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Par Samara mîkiwin Harp

If Only We Could Have Our Stories Told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées], par Jane Ash Poitras, 2004 (e010675581)
« Dans tous les récits oraux sur les origines du syllabaire cri, on dit que les missionnaires ont appris l’écriture syllabique crie des Cris eux-mêmes. Dans le récit de [Wes] Fineday, un Cri du nom de Badger Call s’est fait dire par les esprits que les missionnaires changeraient la version des choses et diraient que l’écriture leur appartenait1. » [Traduction] [À noter que Badger Call est aussi connu sous les noms « Calling Badger » et « Badger Voice » dans la littérature sur le sujet.]
Selon des recherches préliminaires, il est généralement admis que c’est vers le début du 19e siècle que le révérend James Evans (1801-1846) crée le syllabaire cri. En 1828, alors qu’il enseigne dans le territoire des Anishinaabe (Ojibwa), l’immersion dans la culture ojibwa lui permet d’apprendre à parler couramment la langue. En août 1840, il est envoyé comme missionnaire dans la collectivité de langue crie de Norway House (qui se trouve aujourd’hui au Manitoba). L’anishinaabemowin (langue anishinaabe) et le nêhiyawêwin (langue crie) font partie de la famille des langues algonquiennes et sont semblables au niveau des sons.

James Evans, en compagnie d’un groupe de nêhiyawak (membres de la Nation crie), consigne des caractères syllabiques sur de l’écorce de bouleau, date inconnue. Illustration tirée de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899]; planche insérée entre les pages 190 et 191 (OCLC 3832900)

Réplique du syllabaire cri mis au point vers 1840, publié dans l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 187. (OCLC 3832900)

Le premier hymne écrit et imprimé en caractères syllabiques cris, vers 1840. Tiré de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 193. (OCLC 3832900)
Des recherches plus poussées laissent penser qu’Evans a conçu ses idées pour le syllabaire à partir d’autres sources qu’il n’a jamais citées. Selon le rapport annuel de la Société biblique britannique et étrangère publié en 1859, « l’idée lui serait venue d’un chef indien. » [Traduction]
Des preuves additionnelles laissent entendre que les nêhiyawak (membres de la Nation crie) ont influencé la création de l’écriture syllabique. Par exemple, la conception quadridirectionnelle que l’on trouve dans l’écriture syllabique fait allusion à l’influence des Cris, étant donné que le savoir cri est transmis par les enseignements des quatre directions. De plus, à l’époque, les missionnaires rapportent que des hiéroglyphes ont été peints sur des morceaux d’écorce de bouleau avant leur arrivée [traduction] : « Ce n’est qu’à partir du moment où les missionnaires ont été envoyés parmi les Indiens cris qu’un moyen de communiquer des idées, sauf oralement, a vu le jour; si l’on exclut ces hiéroglyphes grossiers peints sur de grands morceaux d’écorce de bouleau. » Par ailleurs, les nêhiyawak sont alors connus pour le mordillage de motifs sur l’écorce de bouleau. À l’aide de ses canines, l’artiste mordille de minces feuilles d’écorce de bouleau pour créer des motifs, qui forment des dessins parfaitement symétriques lorsque le morceau d’écorce est déplié. Cette ancienne forme d’art peut être réalisée en pliant l’écorce de différentes manières. Une technique caractéristique consiste à plier soigneusement un morceau carré d’écorce en angle droit, puis en angle complémentaire. Le travail terminé donne lieu à une œuvre que les mathématiciens qualifient de symétrie parfaite. Avant l’arrivée des Européens, les Autochtones pratiquent cet art en utilisant la réflexion spatiale et le raisonnement pour consigner les cérémonies, les récits et les événements. Plus tard, ils utilisent des motifs de broderies perlées. Dans le même ordre d’idées, on peut organiser l’écriture syllabique crie en symétrie parfaite. D’après la tradition orale des Cris, l’écriture syllabique, offerte en cadeau au peuple par le monde des esprits, figurait sur un morceau d’écorce de bouleau.
Pour ma part, je crois que l’écriture syllabique d’aujourd’hui est le résultat d’une collaboration entre de nombreux Autochtones et James Evans. Cependant, pour en savoir plus sur les origines de cette écriture, les apprenants doivent plonger dans l’univers de la tradition orale crie. Accessibles en ligne, mes recherches sur les récits oraux m’ont permis de découvrir l’histoire de mistanâkôwêw (Calling Badger), un homme spirituel de l’Ouest, dans la région appelée aujourd’hui Stanley Mission, en Saskatchewan. Dans ces narratifs, on apprend que mistanâkôwêw est entré en communication avec le monde des esprits et en est ressorti avec la connaissance de l’écriture syllabique crie. Un autre récit semblable concerne un homme nommé mâcîminâhtik (Hunting Rod) qui vivait dans l’Est. Heureusement, des enregistrements de Winona Wheeler et de Wes Fineday sont accessibles en ligne sur le site Web de la CBC, dans lesquels ils discutent des histoires sur l’origine crie de l’écriture syllabique.
Autres ressources
- Histoire interactive de Radio-Canada : Une question d’héritage : l’écriture crie et l’origine des caractères syllabiques, Wes Fineday, émission « Trail’s End », chaîne radiophonique de Radio-Canada, 6 mars 1998 et, Winona Wheeler raconte, sur la chaîne radiophonique de Radio-Canada, l’histoire de la création des caractères syllabiques
- Les caractères syllabiques et l’ORU (orthographe romaine uniformisée) : les deux côtés de la médaille (et un tableau des caractères syllabiques du cri des plaines, dialecte-y), Cree Literacy Network (réseau de littératie crie)
- Tableau des caractères de l’ORU et de leurs équivalents en cri (des bois), dialecte-th, Bande indienne de Lac La Ronge
- Clavier en caractères syllabiques cris (téléchargements), Language Geek
- Convertisseur de caractères, de l’ORU vers les caractères syllabiques cris (dialecte-n, dialecte-th et dialecte-y), Eddie Santos
- itwêwina : dictionnaire de cri des plaines, L’Alberta Language Technology Lab (laboratoire de technologie langagière de l’Alberta), en collaboration avec l’Université des Premières Nations et la Maskwacîs Education Schools Commission
- Stevenson (Wheeler), Winona. « Calling Badger and the Symbols of the Spirit Language: The Cree Origins of the Syllabic System », Oral History Forum, Vol. 19–20 (1999–2000), p. 21
- John McLean. James Evans, Inventor of the Syllabic System of the Cree Language, Toronto: W. Briggs; Montréal: C.W. Coates, [1890?], p. 167
- British and Foreign Bible Society, Fifty-fifth Report, 1859, p. 304
- Evans, James. Cree Syllabic Hymn Book, Toronto : Société bibliographique du Canada, 1954, couverture arrière (OCLC 1152061)
- Pour en savoir plus sur le mordillage de motifs sur l’écorce de bouleau, consulter : Angelique Merasty et Mary Zoccole. Wigwas: Bark Biting by Angelique Merasty: June 30–July 24, 1983, Thunder Bay (Ontario) : [The Centre, 1983]. (OCLC 35944618)
Samara mîkiwin Harp était archiviste avec l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires à Bibliothèque et Archives Canada. Elle travaille maintenant à la revitalisation de la langue crie de Woods et poursuit des études en archivistique. Samara a grandi à Winnipeg, au Manitoba, et a des racines cries dans les régions de Southend et de Pelican Narrows du Traité 6, dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers membres de la famille de son père sont arrivés en Ontario dans les années 1800 en provenance d’Irlande et d’Angleterre.