Loin des yeux, près du cœur : La question épineuse des sépultures de guerre canadiennes

Par Ariane Gauthier

Un grand nombre de tombes et de cimetières militaires canadiens ont été aménagés à travers le monde à la suite des conflits auxquels le Canada a participé depuis la Confédération (1867), de la guerre des Boers (1899-1902) en Afrique du Sud à celle d’Afghanistan (2001-2014).

Trois tombes de soldats canadiens ayant péri pendant la guerre des Boers (1899-1902).

Tombes des soldats Elliott, Laming et Devereaux, tués lors du conflit en Afrique du Sud (e006610211).

Une photo de tombes militaires à Ottawa, en Ontario, prise le 13 août 1934 par le célèbre photographe Yousuf Karsh.

Colonel H.C. Osborne, cimetière militaire (e010679418_s1).

Le cimetière canadien à Bény-sur-Mer, en France, où sont enterrés des soldats canadiens ayant participé au débarquement et à la bataille de Normandie en 1944.

Cimetière militaire canadien à Bény-sur-Mer, en France (e011176110).

Le cimetière canadien à Agira, en Italie, où sont enterrés des soldats canadiens ayant péri lors de la campagne de Sicile en 1943.

Cimetière canadien à Agira, en Sicile (e010786150).

Vue d’un cimetière de guerre au Japon, où sont enterrés des soldats canadiens tombés pendant la guerre de Corée (1950-1953).

Mme Renwick dépose une couronne au nom des mères et épouses canadiennes dans un cimetière japonais à l’occasion du jour du Souvenir (a133383).

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi autant de familles canadiennes ont laissé leurs êtres chers prendre leur dernier repos là où ils sont tombés au combat?

C’est tout simplement parce que c’était la seule option possible, du moins, à l’origine.

Pour comprendre, il faut se plonger dans le contexte de la Première Guerre mondiale – la première guerre industrielle de masse. Les progrès technologiques et militaires de l’ère moderne ont immédiatement fait exploser les taux de mortalité. Par conséquent, l’Empire britannique devait gérer le recrutement rapide de renforts en plus des milliers de décès dans un contexte de guerre où le rapatriement des corps était quasi impossible. Non seulement était-il périlleux de chercher une dépouille dans une zone active de combat, mais déplacer autant de cadavres aurait facilement pu entrainer des épidémies de maladies à l’échelle mondiale. Ceci étant dit, la porte demeurait ouverte à un changement du statu quo une fois les hostilités terminées. Le 10 mai 1917, la Imperial War Graves Commission fut créée en vertu d’une charte royale, avec le mandat de se pencher sur les enjeux des décès de soldats et des cimetières de guerre pour l’ensemble du Commonwealth britannique.

Document textuel datant du 10 mai 1917, rédigé par J.C. Ledlie, du bulletin Au palais de Buckingham, où est présent Sa Très Excellente Majesté le Roi en conseil.

War Office (Royaume-Uni) – Imperial War Graves Commission – Charte (MIKAN 1825922).

La question des cimetières entretenus à perpétuité ne faisait pas l’unanimité parmi les familles. De vifs débats sur la question des sépultures de guerre se sont déroulés dans maintes institutions parlementaires. Les orateurs faisaient appel à l’humanité et à la compassion des politiciens afin que les familles des militaires morts au combat puissent faire à la maison le deuil de leurs frères, pères, fils ou maris, et même, dans certains cas, de leurs filles et de leurs sœurs. Par contre, aucune pétition ne pouvait changer le verdict émis par la Imperial War Graves Commission :

Document textuel de 2 pages expliquant que le rapatriement des corps des soldats n’est pas permis.

War Office (Royaume-Uni) – Imperial War Graves Commission – Refus d’autoriser la sortie des corps des pays où ils sont enterrés (MIKAN 1825922).

 « Autoriser le rapatriement [des corps des soldats] à certains demandeurs (soit seulement ceux qui peuvent se permettent d’assumer de tels frais) serait contraire aux principes d’égalité de traitement; vider quelque 400 000 tombes identifiées représenterait un travail colossal et irait à l’encontre de l’esprit dans lequel l’Empire avait accepté avec gratitude les offres de prêts de terres à perpétuité des gouvernements de la France, de la Belgique, de l’Italie et la Grèce, pour y aménager des cimetières et « adopter » nos défunts. La Commission voyait dans ces cimetières militaires en terres étrangères un hommage plus significatif qu’un enterrement privé chez soi. Ceux qui ont combattu et qui sont tombés ensemble, officiers et hommes, côte à côte, y sont enterrés ensemble dans leur dernier lieu de repos, face aux lignes qu’ils ont défendues au péril de leurs vies. La Commission avait la certitude (et les preuves le confirmant) que les morts eux-mêmes, frères d’armes qu’ils étaient, auraient voulu demeurer avec leurs camarades. Ces cimetières britanniques dans des pays étrangers se voulaient un symbole pour les générations futures : celui d’un objectif commun, d’un dévouement partagé et du sacrifice consenti par des militaires de tout grade pour l’unité de l’Empire. […] » (traduction libre)

Cette décision fit en sorte que les Canadiens morts outre-mer pendant la Première Guerre mondiale sont demeurés aux champs d’honneur. Les cimetières aménagés à leur mémoire peuvent être visités encore aujourd’hui et sont toujours entretenus par la Imperial War Graves Commission, maintenant la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth. Le 15 juillet 1970, la politique du Canada sur le rapatriement des soldats décédés outre-mer changea. Le décret du conseil privé 1967-1894 stipulait que la famille d’un soldat mort au combat à partir de cette date pouvait demander son rapatriement pour ses funérailles. Les proches des militaires morts en service peuvent maintenant se recueillir auprès d’eux au pays.

Autres ressources


Ariane Gauthier est archiviste de référence au sein de la Direction générale des accès et services à Bibliothèque et Archives Canada.

Commémoration de la bataille de Beaumont-Hamel

Par Ethan M. Coudenys

Le 1er juillet 1916 à 7 h 20, une redoute allemande installée sur Hawthorne Ridge explose. Dix minutes plus tard, l’assaut britannique est lancé. La bataille de la Somme commence, après des préparatifs beaucoup plus longs que prévu. L’objectif est de soulager les forces françaises sous pression à Verdun.

À l’origine, la bataille devait se dérouler à la fin de juin. Le mauvais temps ayant repoussé l’attaque, les hommes du First Newfoundland Regiment (qui deviendra le Royal Newfoundland Regiment) ont dû ronger leur frein.

Pendant 45 minutes (de 9 h à 9 h 45), les hommes du régiment sortent de la tranchée Saint John’s Road et se précipitent dans le no man’s land. Malheureusement, les importantes pertes subies pendant les premières vagues de l’assaut obligent les soldats terre-neuviens à sortir des tranchées relativement sécuritaires qui relient la tranchée secondaire aux tranchées de première ligne et d’observation. Près de 85 % de l’effectif est tué, blessé, ou disparu pendant cette heure fatidique, si bien que le lendemain, à peine 65 des quelque 900 hommes du régiment répondent à l’appel.

La bataille de Beaumont-Hamel demeure la plus sanglante de l’histoire de Terre-Neuve, et de la Première Guerre mondiale. Elle est si coûteuse pour le Dominion de Terre-Neuve que celui-ci doit reprendre le statut de colonie britannique dans les années 1920, avant de se joindre à la Confédération canadienne en 1949. L’histoire particulièrement émouvante de cette bataille mériterait beaucoup plus d’attention.

Groupe de soldats debout sur une colline, devant un monument représentant un caribou. Au pied de la colline, une foule devant des plaques de bronze observe la scène.

Cérémonie en l’honneur du Royal Newfoundland Regiment, au monument de Beaumont-Hamel (e010751150).

Le parc du Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel a été aménagé sur le lieu de cette bataille. Il est actuellement géré par Anciens Combattants Canada. Tous les jours, des guides étudiants canadiens racontent l’histoire des Terre-Neuviens qui ont sacrifié leur vie pour la nation pendant la Grande Guerre. Le parc est tout simplement magnifique avec ses arbres géants, ses jardins enchanteurs et le centre pour les visiteurs. Le paysage, toutefois, témoigne des conséquences effroyables que la bataille de Beaumont-Hamel a eues sur le Dominion de Terre-Neuve et de la terrifiante vie au front pour le régiment.

Le monument a été dévoilé le 7 juin 1925. L’objectif était que les soldats tués pendant cette bataille soient comme chez eux. Dans ce but, l’architecte paysagiste Basil Gotto a planté plus de 5 000 arbres venus de Terre-Neuve. La principale sculpture est le monument du Caribou, situé tout près de la ligne de front britannique. Cette grande statue de bronze regarde dans la direction où le régiment avançait le 1er juillet 1916. Sa bouche ouverte semble appeler ses frères disparus pour qu’ils reviennent à la maison. Sept monuments comme celui du Caribou se trouvent en France, en Belgique, en Turquie et à Terre-Neuve-et-Labrador pour rappeler les grandes étapes de l’épopée du Royal Newfoundland Regiment pendant la Première Guerre mondiale.

Au pied du vaste monticule sur lequel se dresse le caribou, trois plaques de bronze donnent les noms de 823 soldats, marins et matelots de la marine marchande tués pendant la guerre qui n’ont pas de sépulture connue. Le plus jeune d’entre eux est mort à 14 ans, et le plus vieux, à 60 ans. Les plaques sont là depuis l’ouverture du site; elles ont survécu à la Deuxième Guerre mondiale et à plusieurs événements météorologiques. Seuls les lions de bronze qui avaient été installés près du monument de la 51e Division d’infanterie, à l’arrière du parc, ont été perdus pendant le conflit de 1939-1945.

Monument du Caribou sur une colline parsemée de rochers, dans le brouillard.

Le monument du Caribou à Beaumont-Hamel, vers décembre 2022. Image courtoisie de l’auteur, Ethan M. Coudenys.

Le parc du Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel compte parmi les plus touchants et les mieux préservés des monuments commémorant les sacrifices consentis pendant la Première Guerre mondiale. Des étudiants canadiens y offrent des visites guidées gratuites. L’atmosphère qui y règne donne une bonne idée de l’horreur de la bataille de Beaumont-Hamel et des pertes inimaginables subies par le Royal Newfoundland Regiment.

Autres ressources


Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada et ancien guide étudiant au Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel.

Soldats autochtones de la Première Guerre mondiale : à la recherche d’anciens combattants oubliés

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Ethan M. Coudenys

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Pour de nombreux chercheurs autochtones, dont je fais partie, il est essentiel de comprendre le point de vue des premiers habitants du territoire sur la Première Guerre mondiale. Il faut parfois chercher des heures et des heures pour savoir si un ancien combattant de la Grande Guerre était bel et bien autochtone. Nous avons d’excellentes ressources sur quelques militaires bien connus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse, mais ce domaine de la recherche historique cache encore bien des mystères.

Le présent blogue ne vise pas à raconter l’histoire générale des Autochtones qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale. Je ne tenterai pas non plus de synthétiser l’expérience de ces militaires dans un seul billet de blogue. Je vais plutôt raconter les histoires de deux personnes fort différentes et présenter des méthodes de recherche pour trouver de l’information sur les Autochtones qui ont servi pendant la Grande Guerre.

L’histoire de John Shiwak

Deux photos du même homme assis en uniforme militaire.

John Shiwak du Royal Newfoundland Regiment, no 1735. The Rooms, Item E 29-45.

John Shiwak est né en 1889 à Rigolet, au Labrador. Membre d’une communauté inuite, il est un chasseur-trappeur expérimenté lorsqu’il se joint au First Newfoundland Regiment (qui deviendra le Royal Newfoundland Regiment) le 24 juillet 1915. Il est encore à l’entraînement lorsque le régiment sort de la tranchée Saint John’s Road à Beaumont-Hamel, le 1er juillet 1916, pour lancer la bataille de la Somme. Quand Shiwak rejoint le régiment en France trois semaines plus tard, le 24 juillet, il constate, comme bien d’autres, à quel point le régiment a été ravagé pendant les 45 minutes de son combat sur la Somme. En avril 1917, Shiwak est promu au grade de caporal suppléant. Malheureusement, en novembre, soit moins d’un an avant la fin des combats, John Shiwak est atteint par un obus pendant la bataille de Masnières (dans le cadre de la première bataille de Cambrai). Il y trouve la mort avec six compagnons de son unité.

Groupe de cinq hommes assis ou debout.

Membres de la Légion des pionniers (avant 1915); John Shiwak est debout à gauche. The Rooms, Item IGA 10-25.

De telles histoires sont courantes pendant la Première Guerre mondiale. L’homme inuk a été tué dans l’exercice de ses fonctions, au milieu de ses frères d’armes. Ce qui ajoute à la tristesse de la tragédie, c’est que le lieu de sépulture de ces sept courageux hommes n’a jamais été retrouvé. Une hypothèse veut qu’une école ait été construite alors que l’on ignorait la présence des corps de sept soldats de la Grande Guerre à cet endroit. Cependant, comme tous les hommes tués dont le lieu de sépulture demeure inconnu, Shiwak ne tombera pas dans l’oubli. Son nom restera à jamais gravé sur les plaques de bronze au Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel, en France, et sur un monument semblable à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.

L’histoire d’Angus Edwardson

Le soldat Angus Edwardson m’intéresse particulièrement, car il est mon arrière-arrière-grand-père. Il a combattu à Passchendaele. Il est né en 1894 à Lac-Barrière, environ 300 kilomètres au nord-ouest d’Ottawa, dans une communauté nordique en grande partie algonquine anishinaabe. Selon son formulaire d’enrôlement, Edwardson et sa famille vivaient à Oskélanéo, au Québec. Pendant très longtemps, notre famille ignorait qu’il était Autochtone et ne connaissait pas les détails de son séjour dans les tranchées.

Heureusement, mon domaine de travail m’amène à faire des découvertes extrêmement intéressantes. Le recensement de 1921 m’a appris qu’il était un ancien soldat. J’ai ensuite pu trouver ses feuilles d’engagement.

L’histoire d’Edwardson n’est pas aussi remarquable que celle de Shiwak, mais elle donne une idée des difficultés que doivent surmonter les chercheurs qui s’intéressent à des Autochtones ayant fait partie du Corps expéditionnaire canadien (CEC) ou des Forces armées britanniques en général.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson, sur deux pages.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson (matricule 1090307).

Selon l’agent de recrutement qui remplit les feuilles d’engagement, Edwardson a le teint pâle, les yeux bleus et les cheveux foncés, une description qui ne correspond pas à l’idée qu’on se fait généralement d’un Autochtone. Il ne dit pas non plus qu’Edwardson fait partie des Premières Nations en écrivant le mot « Indien », fréquemment employé à l’époque, dans la section réservée aux marques distinctives, aux particularités congénitales et aux signes d’anciennes maladies.

Son dossier nous apprend qu’Edwardson est membre du 253e bataillon d’infanterie (Université Queen’s), mais qu’il sert dans plusieurs bataillons et régiments pendant son passage au front. Le 28 août 1918, alors membre du 213e Bataillon, il est blessé à la main gauche par une balle.

Difficultés pour les chercheurs

Comme je l’ai mentionné, ne pas savoir si un membre du CEC est Autochtone constitue un sérieux obstacle pour les chercheurs. Les dossiers d’engagement demeurent parfois entièrement muets à ce sujet. C’est même très courant pendant les dernières années de la Première Guerre mondiale. Aucun des deux hommes dont j’ai parlé n’est désigné comme un « Indien » sur son formulaire d’engagement. Nous devons donc nous fier à d’autres sources pour savoir s’ils étaient bien Autochtones.

Les recensements, souvent négligés, constituent la première de ces sources. Ils procurent des renseignements essentiels sur les personnes recherchées. Et les renseignements personnels améliorent considérablement les chances de réussite lorsqu’on cherche des Autochtones ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. J’ai découvert qu’Edwardson était Autochtone parce qu’il est inscrit comme tel dans le recensement de 1921. Dans le cas de Shiwak, j’ai dû suivre un tout autre chemin, parsemé d’embûches. J’ai fini par trouver ses origines ethniques dans les mémoires de Sydney Frost, un capitaine du Royal Newfoundland Regiment, intitulés A Blue Puttee at War. Il existe encore d’autres sources confirmant que Shiwak était Autochtone.

Liste de noms dans le recensement de 1921, avec le sexe, l’âge et l’origine de chacun.

Déclaration de recensement d’Angus Edwardson et de sa famille, 1921 (e003065155).

Les sources secondaires sur la Première Guerre mondiale sont innombrables. Il suffit de chercher le nom de Shiwak pour en trouver plusieurs. Mais quand il s’agit de membres autochtones du CEC moins connus, ce n’est pas si simple. L’excellent livre For King and Kanata: Canadian Indians and the First World War, par Timothy Winegard, explique comment nous pourrions améliorer nos techniques pour chercher des individus et des groupes autochtones au sein du CEC. L’auteur souligne implicitement le rôle des communautés, qui décidaient d’envoyer des hommes s’enrôler. Cependant, cette piste n’est pas facile à suivre. Ça vaut la peine de communiquer avec des sociétés de généalogie locales ou des communautés autochtones pour qu’elles nous aident à trouver des listes de noms. Elles peuvent aussi nous donner une petite idée du nombre d’hommes de cette communauté qui ont servi dans l’armée.

Les dernières sources d’information très utiles pour des recherches de cette nature sont ce qu’on appelait les « Registres des Indiens ». Ces archives dressent des listes de membres de nombreuses bandes. Il s’agit d’une excellente source si vos recherches portent sur une bande précise et si vous pouvez vous rendre dans les locaux de Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa. Par contre, la difficulté reste entière pour les chercheurs qui ne connaissent pas le nom de la bande et qui ignorent si le sujet est mort pendant la guerre. Chercher un Inuk ou un Métis est encore plus difficile, car très peu de sources primaires ont été produites durant les années qui ont immédiatement suivi la Grande Guerre. Il est parfois possible de trouver un Inuk ou un Métis ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment grâce à des sources secondaires, mais c’est un processus long et ardu.

Conclusion

Le caporal suppléant John Shiwak (Inuk) et le soldat Angus Edwardson (Premières Nations) ont tous deux combattu pendant la Première Guerre mondiale. Les deux exemples montrent les obstacles à surmonter pour trouver de l’information sur des Autochtones qui ont fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. Les multiples défis peuvent poser des difficultés considérables. Il existe néanmoins des ressources, comme les archives (notamment les recensements), les communautés autochtones locales et les sources propres à certains peuples autochtones conservées à Bibliothèque et Archives Canada. Ces solutions possibles ne permettent cependant pas de résoudre tous les problèmes pour les chercheurs qui s’intéressent aux Autochtones ayant participé à la Première Guerre mondiale.

Autres ressources


Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada. Fier de ses origines innues, il est aussi le descendant d’une personne ayant survécu aux pensionnats autochtones.

Une tarte à la citrouille de 1840

English version

Bannière Cuisinez avec Bibliothèque et Archives CanadaPar Ariane Gauthier

La cuisinière canadienne, paru en 1840, est un des premiers livres de cuisine, peut-être même le tout premier, écrit et publié au Canada. Son auteur le destinait autant aux cuisiniers professionnels qu’au grand public. Ce livre marque le début de la cuisine canadienne-française proprement dite. Pour ce qui est du style et du contenu, il vise l’efficacité, cherchant à encourager « une sage économie domestique […] proportionnée aux moyens des familles Canadiennes [sic] ».

Ce livre est accessible en ligne par le biais du catalogue Aurora de Bibliothèque et Archives Canada (OCLC 1140071596). Vous n’avez qu’à cliquer sur le bouton « Accès en ligne » à droite de la page, dans la case « Options de retrait ».

La page titre de La cuisinière canadienne (OCLC 1140071596).

Pour accompagner l’ouvrage, j’ai trouvé très utile le compte rendu de Yannick Portebois sur La cuisinière canadienne (qui peut être lu gratuitement sur Érudit). Il aide à comprendre les mesures employées à l’époque et le langage technique qui n’est plus utilisé aujourd’hui. Il présente également le contexte historique dans lequel ce livre s’inscrit. C’était un moment clé pour la formation de l’identité culturelle québécoise, à cheval entre son passé français et la nouvelle réalité d’une population anglophone toujours grandissante. Yannick Portebois note la francisation de certains mots anglais ainsi que l’emploi de termes bourgeois qui marqueront entre autres le vocabulaire de la cuisine québécoise naissante.

Le défi

À titre de cuisinière amateure, j’ai décidé de relever le défi de cuisiner une recette d’antan proposée dans ce livre.

Ce qu’il faut d’abord comprendre, c’est que les recettes d’autrefois, surtout celles qui remontent au milieu du 19e siècle, ne sont pas rédigées comme dans les livres actuels. Il n’y a pas de listes complètes des ingrédients, les quantités sont approximatives et les recettes sont présentées sous forme de texte suivi. La cuisinière canadienne fournit des ingrédients de substitution, au besoin. Le but n’était pas de créer des recettes comme le désirent les lecteurs d’aujourd’hui, mais de communiquer les principes de base afin que les cuisiniers puissent se débrouiller seuls. D’une certaine manière, La cuisinière canadienne établit la destination, mais c’est à nous de choisir le chemin pour y arriver, c’est-à-dire les ingrédients, les quantités et la technique.

Trois pages du livre La cuisinière canadienne qui expliquent certains termes de cuisine.

Les pages de La cuisinière canadienne qui m’ont été les plus utiles dans la préparation de ma recette (OCLC 1140071596).

Mon premier défi était de composer la recette puisque La cuisinière canadienne ne fournit aucune recette complète de tarte à la citrouille. Le chapitre X contient une recette de pâte à tarte (ou pâte brisée) n’offrant que l’indication vague d’y ajouter de la confiture de notre choix pour cuisiner une tarte.

Pour ce faire, il fallait lire le chapitre XI sur les confitures. Originellement, j’espérais faire une bonne tarte au sucre, mais La cuisinière canadienne ne donne aucune recette de sucre à la crème ou de garniture à l’érable. Je me suis donc contentée d’une tarte à la citrouille, un bon remplacement à mes yeux.

Lait d’amandes, courge, oranges, beurre, farine, sirop d’érable, tasse à mesurer, moule à tarte et rouleau à pâte.

Ingrédients et matériel utilisés par l’auteure pour faire la tarte à la citrouille du livre La cuisinière canadienne. Crédit : Ariane Gauthier.

Une fois la recette composée, il fallait réunir les ingrédients. La pâte à tarte nécessitait de la farine, du beurre (fondu) et du lait (chaud). La cuisinière canadienne indique de mélanger le tout jusqu’à l’obtention d’une pâte. À défaut d’informations plus spécifiques, je me suis fiée à mes connaissances. Dans les recettes que j’ai suivies antérieurement, les pâtes à tarte étaient très sèches. Donc, à une tasse de beurre fondu et une tasse de lait chaud, j’ai ajouté de la farine jusqu’à l’obtention d’une pâte sèche.

J’avoue ne pas avoir mesuré la quantité. L’idée est que la pâte doit à peine tenir ensemble.

Ensuite, j’ai travaillé la pâte pour que le tout soit bien incorporé. Je l’ai laminée, c’est-à-dire que je l’ai aplatie avec un rouleau avant de la replier sur elle-même, et j’ai répété la manœuvre encore et encore jusqu’à ce que la pâte devienne lisse et uniforme. Après quoi, j’ai délicatement déposé la pâte dans un moule à tarte et découpé l’excès. D’habitude, il faut perforer la pâte pour s’assurer qu’elle ne gonfle pas et la cuire un peu pour éviter que la garniture ne la détrempe. C’est ce que j’ai fait avant de la mettre au four pendant cinq minutes à 350 °F.

Sirop d’érable, courges coupées en dés et pelures d’orange dans un chaudron sur le feu.

Assemblage des ingrédients pour la confiture à la citrouille. Il faut faire bouillir des cubes de citrouille dans du sirop avec de la pelure d’orange pendant trois heures. Crédit : Ariane Gauthier.

Entre-temps, j’ai suivi les indications de La cuisinière canadienne pour une confiture à la citrouille. En gros, je devais faire mariner de la citrouille dans une quantité égale de sirop (ou de mélasse) pendant trois heures. Je pouvais aussi ajouter de la pelure d’orange ou de citron pour enrichir le goût. Malheureusement, comme ce n’était pas la saison des citrouilles à tartes, je me suis contentée d’une courge. J’ai choisi du sirop d’érable, car c’était l’option abordable pour les cuisiniers de l’époque. Ce n’est qu’après 1885 et l’adoption de la Tariff Act que le sirop d’érable est devenu un produit de luxe, le prix du sucre de canne ayant soudainement chuté. Dans les années qui ont suivi, des lois et mesures protégeant l’industrie des produits d’érable et la pureté de la qualité ont également eu des répercussions sur le prix du sirop.

Grâce aux avancées technologiques survenues depuis la publication de La cuisinière canadienne, je n’ai eu qu’à attendre à peu près une heure et demie avant que la courge soit tendre. J’ai malaxé le tout pour obtenir une confiture plus uniforme, gardant la pelure d’orange pour le goût. C’était pour le meilleur ou pour le pire, selon les goûts, car ce choix a fait en sorte que la tarte goûtait plus l’orange qu’autre chose. Mise en garde pour les braves qui vont tenter de cuisiner leur propre tarte à la citrouille de 1840 : il vaut peut-être mieux enlever les pelures!

Trois photos démontrant l’assemblage de la tarte : le plat avec la pâte seulement, la garniture versée sur la pâte et le plat final avant la cuisson.

Assemblage de la tarte. Une fois que la pâte a été précuite pendant quelques minutes, on y ajoute la confiture à la citrouille et on remet le tout au four pour terminer la cuisson. Crédit : Ariane Gauthier.

Enfin, j’ai versé la confiture sur la pâte et j’ai mis la tarte au four, toujours à 350 °F. Pour savoir quand la pâte était cuite, je me suis fiée à mon nez et mes yeux. Voici le résultat final. Qu’en pensez-vous?

Photo de la tarte qui vient de sortir du four. Des feuilles, une plume, un livre et les mots BAC et LAC en pâte sont posés sur le dessus de la tarte.

La tarte une fois cuite. Après son passage aux Services de référence le lendemain, il n’en restait plus une miette. Crédit : Ariane Gauthier.

Mes collègues l’ont manifestement aimée, surtout mon superviseur qui en a pris trois pointes. Cette recette, bien que très différente de nos recettes contemporaines, semble toujours appréciée!

The New Galt Cook Book – 1898

Page couverture avec le titre The new Galt cook book et une illustration d’une femme avec un tablier tenant un plat contenant de la nourriture.

Page couverture du livre de cuisine The new Galt cook book (OCLC 1049883924).

Bien que j’aie traité d’une recette tirée de La cuisinière canadienne, son équivalent canadien anglais est également digne de mention. The new Galt cook book était un incontournable dans les cuisines canadiennes-anglaises. C’est une nouvelle édition d’un livre populaire, surtout aux environs de Galt, dans le sud-ouest de l’Ontario. Les éditeurs affirmaient que des exemplaires du livre ont été envoyés en Chine, en Égypte, en Inde, en Afrique du Sud, en Australie et aux États-Unis. Comme plusieurs anciens livres de cuisine, ce recueil présente des recettes, des suggestions visant à simplifier le travail ménager et une liste de remèdes pour les maladies courantes.

Si vous tentez votre chance avec la tarte à la citrouille de 1840 ou toute autre recette de La cuisinière canadienne, n’hésitez pas à partager vos résultats sur les comptes de médias sociaux de Bibliothèque et Archives Canada : Facebook, Instagram, X (Twitter), YouTube, Flickr ou LinkedIn, en utilisant le mot-clic #CuisinezAvecBAC et en étiquetant nos médias sociaux.

Autres ressources de Bibliothèque et Archives Canada


Ariane Gauthier est archiviste de référence au sein de la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

Les cartes de la crête de Vimy (partie 2)

Par Ethan M. Coudenys

Nous sommes le 9 avril 1917. Une pluie froide s’abat sur la plaine de Douai, en France. Sur le front de l’Ouest, une opération militaire de grande envergure se prépare. De nombreux Canadiens sont réunis en prévision de l’attaque de la crête de Vimy, qui doit commencer à 5 h 30 précises. Environ le tiers des 30 000 hommes rassemblés pour l’attaque s’abritent dans des tunnels, à l’abri des regards des guetteurs allemands. À l’heure H, les troupes surgissent des tunnels et déclenchent un déluge de soufre et de feu sur l’ennemi qui tente de freiner leur avance.

Un tunnel éclairé par une ampoule électrique.

Le souterrain Grange sous la crête de Vimy, le 17 août 2022. Image courtoisie de l’auteur, Ethan M. Coudenys.

Les tunnels ont été aménagés en grande partie par les compagnies galloises des Royal Engineers. Les mineurs gallois sont généralement des professionnels. Ils creusent le sous-sol crayeux à 10 à 15 mètres de profondeur sous le champ de bataille, dans une obscurité presque complète. Une dizaine de kilomètres de tunnels relient la dernière tranchée canadienne à la ligne de front. En plus de cacher les forces rassemblées pour l’attaque, ce réseau facilite les communications et l’approvisionnement.

Si je me fie à mon expérience en tant que guide au Mémorial national du Canada à Vimy, il devait être extrêmement pénible de circuler dans ces tunnels pendant la Première Guerre mondiale. Souvent remplis d’eau, de chauves-souris et de rats, ils baignent dans une odeur pour le moins inhabituelle (et probablement bien pire à l’époque). Malgré les ampoules électriques disposées tous les 20 mètres environ, les sinueux tunnels sont sombres et bruyants. Comme la craie répercute très bien le son, les soldats entendaient distinctement les obus qui explosaient à la surface, les mineurs qui creusaient et les soldats et officiers qui passaient d’un tunnel à l’autre.

Pour éviter que les messagers et les officiers ne se perdent dans ce labyrinthe souterrain, des cartes ont été dessinées. Un seul tunnel, le souterrain Grange, est actuellement ouvert aux visiteurs au lieu historique national de la Crête-de-Vimy. Malgré les efforts du groupe Durand, une association de recherche qui explore les tunnels et les redoutes (ce qui n’est pas sans danger), aucun autre tunnel n’est ouvert au grand public pour l’instant. Le travail bénévole du groupe donne néanmoins des renseignements sur le réseau souterrain à cette époque de la guerre, car l’association cartographie les tunnels découverts en France et en Belgique et produit des rapports à ce sujet.

L’attaque sur la crête de Vimy se divise en deux étapes. La première, la mieux connue, est la prise de la crête par le Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur une ligne de front de 12 kilomètres. Le CEC avait quatre grands objectifs, dont le principal était la colline 145, la plus haute partie de la crête. La seconde visait à prendre le Bourgeon (aussi appelé colline 119), qui a fini par donner son nom à cette étape de la bataille. C’était un poste solidement fortifié équipé d’un canon d’artillerie lourde et d’autres pièces d’artillerie. La colline était très facile à défendre pour les nombreux hommes qui s’y trouvaient, et elle aurait été fort utile aux troupes allemandes qui auraient cherché à reprendre le terrain perdu pendant la première étape.

Carte du plan de bombardement indiquant notamment les écrans de fumée.

Plan du barrage d’artillerie pour la bataille de la colline 119, aussi appelée le Bourgeon (MIKAN 3946966). Photo : Ethan M. Coudenys.

Cartographier le bombardement d’artillerie

Les attaques de la crête de Vimy et du Bourgeon sont les contributions canadiennes à la bataille d’Arras, une vaste opération militaire qui se déroule sur un front de 30 kilomètres principalement tenu par les Britanniques. Les brigades d’artillerie jouent un rôle essentiel dans cette offensive, les unités canadiennes et britanniques unissant leurs forces pour faciliter la progression de l’infanterie. Une telle opération exige une préparation extrêmement minutieuse et une ténacité à toute épreuve. Les unités d’artillerie doivent absolument suivre le même horaire et faire avancer le barrage d’obus de 100 mètres toutes les trois minutes. Chaque unité se voit remettre des cartes établissant l’horaire précis des changements dans la portée et la vitesse des tirs. Cette tactique reçoit le nom de barrage roulant.

Pour développer ce que nous avons brièvement expliqué dans la première partie, un barrage roulant est une tactique militaire créée en grande partie par les généraux britanniques et canadiens, après l’échec de l’appui d’artillerie à la bataille de la Somme, en France, de juillet à la mi-novembre 1916. Cette tactique consiste à lancer un mur d’obus dans le no man’s land, et à faire avancer ce barrage progressivement pour empêcher les forces ennemies de sortir de leurs abris et d’organiser une défense efficace avant l’arrivée des attaquants dans leurs lignes. Elle s’avère efficace pour éliminer les tireurs d’élite et les mitrailleuses ennemis au début de la bataille de la crête de Vimy. Selon l’auteur canadien Pierre Berton, le bombardement est si intense qu’il retentit jusqu’à Londres. Les soldats qui avancent sur ce terrain hostile ont l’impression que le ciel est recouvert de plomb tellement les obus sont nombreux.

Examinons maintenant les divers types de cartes remises aux forces d’artillerie sur la crête de Vimy. Pour l’assaut de la colline 145, l’infanterie et l’artillerie doivent absolument se synchroniser. Les commandants d’artillerie reçoivent les mêmes cartes que les unités d’infanterie afin de pouvoir évaluer la progression des diverses divisions et brigades, qui se trouvent parfois à plusieurs kilomètres.

Les officiers d’artillerie disposent de cartes montrant les principaux dispositifs de défense à détruire dans des zones cibles avant que l’infanterie n’arrive à portée de tir. Il peut s’agir de nids de mitrailleuse, de tireurs d’élite, de pièces d’artillerie ou de mortiers. Le plan d’attaque prévoit une attente substantielle entre les deux premières avancées. Par exemple, l’écart entre une ligne rouge et une ligne noire représente un intervalle d’environ 30 minutes, pendant lequel la deuxième vague de soldats et les troupes d’appui peuvent s’avancer. Autrement dit, l’artillerie vise des objectifs précis pendant un certain temps, s’arrête une demi-heure pour laisser l’infanterie progresser, puis reprend le tir sur des cibles plus éloignées. L’infanterie peut ainsi se reposer et fortifier les positions conquises, pendant que l’artillerie pilonne des fortifications défensives potentiellement dangereuses plus loin sur le front.

Sur le Bourgeon, la stratégie est très différente. L’artillerie utilise toujours le barrage roulant, mais elle adopte aussi deux nouvelles tactiques apparues et développées pendant la Grande Guerre. La première consiste à créer une sorte de « champ de la mort » : un intense feu d’artillerie oblige les défenseurs à sortir de leur abri et à se rendre dans un endroit découvert, où ils sont pris pour cibles par des mitrailleuses et l’artillerie. La seconde tactique est la création d’écrans de fumée. Des barils de pétrole en feu sont lancés sur le champ de bataille afin de créer un épais rideau de fumée noire pour cacher la progression de l’infanterie. Ces deux tactiques deviendront des marques de commerce des forces canadiennes, notamment à la bataille de la colline 70 à Lens, en France, du 15 au 25 août 1917, et à la troisième bataille d’Ypres (Passchendaele), en Belgique, du 31 juillet au 10 novembre 1917.

Le barrage roulant démontre son efficacité lors des premières attaques sur la colline 145. Par contre, la prise du Bourgeon est l’une des batailles les plus coûteuses de l’histoire militaire canadienne : plus de 10 000 hommes sont tués, blessés ou portés disparus.

Conclusion

 Cartographier les champs de bataille n’a rien de nouveau. De l’Empire romain aux guerres napoléoniennes, les généraux et les seigneurs de guerre ont toujours utilisé des cartes pour planifier les attaques et s’orienter sur les champs de bataille. Par contre, les cartes étaient généralement réservées aux officiers hauts gradés et aux militaires du rang.

À Vimy, les cartes du champ de bataille sont distribuées à grande échelle pour bien préparer les troupes et réduire la confusion au sein de l’infanterie. Même les lieutenants subalternes et les caporaux suppléants ont accès au plan d’attaque. Cette innovation des forces alliées pendant la Première Guerre mondiale assure l’énorme succès de l’attaque contre les positions allemandes sur les collines 145 (la crête de Vimy) et 119 (le Bourgeon) dans le cadre de la bataille d’Arras. Les cartes donnent des objectifs clairs et précis à chaque unité et montrent aux soldats, à l’artillerie et aux services d’appui les tactiques qu’il faut adopter pour prendre la crête. Le fruit de mois de préparation, elles jouent un rôle considérable dans la prise de la colline 145 par le CEC.

Autres ressources

  • Les cartes de la crête de Vimy (partie 1), un article de blogue d’Ethan M. Coudenys, Bibliothèque et Archives Canada
  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.

Données bilingues des recensements : une meilleure expérience de recherche pour la population canadienne

Bannière pour la série "Le recensement de 1931". À gauche, le texte "Le recensement de 1931". À droite, un train en marche qui passe à côté d'une gare.Par Julia Barkhouse

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner l’identité de genre ou des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) est le gardien du passé lointain et de l’histoire récente du Canada. L’institution conserve les résultats des anciens recensements du Canada, dont certains de Terre-Neuve et d’autres remontant à la Nouvelle-France. Nous avons indexé certains recensements datant de 1825 à 1926, qui peuvent être consultés en ligne via l’outil Recherche dans les recensements.

Avant la Confédération, les recensements étaient généralement effectués en anglais ou en français, selon le lieu. Le Bureau fédéral de la statistique (aujourd’hui Statistique Canada) a introduit progressivement des formulaires bilingues après la Confédération en 1867.

Exemple d’un formulaire bilingue du recensement de 1921, rempli en anglais et en français :

Feuille de recensement du recensement de 1921. Cette image particulière figure à la page 6 pour le sous-district de Scots Bay dans le district de Kings, en Nouvelle-Écosse.

Recensement de 1921 rempli en anglais (e002910991).

Feuille de recensement du recensement de 1921. Cette image particulière figure à la page 19 pour le sous-district de Wolfestown (canton) dans le district de Richmond-Wolfe, au Québec.

Recensement de 1921 rempli en français (e003096782).

La langue dans laquelle sont consignées les réponses aux questions du recensement peut refléter la préférence linguistique du recenseur ou la langue dans laquelle les réponses ont été fournies. Les données historiques des recensements dont nous disposons reflètent la dualité linguistique de notre pays. Les recensements du Québec et de certaines parties du Nouveau-Brunswick et du Manitoba sont remplis en français, alors que dans le reste du Canada, ils sont remplis en anglais.

Lorsque nos partenaires, notamment Ancestry et FamilySearch, ont indexé les recensements de 1825 à 1926, nous avons produit une mine de données comportant des noms de personnes, leur sexe, leur état civil, etc. Nous étions cependant aux prises avec un défi de taille : les données des recensements pouvaient avoir été recueillies en anglais ou en français, selon les préférences personnelles du recenseur. Comment avons-nous géré cette situation?

La vie d’un recenseur

Retournons en arrière un instant pour examiner le parcours du recenseur. Les recenseurs étaient des Canadiens embauchés par le Bureau fédéral de la statistique pour recueillir des données de recensement dans un ou plusieurs sous-districts. Ils recevaient un manuel d’instructions (comme celui-ci pour le recensement de 1921) qui décrivait les renseignements à inscrire sur le formulaire selon les réponses fournies. On leur remettait un cahier de formulaires de recensement et des instructions sur les sous-districts à recenser. Cette personne disposait ensuite d’un nombre de jours donné pour recenser la population d’un certain nombre de sous-districts et renvoyer les formulaires au ministère concerné. Imaginez-vous cette personne faire du porte-à-porte dans une calèche ou, en 1921, à bord d’une des premières automobiles (peut-être une Ford modèle T)!

Le recenseur frappait à la porte et demandait à parler au chef de ménage (généralement le père ou le mari). Il était parfois invité à prendre place à la table de la cuisine pour poser ses questions. Si la famille était absente, le recenseur pouvait laisser à la porte une carte de visite précisant ses coordonnées et demandant aux résidents de faire un suivi avant une certaine date afin d’être pris en compte dans le recensement.

Selon la province au pays, le recenseur consignait les renseignements dans la langue de la personne à laquelle il s’adressait ou dans sa langue de préférence. Il est donc possible que des régions francophones du Canada au Québec, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba aient été recensées en anglais, en français ou dans les deux langues, selon la préférence personnelle du recenseur.

Revenons à nos moutons! Les données saisies sur ces formulaires ont été transcrites par nos partenaires environ 92 ans après le recensement, et publiées en ligne.

Barrières linguistiques

Lorsque BAC a publié ces bases de données en ligne, nous avons constaté que nous disposions de données dans les deux langues. Si vous souhaitez trouver votre ancêtre, vous devez faire vos recherches dans la langue du recenseur. Ce dernier a-t-il consigné les renseignements concernant votre grand-mère en anglais ou en français? Votre nom comporte-t-il un accent (é, è…) qui aurait pu être mal entendu (ou omis) par le recenseur? Le nom de votre oncle comporte-t-il un « h » muet qui aurait pu être omis? Cette barrière linguistique nuit aux chercheurs qui souhaitent retrouver certaines personnes, mais ne parlent pas la langue utilisée à l’époque. Certains chercheurs francophones doivent effectuer des recherches en anglais pour retrouver leurs ancêtres francophones. L’expérience de recherche n’est donc pas la même pour les Canadiens qui accèdent à notre interface Recherche dans les recensements en français.

Création de l’outil Recherche dans les recensements

En novembre dernier, l’équipe Agile des Services numériques a réorganisé les 17 bases de données du recensement pour les regrouper dans l’outil Recherche dans les recensements, afin d’offrir une meilleure expérience de recherche à l’ensemble de la population canadienne. Notre objectif était de fournir la même expérience de recherche aux francophones qu’aux anglophones, de sorte que nos usagers utilisant l’interface en français puissent effectuer une recherche et obtenir les mêmes résultats que s’ils effectuaient une recherche en anglais.

Comment y parvenir? Comment traduire des renseignements comme le sexe, l’état civil, l’origine ethnique et la profession pour plus de 44 millions de personnes afin d’offrir une expérience identique à tout le monde? C’était en fait très simple. La solution? Un nettoyage des données.

Coup d’œil sous le capot

Jetons un coup d’œil en coulisses pour comprendre comment les données de recensement sont sauvegardées. L’outil Recherche dans les recensements est l’interface publique que les usagers de BAC peuvent utiliser pour effectuer des recherches. Les données de recensement pour chaque personne enregistrée sont sauvegardées dans un tableau principal appelé EnumAll.

Les données de recensement sont sauvegardées dans un tableau dans SQL Management Server.

Capture d’écran du tableau principal (Census.EnumAll ) produit à l’aide du logiciel SQL Management Server (Bibliothèque et Archives Canada).

Dans ce tableau, chaque rangée représente une personne. Les données saisies concernant cette personne sont séparées en colonnes. Lorsque nous ne disposons pas de données pour une colonne, il est indiqué NULL.

Création de bassins de données communes

Census.EnumAll sert de tableau principal. À partir de ce tableau, nous avons créé des ensembles de données communes. Autrement dit, nous avons copié une des colonnes (sexe, état civil, origine ethnique, religion, etc.) dans un tableau distinct. Un tel tableau comprend uniquement une liste de sexes ou d’options d’état civil, par exemple. C’est ce que nous appelons un bassin de données communes : un tableau qui ne contient qu’un seul type de données.

Le tableau de données communes sépare les données (p. ex., « Homme » ou « Femme ») de la personne. Si vous examinez 44 millions de personnes, vous constaterez que les mêmes données se répètent, par exemple chaque fois que le recenseur a indiqué « Homme » ou « Marié ». Dans un tableau commun, vous ne verrez « Homme » qu’une seule fois, avec une valeur indiquant le nombre de personnes correspondant à ce renseignement (ce que nous appelons un attribut).

C’est là que la magie opère.

Tableau des sexes du côté serveur de l’outil Recherche dans les recensements. Il convient de noter qu’il existe des variations (Homme et H, Femme et F) de même que deux colonnes intitulées TextLongEn (affichage en anglais) et TextLongFr (affichage en français).

Capture d’écran du tableau des sexes (T_Gender) produit à l’aide du logiciel SQL Management Server (Bibliothèque et Archives Canada).

Comme vous pouvez le constater dans ce tableau distinct de données communes, nous pouvons effectuer d’autres opérations. Dans le présent exemple, les codes permettent d’établir une façon uniforme de désigner chaque sexe. C’est ce qu’on appelle une autorité. Nous procédons ensuite à un nettoyage afin que toutes les variations (par exemple « Homme » et « H ») renvoient à cette autorité unique.

Une fois cette autorité établie, nous créons des colonnes selon la façon dont nous voulons afficher les renseignements dans l’outil Recherche dans les recensements. Nous créons un affichage en anglais (TextLongEn) et un affichage en français (TextLongFr). Nous ajoutons ensuite la traduction bilingue une seule fois, et elle s’applique à tout. Dans ce cas, nous avons traduit « Male » par « Homme », et cette traduction s’applique à l’ensemble des 20 163 488 personnes qui se sont identifiées comme « Homme » dans les 17 recensements.

Nous avons ensuite regroupé tous les tableaux et indexé les données pour les afficher dans l’outil Recherche dans les recensements. Ainsi, l’interface et les données elles-mêmes seront traduites dans la langue de votre choix.

Interface de Recherche dans les recensements en anglais affichant le menu déroulant des sexes avec les valeurs « Female », « Male » et « Unknown », à côté de l’interface de Recherche dans les recensements en français affichant le même menu déroulant des sexes avec les valeurs « Femme », « Homme » et « Inconnu ».

Captures d’écran de l’interface de Recherche dans les recensements en anglais et en français (Bibliothèque et Archives Canada).

Maintenant, lorsque je cherche mon arrière-grand-père Henry D. Barkhouse dans les recensements, les données générées sont traduites.

Deux captures d’écran, l’une en anglais et l’autre en français, d’un recensement de 1911 pour Henry D. Barkhouse, avec des flèches indiquant où les données sont traduites.

Affichage en français et en anglais du recensement de 1911 pour Henry D. Barkhouse (e001973146).

Évaluation de l’état d’avancement

Comme vous pouvez l’imaginer, le nettoyage et la traduction de nos données sont des opérations qui prennent du temps. Notre priorité a été de créer des menus déroulants pour le sexe et l’état civil dans l’outil Recherche dans les recensements. Désormais, si vous effectuez une recherche dans l’un de ces champs, une courte liste de termes traduits, dans les deux langues officielles, s’affiche à l’écran. Dans le cadre de la poursuite de ce travail, nous nous penchons actuellement sur les champs origine ethnique et lieu de naissance et avons effectué de 60 à 70 % de ce travail. Nos usagers pourront donc découvrir de nouvelles options dans l’outil Recherche dans les recensements en 2024. Nous poursuivrons ensuite l’exercice avec les autres champs comme la religion, le lien avec le chef du ménage, la profession, etc.

Conclusion

Le regroupement des 17 recensements en une seule et même plateforme, Recherche dans les recensements, nous a permis de créer un affichage bilingue pour nos données de recensement en nettoyant les données. Depuis son lancement, notre plateforme offre une expérience de recherche plus uniforme dans la langue de votre choix. Je vous encourage à l’essayer et à nous dire si votre expérience de recherche s’est améliorée.

Comme toujours, nous sommes ravis de recevoir vos commentaires et vos idées par courriel. Vous pouvez également vous inscrire à une séance de rétroaction de 10 minutes.


Julia Barkhouse travaille à Bibliothèque et Archives Canada dans le domaine de la qualité des données, de la gestion des bases de données et de l’administration depuis 14 ans. Elle occupe actuellement le poste d’analyste de données pour les collections au sein de l’équipe Agile des Services numériques.

Les cartes de la crête de Vimy (partie 1)

Par Ethan M. Coudenys

La cartographie est la technique permettant de dessiner des cartes. Elle a joué un rôle essentiel dans la planification et la préparation des offensives et des dispositifs de défense pendant la Première Guerre mondiale. Les officiers hauts gradés et les militaires du rang planifiaient les principales batailles de France (comme celles de la Marne, de la Somme et de Verdun) à l’aide de grandes cartes. La cartographie a aussi joué un rôle important lors de la préparation de l’assaut du Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur la colline 145, mieux connue sous le nom de crête de Vimy.

Groupe d’hommes franchissant des réseaux de barbelés pendant que des obus explosent à l’arrière-plan.

Canadiens avançant dans le réseau de barbelés allemands sur la crête de Vimy, avril 1917 (a001087).

Commençons par planter le décor. Avant la bataille de Vimy, le CEC participe à de nombreuses batailles en France et en Belgique. Il se distingue notamment en août et novembre 1916 à Flers-Courcelette (France), à environ 50 kilomètres de Vimy. Sous les ordres du lieutenant-général sir Julian Byng (qui deviendra feld-maréchal et gouverneur général), le CEC devient une force de frappe très efficace. En novembre 1916, les Canadiens se dirigent vers l’est de la ville française d’Arras. De là, ils commencent à préparer l’assaut sur la colline 145, où les forces allemandes ont mis près de trois ans à construire des tranchées lourdement fortifiées.

La bataille de la crête de Vimy commence le 9 avril 1917. Ce n’est pas une opération isolée; elle s’inscrit dans le cadre de la bataille d’Arras. Les Canadiens sont responsables des deux principaux théâtres des combats : la crête elle-même (la colline 145) et le Bourgeon (la colline 119). L’attaque est préparée dans ses moindres détails.

Avant que les Canadiens ne prennent leurs positions, à la fin de novembre 1916, des divisions françaises et marocaines ont déjà tenté de s’emparer de la crête de Vimy. Sans obtenir un succès complet, elles ont tout de même réussi à rapprocher les lignes alliées de la crête. Pendant la bataille de Verdun, les Britanniques prennent le contrôle de ces positions, agrandissant et renforçant les fortifications relativement faibles. Quand le CEC arrive sur le front de Vimy en novembre 1916, il profite de solides fortifications.

Carte montrant un réseau de tunnels et de cratères.

Carte 1 – champ de bataille de Vimy : réseau de tunnels et cratères dans le secteur de la ferme La Folie. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Quand les Canadiens se rendent à Vimy, c’est la première fois que l’ensemble du CEC part au combat. C’est un moment extrêmement important pour les soldats, mais aussi pour la jeune nation. Beaucoup considèrent que c’est le début de la construction d’une identité culturelle et nationale canadienne.

Pour mieux comprendre l’importance de la cartographie dans le cadre des combats, commençons par examiner quelques cartes actuellement exposées au Centre d’accueil et d’éducation du Mémorial national du Canada à Vimy, en France. Des guides canadiens (tous des étudiants dans des universités ou des collèges) y renseignent le public sur la bataille de Vimy, notamment sur les tunnels construits pour soutenir la progression des troupes canadiennes en avril 1917. Les cartes 1 et 2 montrent les tunnels et tranchées creusés pendant la bataille pour le contrôle de la crête.

Carte du champ de bataille de la crête de Vimy.

Carte 2 – Carte moderne du champ de bataille de la crête de Vimy. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Comment les cartes ont-elles été dessinées?

Pour les soldats d’infanterie canadiens, les cartes jouent un rôle crucial : elles aident à se retrouver et à atténuer le chaos dans un environnement où règnent constamment la peur, la confusion et la possibilité d’une mort imminente. Voyons comment les militaires recueillent l’information nécessaire à la création de ces cartes.

Au cours des mois qui précèdent la bataille, le CEC envoie des groupes de soldats dans les tranchées allemandes pour qu’ils en mémorisent la disposition et donnent de l’information sur l’emplacement des fortifications et des armes ennemies. Tantôt restreints, tantôt très imposants (jusqu’à 5 000 hommes ou plus), les groupes d’éclaireurs mènent leurs raids de novembre 1916 jusqu’à la veille de la bataille, en avril 1917. Les raids dans les tranchées sont extraordinairement périlleux, tant pour les attaquants que pour les défenseurs. Ils sont souvent menés de nuit et entraînent parfois de lourdes pertes des deux côtés.

De son côté, le Royal Flying Corps (ancêtre de la Royal Air Force) prend des photos aériennes pour repérer les fortifications et les lieux d’intérêt en prévision de l’assaut.

L’information essentielle ainsi recueillie est consignée sur des cartes détaillées comme la carte 3 ci-dessous. Souvent, les soldats qui ont mené les raids dessinent les cartes à la main, de mémoire.

Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy.

Carte 3 – Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy, en 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Quels étaient les types de cartes?

Carte d’un barrage d’artillerie dans la région de Vimy (France).

Barrage d’artillerie, 1re compagnie d’arpentage, Génie royal, près de Vimy, 1917 (e000000540).

Nous sommes très chanceux d’avoir accès à de nombreuses cartes de la Grande Guerre dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada. Les cartes des tranchées sur le front de l’Ouest comptent parmi les plus populaires auprès des chercheurs. C’est émouvant de penser qu’elles sont le fruit d’énormes efforts, et parfois même du sang versé par des soldats, des ingénieurs et des pilotes. Elles ont été remises à de nombreux officiers subalternes et militaires du rang pour les aider à mener l’attaque du 9 avril 1917.

La première d’entre elles, peut-être la plus importante pour la percée, est celle du barrage d’artillerie. Pendant l’attaque de la crête de Vimy, l’artillerie canadienne, appuyée par de nombreuses unités de campagne britanniques, utilise la tactique du barrage roulant dans le but de paralyser la résistance des forces allemandes pendant que l’infanterie progresse derrière un mur d’obus. Le synchronisme et la précision sont essentiels pour éviter les pertes causées par des tirs amis.

Les unités d’artillerie se servent donc de cartes pour pilonner les lignes allemandes. Les cibles y sont indiquées avec précision, tout comme les quatre principaux objectifs que le CEC doit atteindre entre le 9 et le 12 avril 1917. Les cartes montrent que le barrage roulant doit progresser de 100 mètres toutes les trois minutes pour que les unités d’infanterie puissent suivre le mur de feu. On y trouve aussi des objectifs particulièrement importants, comme des fortifications, des nids de mitrailleuses, des mortiers et des entrepôts de munitions.

Carte détaillée de la crête de Vimy, sur le front de l’Ouest.

Carte en carton de format poche pour soldat d’infanterie, crête de Vimy, 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Les cartes les plus utilisées au cours de l’attaque à Vimy étaient celles remises aux unités d’infanterie. Il s’agissait de copies réduites des grandes cartes employées par les officiers hauts gradés pour planifier l’assaut. Elles comprenaient les objectifs de chaque peloton et compagnie. C’était un outil essentiel pour la planification et l’exécution de l’offensive. Elles aidaient les soldats à rester sur le droit chemin malgré le chaos provoqué par les tirs des canons et des fusils.

La nouvelle politique permettant à chaque soldat de transporter sa propre carte du champ de bataille peut sembler banale à première vue, mais elle a substantiellement contribué à la réussite du CEC lors de la bataille de la crête de Vimy.

Autres ressources

  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.

Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

Par Karyne Holmes

 Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Dans le livrel multilingue interactif De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada, des employés des Premières Nations, Inuit et de la Nation Métisse présentent des centaines d’articles conservés à Bibliothèque et Archives Canada. L’élaboration du livrel a commencé en 2018, peu après mon arrivée à BAC en tant que chercheuse pour l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires. Celle-ci vise à chercher, numériser et décrire les documents relatifs aux Autochtones pour qu’ils soient plus faciles à consulter.

J’ai eu l’honneur d’être invitée à rédiger des essais, ainsi que l’introduction du livrel intitulée « Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue ». Pour écrire l’introduction, j’ai songé à l’impact que peut avoir la découverte de documents familiaux historiques dans la vie d’une personne. Je me suis aussi demandé pourquoi le travail accompli dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires était si important. Je voulais également faire connaître la valeur inestimable de certains projets, comme le livrel et cette initiative de BAC. L’introduction explique enfin que le livrel favorise la connaissance et la réappropriation des langues autochtones.

Deux femmes et une fille debout dans l’herbe. Derrière elles, une peau d’orignal étirée est attachée par des cordes à un cadre en bois. La fille porte un bébé et la femme à gauche tient la main d’un petit enfant. De grands arbres minces ayant perdu leurs feuilles se trouvent à l’arrière-plan.

Des femmes et des enfants denesųłiné debout devant un cadre de tannage de peaux d’orignal, lac Christina (Alberta), 1918 (a017946). Cette photo est présentée dans l’essai « Tannage traditionnel de peaux de caribou et d’orignal dans les collectivités dénées du Nord » rédigé par Angela Code.

Le Comité directeur sur les archives canadiennes a récemment publié le cadre de réconciliation en réponse à l’appel à l’action no 70 lancé par la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Ce rapport reconnaît que « les archives coloniales […] ont largement contribué à la formation d’un récit historique canadien qui privilégie les réalisations de la société de colonisateurs eurocentrique au détriment des identités, expériences et histoires des Premières Nations, des [Inuit et de la Nation Métisse]. » Un des principaux messages transmis dans le cadre est que les archives doivent respecter la souveraineté intellectuelle des peuples autochtones sur les documents créés par ces derniers et les concernant. De plus, ces archives doivent intégrer les points de vue, les connaissances, les langues, les histoires, les noms de lieux et les interprétations des Autochtones.

Le cadre donne des pistes pour intégrer la réconciliation aux pratiques archivistiques qui témoignent du travail amorcé à BAC. Notre publication collaborative De Nations à Nations constitue une précieuse ressource éducative pour montrer l’importance de replacer les archives dans leur contexte afin de faire connaître la grande diversité des points de vue et des expériences des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse.

Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue : introduction du livrel De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada

Pour lire ce billet de blogue en anishinabemowin, visitez le livrel. De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Les documents d’archives et les ressources documentaires des bibliothèques nous donnent un aperçu de la vie et des expériences de nos ancêtres. C’est le cas pour tous les peuples, mais de tels documents revêtent une signification particulière pour les peuples autochtones. Les politiques et les actions coloniales, encore courantes de nos jours, ont séparé nos familles et rompu les liens qui nous unissent aux cultures, aux communautés, aux connaissances et aux récits de nos peuples, tout en nous privant d’y accéder. Les documents d’archives facilitent la découverte de l’histoire des familles et des communautés. Ils contribuent également à raviver des souvenirs et à restaurer le savoir, des réalités que beaucoup de gens ont oubliées en partie pendant l’ère des pensionnats et le retrait forcé des enfants autochtones de leurs familles. Grâce aux documents historiques, chaque personne peut retrouver des pièces manquantes et découvrir de nouvelles informations sur son histoire personnelle et celle de sa communauté. Ces pièces nous permettent de raconter nos histoires dans nos propres mots et de les faire connaître au monde entier.

Un homme et son épouse debout devant un bâtiment. Une de leurs filles est debout à côté de sa mère. Leur fils et leur deuxième fille sont assis devant eux.

Michel Wakegijig et sa famille à l’extérieur de leur résidence, Première Nation Wiikwemkoong, vers 1916 (e011310537-040_s1).

Certes, la valeur des documents historiques est indéniablement reconnue. Toutefois, la majorité des documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada (BAC) ont été créés, recueillis et interprétés selon une perspective coloniale. Par conséquent, de nombreux documents concernant les communautés autochtones ne rendent pas tous les détails et dressent un portrait inexact des faits. En outre, ils sont souvent présentés selon le point de vue et l’intérêt de l’auteur et l’importance qu’il leur accorde. Pour parvenir à mettre en contexte et à interpréter les documents qui concernent les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse, il est essentiel de les jumeler aux connaissances autochtones.

Formulaire textuel avec questions dactylographiées et réponses manuscrites.

Page de la déclaration de Lucie Bellerose pour demander un certificat des Métis, signée à Saint-Albert en 1885. Les certificats numérisés comprennent des renseignements biographiques sur les ancêtres de la Nation Métissse (e011358921).

Les initiatives en cours à BAC donnent aux Premières Nations, aux Inuit et à la Nation Métisse la priorité quant à la gestion du contenu lié aux peuples autochtones. L’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires vient modifier les descriptions de documents d’archives en adoptant une perspective de décolonisation. Afin que les descriptions représentent fidèlement le contenu des documents d’archives, nous y intégrons des noms de lieux, de communautés et de personnes ainsi que des termes culturels. L’initiative Écoutez pour entendre nos voix apporte un soutien aux communautés qui souhaitent contrôler et préserver tout matériel propre aux langues autochtones qui a été créé et hébergé dans ces communautés.

Une femme debout dans la neige. Elle porte un capuchon avec une doublure de fourrure et des bottes couvertes de fourrure qui montent jusqu’aux genoux. Elle tient un sac à main en cuir brun dans sa main gauche.

Jeune femme inuk de Kinngait (anciennement Cape Dorset) portant un parka rouge de style qilapaaq (ourlet droit) ainsi que des kamiik (bottes) avec des ours polaires brodés sur les doublures de laine, Iqaluit, Nunavut (anciennement Frobisher Bay, Territoires du Nord-Ouest) (e011212600). Cette photo a été décrite dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires.

Le présent livrel offre une collection d’archives et de documents publiés qui sont conservés à BAC et qui ont été sélectionnés par des membres de l’équipe de BAC s’identifiant comme faisant partie des Premières Nations, des Inuit ou de la Nation Métisse. Les documents choisis – tirés de transcriptions, photographies, cartes, matériel audiovisuel et publications – mettent en lumière l’importance de notre identité culturelle et reflètent nos expériences personnelles en matière d’apprentissage et de connaissance de notre propre histoire. Les essais du livrel présentent des voix différentes, des perspectives multiples et des interprétations personnelles des documents.

Aquarelle montrant un groupe de personnes accompagnées de deux chiens, debout sur une rivière gelée, dans le coin inférieur gauche. Plusieurs d’entre eux portent des harpons. Un autre chien court en direction du groupe. À l’arrière-plan, quelques petits groupes de personnes, plusieurs chiens et un cheval se tiennent sur la glace. Un fort en bois domine la rive gauche. Quelques bâtiments de bois plus petits se trouvent sur la rive opposée, au loin.

Pêche hivernale sur la glace des rivières Assiniboine et Rouge (à l’emplacement actuel de Winnipeg). Un fort se trouve à l’arrière-plan, Manitoba, 1821 (e011161354). Cette œuvre est présentée dans l’essai « Trois mille ans de pêche sur la rivière Rouge », par William Benoit.

Lorsque cela est possible, une traduction est fournie dans la langue parlée par les personnes dont il est question dans l’essai. Pour les Autochtones, la langue est inextricablement liée à la culture. Les langues autochtones sont exceptionnellement descriptives des objets, des expériences et des émotions, des éléments qui ne peuvent être entièrement expliqués ou traduits en français ou en anglais. Les langues des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse ont été transmises d’une génération à l’autre par les récits, les chants et les expériences liées au territoire. La langue est largement influencée par le paysage physique d’un lieu et ses ressources. Ces éléments ont façonné les vocabulaires autochtones et chaque peuple possède des représentations et des valeurs uniques, propres à sa culture. Partout au Canada, les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse se réapproprient leurs langues pour renouer avec leur histoire, assurer la continuité culturelle et honorer leurs ancêtres en connaissant les langues par lesquelles ces derniers interprétaient le monde.

À noter que l’écriture des langues et des noms des peuples autochtones suit les désirs exprimés par les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse. Les règles grammaticales du français et de l’anglais ne sont donc pas toujours respectées.

Autres ressources de Bibliothèque et Archives Canada


Karyne Holmes est conservatrice à la Division des expositions et des prêts. Elle a aussi été archiviste pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires, visant à numériser les documents relatifs aux Autochtones conservés à Bibliothèque et Archives Canada.

Phil Edwards, le docteur olympien surnommé l’homme de bronze

English version

Par Dalton Campbell

Le docteur Philip Aron « Phil » Edwards a remporté cinq médailles de bronze olympiques dans les années 1920 et 1930. Il s’agissait alors du plus grand nombre de médailles olympiques en carrière remportées par un athlète canadien, et un record canadien qui ne serait battu que 70 ans plus tard.

Un groupe de coureurs masculins pendant une épreuve.

Phil Edwards franchit la ligne d’arrivée (a150990)

Surnommé « l’homme de bronze », Phil Edwards se spécialise dans la course de demi-fond. Il monte sur le podium lors de trois Jeux olympiques : les Jeux de 1928 à Amsterdam (relais 4 x 400 m), les Jeux de 1932 à Los Angeles (800 m, 1 500 m et relais 4 × 400 m) et les Jeux de 1936 à Berlin (800 m).

En 1936, il remporte le premier trophée Lou-Marsh, remis à l’athlète canadien de l’année.

Phil Edwards naît au Guyana, à l’époque où ce pays s’appelle encore la Guyane britannique. Devenu un jeune homme, il émigre aux États-Unis, où il étudie à l’Université de New York et participe à des épreuves d’athlétisme. Sa citoyenneté britannique l’empêche cependant de se joindre à l’équipe olympique américaine. Il est donc invité à se joindre à la délégation canadienne pour les Jeux de 1928. En 1931, il déménage au Canada et s’inscrit à l’Université McGill, où il se joint à l’équipe d’athlétisme.

Un groupe de coureurs masculins pendant une épreuve.

Phil Edwards en première position d’une course aux Jeux olympiques de 1932 (a150989)

Phil Edwards est le premier Canadien noir à remporter une médaille olympique. Pendant la première moitié du 20e siècle, seule une poignée de Canadiens noirs participent aux Olympiques, dont John Armstrong Howard, Sam Richardson et Ray Lewis (qui remporte lui aussi une médaille de bronze aux Jeux de 1932, en tant que coéquipier de Phil à la course à relais).

Les années 1935 et 1936 sont particulièrement fastes dans la vie de Phil Edwards. À l’automne 1935, il mène l’équipe d’athlétisme de McGill à un cinquième championnat universitaire canadien consécutif. Avant les Jeux de 1936 à Berlin, il termine ses études, devenant l’un des premiers diplômés noirs du programme de médecine de l’Université McGill. The Globe and Mail rapporte qu’Edwards est nommé cocapitaine et médecin adjoint de l’équipe olympique canadienne aux Jeux de 1936. À la fin de l’année, il remporte une sorte de triple couronne : il est nommé athlète canadien de l’année, athlète amateur canadien de l’année, et athlète canadien masculin de l’année selon la Presse canadienne.

À Berlin, Phil Edwards remporte une médaille de bronze malgré l’hostilité déclarée du gouvernement nazi allemand, qui utilise l’événement sportif pour répandre sa propagande raciste. D’autres athlètes noirs sortent médaillés de ces jeux, dont les vedettes américaines de l’athlétisme Jesse Owens et Mackenzie « Mack » Robinson, frère aîné de Jackie Robinson.

Lors du voyage de retour au Canada, la délégation canadienne fait escale à Londres, en Angleterre. Phil se voit refuser une chambre à l’hôtel. Par solidarité, le reste de l’équipe quitte l’établissement pour en chercher un où leur coéquipier sera accepté.

En tant que médecin, Edwards se spécialise dans les maladies tropicales et respiratoires. En 1937, il est nommé chirurgien titulaire résident à l’Hôpital général de la Barbade. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il sert l’Armée canadienne en tant que capitaine. Après le conflit, il reprend ses études à McGill et exerce la médecine à l’hôpital Royal Victoria, à Montréal, où il devient le directeur du service de parasitologie. Il participe aussi à un programme de la Croix-Rouge au Congo en 1960.

Un groupe de coureurs masculins pendant une épreuve.

Phil Edwards, deuxième à partir de la gauche, pendant une épreuve des Jeux olympiques de 1932 (a150988)

Phil Edwards participe aussi aux Jeux de 1956 à Melbourne, en Australie, mais cette fois en tant que directeur de l’équipe olympique de la Guyane britannique (le Guyana actuel).

Son record du plus grand nombre de médailles olympiques remportées par un Canadien, soit cinq, tient pendant 70 ans. Ce n’est qu’en 2002 que le patineur de vitesse Marc Gagnon égalise sa récolte. En 2006, la patineuse de vitesse Cindy Klassen bat le record en remportant sa sixième médaille olympique. Quatre ans plus tard, la patineuse de vitesse et cycliste Clara Hughes gagne elle aussi sa sixième médaille.

Phil Edwards meurt en 1971, juste avant son 64e anniversaire. Il laisse dans le deuil son épouse, ses trois filles et ses deux sœurs. Depuis 1972, le trophée commémoratif Phil-A.-Edwards est remis chaque année en son honneur au meilleur athlète canadien en athlétisme. En 1997, Phil Edwards est intronisé au Panthéon des sports canadiens.

Autres ressources

  • Photo de Phil Edwards célébrant la victoire du sprinter canadien Percy Williams, 1928 (a150983)
  • Émission de radio Trans-Canada Matinee, mettant en vedette Phil Edwards (ISN 382550)
  • Entrevue avec Phil Edwards et d’autres athlètes canadiens, à l’émission de radio Crysdale and Company (ISN 382973)
  • Dossier sur Phil Edwards dans le fonds Stanley Grizzle (MIKAN 3728970)
  • Vidéo des Jeux de 1932 (ISN 385532, 331681)
  • Vidéo des Jeux de 1936 (ISN 191253, 300159)
  • Faits saillants des Jeux olympiques de 1932 (ISN 447089)
  • Séquences des Jeux olympiques de 1932 et 1936 (ISN 300321)
  • Faits saillants et séquences des Jeux olympiques de 1936 (ISN 191253, 300159, 33542)
  • Livre : Rapid Ray : The Story of Ray Lewis, par John Cooper (OCLC 49047597)

Dalton Campbell est archiviste à la section Sciences, Environnement et Économie de la Division des archives privées de Bibliothèque et Archives Canada.

Francs-maçons et passe-partout

Par Forrest Pass

Avez-vous déjà étudié un sujet tellement captivant qu’il en vient à vous obséder? Pendant mes recherches pour l’exposition Inattendu! Trésors surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, je me suis plongé dans deux documents de loges maçonniques situées dans l’est de l’Ontario. Je voulais retracer l’histoire d’un magnifique tableau rituel du début du 19e siècle, appelé tableau de loge. De fil en aiguille, cette recherche m’a mené bien loin.

J’étais intrigué par l’étiquette du détaillant, qui se trouvait sur la page de garde d’un livre des règlements de la loge no 28, à Kemptville. Celle-ci avait hérité du tableau d’une ancienne loge qui se réunissait dans les environs de Burritts Rapids. L’étiquette du papetier d’Ottawa Henry Horne contient des éléments typiques d’un marchand de papier : des registres, du papier, des pinceaux, une plume et un petit sceau. Ce sont cependant le compas et l’équerre, au bas de l’étiquette, qui ont attiré mon attention. La ressemblance avec l’emblème maçonnique n’est-elle qu’une coïncidence, ou un moyen discret pour Horne de montrer son appartenance à la franc-maçonnerie?

Gravure montrant un livre ouvert accoté sur des livres et entouré de matériel de papeterie. Du texte est écrit dans le livre : Henry Horne – En gros et au détail – Fabricant de papier – Ville d’Ottawa.

Étiquette du fabricant de papier Henry Horne, tirée du livre des règlements de la loge no 28 à Kemptville – maçonnerie ancienne, libre et acceptée, 1848 (e011782492).

J’ai fouillé la base de données Newspapers.com, qui a numérisé plusieurs journaux d’Ottawa, dans l’espoir de trouver la notice nécrologique de Henry Horne. Celle-ci aurait peut-être confirmé son appartenance à la franc-maçonnerie. Les recherches n’ayant pas été fructueuses, j’ai mis l’étiquette de côté et lancé d’autres projets.

Plusieurs mois plus tard, je suis de nouveau tombé sur l’étiquette « possiblement maçonnique ». Elle se trouvait cette fois sur la page de garde d’un livre de copies de lettres ayant appartenu à Sandford Fleming de 1874 à 1876, lorsqu’il était ingénieur en chef du chemin de fer Intercolonial. L’étiquette est la même, à l’exception du nom de l’entreprise dans le livre : J. Hope & Co. à la place de Henry Horne.

Gravure montrant un livre ouvert accoté sur des livres et entouré de matériel de papeterie. Du texte est écrit dans le livre : J. Hope & Co., fabricant de papier, relieur et importateur, Ottawa.

Étiquette du fabricant de papier et relieur J. Hope & Co., tirée du livre de copies de lettres de Sandford Fleming, janvier 1874-avril 1876 (e011782493).

Le changement de nom s’explique facilement : en 1864, Henry Horne et James Hope s’associent dans la papeterie de Horne. Après la mort de celui-ci, en 1865, Hope prend les rênes de l’affaire. Il était facile de modifier l’étiquette puisque l’impression avait été effectuée à l’aide de l’ingénieux procédé de la gravure à encoche.

Ces gravures existent depuis les débuts de l’imprimerie à caractères mobiles. Les premiers exemples sont des passe-partout, des clichés d’imprimerie décoratifs comprenant un espace vide dans lequel le compositeur peut insérer n’importe quel caractère standard. Ils permettent aux imprimeurs économes d’insérer des initiales décoratives sans acheter des caractères différents pour chacune des lettres de l’alphabet.

Coupure de journal montrant comment l’imprimeur pouvait insérer la lettre décorative de son choix dans un cercle vide.

Initiales passe-partout sur la première page de La Gazette de Québec du 5 mai 1791. L’imprimeur pouvait insérer n’importe quelle lettre (ici, un Q et un P) dans le passe-partout afin de créer une initiale décorative (e011782495).

À partir des années 1800, des gravures à encoche plus élaborées s’ajoutent aux caractères d’imprimerie. Alors qu’un passe-partout ne contient de la place que pour une lettre, les gravures du 19e siècle peuvent accueillir un mot entier, une adresse ou un message. Une toute nouvelle technique, la galvanotypie, consiste à placer une fine couche de cuivre, traversée par un courant électrique, dans un moule employé pour la fonte de caractères. Grâce à cette méthode, un seul cliché en bois permet de produire des milliers de gravures à encoche identiques et durables. Ainsi, les imprimeurs du monde entier peuvent utiliser les mêmes gravures. Ces clichés d’imprimerie sont en quelque sorte les ancêtres des générateurs de mèmes du 21e siècle : une image dont le texte peut être modifié selon les besoins des imprimeurs et de leurs clients.

Dix images d’un catalogue contenant suffisamment d’espace blanc pour insérer un message.

Exemples de gravures à encoche dans un catalogue montréalais de 1865 destiné aux fondeurs de caractères imprimés. Les imprimeurs pouvaient insérer des caractères dans les encoches afin de créer des étiquettes, des cartes professionnelles, des publicités ou des annonces personnalisées pour leurs clients (e011782494).

Comme les étiquettes de Henry Horne et de Hope and Co. ont probablement été imprimées à partir de la même gravure à encoche, j’ai tenté d’en trouver la source. Une recherche de l’étiquette sur Google Lens donne une version vierge de la gravure provenant d’une banque d’images. Selon cette source, l’image proviendrait du catalogue de 1882 d’un fabricant de presses à imprimer new-yorkais. Malheureusement, la gravure ne se trouve dans aucune des versions numérisées du catalogue. J’étais de nouveau dans une impasse.

Puis, la chance a tourné. Une publicité parue dans l’Ottawa Citizen à l’époque du partenariat entre Henry Horne et James Hope (1864-1865) comportait la même gravure, cette fois avec la signature « Whitney & Jocelyn, N.Y. »

Publicité comprenant la gravure à encoche avec un livre ouvert.

Publicité du fabricant de papier Horne & Hope parue à la page 3 de l’Ottawa Citizen du 12 août 1865.

Les graveurs et galvanoplastes Elias J. Whitney et Albert Higley Jocelyn n’ont été associés que de 1853 à 1855 environ. Ils ont ensuite poursuivi leur chemin séparément et créé de nombreux produits, comme des plaques d’impression pour les illustrations dans les livres et les périodiques, des timbres-poste, des certificats d’obligation, des feuilles de protection pour montres à gousset (comprenant des numéros et des inscriptions) et des étiquettes de papetiers. Whitney dirige la Brooklyn Academy of Design, tandis que Jocelyn fait breveter une nouvelle technique de production d’ardoise factice pour tableaux noirs – un marché lucratif à une époque où les écoles poussent comme des champignons en Amérique du Nord en raison de l’arrivée massive d’Européens et des lois sur l’instruction obligatoire.

Aucune information ne laisse croire que ces graveurs étaient francs-maçons. Par contre, un graveur n’ayant pas peur des imitations a peut-être considéré le compas et l’équerre comme une allusion à la franc-maçonnerie.

Publicité d’un éditeur utilisant la gravure à encoche avec le livre ouvert, mais sans le compas et l’équerre, qui pouvaient être perçus comme une allusion à la franc-maçonnerie.

Publicité produite par le graveur D. T. Smith pour le compte d’un éditeur et libraire de Boston. La gravure avec encoche est semblable à celle qui se trouve sur les étiquettes précédentes. Source : Annual of Scientific Discovery: or, Yearbook of Facts in Science and Art for 1861 (Boston : Gould and Lincoln, 1861), consulté sur Internet Archive.

Les graveurs copiaient et adaptaient fréquemment les produits de leurs concurrents. Une autre gravure extrêmement semblable apparaît dans une publicité d’une librairie de Boston datant de 1861. Certains détails, comme l’emplacement du petit pot portant l’inscription « Wafers », laissent croire que le graveur, D. T. Smith, s’est inspiré de l’œuvre de Whitney & Jocelyn. Par contre, Smith a retiré plusieurs éléments, dont le compas et l’équerre. Voulait-il simplifier le dessin ou éliminer une référence possible à la maçonnerie?

Malgré tout ce que j’ai pu trouver sur les passe-partout et les gravures, le mystère reste entier. Une petite lacune dans nos connaissances qui sera peut-être comblée un jour… comme une encoche!

Autres ressources


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des Expositions de Bibliothèque et Archives Canada.