Les Amis de BAC et les trésors trouvés à la librairie Le Recoin/Cubby

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Par Evan Dalrymple

Nombreux sont ceux qui connaissent l’Association des amis de la Bibliothèque publique d’Ottawa et ses librairies à Ottawa, mais les Amis de Bibliothèque et Archives Canada et leur librairie Le Recoin sont l’un des secrets les mieux gardés du 395, rue Wellington. Pour ceux qui connaissent, c’est un vrai trésor!

Deux fois l’image d’un livre représentant une personne. Le livre ouvert constitue la tête, et deux mains tiennent les coins inférieurs de la couverture. Au-dessus de l’image de gauche, on peut lire « The Cubby Friends of LAC BOOKSTORE gently used books ». Sous l’image de droite, on peut lire « Le Recoin LIBRAIRIE Les Amis de BAC livres légèrement usagés ».

Le logo de la librairie des Amis de Bibliothèque et Archives Canada, dérivé de la murale d’Alfred Pellan intitulée La Connaissance/Knowledge. La fresque originale se trouve dans la salle Pellan de l’édifice des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale, au 395, rue Wellington, à Ottawa (MIKAN 4932244).

La librairie Le Recoin est ouverte tous les mardis de 10 h à 15 h dans la salle 185 au rez-de-chaussée de l’édifice des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale. Je vous invite à visiter Le Recoin en personne ou en ligne pour trouver la prochaine perle à ajouter à votre bibliothèque personnelle.

Histoire des « Amis » à Ottawa

Du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, les associations d’amis prolifèrent dans les bibliothèques, les archives et les musées du Canada. À Ottawa en particulier, des associations d’amis voient le jour au Musée des beaux-arts du Canada (1958), au Musée canadien de la guerre (1988) et à la succursale principale de la Bibliothèque publique d’Ottawa (1982), laquelle est sans doute la plus connue de ces associations.

L’association des Amis de la Bibliothèque nationale du Canada est fondée en 1991 par Marianne Scott, ancienne bibliothécaire nationale du Canada (de 1984 à 1999) et actuelle présidente des Amis de Bibliothèque et Archives Canada.

En 2003, les Amis de la Bibliothèque nationale du Canada et les Amis des Archives nationales du Canada fusionnent pour former une seule organisation – les Amis de Bibliothèque et Archives Canada ou Amis de BAC – en prévision de la fusion des Archives nationales avec la Bibliothèque nationale, qui s’est produite en mai 2004 avec la proclamation officielle de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada.

Le bulletin des Amis de la Bibliothèque nationale du Canada, Entre Amis, publié de 1992 à 2008, montre clairement que les ventes de livres, les boutiques et les ventes aux enchères de livres anciens ont été des moyens extrêmement efficaces de communiquer avec le grand public et d’enrichir la collection de la Bibliothèque nationale.

Couvertures d’un bulletin et d’un dépliant comportant de l’écriture et un logo.

Le bulletin Entre Amis et le dépliant The Friends of the National Library of Canada (OCLC 1082162430 et OCLC 61127762).

La promotion des dons et des cadeaux de trésors et la collecte de fonds pour des acquisitions spéciales sont au cœur de la mission des Amis.

De son côté, l’association des Amis des Archives nationales est constituée en 1995, alors sous la direction de Jean-Pierre Wallot (de 1985 à 1997), et publie son propre bulletin aussi intitulé Entre Amis. Les Archives nationales disposent elles aussi d’une boutique, mais on en sait moins sur ses activités.

Les grandes ventes de livres et les ventes aux enchères de livres anciens des Amis de BAC

La vente gigantesque annuelle de livres de la Bibliothèque publique d’Ottawa est bien connue, mais saviez-vous que les Amis de Bibliothèque et Archives Canada organisaient jadis leur propre « grande vente de livres », qui connaissait un énorme succès? Ces ventes de livres, en plus de celles des associations d’amis de la Bibliothèque publique de Nepean, de la Bibliothèque publique de Kanata, de la Bibliothèque publique de Cumberland et de libraires locales, attirent les foules à Ottawa depuis plus d’une décennie. Même avant leur regroupement en 2003 pour créer l’Association des amis de la Bibliothèque publique d’Ottawa, les associations d’amis étaient florissantes dans plusieurs bibliothèques publiques du Grand Ottawa.

Photographie de personnes feuilletant des livres placés sur des tables dans un centre commercial.

La première vente de livres au centre commercial St. Laurent, photo tirée de la publication Entre Amis, volume 4, no 1, hiver 1995 (OCLC 1082162430).

La première grande vente de livres se déroule du 23 au 25 septembre 1995 au centre commercial St. Laurent. Selon le comité de vente de livres, l’événement connaît un succès retentissant à tous points de vue. Il permet de récolter 17 164,49 $, et 423 livres sont donnés à la Bibliothèque nationale. Les années suivantes, les Amis parviennent souvent à doubler, voire à tripler cette somme.

Les Amis de Bibliothèque et Archives Canada lancent leur première vente aux enchères de livres anciens à l’hiver 2000 et poursuivent cette activité jusqu’aux environs de 2008. Comme c’est le cas aujourd’hui, tous les dons de livres canadiens sont mis de côté et examinés par un membre du personnel de la Bibliothèque nationale avant d’être intégrés à la collection. Les Amis réservent leurs livres les plus rares pour les ventes aux enchères de livres anciens. Aujourd’hui, les Amis de BAC présentent une sélection de livres dans leur boutique en ligne. Les offres sont irrésistibles, alors, laissez-vous tenter!

L’histoire de la librairie Le Recoin

Initialement connue sous le nom de « Boutique des Amis », la librairie Le Recoin démarre en 1993 sous la forme d’une boutique éphémère dans le hall d’entrée de l’édifice des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale. Elle était ouverte de 11 h à 15 h tous les jours du 1er juin à la fin du mois d’août.

Page d’un catalogue portant le titre « Boutique des Amis », une photo qui montre de la marchandise en haut à droite, des descriptions de la marchandise et un formulaire de commande dans le bas.

Merci d’être un Ami! Le catalogue de l’automne 1996 présente la nouvelle Boutique des Amis qui vend des articles intéressants (OCLC 1082162430).

La boutique est tenue par deux bénévoles qui font également des visites guidées de la Bibliothèque nationale en anglais et en français. La boutique propose un choix remarquable d’articles, notamment des cartes postales, des affiches, des CD de musiciens canadiens célèbres, ainsi que des bandes magnétiques de la Division de la musique de la Bibliothèque nationale. Les t-shirts et les sweatshirts portant l’inscription « WOW », pour Wellington Street West, sont particulièrement recherchés. Un grand nombre de ces articles populaires sont encore vendus à la librairie Le Recoin. De plus, des cartes de membre des Amis de Bibliothèque et Archives Canada sont disponibles – n’hésitez pas à devenir membre dès aujourd’hui!

En 2014, la division des ventes de livres des Amis déménage dans la salle 185 du 395, rue Wellington, attenante à la salle de réunion Morley-Callaghan. Le sous-sol abrite désormais un vaste espace d’entreposage dédié au tri d’une vaste collection de livres, ainsi qu’un bureau où le personnel de Bibliothèque et Archives Canada peut évaluer méticuleusement chaque don.

En 2017, la librairie des Amis de Bibliothèque et Archives Canada, affectueusement appelée Le Recoin, fait ses débuts. Le Recoin propose des livres d’occasion, et les recettes servent à financer l’acquisition de documents sur le Canada pour BAC. Le magasin, ouvert trois jours par semaine, renforce sa renommée en organisant une grande vente annuelle de livres et en ouvrant ses portes au public lors d’occasions spéciales, notamment la fête du Canada.

En 2019, la librairie Le Recoin dispose de plus de dix bénévoles et d’un fonds de 3 000 $, qui lui permet d’acheter des ouvrages importants comme l’édition rare du livre Adventures of a Field Mouse, de Catharine Parr Traill, et l’ouvrage le plus connu de Stephen Leacock, Sunshine Sketches of a Little Town, dans son édition américaine avec la jaquette d’origine.

En 2020, la pandémie de COVID-19 entraîne la fermeture de la librairie Le Recoin, mais qu’à cela ne tienne, les Amis de BAC se tournent vers la vente en ligne de livres anciens. Alors, soumettez vos offres!

Trésors trouvés à la librairie Le Recoin

Dans la salle principale de la librairie Le Recoin se trouve une section dédiée au Canada français, y compris un espace consacré à l’histoire du Canada français, dont une grande partie des ouvrages provient de Jean-Pierre Wallot, ancien archiviste national du Canada, de 1985 à 1997. Jean-Pierre Wallot était un bibliophile passionné qui avait lui-même constitué une impressionnante collection de livres.

À ma deuxième journée de travail à Bibliothèque et Archives Canada, j’ai découvert par hasard le livre Les imprimés dans le Bas-Canada, 1801-1810, par John Ellis Hare et Jean-Pierre Wallot (OCLC 231788329) à la librairie Le Recoin. L’exemplaire est même signé par Jean-Pierre Wallot! Cette trouvaille revêt pour moi une importance particulière, car elle s’ajoute à une autre édition que j’ai chez moi, annotée par John Ellis Hare.

Vous pouvez acheter un exemplaire du livre Les imprimés dans le Bas-Canada dès aujourd’hui à la boutique en ligne de la librairie Le Recoin.

Découverte incroyable, sur un chariot à l’extérieur de la librairie Le Recoin, j’ai trouvé Dollard est-il un mythe? autographié par le chanoine Lionel Groulx et dédicacé à Jean-Pierre Wallot (OCLC 299866171)! Cela a ajouté une nouvelle couche à ma compréhension de l’histoire du Canada français.

Couverture de livre portant le nom de l’auteur, « Chanoine Lionel Groulx », le titre Dollard est-il un mythe? et l’image du buste d’un homme aux cheveux longs.

Dollard est-il un mythe? autographié par le chanoine Lionel Groulx et dédicacé à Jean-Pierre Wallot (OCLC 299866171).

Les travaux de Jean-Pierre Wallot ont été fortement influencés par l’École historique de Montréal, et l’idéologie de Lionel Groulx témoigne de la richesse du discours historique de l’époque.

Enfin, dans la section de Jean-Pierre Wallot, j’ai depuis recueilli des livres de l’École historique de Montréal, des ouvrages de Michel Brunet, Maurice Séguin et Guy Frégault, qui tous portent la signature de Jean-Pierre Wallot et contiennent ses remarques et corrections personnelles.

Les imprimés dans le Bas-Canada a valu au duo Hare et Wallow la Médaille Marie-Tremaine de la Société bibliographique du Canada en 1973. Les deux historiens sont ainsi les premiers à avoir reçu ce prix prestigieux après celle qui lui a donné son nom, Marie Tremaine elle-même.

Photographie d’étagères remplies de livres.

La section Jean-Pierre Wallot, ancien archiviste national du Canada, dans la librairie Le Recoin. Photo gracieuseté de l’auteur, Evan Dalrymple.

Il existe des fonds d’archives à BAC portant sur John Ellis Hare et Jean-Pierre Wallot, ainsi que sur la conceptrice de la médaille Marie-Tremaine, Dora de Pédery-Hunt (MIKAN 4699607 / MIKAN 192150).

John Ellis Hare et Jean-Pierre Wallot n’étaient pas seulement de grands lecteurs et d’éminents collectionneurs de livres, mais aussi des historiens qui ont défendu l’idée que les imprimés, les journaux et les livres devaient être considérés comme des sources historiques primaires (se reporter aux articles « Reflexions on Making a Bibliography » et « Society and Imprints » [en anglais]).

Certains ouvrages de littérature canadienne-française de ma collection personnelle ne font pas partie des collections de BAC et ne sont pas disponibles dans d’autres librairies ou bibliothèques. Beaucoup de livres de ma collection sont des exemplaires idéaux; ils sont souvent signés ou marqués par l’auteur et sont en excellent état, souvent avec la jaquette d’origine ou une reliure de qualité.

Au Recoin, je trouve souvent des livres parfaits pour enrichir ma collection personnelle. La majeure partie des documents de ma collection d’histoire canadienne-française comprend des ex-libris de John Ellis Hare ou de Jean-Pierre Wallot.

Dons aux Amis de Bibliothèque et Archives Canada

Au fil des ans, j’ai fait don de livres à des bibliothèques de collections spéciales comme Archives et collections spéciales à l’Université d’Ottawa, et j’ai préservé ma collection avec l’aide de certains membres de Bibliothèque et archives Jean-Léon-Allie et de catalogueurs de l’Université d’Ottawa. De fait, de nombreux trésors de la salle des livres rares de Bibliothèque et Archives Jean-Léon-Allie contiennent également des ex-libris de John Ellis Hare.

J’achève le catalogage de ma collection et j’envisage de faire un don important à la Bibliothèque nationale et à la librairie Le Recoin des Amis de Bibliothèque et Archives Canada.

Le prochain chapitre de la librairie Le Recoin/Cubby

À Ādisōke, une installation partagée par la Bibliothèque publique d’Ottawa et Bibliothèque et Archives Canada, la construction avance à grands pas. Ādisōke est un mot anishinaabemowin qui signifie « raconter des histoires », et l’endroit promet d’être une plaque tournante pour notre communauté. La question est de savoir ce qu’il adviendra de notre librairie Le Recoin.

S’agira-t-il d’une charmante boutique éphémère comme elle l’a été autrefois, avec ses « grandes ventes de livre » et ses ventes aux enchères, ou tracera-t-on une nouvelle voie? Le regroupement de la Bibliothèque publique d’Ottawa et de Bibliothèque et Archives Canada pourrait voir renaître l’esprit de collaboration dont nous nous souvenons bien.

Alors qu’un nouveau chapitre s’ouvre pour les Amis de BAC et que nous découvrons le nouvel espace de rassemblement qui verra le jour à Ādisōke, nous avons hâte de découvrir les nouveaux trésors qui nous attendent.

Pour conclure, trouvez vos propres trésors lors de la grande vente de livres de la librairie Le Recoin qui aura lieu à BAC pendant l’événement Portes ouvertes Ottawa, les 1er et 2 juin 2024. Cela marquera également 31 ans de vente de livres – alors, rendez-vous au Recoin!

Pour communiquer avec la librairie Le Recoin, envoyez un courriel à amis-friends@bac-lac.gc.ca ou composez le 613-992-8304.

Pour en savoir plus


Evan Dalrymple est bibliothécaire de référence à la Direction générale de l’accès et des services de Bibliothèque et Archives Canada, au 395, rue Wellington, à Ottawa.

Bibliothèque et Archives Canada fait l’acquisition d’un livre ancien

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Par Meaghan Scanlon

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a récemment fait l’acquisition d’un exemplaire du livre Relation de ce qvi s’est passé en la mission des pères de la Compagnie de lésvs aux Hurons, pays de la Nouuelle France, és années 1648. & 1649, grâce au soutien de la Fondation de Bibliothèque et Archives Canada.

Publié à Paris en 1650, ce livre fait partie d’une série de publications connues sous le nom de Relations des jésuites. Il s’agit de rapports écrits par des missionnaires jésuites établis en Nouvelle-France. Publiés annuellement de 1632 à 1673, ces rapports renseignaient les supérieurs des missionnaires, en France, sur les progrès des missions. Les Relations ainsi publiées ont rejoint un vaste lectorat et ont contribué à renforcer l’appui de la population française aux efforts des jésuites en Nouvelle‑France. Même si les Relations doivent être interprétées dans le contexte colonial de l’époque, elles n’en demeurent pas moins des documents importants qui relatent l’histoire de la Nouvelle-France. Elles constituent une source d’information précieuse – bien que partiale et revue en profondeur – sur les peuples autochtones qui vivaient dans la région alors appelée la Nouvelle‑France, ainsi que sur leurs premières interactions avec les missionnaires colonisateurs venus d’Europe.

L’ouvrage acheté par BAC est la première édition de la Relation de ce qui s’est passé en 1648 et 1649. On attribue sa rédaction à Paul Ragueneau, le supérieur de la mission jésuite dans le territoire du peuple huron-wendat. Le rapport traite d’événements historiques notables, notamment le conflit entre les Haudenosaunee (Iroquois) et les Hurons, qui a entraîné la destruction de la mission des jésuites sur le territoire huron (Wendake) par les Haudenosaunee, ainsi que de la mort des jésuites Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant, par la suite canonisés par l’Église catholique.

La collection de livres rares de BAC est principalement constituée d’ouvrages Canadiana publiés avant 1867. (BAC définit Canadiana comme des publications produites au Canada, portant sur le Canada ou créées par des personnes originaires du Canada ou ayant des liens avec le Canada.) La collection de livres rares de BAC comprend une collection exceptionnelle d’environ 65 numéros des Relations des jésuites. Bien que BAC n’ait pas d’exemplaire du premier rapport, publié en 1632, il possède au moins un exemplaire de chaque édition pour presque chacune des années qui ont suivi.

Les Relations des jésuites sont aujourd’hui considérées comme des livres rares « importants ». Toutefois, lors de leur publication, ils relevaient probablement davantage de la littérature de masse. Cette perception historique découle de la façon dont les exemplaires de la collection de BAC sont reliés. La reliure de plusieurs livres est en vélin souple . Contrairement à la reliure à couverture rigide qui est collée sur un carton, la reliure souple ne contient pas de carton. Le livre ancien à reliure souple est en quelque sorte l’ancêtre du livre de poche, à la différence que sa couverture est généralement faite de peau d’animal plutôt que de papier. La plupart des exemplaires des Relations des jésuites que BAC possède ont une couverture faite de peau de vélin, d’où le terme vélin souple.

Tout comme les livres de poche modernes coûtent habituellement moins cher que ceux à couverture rigide, les reliures souples constituaient une option plus modique pour les acheteurs de livres du XVIIe siècle. La plupart des exemplaires des Relations des jésuites de la collection de BAC sont également modestes et dénués de décoration, outre le titre écrit à la main à l’encre sur le dos, un autre détail qui laisse penser qu’ils étaient peu coûteux. De plus, ils étaient généralement très petits, mesurant quelque 20 centimètres de hauteur.

En fait, la nouvelle acquisition est si légère que la personne qui l’a livrée à BAC avait l’impression que la boîte était vide! Sa reliure est elle aussi faite de vélin souple. Fait intéressant à souligner, la couverture en vélin a été fabriquée à partir d’une ancienne partition qui semble dater du XVIe ou du XVIIe siècle. À l’époque, il était courant pour les relieurs d’utiliser des matériaux mis au rebut, comme des pages de vieux manuscrits. Bien sûr, le recyclage permet de réduire les coûts, et une couverture faite de vélin réutilisé est un autre signe que le livre en question était considéré comme un article « bon marché ».

Certains signes laissent toutefois croire que cette reliure ne date pas de l’époque de la publication du livre. En effet, les pages de garde sont faites d’un papier différent et plus récent que celui utilisé pour le cahier (pages du texte). Les marges des pages sont également très étroites, ce qui indique que les pages ont été rognées, vraisemblablement lorsque le livre a été relié de nouveau.

Les modifications précises qui ont été apportées à ce livre au fil du temps sont un mystère que les restaurateurs de livres de BAC tenteront d’élucider. Cependant, si le livre a été relié à neuf à un certain moment au cours des quelque 400 ans qui se sont écoulés depuis sa publication, comme cela semble être le cas, la personne qui a fait le travail s’est efforcée d’utiliser des matériaux et des techniques fidèles à ceux qui étaient en usage lorsque le livre a été initialement publié.

Photographie montrant un petit livre relié avec un morceau de vélin sur lequel sont écrites des notes de musique à l’encre rouge et noire dans un style calligraphique. Le vélin semble dater du XVIe ou du XVIIe siècle.

Couverture du deuxième exemplaire détenu par BAC du livre Relation de ce qvi s’est passé en la mission des pères de la Compagnie de lésvs aux Hurons, pays de la Nouuelle France, és années 1648. & 1649, publié à Paris par l’éditeur Sébastien Cramoisy en 1650 (OCLC 1007175731).

Ressources complémentaires


Meaghan Scanlon est bibliothécaire principale des collections spéciales à la Division des acquisitions publiées de Bibliothèque et Archives Canada.

Attendez-vous à des surprises!

Par Forrest Pass

Qu’est-ce que des cartographes inuit, le compositeur allemand Ludwig van Beethoven, un célèbre faussaire de timbres italien et des espions soviétiques peuvent bien avoir en commun? C’est simple : tous ont des œuvres conservées dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada! Leurs artefacts, et bien d’autres encore, sont présentés dans l’exposition Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, inaugurée au Musée canadien de l’histoire le jeudi 8 décembre 2022. Les visiteurs auront le privilège d’admirer de nombreux articles que l’on ne s’attend guère à retrouver dans la bibliothèque et les archives nationales du Canada.

Quelque 40 documents originaux, cartes, photographies, livres rares et œuvres d’art sont au menu. Les lecteurs assidus du blogue savent déjà que les chercheurs et notre personnel trouvent souvent des surprises dans la collection, une source inépuisable d’histoires insolites à raconter. Inattendu! vous propose de grands classiques, mais aussi de nouvelles trouvailles qui n’avaient encore jamais été exposées.

Papier ligné portant du texte manuscrit à l’encre noire, avec des mots biffés en rouge.

Un agent secret reçoit des directives de ses supérieurs. En 1945, les autorités canadiennes reçoivent des documents d’espionnage soviétiques comme celui-ci, ce qui contribue au déclenchement de la Guerre froide. (e011316511_s1)

L’exposition se divise en trois thèmes. Le premier, « Merveilles », présente des artefacts qui intriguent ou fascinent leur public depuis leur création. Les visiteurs apprendront comment une composition manuscrite de Beethoven a abouti au Canada et découvriront à quoi ressemblait la réalité virtuelle au 18e siècle. En outre, deux visions opposées de l’Arctique seront présentées : celle d’un cartographe européen qui n’a jamais visité la région, mais qui pallie cette lacune avec une vive imagination, et celle de deux cartographes inuit profondément enracinés dans ce territoire.

Une rue où se trouvent des bâtiments roses, verts et beiges, des soldats, un chien, un cheval et un chariot.

La perspective adoptée sur ce dessin imaginaire d’une rue de Québec apparaît en trois dimensions lorsqu’elle est regardée à l’aide d’un zograscope. Un appareil de ce type a été reconstitué pour l’exposition afin que les visiteurs puissent vivre une expérience de réalité virtuelle fort à la mode dans les années 1770. (e011309357)

Dans le deuxième thème, « Secrets », l’exposition examine comment et pourquoi les gens gardent des secrets, et comment ils s’y prennent pour les divulguer aux personnes qui ont besoin de savoir. Les visiteurs pourront déchiffrer une lettre d’amour codée, s’interroger sur le symbolisme d’un tableau rituel maçonnique peint il y a des siècles, et comprendre pourquoi un archiviste fédéral a tenté d’inscrire des chats sur la liste de paie du gouvernement.

Le troisième et dernier thème, « Mystères », propose des questions non résolues. Les visiteurs auront la chance d’analyser un dossier d’enquête sur un OVNI et de contempler la « carte dans une tête de fou », imprimée au 16e siècle. Probablement l’une des cartes les plus étranges jamais dessinées!

Deux timbres jaunes placés en diagonale sur une page. Une étampe à l’encre bleue est apposée sur chacun.

Un de ces timbres de 1851 du Nouveau-Brunswick est une contrefaçon. Pouvez-vous le reconnaître? (e011309360 et e011309361)

Certains artefacts de l’exposition sont amusants, d’autres sont étranges, et d’autres encore suscitent la réflexion. Mais tous révèlent quelque chose d’important sur le passé, pourvu qu’on ne s’arrête pas à leur côté insolite. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont fait leur chemin jusqu’à la collection de Bibliothèque et Archives Canada!

Inattendu! est le dernier volet d’une série d’expositions organisées par Bibliothèque et Archives Canada en partenariat avec le Musée canadien de l’histoire. En tant que conservateur, j’ai eu le plaisir et l’honneur de collaborer avec une équipe multidisciplinaire réunissant des professionnels des expositions et des collections des deux institutions. En plus d’accueillir l’exposition, le Musée a exploité son expertise du développement créatif et de la scénographie pour créer une ambiance rappelant celle des romans policiers et des films d’espionnage du milieu du siècle dernier. Il a aussi créé des éléments interactifs pour aider les visiteurs à mieux comprendre et apprécier les artefacts.

Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada sera à l’affiche au Musée canadien de l’histoire jusqu’au 26 novembre 2023. Au cours des prochains mois, ce blogue et les comptes de médias sociaux de Bibliothèque et Archives Canada donneront plus de détails sur les formidables trésors exposés. C’est à ne pas manquer!


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des Expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Pas besoin de gants blancs

Par Alison Harding-Hlady

On nous demande souvent pourquoi nos restaurateurs et nos bibliothécaires ne mettent pas de gants lorsqu’ils manipulent des livres rares ou fragiles. Question pertinente puisque, dans les films et les séries télévisées, les restaurateurs de livres rares portent toujours des gants blancs pour manipuler des artéfacts inestimables. C’en est devenu une scène emblématique! Mais la réponse à cette question est simple : c’est mieux pour les livres!

Il faut bel et bien se servir de gants protecteurs pour travailler avec certaines archives, dont des œuvres d’art ou des photographies. Toutefois, pour les livres rares, les normes de l’industrie recommandent les mains nues, propres et sèches. Les guides (en anglais seulement) publiés par la Bibliothèque nationale britannique et la Bibliothèque du Congrès ne se contentent pas de préconiser la manipulation des documents à mains nues : ils déconseillent les gants, qui peuvent être plus nuisibles qu’utiles.

Avez-vous déjà essayé de lire un livre ou d’accomplir une tâche de motricité fine avec des gants? C’est impossible! Il est beaucoup plus difficile de contrôler ses mouvements ou de tourner les pages. Vous avez donc plus de chance d’échapper le volume, de déchirer une page ou de causer d’autres dommages. Lorsqu’un restaurateur effectue une réparation délicate et complète, il faut absolument qu’il puisse toucher au papier et faire preuve d’une grande dextérité.

Photo couleur d’une personne se tenant debout devant une table dans le laboratoire de restauration des livres, réparant le dos d’un volume.

Manise Marston, restauratrice de livres en chef, travaillant dans le laboratoire des livres de BAC.

Les gants ne sont pas toujours propres et peuvent laisser des peluches ou de la saleté sur les livres. Ils peuvent aussi réchauffer les mains, et leur coton mince ne bloque habituellement pas la sueur. De plus, la reliure et les pages d’un livre sont robustes et conçues pour être touchées. N’oubliez pas que les livres rares ajoutés à la collection sont fréquemment manipulés depuis des siècles. Avec un peu de soin et de
prudence, d’innombrables personnes pourront en faire autant pendant des centaines d’années encore!

Photo couleur en gros plan montrant des mains qui tiennent un livre somptueusement décoré.

Détail d’une édition de 1758 de Paradise Lost conservée dans la collection des livres rares de BAC. No OCLC : 228137

Bien entendu, des précautions sont nécessaires pour manipuler des livres rares. Les mains doivent être propres et sèches; les crèmes et tout autre produit sont à éviter. Il faut se servir de porte-livres ou de supports adéquats, tourner les pages lentement et ne jamais ouvrir un volume au point de faire forcer sa reliure et son dos. Il est important de manipuler le livre le moins possible, toujours avec le plus grand soin.

Faut-il parfois mettre des gants? Oui. Si l’ouvrage comprend des œuvres d’art ou des photos originales, si la reliure contient des éléments en métal ou d’autres matériaux inhabituels, ou s’il semble y avoir un contaminant quelconque, comme de la moisissure, le port de gants peut être conseillé. Cependant, la pratique courante à BAC et dans les institutions semblables ailleurs dans le monde consiste à ne pas porter de gants pour manipuler ces articles à la fois magnifiques, précieux et fascinants de notre collection.

Photo couleur de deux pages de texte illustrées dans un ouvrage ancien.

Un exemplaire de 1482 du livre Elementa d’Euclide, conservé dans la collection des livres rares de BAC. No OCLC : 1007591701


Alison Harding-Hlady est bibliothécaire principale au catalogage et responsable des livres rares et des collections spéciales à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Les premières presses du Canada

Par Meaghan Scanlon

En visitant l’exposition Première : Nouveautés à Bibliothèque et Archives Canada, vous aurez l’occasion de voir deux artefacts de la collection de livres rares de Bibliothèques et Archives Canada. Le premier est un court ouvrage médical publié à Québec en 1785 au sujet des symptômes et du traitement d’une maladie qui semble être une forme de syphilis. Le second est une proclamation sur les droits de pêche des Français émise par le gouverneur de Terre-Neuve en 1822.

Photo couleur d’un livre ouvert à la page titre, où on peut lire « Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul. A Quebec : Chez Guillaume Brown, au milieu de la grande côte. M, DCC, LXXXV. »

Page titre du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul, imprimé par Guillaume (William) Brown, Québec (Québec), 1785. (AMICUS 10851364)

De prime abord, ces publications ont peu en commun. Or, un lien historique intéressant les unit : toutes deux ont été produites par les pionniers de l’imprimerie dans leurs provinces respectives. Guillaume Brown, éditeur du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul, ainsi que son partenaire Thomas Gilmore deviennent en effet les premiers imprimeurs du Québec lorsqu’ils s’installent dans la ville du même nom, en 1764. John Ryan, à qui l’on doit l’affiche de Terre-Neuve, mérite quant à lui l’honneur d’être le premier imprimeur de deux provinces : il pratique déjà le métier à Saint John avec son partenaire William Lewis lorsqu’est fondé le Nouveau-Brunswick, en 1784. En 1806, il déménage à St. John’s (Terre-Neuve) et y ouvre la première imprimerie de l’île.

Document en noir et blanc proclamant le droit, pour les pêcheurs français, de pêcher au large de Terre-Neuve sans être gênés ou harcelés par les sujets britanniques (droit qui leur fut accordé en vertu du traité de Paris, qui entérinait lui-même celui d’Utrecht). La proclamation enjoint les officiers et les magistrats à faire respecter ce droit, et signale que des mesures pourraient être prises contre les pêcheurs britanniques qui ne s’y conforment pas.

By His Excellency Sir Charles Hamilton… a proclamation, imprimé par John Ryan, St. John’s (Terre-Neuve), vers 1822. (AMICUS 45262655)

Vers 1454, Johannes Gutenberg termine sa célèbre bible à Mayence, en Allemagne, faisant ainsi connaître l’imprimerie dans toute l’Europe. En 1500, son innovation est déjà largement répandue sur le continent. L’imprimerie suivra les colons européens jusqu’en Amérique, mais ce n’est qu’en 1751 qu’elle arrive au Canada, soit presque 300 ans après l’époque de Gutenberg. Si cela peut nous sembler incroyablement long – nous qui sommes habitués à de rapides évolutions technologiques –, l’imprimerie met presque 150 ans de plus à conquérir le reste du pays. Avec des artefacts comme ces documents imprimés par Guillaume Brown et John Ryan, la collection de livres rares de Bibliothèque et Archives Canada documente la longue et fascinante histoire de la naissance de l’imprimerie au Canada.

Reproduction couleur de la couverture d’un journal, aux teintes sépia, qui présente un pli dans sa partie supérieure.

Premier numéro du Halifax Gazette (23 mars 1752), imprimé par John Bushell. (AMICUS 7589124)

Tout commence avec John Bushell, le premier imprimeur du Canada. En 1751, il quitte Boston, au Massachusetts, pour s’établir à Halifax, en Nouvelle-Écosse. C’est là qu’il publie le premier journal du pays, The Halifax Gazette, le 23 mars 1752. Comme nous l’avons dit précédemment, le Québec et le Nouveau-Brunswick accueillent respectivement leur première presse en 1764 et en 1784. À la fin du 18e siècle, l’impression s’est frayé un chemin jusqu’à l’Île-du-Prince-Édouard et l’Ontario, dont la première imprimerie est ouverte par Louis Roy à Newark (aujourd’hui Niagara-on-the-Lake) en 1792. Après l’arrivée de John Ryan à Terre-Neuve, en 1806, on trouve des presses dans toutes les provinces de l’Est. Plusieurs pionniers de l’impression établis dans cette région (dont John Ryan et James Robertson, le premier imprimeur de l’Île-du-Prince-Édouard) sont des loyalistes, c’est-à-dire des Américains qui ont quitté les États-Unis pendant la guerre d’Indépendance américaine par loyauté envers la Couronne britannique.

Avant la fin du 19e siècle, l’imprimerie parvient dans l’Ouest et le Nord du Canada. En Alberta comme au Manitoba, les premiers imprimeurs sont des missionnaires qui traduisent en langues autochtones des textes chrétiens. En 1840, utilisant une presse et des caractères de sa propre confection, le pasteur méthodiste James Evans commence à imprimer des textes en écriture syllabique crie à Rossville, au Manitoba. L’Alberta accueille quant à elle sa première presse en 1876, quand le prêtre oblat Émile Grouard vient s’installer à Lac La Biche. En 1878, celui-ci publie le premier livre de la province, Histoire sainte en montagnais (le terme montagnais est alors employé par les non-Autochtones pour désigner la langue dénée). Cette même année, le premier imprimeur de la Saskatchewan, Patrick Gammie Laurie, lance à Battleford un journal intitulé Saskatchewan Herald (AMICUS 4970721). Cet Écossais d’origine avait marché de Winnipeg jusqu’à Battleford – soit environ 1 000 kilomètres – en faisant tirer sa presse par un bœuf!

En 1858, la ruée vers l’or au fleuve Fraser attire les prospecteurs sur la côte Ouest. Cet afflux de nouveaux arrivants provoque une demande pour des nouvelles imprimées, ce qui mène à la création des cinq premiers journaux de la Colombie-Britannique, tous à Victoria. L’un d’eux, The British Colonist (AMICUS 7670749), est fondé par le futur premier ministre de la province, Amor de Cosmos.

C’est aussi à l’or que l’on doit l’arrivée de l’imprimerie dans les territoires du Nord canadien. Pendant la ruée vers le Klondike, en 1898, l’imprimeur G. B. Swinehart quitte Juneau, en Alaska, dans l’intention de lancer un journal à Dawson, au Yukon. Forcé d’attendre à Caribou Crossing en raison du mauvais temps, il y publie, le 16 mai 1898, un journal à tirage unique intitulé Caribou Sun (AMICUS 7502915). Il s’agirait du premier document à avoir été imprimé dans le Nord canadien.

Photo noir et blanc d’un groupe d’hommes devant une cabane en bois rond dont l’enseigne indique « The Yukon Sun ».

Bureau du journal de G. B. Swinehart, renommé The Yukon Sun, Dawson (Yukon), 1899. (MIKAN 3299688)

La collection de publications de Bibliothèque et Archives Canada comprend de nombreux documents produits à l’aube de l’imprimerie au pays, dont plus de 500 datent d’avant 1800. C’est beaucoup, mais loin d’être complet. Les employés sont d’ailleurs très heureux quand ils découvrent de nouvelles publications qui ne figurent pas dans la collection, parce que les documents produits par les premiers imprimeurs du Canada sont généralement très rares. Les deux publications en vedette à l’exposition Première en sont de beaux exemples. Il ne reste aujourd’hui qu’environ cinq exemplaires du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul. Pour ce qui est de l’affiche de John Ryan, elle n’avait jamais été répertoriée auparavant, ce qui laisse croire qu’il n’en resterait aucun autre exemplaire.

Si vous êtes dans la région d’Ottawa, nous vous invitons à visiter l’exposition Première : Nouveautés à Bibliothèque et Archives Canada pour voir en personne ces rares vestiges des débuts de l’imprimerie au Canada, ainsi que de nouvelles acquisitions d’autres secteurs de la collection de Bibliothèque et Archives Canada. L’exposition est présentée au 395, rue Wellington, à Ottawa, jusqu’au 3 décembre 2018. L’entrée est gratuite!

Autres ressources


Meaghan Scanlon est bibliothécaire principale des collections spéciales à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Les livres racontent leur histoire

Par Meaghan Scanlon 

Vous tournez le dos aux livres usagés dont les pages sont couvertes de notes laissées par les lecteurs précédents? Pourtant, celles-ci sont d’une aide précieuse pour les chercheurs qui veulent en savoir plus sur les origines d’un ouvrage et la façon dont il était utilisé. Annotations, inscriptions, ex-libris ou marques de tampons encreurs : tous ces indices révèlent l’historique d’un livre, sa provenance et ses propriétaires.

La plupart des trésors faisant partie de la collection de livres rares de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) ont eu plus d’un propriétaire, et les traces en sont bien visibles. Prenons par exemple le deuxième exemplaire de The Polar Regions, or, A Search after Sir John Franklin’s Expedition [Les régions polaires, ou la recherche de l’expédition de sir John Franklin], écrit par Sherard Osborn. BAC a acquis cet ouvrage en 2015, dans le cadre d’un transfert de documents avec ce qui s’appelait alors le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Or, les notes laissées sur ses pages montrent qu’il appartient au gouvernement fédéral depuis environ un siècle.

Photo couleur montrant deux pages d’un livre ouvert; sur la page de droite, on voit la marque d’un tampon encreur ainsi qu’une signature.

Pages du deuxième exemplaire de The Polar Regions, or, A Search after Sir John Franklin’s Expedition de Sherard Osborn. Sur la page de droite, dans le coin supérieur droit, la marque d’un tampon encreur indique : « Commission on Conservation » [Commission de la conservation]. En dessous, on aperçoit une signature à l’encre : « W. A. Malcolm [?] / Jan’y [January] 1864 / Yokohama ».  [W. A. Malcolm (?) / Janvier 1864 / Yokohama] (AMICUS 6359969)

The Polar Regions a été imprimé en 1854, et la signature qui orne l’une des pages constitue la plus ancienne preuve de ses origines : elle nous indique que le livre se trouvait à Yokohama, au Japon, en 1864. Au-dessus de la signature, on voit une empreinte à l’encre, de forme ovale : celle de la Commission de la conservation. On peut en déduire que ce livre faisait probablement partie de la bibliothèque de la Commission canadienne de la conservation, un organisme consultatif mis sur pied par le gouvernement de l’époque afin de formuler des recommandations sur l’intendance des ressources du pays. Comme elle a existé de 1909 à 1921, nous pouvons supposer que le livre a été acquis au cours de cette période. En 1921, alors que le Sénat débattait de la dissolution de la Commission, un sénateur a demandé si la précieuse bibliothèque de l’organisme serait intégrée à la collection du Parlement. Les livres semblent plutôt avoir été distribués parmi les divers ministères ayant repris les fonctions de la Commission.

Photo couleur d’un livre ouvert aux pages de garde avant. On voit un ex-libris sur la page de gauche et quatre marques de tampon encreur sur la page de droite.

Les pages de garde avant du deuxième exemplaire de The Polar Regions, or, A Search after Sir John Franklin’s Expedition, de Sherard Osborn, portant les traces de ses anciens propriétaires. Sur la page de gauche : l’ex-libris d’Affaires indiennes et du Nord Canada. Sur la page de droite : la marque du tampon encreur d’Affaires indiennes et du Nord Canada (en haut); celle de la Direction des parcs et des forêts du ministère des Mines et des Ressources (en bleu, au milieu et en bas à gauche); et celle de la Direction des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon du ministère de l’Intérieur (en bas à droite). (AMICUS 6359969)

Quant au livre qui nous intéresse ici, et dont la thématique est l’Arctique, il fut une ressource pour les fonctionnaires canadiens chargés de l’administration des territoires du Nord. Au fil des ans, cette responsabilité a été confiée à divers organismes fédéraux, et le livre semble avoir passé de main en main, selon les besoins, traversant les nombreux changements de structure bureaucratique. À la manière d’un passeport, les traces de tampons ministériels apparaissant pêle-mêle sur les pages de garde avant illustrent bien son parcours. Après la fermeture de la Commission, en 1921, le livre a été envoyé à la Direction des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon du ministère de l’Intérieur (empreinte verte en bas à droite); il y est demeuré de 1922 à 1936. De 1937 à 1953, c’est le ministère des Mines et des Ressources, alors chargé de l’administration du Nord, qui s’est vu confier l’ouvrage, comme en témoignent les empreintes bleues au milieu et en bas à gauche. Les marques d’Affaires indiennes et du Nord Canada (empreinte noire en haut à droite et ex-libris sur la page opposée) et du ministère du Nord canadien et des Ressources nationales (empreinte derrière l’ex-libris, non visible sur la photo) témoignent elles aussi de l’odyssée ministérielle de l’ouvrage.

Ce ne sont pas tous les livres qui recèlent autant de vestiges du passé. Néanmoins, la prochaine fois que vous tomberez sur un vieil ouvrage un peu décrépit, prenez le temps de le feuilleter pour voir si d’anciens lecteurs y ont laissé leur marque. Qui sait? Vous pourriez être surpris!

Ressources supplémentaires


Meaghan Scanlon est bibliothécaire des collections spéciales à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Tiré de la collection Lowy : vestiges de la communauté juive espagnole

Par Michael Kent

En tant que bibliothécaire, on m’interroge souvent sur la valeur du livre imprimé à l’ère numérique. Après tout, plusieurs livres des collections dont je m’occupe peuvent être consultés sur Internet en format numérique. Il est vrai que même les plus anciens ouvrages des collections de Bibliothèque et Archives Canada sont maintenant accessibles en ligne sous divers formats; cependant, je suis convaincu que le pouvoir évocateur de l’objet matériel, et de toutes les histoires qui se cachent derrière, dépasse largement le simple contenu de ses pages.

Le fragment du Pentateuque de 1491, le livre des écritures canoniques juives, publié en Espagne, est l’un des ouvrages qui inspirent fortement un tel sentiment.

Cette Bible, imprimée par Eliezer ibn Alantansi à Hijar en Espagne, est le dernier livre hébraïque daté à avoir été imprimé en Espagne avant l’expulsion des Juifs de ce pays en 1492. L’âge, la qualité d’impression et le degré d’érudition nécessaire pour produire un tel livre en font déjà une œuvre majeure des débuts de l’imprimerie, mais c’est l’histoire qu’il nous raconte à propos de l’expulsion des Juifs d’Espagne qui lui confère un tel pouvoir évocateur.

Malheureusement, le problème des réfugiés n’est pas nouveau. À l’heure actuelle, nous vivons une crise des réfugiés à l’échelle internationale, une crise que nous pouvons observer pratiquement en direct grâce aux médias sociaux. La technologie moderne nous permet de découvrir, avec une certaine honte, la pénible existence de ceux qui vivent dans des camps de réfugiés.

La multitude de blogues, de photos, de témoignages personnels et d’informations diffusées dans les médias permettra aux futures générations de chercheurs de comprendre les difficultés que doivent surmonter les réfugiés contemporains, et ce, d’une manière que les précédentes générations n’auraient jamais pu imaginer. Mais qu’en est-il des réfugiés d’autrefois? Comment faire pour comprendre les problèmes des réfugiés au Moyen Âge, leurs attentes, leurs anciennes vies, leurs espoirs pour l’avenir, et la désolation causée par les bouleversements qu’ils ont subis?

Toutes ces questions posent un énorme défi aux historiens qui s’intéressent à la vie des gens ordinaires dans les temps anciens. L’Histoire ne doit pas se limiter à une suite de dates ou à la vie des élites de la société; nous devons chercher à connaître ce qu’ont vécu les masses populaires et tirer des leçons de leurs expériences collectives.

Mais revenons à cet ouvrage biblique tiré de la collection Lowy. Si l’on s’en tient strictement au contenu du livre, le Pentateuque n’est-il rien d’autre qu’une bible rabbinique ordinaire, le genre d’ouvrage qu’on pourrait aisément télécharger sans frais sur Internet? La réponse toute simple est non. Au‑delà du texte qu’il contient, cet objet nous permet-il de mieux connaître la communauté juive d’Espagne à la veille de son expulsion? Je réponds oui, sans hésiter.

Une photographie en couleur d’une page jaunie, et imprimé couverte d’écriture hébraïque.

Une page de la Bible hébraïque de 1490 imprimé par Eliezer ben Avraham Alantansi (AMICUS 32329787)

En regardant cette page, je vois une communauté qui se considérait comme stable, bien établie, et qui croyait avoir un avenir en Espagne. Au début de l’imprimerie, la production d’une bible comme celle-ci aurait constitué un projet très ambitieux. La mise sur pied d’un équipement communautaire telle une presse à imprimer, l’investissement consenti en études savantes et un engagement financier considérable démontrent clairement à mes yeux que les Juifs d’Espagne se sentaient en sécurité en Espagne et envisageaient un long et bel avenir dans la péninsule ibérique. Je regarde cette page et je vois des gens qui ne pouvaient imaginer les bouleversements et dévastations qui frapperaient leur communauté moins de deux ans plus tard. Bref, je vois un témoignage direct de l’un des plus vastes mouvements de réfugiés en Europe médiévale.

En tant que bibliothécaire et conservateur, je crois fermement au pouvoir d’évocation du livre physique, un pouvoir qui va bien au-delà du simple contenu de l’ouvrage. Si les livres électroniques et les sites Web permettent un accès universel à une large gamme de contenus intellectuels, les leçons de vie et les témoignages historiques offerts par le livre physique demeurent irremplaçables.


Michael Kent est le conservateur de la collection Jacob M. Lowy.

Nouveaux ajouts à l’album sur les livres rares maintenant sur Flickr

Une photo en couleur montrant un livre ouvert montrant une image d'un homme habillé somptueusement sur la page verso et une frontispice somptueusement illustré sur le recto.

Bible polyglotte de l’évêque Walton, volume 1, 1654. À gauche : portrait gravé de Brian Walton. À droite : page de titre grave (AMICUS 940077)

La collection de livres rares à Bibliothèque et Archives Canada est l’une des plus importantes collections de livres rares canadiens  dans le monde. Nous définissons ouvrage canadien  comme suit : tout ouvrage publié au Canada, ou publié à l’étranger mais écrit ou illustré par des Canadiens, ou concernant le Canada.

Visitez l’album Flickr!

Conservatrice invitée : Meaghan Scanlon

English version

Bannière pour la série Conservateurs invités. À gauche, on lit CANADA 150 en rouge et le texte « Canada: Qui sommes-nous? » et en dessous de ce texte « Série Conservateurs invités ».

Canada : Qui sommes-nous?

Canada : Qui sommes-nous? est une nouvelle exposition de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Une série de blogues est publiée à son sujet tout au long de l’année.

Joignez-vous à nous chaque mois de 2017! Des experts de BAC, de tout le Canada et d’ailleurs donnent des renseignements additionnels sur l’exposition. Chaque « conservateur invité » traite d’un article particulier et en ajoute un nouveau — virtuellement.

Ne manquez pas l’exposition Canada : Qui sommes-nous? qui est présentée au 395, rue Wellington à Ottawa, du 5 juin 2017 au 1er mars 2018. L’entrée est gratuite.


Les voyages du sieur de Champlain […], par Samuel de Champlain, 1613, et sa Carte geographique de la Nouvelle Franse faictte par le sieur de Champlain

Une photo en couleur d’un livre ouvert avec une carte plié que deuux mains commencent à déplier.

Les voyages du sieur de Champlain…, 1613 et la Carte geographique de la Nouvelle Franse faictte par le sieur de Champlain, gravée par David Pelletier en 1612 (MIKAN 3919638) (OCLC 1056962381)

Samuel de Champlain croyait à l’énorme potentiel du Canada. Il publia cette magnifique carte dans son livre pour en faire la promotion auprès des investisseurs. Les splendides dessins de plantes sont probablement son oeuvre. Lire la suite

Tiré de la collection Lowy : le Talmud du Canada

Par Michael Kent

La question qu’on me pose le plus souvent, en ma qualité de conservateur de la collection Jacob M. Lowy, est la suivante : « Dans la collection, quel est votre livre préféré? » Bien que je doute qu’un jour je sois vraiment capable d’en choisir un, il m’arrive souvent de parler d’un ouvrage en particulier. Les visiteurs sont rarement surpris quand je mentionne que c’est l’un de nos exemplaires du Talmud, le recueil écrit de la Loi orale juive codifiée dans l’antiquité et que l’on peut décrire comme le texte le plus important pour les Juifs, après la Torah; d’ailleurs, nous disposons d’impressionnants volumes du Talmud attribuables à Soncino et à Bomberg, et datant respectivement des XVe et XVIe siècles. Toutefois, je constate fréquemment que les gens sont surpris quand je choisis un volume qui n’est même pas centenaire, au lieu d’en sélectionner un vieux d’un demi-millénaire.

L’objet de la collection en question, qui est l’un de mes préférés, est le Talmud de Montréal, 1919, qui a été qualifié par le président du Congrès juif canadien, Lyon Cohen, comme l’événement le plus important des annales des Juifs canadiens.

Afin de bien comprendre l’admiration que je voue à cet exemplaire du Talmud, il faut connaître l’histoire des Juifs canadiens. Même si des Juifs arrivent au Canada au XVIIIe siècle, l’immigration ne prendra de l’ampleur que dans les années 1880. Au début du XXe siècle, la majorité des Juifs canadiens étaient nés en Europe orientale.

Photographie en couleur d’un livre ouvert, montrant des écrits en caractères hébraïques.

Frontispice du Talmud de Montréal, 1919, conservé dans la collection Jacob M. Lowy à Bibliothèque et Archives Canada.

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