Attendez-vous à des surprises!

Par Forrest Pass

Qu’est-ce que des cartographes inuit, le compositeur allemand Ludwig van Beethoven, un célèbre faussaire de timbres italien et des espions soviétiques peuvent bien avoir en commun? C’est simple : tous ont des œuvres conservées dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada! Leurs artefacts, et bien d’autres encore, sont présentés dans l’exposition Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, inaugurée au Musée canadien de l’histoire le jeudi 8 décembre 2022. Les visiteurs auront le privilège d’admirer de nombreux articles que l’on ne s’attend guère à retrouver dans la bibliothèque et les archives nationales du Canada.

Quelque 40 documents originaux, cartes, photographies, livres rares et œuvres d’art sont au menu. Les lecteurs assidus du blogue savent déjà que les chercheurs et notre personnel trouvent souvent des surprises dans la collection, une source inépuisable d’histoires insolites à raconter. Inattendu! vous propose de grands classiques, mais aussi de nouvelles trouvailles qui n’avaient encore jamais été exposées.

Papier ligné portant du texte manuscrit à l’encre noire, avec des mots biffés en rouge.

Un agent secret reçoit des directives de ses supérieurs. En 1945, les autorités canadiennes reçoivent des documents d’espionnage soviétiques comme celui-ci, ce qui contribue au déclenchement de la Guerre froide. (e011316511_s1)

L’exposition se divise en trois thèmes. Le premier, « Merveilles », présente des artefacts qui intriguent ou fascinent leur public depuis leur création. Les visiteurs apprendront comment une composition manuscrite de Beethoven a abouti au Canada et découvriront à quoi ressemblait la réalité virtuelle au 18e siècle. En outre, deux visions opposées de l’Arctique seront présentées : celle d’un cartographe européen qui n’a jamais visité la région, mais qui pallie cette lacune avec une vive imagination, et celle de deux cartographes inuit profondément enracinés dans ce territoire.

Une rue où se trouvent des bâtiments roses, verts et beiges, des soldats, un chien, un cheval et un chariot.

La perspective adoptée sur ce dessin imaginaire d’une rue de Québec apparaît en trois dimensions lorsqu’elle est regardée à l’aide d’un zograscope. Un appareil de ce type a été reconstitué pour l’exposition afin que les visiteurs puissent vivre une expérience de réalité virtuelle fort à la mode dans les années 1770. (e011309357)

Dans le deuxième thème, « Secrets », l’exposition examine comment et pourquoi les gens gardent des secrets, et comment ils s’y prennent pour les divulguer aux personnes qui ont besoin de savoir. Les visiteurs pourront déchiffrer une lettre d’amour codée, s’interroger sur le symbolisme d’un tableau rituel maçonnique peint il y a des siècles, et comprendre pourquoi un archiviste fédéral a tenté d’inscrire des chats sur la liste de paie du gouvernement.

Le troisième et dernier thème, « Mystères », propose des questions non résolues. Les visiteurs auront la chance d’analyser un dossier d’enquête sur un OVNI et de contempler la « carte dans une tête de fou », imprimée au 16e siècle. Probablement l’une des cartes les plus étranges jamais dessinées!

Deux timbres jaunes placés en diagonale sur une page. Une étampe à l’encre bleue est apposée sur chacun.

Un de ces timbres de 1851 du Nouveau-Brunswick est une contrefaçon. Pouvez-vous le reconnaître? (e011309360 et e011309361)

Certains artefacts de l’exposition sont amusants, d’autres sont étranges, et d’autres encore suscitent la réflexion. Mais tous révèlent quelque chose d’important sur le passé, pourvu qu’on ne s’arrête pas à leur côté insolite. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont fait leur chemin jusqu’à la collection de Bibliothèque et Archives Canada!

Inattendu! est le dernier volet d’une série d’expositions organisées par Bibliothèque et Archives Canada en partenariat avec le Musée canadien de l’histoire. En tant que conservateur, j’ai eu le plaisir et l’honneur de collaborer avec une équipe multidisciplinaire réunissant des professionnels des expositions et des collections des deux institutions. En plus d’accueillir l’exposition, le Musée a exploité son expertise du développement créatif et de la scénographie pour créer une ambiance rappelant celle des romans policiers et des films d’espionnage du milieu du siècle dernier. Il a aussi créé des éléments interactifs pour aider les visiteurs à mieux comprendre et apprécier les artefacts.

Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada sera à l’affiche au Musée canadien de l’histoire jusqu’au 26 novembre 2023. Au cours des prochains mois, ce blogue et les comptes de médias sociaux de Bibliothèque et Archives Canada donneront plus de détails sur les formidables trésors exposés. C’est à ne pas manquer!


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des Expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Les femmes à la guerre : un défi Co-Lab

Rebecca Murray

Les Canadiennes sont bien présentes dans les archives photographiques de la Deuxième Guerre mondiale, et notamment dans le fonds du ministère de la Défense nationale (RG 24/R112). Celui-ci comprend plus de deux millions de photos prises à divers endroits sur le globe, de Comox, en Colombie-Britannique, jusqu’à Naples, en Italie. On peut y voir nos arrière-grands-mères, nos grands-mères, nos mères, nos tantes, nos sœurs, nos cousines et nos amies en uniforme.

Le défi Co-Lab Les femmes à la guerre vous invite à identifier sur des photos d’archives des femmes et des infirmières militaires qui ont servi au Canada et à l’étranger de 1942 à 1945. On y trouve autant des portraits individuels que des photos de groupe, prises dans diverses situations : au travail, dans les loisirs, sur des navires, dans des cuisines ou des bibliothèques, sur un terrain de sport ou une piste de danse.

Les femmes y sont rarement identifiées, comme en témoigne la mention « unidentified » dans les titres. Or, connaître leurs noms est essentiel pour mieux comprendre le rôle qu’elles ont joué pendant la Deuxième Guerre mondiale. Jumelé à d’autres efforts pour identifier des femmes et des infirmières militaires dans les archives, ce défi Co-Lab nous aidera à raconter une histoire plus complète.

Voici quelques-unes des photos du défi. Pouvez-vous nous aider à trouver qui sont ces femmes?

Photo noir et blanc d’une femme en uniforme militaire regardant l’objectif. Elle est assise derrière un bureau et tient un stylo dans sa main droite. Un téléphone de type chandelier est posé sur le bureau, à sa gauche.

Membre non identifiée du Service féminin de l’Armée canadienne, Angleterre, 19 juillet 1944. Photo : Jack H. Smith, capitaine (a162428-v6)

Photo noir et blanc d’un groupe de femmes en uniforme souriant à l’objectif. Deux des femmes portent un costume plus sombre. Celles au premier rang sont assises et se tiennent par la main. Les autres sont debout derrière; plusieurs se tiennent par le bras.

Membres du Service féminin de la Marine royale du Canada, août 1943. (e011180809)

Photo noir et blanc d’un atelier avec trois grandes fenêtres. On y voit quatre femmes et un homme entourés d’outils, de tables et d’un établi. Un panneau au haut d’un mur indique « YMCA ».

Atelier de la Division féminine de l’Aviation royale du Canada, Rockcliffe (Ontario), 11 avril 1944. (a064867-v8)

Pour trouver d’autres photos de femmes et d’infirmières militaires dans les fonds de Bibliothèque et Archives Canada, utilisez l’outil Recherche dans la collection et explorez l’acquisition 1967-052. Les photos y sont classées par branches des Forces armées canadiennes. Vous pouvez aussi faire une recherche par mot-clé (p. ex. « 1967-052 Halifax Women Royal Canadian Naval Service », pour le Service féminin de la Marine royale du Canada à Halifax).

Pour plus de renseignements sur les divisions féminines dans les trois branches des Forces armées canadiennes pendant la Deuxième Guerre mondiale, lisez ces articles de blogue :

Ces photos ne montrent qu’un échantillon des multiples fonctions remplies par les militaires canadiennes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il est important d’identifier ces femmes dans nos archives pour bâtir un récit plus représentatif. Ainsi, plusieurs générations de femmes militaires, leurs familles et tous les Canadiens pourront souligner leur rôle extraordinaire.

Utilisez notre outil Co-Lab pour transcrire, étiqueter, traduire et décrire les documents numérisés pour ce défi. Vous pouvez aussi faire de même avec n’importe quelle image numérisée de notre collection, grâce à notre outil Recherche dans la collection.


Rebecca Murray est archiviste de référence principale à la Division des services de référence de Bibliothèque et Archives Canada.

Les portraits dans l’album de Sarah Howard (1874)

Par Hilary Dow

Les albums photo de jadis ne servaient pas qu’à conserver les souvenirs d’êtres chers ou de moments précieux. Miroirs de la personnalité et du statut social de leurs propriétaires, ils étaient souvent de véritables œuvres d’art.

L’album de Sarah Howard en est un bon exemple. Réalisé en 1874, il comporte 42 pages et 123 photos qui lèvent le voile sur la vie et la personnalité de son auteure, d’une manière que les photographies ou les portraits conventionnels ne sauraient rendre. Il illustre bien la façon dont les femmes de l’époque se servaient des montages photographiques pour mettre en scène leur identité personnelle et sociale.

Page d’album avec quatre photos en noir et blanc entourées de feuilles d’érable colorées. Trois des photos montrent un homme; la quatrième montre une femme.

Page de l’album de Sarah Howard, 1874. (e011201205)

Sarah Howard (1843-1911)

L’album arbore sur sa couverture en cuir brun l’inscription « H. Sarah Howard » en relief doré, du nom de sa propriétaire : Hannah Sarah Howard. Canadienne d’origine américaine, née le 25 décembre 1843 à Buffalo, dans l’état de New York, elle est la fille de Marianne (née Wallbridge) et d’Hiram E. Chatham.

La ville de Buffalo compte une Académie pour femmes, et Sarah s’y inscrit en 1861 afin d’y étudier les sciences. Établie plus tard en sol canadien, elle publiera des articles et présentera des exposés sur la floriculture, tant pour la Société d’agriculture d’Ottawa que pour la revue The Canadian Horticulturist.

Sarah s’intéresse également aux arts : musique, poésie et dessin. Toujours à Buffalo, elle apprend le piano, se produisant parfois en concert. Tout au long de sa vie, elle compose et publie de la poésie. Les journaux d’Ottawa la considèrent en outre comme une dessinatrice de talent. Mais comme toutes ses compatriotes de l’époque, elle consacre l’essentiel de son temps à sa vie familiale et domestique, la sphère publique laissant peu de place aux femmes.

En 1868, après le décès de ses parents, Sarah Howard immigre au Canada avec son frère Lewis et ses sœurs Frances, Caroline et Henrica. Leur oncle Lewis Wallbridge, dernier président de l’Assemblée législative de la province du Canada, les accueille chez lui, à Belleville (Ontario), dans sa résidence nommée Wallbridge White House. Cet homme influent ouvre à Sarah les portes de la haute société. Lors de ses premières années au Canada, la jeune femme enchaîne bals et réceptions à Ottawa, dont le bal costumé organisé par le gouverneur général lord Dufferin en 1876.

Aînée de sa fratrie, Sarah en est aussi la tutrice légale. À ce titre, elle acquiert en 1871 une demeure située rue John, à Belleville, afin d’y loger sa famille. Elle y tiendra les rênes de la maisonnée jusqu’en 1878. C’est aussi là qu’elle réalisera deux albums photo décoratifs qui documentent sa vie familiale et sociale.

L’album de Sarah Howard (1874)

À l’époque, la confection d’albums est une activité répandue chez les femmes des classes supérieures. Cette forme d’expression artistique s’inscrit dans le prolongement de leurs tâches domestiques, une sphère alors réservée à celles qu’on appelle les reines du foyer.

Comme d’autres albums de l’ère victorienne, celui de Sarah Howard contient des photos de parents et d’amis, collées au milieu de peintures et d’illustrations colorées : fleurs, plantes, animaux, reproductions d’œuvres européennes et caricatures. Le recours au montage (une technique consistant à combiner des photos avec d’autres matériaux artistiques et naturels) permet de réaliser des compositions aussi amusantes qu’ingénieuses. Par exemple, on peut voir sur l’une des pages de petits personnages tenant des cadres, probablement inspirés des caricatures humoristiques du périodique anglais Punch.

Page d’album montrant quatre illustrations en couleurs : un homme jouant du tambour, un homme tenant une affiche, un homme assis lisant un journal et un homme sonnant un cor auquel est attachée une bannière. Des photos en noir et blanc sont collées dans le tambour, l’affiche, le journal et la bannière.

Page de l’album de Sarah Howard, 1874. (e011201205)

Page d’album avec une photo grand format d’un homme. Celle-ci est entourée de six petites photos d’hommes et de femmes. La page est ornée d’illustrations colorées : fleurs, oiseaux et écureuil.

Page de l’album de Sarah Howard, 1874. (e011201205)

Les albums de montages photo – aussi appelés albums de découpures par les historiens de la photographie – sont d’abord devenus populaires en Europe, grâce à l’invention des cartes de visite par le photographe français André Adolphe Eugène Disdéri, en 1854. Il s’agit en fait de petites épreuves photos montées sur carton et mesurant de 54 mm à 89 mm; on les appelait aussi cartes cabinet. Leur taille réduite les rendait faciles à reproduire, à distribuer et à collectionner.

 Les cartes de visite traversent l’Atlantique et se retrouvent dans les studios de certains photographes canadiens qui en font la vente, notamment William Notman et William James Topley, qui photographiera Sarah Howard à de multiples occasions, comme en témoignent les albums de celle-ci.

L’album de 1874 dont il est question ici contient surtout des photos du frère et des sœurs de Sarah, ainsi que des portraits d’autres membres de la famille (dont des cousins), d’enseignants, de condisciples et d’amis, prises à Buffalo ou à Belleville. L’ouvrage ayant été réalisé avant le mariage de Sarah, survenu en 1878, nulle part on n’y aperçoit son époux, l’honorable Octavius Lambert, ou ses enfants.

En plus d’ouvrir une fenêtre sur sa vie familiale, l’album de Sarah Howard montre la façon dont elle souhaitait être perçue en société. Sarah entretenait soigneusement son image publique, et on peut penser qu’elle a utilisé l’album à cette fin : en effet, les albums du genre étaient couramment exposés dans les salons des résidences. Ils témoignaient du rang social de leurs propriétaires, une facette importante de l’identité de Sarah. Plusieurs pages de ses albums contiennent d’ailleurs des portraits d’elle en grand format.

Page d’album montrant une photo de son auteure, Sarah Howard, au centre d’un montage. La page est décorée de fleurs peintes; on y voit aussi un portrait individuel et deux portraits de groupe, montrant probablement des amis et des parents de Sarah Howard.

Page de l’album de Sarah Howard, 1874. (e011201205)

On y voit le plus souvent Sarah photographiée de profil, l’air sévère, richement vêtue et arborant ses bijoux : un style typique des portraits victoriens, solennelles représentations du statut, de la vertu et de la moralité d’une personne. Mais l’album révèle aussi des facettes plus intimes de sa vie, comme en témoigne la page réalisée en mémoire de ses parents, où l’on peut voir les portraits de Marianne et d’Hiram collés sur des myosotis peints (une fleur aussi appelée « ne-m’oubliez-pas »).

Page d’album montrant une photo de femme et une photo d’homme, chacune collée au centre d’une grande feuille verte. Le montage photo est entouré de petites fleurs bleues.

Page de l’album de Sarah Howard réalisée en mémoire de ses parents, Marianne et Hiram Howard, 1874. (e011201205)

À l’époque victorienne, les fleurs symbolisent divers sentiments. Sarah y a recours pour illustrer des émotions et des expériences liées à des photos précises. Son album dévoile ainsi des facettes à la fois de sa vie publique et personnelle.

 Des albums à plusieurs mains :
portraits de femmes réalisés par des femmes 

L’album de Sarah Howard n’est pas qu’une œuvre autobiographique : on y découvre également la touche d’une artiste professionnelle, Caroline Walker, qui a illustré en 1875 l’album de Charles W. Bell (en anglais) conservé au Musée des beaux-arts de l’Ontario. Bell, un avocat, était le cousin de Sarah, et les deux ouvrages comportent des ressemblances frappantes. Certaines pages montrent exactement les mêmes photos; d’autres sont conçues selon des modèles identiques, ou comportent les mêmes styles d’illustrations

Page d’album montrant huit photos d’hommes et de femmes au milieu de feuilles vertes d’où émergent de petites fleurs blanches

Page de l’album de Sarah Howard, 1874. (e011201205)

Caroline Walker (1827-1904) était une artiste professionnelle dont les aquarelles et les esquisses ont fait partie d’expositions provinciales tenues au Haut-Canada entre 1859 et 1865. Elle réalise aussi des albums pour d’influentes familles de pionniers ontariens.

De nos jours, l’idée de confier la réalisation d’un album photo familial à un artiste professionnel peut nous sembler étrange. Mais comme nous l’avons vu, ces ouvrages, tout comme les portraits conventionnels, étaient bien plus que de simples albums souvenirs : ils reflétaient les valeurs, les symboles et la culture de l’époque tout en soulignant le statut social de leur propriétaire, une caractéristique majeure de ce genre d’œuvre pour les historiens de l’art.

L’arrivée de la photographie en Europe et en Amérique du Nord marque un tournant : dorénavant, les portraits ne sont plus uniquement peints. L’invention des cartes de visite permet de distribuer des photos en grand nombre et à faible coût, une nouveauté pour la classe moyenne. En revanche, les albums faits main, qui peuvent comprendre des centaines de photos, sont dispendieux; c’est pourquoi ils témoignent du rang élevé de leurs propriétaires.

Cela dit, les ressemblances entre les albums de Charles W. Bell (réalisé par Caroline Walker) et de Sarah Howard nous indiquent que ce dernier est probablement le fruit d’une collaboration entre les deux femmes. Il contient entre autres deux styles de peinture distincts; les photos choisies proviennent de la collection de Sarah Howard. Peu importe qui l’a réalisé, cet ouvrage est un heureux mariage entre éléments biographiques et caractéristiques liées aux portraits, comme l’identité, le statut social et l’autoreprésentation.

L’album de Sarah Howard est constitué de montages photo de l’époque victorienne et a été produit à Belleville (Ontario) en 1874. Il comprend 42 pages et 123 photos. Il fait partie du fonds de la famille Lambart conservé par Bibliothèque et Archives Canada.

© Hilary Dow


Hilary Dow est une jeune chercheuse et conservatrice vivant à Ottawa. Elle a récemment obtenu sa maîtrise en histoire de l’art et son diplôme en études de conservation de l’Université Carleton. 

Sélection d’archives portant sur le jour J et la campagne de Normandie (6 juin – 30 août 1944)

Par Alex Comber

Dans la première partie de cet article, nous avons souligné le 75e anniversaire du jour J et revisité la participation du Canada à l’invasion du Nord-Ouest de l’Europe et au reste de la campagne de Normandie, du 6 juin au 30 août 1944. Dans la deuxième, nous allons explorer des collections exceptionnelles de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) qui concernent ce pan d’histoire, et présenter des archives que les internautes peuvent consulter facilement, notamment grâce à des activités de sensibilisation, à des projets de numérisation ciblés de grande envergure et aux nouveaux Numéri-Lab et Co-Lab de BAC.

Image en noir et blanc, tirée d’un film, où l’on voit des soldats sortir d’une péniche de débarquement.

Image des actualités filmées de l’Armée canadienne no 33, qui comprennent une séquence sur le débarquement des Canadiens le 6 juin 1944, dit le jour J.

Nous recevons souvent des demandes de référence concernant nos collections de photos, comme celles de l’Unité de film et de photographie de l’Armée canadienne, qui ont immortalisé le débarquement des troupes lors du jour J, il y a 75 ans. Au fil de la campagne de Normandie, l’Unité a continué de produire des documents visuels qui donnent une meilleure idée des opérations au front que ne le faisaient les photographies officielles des conflits précédents. Les séquences de tournage étaient intégrées aux actualités filmées que l’Armée canadienne diffusait sur son territoire, et certaines d’entre elles, comme celle du jour J ci-dessus, ont aussi été présentées dans d’autres pays.

Les photographes de l’Armée et de la Marine utilisaient des appareils noir et blanc et des appareils couleur. Leurs splendides images en couleur sont réunies dans les séries ZK (Armée de terre) et CT (Marine).

Photographie couleur d’un véhicule blindé armé d’un gros canon.

Un Centaur (char britannique de soutien rapproché armé d’un obusier) appuyant les Canadiens pendant la campagne de Normandie. (e010750628)

Certaines des images les plus célèbres de militaires canadiens en Normandie ont été intégrées à la série de l’Armée classée par ordre numérique, qui comptait plus de 60 000 photos au terme des hostilités. Les albums photo créés pendant la Seconde Guerre mondiale pour répondre aux demandes de reproduction peuvent aider à s’orienter dans cette montagne de documents. En feuilletant ces « albums rouges », comme les surnomment les chercheurs à nos locaux d’Ottawa, les visiteurs découvriront un compte rendu journalier, sous forme visuelle, des activités de l’Armée canadienne durant le conflit. Nous avons récemment numérisé les albums imprimés 74, 75, 76 et 77, qui montrent les événements qui se sont déroulés en France du 6 juin à la mi-août 1944.

Une page de photographies noir et blanc montrant une péniche de débarquement, des défenses ennemies détruites, des habitations et des sites de débarquement sur la plage.

Une page du 74e des 110 albums imprimés de l’Armée, où l’on voit des photographies prises tout juste après le débarquement (e011217614).

BAC possède également quantité de documents textuels sur la période allant de juin à août 1944. L’une des collections les plus importantes est composée des journaux de guerre d’unités canadiennes ayant participé à la campagne. Les unités outremer, alors tenues de consigner leurs activités quotidiennes aux fins de documentation, y résumaient habituellement leurs entraînements, leurs préparatifs, leurs opérations et les événements d’importance. Les journaux de la Seconde Guerre mondiale contiennent souvent le nom des soldats tués ou grièvement blessés. Les officiers ajoutaient en annexe de l’information supplémentaire : rapports, cartes de campagne, bulletins de leur unité et autres documents importants.

Nous avons d’ailleurs commencé à numériser et à mettre en ligne certains de ces journaux. Celui du 1er Bataillon canadien de parachutistes (MIKAN 928089, divisé en deux fichiers PDF) est particulièrement fascinant; les soldats de ce bataillon, qui ont pris part à l’opération Tonga avec la 6e Division aéroportée britannique, ont été les premiers Canadiens à entrer en action lors du jour J.

Image numérisée en couleur d’un compte rendu tapuscrit des opérations du jour J.

: Rapport du 6 juin 1944 dans le journal de guerre du 1er Bataillon canadien de parachutistes, où il est question des objectifs de l’unité pendant l’opération Overlord du jour J (e011268052).

Les journaux de guerre des unités de commandement et de quartiers généraux sont eux aussi d’importantes sources d’information, car ils expliquent la réussite ou l’échec d’une opération militaire. Ils contiennent en outre des documents d’unités subalternes. Parmi les journaux dont la numérisation est en cours figure celui du quartier général de la 3e division d’infanterie canadienne pour la période de juin et juillet 1944.

Image numérisée en couleur d’un compte rendu tapuscrit des opérations du jour J.

Première partie d’un long passage sur les opérations du jour J dans les rapports quotidiens d’un journal de guerre pour le début du mois de juin 1944 (e999919600).

BAC entrepose également tous les dossiers du personnel de l’Armée active du Canada (Armée canadienne outremer), de la Marine royale du Canada et de l’Aviation royale du Canada pour la période de la Seconde Guerre mondiale. Les dossiers de service de quelque 44 000 hommes et femmes morts en service de 1939 à 1947, dont plus de 5 000 pendant la campagne de Normandie, sont accessibles au public. Dans le cadre d’un partenariat avec Ancestry.ca, une partie de chacun des dossiers a été numérisée, puis mise en ligne sur ce site, où tous les Canadiens peuvent les consulter. Pour savoir comment vous inscrire gratuitement et accéder aux documents, suivez les instructions sur notre site Web.

Ces archives revêtent une grande valeur sur les plans généalogique et historique. Comme le montrent les documents suivants, elles gardent toute leur pertinence et constituent des témoignages touchants sur les hommes et les femmes qui ont servi pendant le conflit et leur famille.

Document médical présentant un schéma des dents supérieures et inférieures, avec des notes indiquant les dents manquantes et les interventions effectuées.

Le soldat Ralph T. Ferns, de Toronto, a disparu le 14 août 1944, victime d’un tir ami. Son unité d’infanterie, le Régiment Royal du Canada, a été ciblée accidentellement par l’aviation alliée alors qu’elle se déplaçait pour participer à l’opération Tractable, au sud de Caen. Soixante ans plus tard, les ossements du soldat Ferns ont été découverts près du Haut Mesnil, en France. Le ministère de la Défense nationale, grâce à son Programme d’identification des pertes militaires, a pu confirmer l’identité du défunt. Les documents médicaux dans son dossier de service, notamment son dossier dentaire, ont été très utiles à cette fin. Ralph T. Ferns a été inhumé avec tous les honneurs militaires au cimetière de guerre canadien de Bretteville-sur-Laize, en 2008, en présence de sa famille.

Réponse officielle, écrite en français en juillet 1948, à la demande soumise par la famille d’Alexis Albert, du North Shore (New Brunswick) Regiment, dans le but de communiquer avec ceux qui entretenaient la tombe du défunt soldat.

Le soldat Alexis Albert, du North Shore (New Brunswick) Regiment, est tombé au combat en France le 11 juin 1944. Quatre ans plus tard, son père Bruno, qui vivait à Caraquet (Nouveau-Brunswick), a demandé l’adresse de la famille qui entretenait soigneusement sa tombe au cimetière militaire canadien de Bény-sur-Mer, en Normandie, pour l’en remercier. Le directeur des Archives des services de guerre (ministère des Anciens Combattants) a fourni cette réponse, qui a permis aux proches du défunt de communiquer avec la famille française.

Ce ne sont là que quelques exemples des archives de BAC portant sur l’action des militaires canadiens en France entre le 6 juin et la fin août 1944. Notre outil Recherche dans la collection vous aidera à trouver bien d’autres sources précieuses pour explorer la planification et la logistique derrière les opérations militaires des Canadiens en France, approfondir vos recherches sur les événements eux-mêmes et découvrir des histoires personnelles d’adversité, de triomphe, de souffrance et de perte.

Photographie en noir et blanc montrant la grande Croix du Sacrifice et plusieurs rangées de pierres tombales de la Commission de l’Empire pour les tombes de guerre (Imperial War Graves Commission).

Cimetière de guerre canadien de Bény-sur-Mer, qui abrite les tombes de 2 000 soldats canadiens ayant péri au début de la campagne de Normandie (e011176110).


Alex Comber est un archiviste militaire au sein de la Division des archives gouvernementales.