Origines de l’écriture syllabique crie

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Pour lire ce billet de blogue en syllabique crie et orthographe romaine normalisée, visitez le livrel.

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Par Samara mîkiwin Harp

Œuvre de techniques mixtes. Au centre se trouve une photo noir et blanc rectangulaire montrant deux rangées d’enfants autochtones se tenant assis et debout devant un immeuble en briques. La photo est superposée sur un fond agencé en bandes verticales de part et d’autre, et en bandes horizontales qui traversent le haut et le bas. Les bandes sont principalement dans des teintes de violet, de rouge et de bleu. Dans la partie supérieure, chaque bande présente des tracés curvilignes multicolores et angulaires qui ressemblent à des crayons de couleur. Une bande noire avec de l’écriture syllabique en blanc figure en haut de la photo. Dans le coin inférieur droit, une petite forme rectangulaire blanche comporte une inscription en anglais de couleur noire.

If Only We Could Have Our Stories Told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées], par Jane Ash Poitras, 2004 (e010675581)

Cette œuvre de techniques mixtes de l’artiste crie Jane Ash Poitras illustre un groupe d’enfants dans un pensionnat autochtone en attente des enseignements des missionnaires. L’Église et la Couronne ont intentionnellement fait abstraction de nos enseignements et de nos récits en vue de notre assimilation. If only we could have our stories told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées] témoigne de notre désir, en tant que peuple, de nous réapproprier la langue et la culture que l’on nous a enlevées.

« Dans tous les récits oraux sur les origines du syllabaire cri, on dit que les missionnaires ont appris l’écriture syllabique crie des Cris eux-mêmes. Dans le récit de [Wes] Fineday, un Cri du nom de Badger Call s’est fait dire par les esprits que les missionnaires changeraient la version des choses et diraient que l’écriture leur appartenait1. » [Traduction] [À noter que Badger Call est aussi connu sous les noms « Calling Badger » et « Badger Voice » dans la littérature sur le sujet.]

Selon des recherches préliminaires, il est généralement admis que c’est vers le début du 19e siècle que le révérend James Evans (1801-1846) crée le syllabaire cri. En 1828, alors qu’il enseigne dans le territoire des Anishinaabe (Ojibwa), l’immersion dans la culture ojibwa lui permet d’apprendre à parler couramment la langue. En août 1840, il est envoyé comme missionnaire dans la collectivité de langue crie de Norway House (qui se trouve aujourd’hui au Manitoba). L’anishinaabemowin (langue anishinaabe) et le nêhiyawêwin (langue crie) font partie de la famille des langues algonquiennes et sont semblables au niveau des sons.

Illustration noir et blanc d’un groupe de personnes assises au sol autour d’un homme agenouillé qui écrit des caractères syllabiques sur un morceau d’écorce posé à plat sur une grosse roche. Plusieurs personnes tiennent dans leurs mains un morceau d’écorce sur lequel figurent des caractères syllabiques. Au premier plan à droite, une femme debout observe le groupe. Elle transporte sur son dos un nourrisson installé dans un tikinagan. On voit trois tipis derrière le groupe et une forêt à l’arrière-plan.

James Evans, en compagnie d’un groupe de nêhiyawak (membres de la Nation crie), consigne des caractères syllabiques sur de l’écorce de bouleau, date inconnue. Illustration tirée de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899]; planche insérée entre les pages 190 et 191 (OCLC 3832900)

Pendant plusieurs années, James Evans travaille à l’élaboration d’un système d’écriture de l’ojibwa. De nos jours, on estime que c’est ce travail qui a jeté les bases de l’élaboration réussie d’un syllabaire cri (un ensemble de caractères écrits représentant les sons de la langue crie). En octobre 1840, Evans avait déjà produit un tableau du syllabaire cri; en novembre de la même année, il imprimait 300 exemplaires du court hymne Jesus, My All, to Heaven Is Gone, rédigé en écriture syllabique.

Page de livre de couleur crème comportant des caractères noirs. On y voit un tableau comprenant une large colonne centrale flanquée de part et d’autre de deux étroites colonnes latérales. La première ligne de la colonne centrale contient des sons de la langue; suivent ensuite neuf lignes de caractères syllabiques. La colonne de gauche contient neuf groupes de lettres en alphabet latin correspondant aux caractères syllabiques, alors que celle de droite contient neuf groupes de caractères syllabiques et romains. Deux en-têtes en anglais se trouvent en haut de la page au-dessus du tableau, et trois lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques suivent le tableau. Le numéro de page apparaît au centre du pied de page.

Réplique du syllabaire cri mis au point vers 1840, publié dans l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 187. (OCLC 3832900)

Page de livre de couleur crème comportant du texte en anglais et des caractères syllabiques noirs. On y voit cinq paragraphes numérotés comptant chacun quatre lignes de caractères syllabiques. Le titre de la page se trouve dans l’en-tête. Le premier paragraphe de caractères syllabiques est précédé de deux lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques.

Le premier hymne écrit et imprimé en caractères syllabiques cris, vers 1840. Tiré de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 193. (OCLC 3832900)

À l’époque, même si James Evans semble posséder une maîtrise exceptionnelle du nêhiyawêwin, il a besoin de l’aide d’un interprète, Thomas Hassall, pendant son séjour sur le territoire des Cris. Hassall, un Déné qui maîtrise le déné, le cri, le français et l’anglais, connaîtra une fin tragique lorsqu’Evans le tuera accidentellement lors d’une expédition de chasse au canard. Selon la rumeur, Evans ne s’est jamais complètement remis de la mort de son interprète. Plus tard, en 1845, le révérend est accusé d’inconduite sexuelle envers trois femmes autochtones et est rapatrié en Angleterre pour rendre compte de ses crimes. Son frère écrira plus tard qu’avant de quitter Norway House pour l’Angleterre, James Evans a brûlé presque tous ses manuscrits. À en croire ce témoignage, il est tout à fait possible que les preuves matérielles permettant d’identifier l’auteur de l’écriture syllabique crie aient été perdues à jamais.

Des recherches plus poussées laissent penser qu’Evans a conçu ses idées pour le syllabaire à partir d’autres sources qu’il n’a jamais citées. Selon le rapport annuel de la Société biblique britannique et étrangère publié en 1859, « l’idée lui serait venue d’un chef indien. » [Traduction]

Des preuves additionnelles laissent entendre que les nêhiyawak (membres de la Nation crie) ont influencé la création de l’écriture syllabique. Par exemple, la conception quadridirectionnelle que l’on trouve dans l’écriture syllabique fait allusion à l’influence des Cris, étant donné que le savoir cri est transmis par les enseignements des quatre directions. De plus, à l’époque, les missionnaires rapportent que des hiéroglyphes ont été peints sur des morceaux d’écorce de bouleau avant leur arrivée [traduction] : « Ce n’est qu’à partir du moment où les missionnaires ont été envoyés parmi les Indiens cris qu’un moyen de communiquer des idées, sauf oralement, a vu le jour; si l’on exclut ces hiéroglyphes grossiers peints sur de grands morceaux d’écorce de bouleau. » Par ailleurs, les nêhiyawak sont alors connus pour le mordillage de motifs sur l’écorce de bouleau. À l’aide de ses canines, l’artiste mordille de minces feuilles d’écorce de bouleau pour créer des motifs, qui forment des dessins parfaitement symétriques lorsque le morceau d’écorce est déplié. Cette ancienne forme d’art peut être réalisée en pliant l’écorce de différentes manières. Une technique caractéristique consiste à plier soigneusement un morceau carré d’écorce en angle droit, puis en angle complémentaire. Le travail terminé donne lieu à une œuvre que les mathématiciens qualifient de symétrie parfaite. Avant l’arrivée des Européens, les Autochtones pratiquent cet art en utilisant la réflexion spatiale et le raisonnement pour consigner les cérémonies, les récits et les événements. Plus tard, ils utilisent des motifs de broderies perlées. Dans le même ordre d’idées, on peut organiser l’écriture syllabique crie en symétrie parfaite. D’après la tradition orale des Cris, l’écriture syllabique, offerte en cadeau au peuple par le monde des esprits, figurait sur un morceau d’écorce de bouleau.

Pour ma part, je crois que l’écriture syllabique d’aujourd’hui est le résultat d’une collaboration entre de nombreux Autochtones et James Evans. Cependant, pour en savoir plus sur les origines de cette écriture, les apprenants doivent plonger dans l’univers de la tradition orale crie. Accessibles en ligne, mes recherches sur les récits oraux m’ont permis de découvrir l’histoire de mistanâkôwêw (Calling Badger), un homme spirituel de l’Ouest, dans la région appelée aujourd’hui Stanley Mission, en Saskatchewan. Dans ces narratifs, on apprend que mistanâkôwêw est entré en communication avec le monde des esprits et en est ressorti avec la connaissance de l’écriture syllabique crie. Un autre récit semblable concerne un homme nommé mâcîminâhtik (Hunting Rod) qui vivait dans l’Est. Heureusement, des enregistrements de Winona Wheeler et de Wes Fineday sont accessibles en ligne sur le site Web de la CBC, dans lesquels ils discutent des histoires sur l’origine crie de l’écriture syllabique.

Autres ressources


Samara mîkiwin Harp était archiviste avec l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires à Bibliothèque et Archives Canada. Elle travaille maintenant à la revitalisation de la langue crie de Woods et poursuit des études en archivistique. Samara a grandi à Winnipeg, au Manitoba, et a des racines cries dans les régions de Southend et de Pelican Narrows du Traité 6, dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers membres de la famille de son père sont arrivés en Ontario dans les années 1800 en provenance d’Irlande et d’Angleterre.