traditionnels dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. On peut y apprendre, par exemple, ce qu’un soldat comptait faire après la guerre, s’il possédait des terres ou des animaux de ferme, ou s’il était apte à pratiquer l’agriculture; ou encore, s’il souffrait d’incapacités, avec qui il vivait, et s’il avait des personnes à sa charge.

La présence de ces informations additionnelles s’explique par le fait que ces dossiers ont été créés par l’ancien ministère des Affaires indiennes, où un « agent des Indiens » fédéral a inclus des renseignements personnels et des commentaires sur les soldats des Premières Nations qui rentraient au pays. Tel n’était pas le cas pour les soldats non autochtones : il n’existe aucune série de dossiers semblables pour le reste du Corps expéditionnaire canadien.

Page du Indian Agent’s Office (Bureau de l’agent des Indiens), Chippewa Hill, bureau de Saugeen, 14 février 1919.

Document fournissant des renseignements sur John Besito, envoyé à Duncan Campbell Scott par T. A. Stout le 14 février 1919; RG 10, vol. 6771, dossier 452-30. (Image trouvée sur Canadiana)

Tous ces renseignements ont été intégrés aux dossiers du gouvernement fédéral conservés à Ottawa.

Autre particularité : les « agents des Indiens » se sont penchés sur la vie des soldats après leur service. L’information recueillie comprend des renseignements privés obtenus à titre gratuit et des jugements personnels sur les anciens combattants et leur retour à la vie civile. Par exemple, les notes du Bureau de l’agent des Indiens pour le soldat John Besito, recueillies en février 1919 par le bureau de Saugeen, en Ontario, indiquent : « Il possède un terrain de 50 acres dans la réserve. Il a une maison et quelques améliorations sur son terrain. »

En plus de renseignements administratifs (comme les numéros de matricule des soldats et leur appartenance à des organismes ou à des bandes des Premières Nations), ces dossiers nous donnent des renseignements généalogiques.

Par exemple, dans une lettre adressée le 12 février 1919 au ministère des Affaires indiennes, on trouve les noms de trois soldats décédés. Rédigée par l’« agent des Indiens » du bureau de Griswold, au Manitoba, la lettre indique que ces soldats viennent des réserves d’Oak River et d’Oak Lake. Elle précise le numéro de matricule de l’un des défunts (le soldat John Taylor) et indique que le ministère des Affaires indiennes a versé une pension à sa femme et à ses deux enfants.

D’autres lettres nous informent que le soldat Gilbert Moore, tué au combat le 24 mars 1918, a laissé ses parents dans des conditions difficiles et que ceux-ci ont fait une demande de pension; ou encore, que le soldat Thomas Kasto a laissé derrière lui sa mère, et que cette dernière a touché une pension.

Portrait studio en noir et blanc d’un soldat de la Première Guerre mondiale, vêtu d’un uniforme, qui tient une carabine.

Michael Ackabee, soldat membre du Corps expéditionnaire canadien. (e005176082)

Par ailleurs, les dossiers font aussi mention des femmes des Premières Nations qui ont appuyé l’effort de guerre, par exemple en versant des fonds à des organismes comme la Croix-Rouge, le Girls Overseas Comfort Club et le Fonds patriotique canadien. Des femmes ont également tricoté des chaussettes et cousu des chemises, envoyées par colis à l’étranger pour offrir un peu de réconfort aux leurs. D’autres ont amassé des fonds en fabriquant et en vendant des parures perlées, des paniers tissés et des courtepointes.

Les soldats autochtones qui ont survécu à la guerre sont souvent rentrés chez eux transformés, tant positivement que négativement. Jusqu’à son décès en 1955, le sapeur Peter Taylor, un soldat de Kahnawake, a souffert de complications causées par l’empoisonnement au gaz moutarde. Le soldat Tom Longboat, coureur de fond olympique et membre de la réserve des Six Nations de la rivière Grand, est rentré de France pour constater que sa femme s’était remariée après avoir été informée à tort de son décès.

Photo noir et blanc de deux militaires portant un uniforme de la Première Guerre mondiale. Assis, sourire aux lèvres, ils achètent un journal d’un jeune garçon. Le militaire à droite prend le journal d’une main et donne l’argent au garçon de l’autre.

Le soldat Tom Longboat, coureur de fond onondaga, achète un journal d’un garçon français, juin 1917. (a001479)

Bon nombre de soldats rapatriés ont souffert tant physiquement que mentalement. Nous leur sommes reconnaissants de leurs sacrifices et de leur service, et ils seront à jamais reconnus, honorés et respectés.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet et Sara Chatfield est gestionnaire de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne de la Direction générale des services au public de Bibliothèque et Archives Canada.

Images de pipes autochtones maintenant sur Flickr

Portrait rapproché d’un homme fumant la pipe et portant une casquette plate et des lunettes rondes.

Portrait d’Angmarlik, chef inuit respecté de Qikiqtat (Kekerten) (PA-166470)

Tant les hommes que les femmes autochtones fument la pipe.

Femme fumant la pipe vêtue d’une robe, d’un châle et d’un bandana; elle tient les rênes d’un cheval tirant une charrette de la rivière Rouge.

Femme autochtone avec une charrette de la rivière Rouge dans un camp (e011156555)

Les fourneaux de pipe sont fabriqués en céramique ou sculptés dans des matériaux durs comme la pierre de pipe, la pierre à savon, le bois ou les épis de maïs. Le tuyau de pipe est habituellement façonné dans un morceau de bois creux. On fume la pipe, bourrée de tabac ou d’un mélange de plantes ou d’écorces aromatiques, à des fins récréatives, pour des occasions politiques ou dans le cadre de cérémonies. Parfois, des pipes métalliques uniques en forme de hache sont offertes aux chefs et aux dirigeants autochtones.

Panier en écorce de bouleau orné d’une broderie représentant un homme des Premières Nations fumant la pipe (e010948522)

La pipe n’est plus aussi répandue qu’avant, mais comme le montrent certaines des photos suivantes, son usage et sa puissance symbolique perdurent.

Portrait d’une femme portant un châle en tartan et fumant la pipe.

Femme inuite portant un châle en tartan et fumant la pipe (e010692540)

Visitez l’album Flickr maintenant!


 

 

 

Chef Poundmaker : réhabiliter la mémoire d’un artisan de la paix

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Anna Heffernan

Pîhtokahanapiwiyin était un chef des Cris des Plaines connu sous le nom de « Chief Poundmaker » en anglais. En 1885, il fut jugé et condamné pour trahison après son implication présumée dans la rébellion/résistance du Nord-Ouest. Le 23 mai 2019, soit 134 ans plus tard, le gouvernement canadien l’a innocenté à titre posthume et a présenté des excuses officielles à la Nation crie Poundmaker de la Saskatchewan, dont font partie un grand nombre de ses descendants. Son peuple ainsi que d’autres Premières Nations des Plaines ayant entretenu sa mémoire gardent le souvenir d’un dirigeant qui a toujours œuvré pour la paix, même dans l’adversité. Après avoir été portée pendant des décennies par sa communauté, l’histoire de Poundmaker est maintenant connue du reste des Canadiens, grâce à la reconnaissance de son innocence. Bibliothèque et Archives Canada possède de nombreux documents et photographies qui relatent son histoire.

Poundmaker naît vers 1842 d’un père de la Nation des Stoneys-Nakodas et d’une mère métisse d’ascendance canadienne-française et crie, près de Battleford, dans l’actuelle Saskatchewan. Au début des années 1870, un chef pied-noir influent, Isapo-Muxika (Pied-de-Corbeau), adopte Poundmaker et lui donne le nom de Makoyi-koh-kin (Loup-aux-Jambes-Frêles), en souvenir d’un fils perdu au combat. Poundmaker retourne chez les Cris après avoir vécu quelque temps parmi les Pieds-Noirs, tout en continuant à entretenir une amitié avec son père adoptif.

Photographie en noir et blanc de Poundmaker debout devant un tipi avec un bonnet de fourrure, une chemise, une veste, une couverture autour de la taille et des mocassins. Sa femme se tient à ses côtés, vêtue d’une robe et d’une couverture jetée sur les épaules

Pîhtokahanapiwiyin (Poundmaker, à droite, avec sa femme, vers 1884 (a066596-v8).

Photographie en noir et blanc d’Isapo-Muxika (Pied-de-Corbeau) assis, tenant un éventail en plumes d’aigle et portant une chemise de peau ornée de fourrure et de perles ou de plumes.

Isapo-Muxika (Pied-de-Corbeau) en 1886 (c001871).

En août 1876, Poundmaker devenu chef participe aux négociations du Traité no 6. Il réussit à faire ajouter au traité une clause sur la famine, par laquelle le gouvernement canadien s’engage à fournir des rations aux nations signataires en cas de pénurie alimentaire. Après avoir établi que la majorité de sa bande était en faveur d’un traité, Poundmaker signe l’accord le 23 août 1876. En 1879, il s’installe avec les siens dans une réserve à environ 65 kilomètres (40 milles) à l’ouest de Battleford.

Malgré les colonies qui ne cessaient de s’étendre dans l’Ouest, amenuisant d’autant les terres et le gibier dont dépendaient les Premières Nations pour survivre, Poundmaker exhorte son peuple à demeurer pacifique. Il fait valoir que la guerre n’est plus une option viable et déclare que « notre unique ressource est notre travail, notre industrie, nos fermes ». En 1883, le gouvernement canadien réduit les rations qu’il fournissait aux Premières Nations, et nombre d’entre elles dénoncent le non-respect des promesses faites dans le traité.

En juin 1884, plusieurs bandes se rendent dans la réserve de Poundmaker pour discuter de la situation, notamment Mistahimaskwa (Big Bear) et ses partisans. Plus de 2 000 Cris réunis tiennent alors une danse de la soif (ou danse du soleil), une cérémonie sacrée dans les traditions de nombreuses Nations des Plaines. La Police à cheval du Nord-Ouest tente de disperser les Cris et d’empêcher la danse de la soif. Poundmaker et Big Bear parviennent à maintenir une paix temporaire, mais il est clair que les tensions entre les Premières Nations et les forces policières sont vives et qu’il est de plus en plus difficile de maîtriser les jeunes guerriers des bandes.

En 1885, des représentants des Métis du district de la Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest, écrivent à Louis Riel, qui vit à l’époque sur le territoire du Montana. Eux aussi souffrent de l’expansion des colonies blanches et du manque de reconnaissance de leurs droits par le gouvernement; ils demandent donc à Riel de revenir dans la région pour les aider. Les dirigeants des Cris et d’autres Premières Nations continuent de se rencontrer pour parler de la dégradation de leurs conditions. Vu le déclin des troupeaux de bisons, la chasse ne constitue plus une source fiable de nourriture. La transition vers l’agriculture est difficile, et tant les fermes des Autochtones que celles des colons de la région ne parviennent pas à produire assez de récoltes. De nombreux Cris sont affamés, et leurs chefs cherchent désespérément une solution.

Aux yeux de la presse coloniale blanche, les mouvements des Métis et des Premières Nations sont du pareil au même. Mais dans les faits, s’ils partagent de nombreux griefs, leurs dirigeants sont loin d’être unis. Poundmaker entend faire pression sur le gouvernement canadien par des moyens pacifiques pour qu’il honore les promesses faites dans le traité. Mais alors que la résistance s’organise parmi les Métis, certains membres de la bande de Poundmaker décident de combattre à leurs côtés. Dans des papiers de Louis Riel saisis à Batoche, on a trouvé les versions française et anglaise d’une lettre de Poundmaker en réponse à Riel. Le courrier de Poundmaker a vraisemblablement été traduit du cri au français à l’intention de Riel.

Lettre rédigée à la main en français.

Traductions de la lettre de Poundmaker à Riel, trouvées dans les papiers de Riel saisis à Batoche. (e011303061)

Lettre rédigée à la main en français.

Traductions de la lettre de Poundmaker à Riel, trouvées dans les papiers de Riel saisis à Batoche. (e011303061)

La lettre n’est pas datée. D’après son contenu, on présume qu’elle a été rédigée à la suite de la bataille de Duck Lake, le premier affrontement de la rébellion/résistance du Nord-Ouest, qui opposait la Police à cheval du Nord-Ouest et les forces métisses du commandant Gabriel Dumont. Dans sa lettre, Poundmaker témoigne son respect à Riel, mais il lui dit aussi clairement qu’il n’entend pas se joindre au combat et qu’il est prêt à négocier avec l’armée. La traduction dit ainsi : « Nous avons tous mis bas les armes et nous voulons que la guerre soit finie entre nous. Lorsque le Général sera arrivé, je suis prêt à m’entendre avec lui avec les plus sincères intentions et la plus entière soumission. »

Poundmaker voit une occasion dans la victoire des Métis à Duck Lake. Il veut tirer profit des conditions incertaines dans lesquelles le gouvernement canadien se trouve pour négocier des provisions et des rations. Son peuple en a désespérément besoin, et le gouvernement est obligé de lui en fournir selon le traité. La bande de Poundmaker ainsi qu’une bande de Stoneys-Nakodas qui campaient à ses côtés se rendent à Battleford pour ouvrir des négociations avec l’agent des Indiens. Les colons blancs avaient déserté la ville et s’étaient réfugiés dans le fort auprès de l’agent. Après une journée d’attente, les membres affamés de la bande pillent les maisons désertées de Battleford à la recherche de nourriture, malgré les tentatives de Poundmaker pour les en empêcher. Bien qu’il ait été largement exagéré par la presse à l’époque, le « pillage de Battleford » était un acte de désespoir, et non une action visant à déclencher un conflit.

Après que l’agent des Indiens eut refusé de rencontrer Poundmaker, la bande quitte la ville et installe son campement à Cut Knife Creek. Certains des guerriers érigent au campement un pavillon pour les combattants, signe que ces derniers ont pris le contrôle de la communauté. Pendant ce temps, le lieutenant-colonel William Otter et sa troupe de soldats se rendent à Battleford. Le 31 avril 1885, il met en branle plus de 300 hommes pour attaquer la bande de Poundmaker, en représailles à l’assaut supposé de Battleford. Ils arrivent à Cut Knife Creek le 2 mai. Poundmaker ne participe pas à la bataille qui dure sept heures, jusqu’au retrait d’Otter. Poundmaker convainc les guerriers de ne pas poursuivre l’armée qui bat en retraite, ce qui épargne bien des vies. À la suite de cette attaque, de nombreux guerriers du camp de Poundmaker rejoignent les rangs des forces métisses à Batoche. Le 12 mai, les forces de Riel sont défaites. Apprenant la nouvelle, Poundmaker envoie un message à Battleford pour offrir de négocier la paix. Le major général Frederick Middleton répond qu’il ne négociera pas et demande la capitulation sans condition de Poundmaker. Le 26 mai, Poundmaker accepte de se rendre et se présente à Battleford, où il est arrêté.

Peinture à l’huile d’une foule de membres des Premières Nations, certains debout et d’autres assis, en demi-cercle, avec des tipis en arrière-plan. Le chef Poundmaker est assis sur le sol au centre, une pipe de cérémonie devant lui. Le général Middleton est assis sur une chaise sur la droite, plusieurs soldats debout à ses côtés.

Poundmaker rendant les armes au major général Middleton à Battleford, Saskatchewan, le 26 mai 1885. Peinture à l’huile de R. W. Rutherford, 1887 (e011165548_s1).

Le 17 août 1885, le procès pour trahison de Poundmaker commence à Regina. Il dure deux jours. Nous possédons dans notre collection un compte rendu écrit du témoignage que livra alors Poundmaker. Ces notes ont été retrouvées parmi divers documents, dans une boîte appartenant au fonds du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Malheureusement, l’auteur de ce compte rendu est inconnu.

Page rédigée à la main en anglais.

Compte rendu du témoignage de Poundmaker lors de son procès en 1885 (e011303044).

Poundmaker s’adresse à la cour en cri, mais un interprète traduit ses propos en anglais. Le compte rendu présente ainsi ses mots : « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher un bain de sang. Si j’avais voulu la guerre, je ne serais pas ici maintenant, mais dans la prairie. Vous ne m’avez pas arrêté, je me suis rendu. Vous me détenez parce que je voulais la paix. » Le jury délibère pendant une demi-heure avant de prononcer un verdict de culpabilité. Le juge condamne Poundmaker à trois ans de prison. La décision a un effet immédiatement visible chez ce dernier. Selon l’auteur du compte rendu, après avoir entendu le prononcé de sa peine, Poundmaker déclare : « Pendez-moi maintenant. Je préfère mourir plutôt que d’être enfermé. »

Chez cet homme qui a passé sa vie au grand air à chasser et à guider son peuple, l’incarcération a des conséquences désastreuses. Après seulement une année à la prison de Stony Mountain, Poundmaker est libéré, sa santé s’étant gravement détériorée. Quatre mois plus tard, il meurt d’une hémorragie pulmonaire alors qu’il rend visite à son père adoptif Pied-de-Corbeau dans la réserve des Siksikas.

Rien ne pourra réparer l’injustice de l’emprisonnement de Poundmaker, ni effacer les dommages subis par sa bande et les Cris des Plaines à qui on a ôté un chef. Toutefois, la reconnaissance de cette injustice est une étape vers une meilleure entente entre les peuples autochtones et le reste des Canadiens.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Anna Heffernan est archiviste et chercheure pour Nous sommes là : Voici nos histoires, une initiative de Bibliothèque et Archives Canada visant à numériser le contenu autochtone de ses collections.