Timbres faux, falsifiés et contrefaits à Bibliothèque et Archives Canada

Par James Bone

Vous savez peut-être que Bibliothèque et Archives Canada détient de nombreux timbres-poste dans ses collections. Mais saviez-vous que nous avons aussi beaucoup de timbres faux, falsifiés et contrefaits?

Ces trois termes sont parfois utilisés de manière interchangeable. Techniquement, un faux désigne un objet qui n’est ni officiel ni authentique; une falsification, un objet authentique modifié illégalement; et une contrefaçon, une copie d’un objet authentique. Ces articles sont produits à diverses fins, notamment pour priver frauduleusement l’autorité postale de ses recettes, tromper des collectionneurs aveuglés par l’appât du gain ou relever le défi de produire une imitation convaincante. Dans le domaine de la philatélie (l’étude des timbres-poste et de leur utilisation), la collecte intentionnelle et l’étude des faux, des falsifications et des contrefaçons aident à éviter que les collectionneurs ne soient dupés.

Certaines contrefaçons se repèrent facilement. Par exemple, comparez ces deux timbres de l’Île-du-Prince-Édouard antérieurs à la Confédération. On identifie sans mal la contrefaçon, à gauche (dont le portrait de la reine Victoria est de qualité nettement inférieure).

Deux timbres de l’Île-du-Prince-Édouard ornés d’un portrait de la reine Victoria. La contrefaçon est à gauche, et l’authentique, à droite.

La contrefaçon d’un timbre-poste de l’Île-du-Prince-Édouard représentant la reine Victoria, et le timbre authentique (e001219314 et e001219313)

Discerner le vrai du faux est souvent beaucoup plus difficile, mais certains collectionneurs s’attaquent à ce défi avec enthousiasme. Trois des principales collections de BAC comprenant des timbres de provenance douteuse sont celles de Rowcliffe F. Wrigley (R4595), Andre Frodel (R3759) et E. A. Smythies (R3853). Chacune d’elles a des particularités qui émoussent la curiosité des chercheurs et des collectionneurs.

Rowcliffe « Roy » Wrigley (1885-?) commence à collectionner les timbres à l’âge de 10 ans. Il devient célèbre en publiant des catalogues à l’intention des collectionneurs de timbres spéciaux, utilisés par les ministères. Ces timbres se caractérisent par les trous perforés formant les lettres OHMS (qui signifient « Au service de Sa Majesté »), ou par la surimpression de la lettre G. Wrigley arrive, sans que l’on sache comment, à posséder des milliers d’exemplaires sur lesquels ces lettres ont été soigneusement perforées pour frauder les collectionneurs.

Le problème, c’est que Wrigley est aussi un vendeur bien connu de timbres de cette nature. Le détachement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Vancouver s’intéresse donc de près à ses activités. Bien que Wrigley ne soit jamais condamné par un tribunal, il accepte de remettre sa collection à la GRC pour qu’elle la donne à l’ancien Musée national de la poste. Celui-ci appose la marque « counterfeit » (contrefaçon) sur tous les timbres de Wrigley.

Trois timbres-poste canadiens d’un cent. Chacun a le portrait du roi George V, des feuilles d’érable, des couronnes et de petits trous formant les lettres O-H-M-S.

Timbres-poste du Canada ornés du portrait du roi George V. Les lettres OHMS ont été frauduleusement perforées. (MIKAN 16142) Photo : James Bone

Andrzej Frodel s’est fait connaître sous le nom d’Andre Frodel au Canada. Il naît en 1890 dans une famille polonaise à Lviv, une ville ukrainienne qui appartient à l’époque à la monarchie austro-hongroise des Habsbourg. Dans l’entre-deux-guerres, il travaille à la compagnie produisant les billets de banque de l’État hongrois. Pendant cette période, il étudie les processus d’impression lithographique et les papiers pour timbre-poste. Il rejoint ensuite les forces armées polonaises pour combattre aux côtés des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. À la fin du conflit, Frodel se réinstalle au Canada après avoir reçu une terre agricole en Alberta. Après la faillite de sa ferme, quelques années plus tard, il déménage en Colombie-Britannique.

Exploitant son expertise de l’impression, de l’encre et des timbres, il se lance dans la création de timbres contrefaits. À notre connaissance, Frodel n’a aucune mauvaise intention et veut seulement démontrer ses compétences. Toutefois, ses acquéreurs finissent par profiter de l’occasion pour revendre ses timbres comme des authentiques. Un excellent exemple est sa contrefaçon de la plus célèbre erreur dans l’histoire de la philatélie au Canada : le timbre de 1959 honorant la voie maritime du Saint-Laurent, dont l’image est imprimée à l’envers. Il existe un nombre bien établi d’exemplaires authentiques de ce timbre, qui valent plus de 10 000 $.

Une contrefaçon à côté d’un véritable timbre de cinq cents de la Société canadienne des postes. Sur chacun d’eux, l’image centrale de la voie maritime du Saint-Laurent, sur laquelle se trouvent aussi un aigle et une feuille d’érable, est imprimée à l’envers.

Une contrefaçon et le véritable timbre-poste canadien de la voie maritime du Saint-Laurent, avec l’image centrale imprimée à l’envers (e010784418 et s002662k)

Frodel a aussi créé une fantaisie, c’est-à-dire un timbre plutôt vraisemblable, mais qui n’a jamais existé.

Un timbre fantaisiste de quatre cents des États-Unis. L’image de la voie maritime du Saint-Laurent, qui comprend une feuille d’érable et un aigle, est imprimée à l’envers.

Faux timbre fantaisiste de la poste des États-Unis créé par Andre Frodel. L’image de la voie maritime du Saint-Laurent est renversée. (e010784431)

Frodel meurt dans la pauvreté en 1963. Il a passé la fin de ses jours comme pensionnaire du lieutenant-colonel Frederick E. Eaton, propriétaire d’un magasin de timbres. Frodel a probablement fabriqué des faux et des contrefaçons pour ce marchand. On peut supposer qu’Eaton compte aussi sur d’autres fournisseurs de faux articles qu’il vend comme des authentiques. La GRC finit par enquêter sur lui et son magasin. Comme Wrigley, Eaton donnera finalement ses timbres frauduleux au Musée national de la poste. Il semble en profiter pour attribuer faussement la responsabilité du trafic à Frodel. Celui-ci, étant mort, est le bouc émissaire idéal. Pour dérouter les autorités et les chercheurs en philatélie, une marque est apposée au dos de bon nombre des falsifications afin de les faire passer pour des œuvres de Frodel.

Un authentique timbre fiscal canadien de cinq cents et une falsification. Les deux ont le portrait du roi George V, des feuilles d’érable et des couronnes.

Une falsification d’un timbre fiscal de la poste canadienne et le timbre authentique. Les deux représentent le roi George V et portent les mots « War tax » (impôt de guerre) en surimpression. (e010783309 et s001014k)

Evelyn Arthur Smythies est né de parents britanniques en Inde, en 1885. Il fait ses études à l’Université d’Oxford. Grand amateur de philatélie, il s’intéresse notamment aux timbres de l’Amérique du Nord britannique, bien qu’il n’ait jamais vécu au Canada. Il recueille des timbres faux, falsifiés et contrefaits de la meilleure qualité, et les étudie minutieusement pendant des années dans le but d’identifier leurs créateurs. Des recherches qui se poursuivent à ce jour jettent cependant des doutes sur ses conclusions.

Smythies est mort en 1975. Une partie de sa collection est présentée jusqu’au 26 novembre 2023 dans notre exposition Inattendu! Trésors surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, au Musée canadien de l’histoire à Gatineau (Québec).

Une contrefaçon à côté d’un authentique timbre de six pence du Nouveau-Brunswick. Chacun d’eux porte des images de fleurs et de couronnes.

Des versions fausse et authentique d’un timbre-poste du Nouveau-Brunswick (e001219080 et e001219065)

On peut comparer la fabrication et la découverte de faux timbres en tous genres au jeu du chat et de la souris. Les collectionneurs et les utilisateurs du système postal s’y adonnent encore de nos jours. Au cours de la dernière décennie, un expert en philatélie a estimé que les timbres frauduleux coûtent, chaque année, plusieurs millions de dollars à Postes Canada. Heureusement, des services d’authentification diminuent les risques pour les collectionneurs. Avant d’acheter un article, ils peuvent le soumettre à un comité d’experts qui se spécialise dans l’art de distinguer le vrai du faux. Grâce à sa bibliothèque de timbres faux, falsifiés et contrefaits, Bibliothèque et Archives Canada peut donner un coup de main dans cette discipline hautement spécialisée.

Autres ressources


James Bone est archiviste philatélique et artistique à la Division des archives visuelles et sonores de Bibliothèque et Archives Canada.

Attendez-vous à des surprises!

Par Forrest Pass

Qu’est-ce que des cartographes inuit, le compositeur allemand Ludwig van Beethoven, un célèbre faussaire de timbres italien et des espions soviétiques peuvent bien avoir en commun? C’est simple : tous ont des œuvres conservées dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada! Leurs artefacts, et bien d’autres encore, sont présentés dans l’exposition Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada, inaugurée au Musée canadien de l’histoire le jeudi 8 décembre 2022. Les visiteurs auront le privilège d’admirer de nombreux articles que l’on ne s’attend guère à retrouver dans la bibliothèque et les archives nationales du Canada.

Quelque 40 documents originaux, cartes, photographies, livres rares et œuvres d’art sont au menu. Les lecteurs assidus du blogue savent déjà que les chercheurs et notre personnel trouvent souvent des surprises dans la collection, une source inépuisable d’histoires insolites à raconter. Inattendu! vous propose de grands classiques, mais aussi de nouvelles trouvailles qui n’avaient encore jamais été exposées.

Papier ligné portant du texte manuscrit à l’encre noire, avec des mots biffés en rouge.

Un agent secret reçoit des directives de ses supérieurs. En 1945, les autorités canadiennes reçoivent des documents d’espionnage soviétiques comme celui-ci, ce qui contribue au déclenchement de la Guerre froide. (e011316511_s1)

L’exposition se divise en trois thèmes. Le premier, « Merveilles », présente des artefacts qui intriguent ou fascinent leur public depuis leur création. Les visiteurs apprendront comment une composition manuscrite de Beethoven a abouti au Canada et découvriront à quoi ressemblait la réalité virtuelle au 18e siècle. En outre, deux visions opposées de l’Arctique seront présentées : celle d’un cartographe européen qui n’a jamais visité la région, mais qui pallie cette lacune avec une vive imagination, et celle de deux cartographes inuit profondément enracinés dans ce territoire.

Une rue où se trouvent des bâtiments roses, verts et beiges, des soldats, un chien, un cheval et un chariot.

La perspective adoptée sur ce dessin imaginaire d’une rue de Québec apparaît en trois dimensions lorsqu’elle est regardée à l’aide d’un zograscope. Un appareil de ce type a été reconstitué pour l’exposition afin que les visiteurs puissent vivre une expérience de réalité virtuelle fort à la mode dans les années 1770. (e011309357)

Dans le deuxième thème, « Secrets », l’exposition examine comment et pourquoi les gens gardent des secrets, et comment ils s’y prennent pour les divulguer aux personnes qui ont besoin de savoir. Les visiteurs pourront déchiffrer une lettre d’amour codée, s’interroger sur le symbolisme d’un tableau rituel maçonnique peint il y a des siècles, et comprendre pourquoi un archiviste fédéral a tenté d’inscrire des chats sur la liste de paie du gouvernement.

Le troisième et dernier thème, « Mystères », propose des questions non résolues. Les visiteurs auront la chance d’analyser un dossier d’enquête sur un OVNI et de contempler la « carte dans une tête de fou », imprimée au 16e siècle. Probablement l’une des cartes les plus étranges jamais dessinées!

Deux timbres jaunes placés en diagonale sur une page. Une étampe à l’encre bleue est apposée sur chacun.

Un de ces timbres de 1851 du Nouveau-Brunswick est une contrefaçon. Pouvez-vous le reconnaître? (e011309360 et e011309361)

Certains artefacts de l’exposition sont amusants, d’autres sont étranges, et d’autres encore suscitent la réflexion. Mais tous révèlent quelque chose d’important sur le passé, pourvu qu’on ne s’arrête pas à leur côté insolite. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont fait leur chemin jusqu’à la collection de Bibliothèque et Archives Canada!

Inattendu! est le dernier volet d’une série d’expositions organisées par Bibliothèque et Archives Canada en partenariat avec le Musée canadien de l’histoire. En tant que conservateur, j’ai eu le plaisir et l’honneur de collaborer avec une équipe multidisciplinaire réunissant des professionnels des expositions et des collections des deux institutions. En plus d’accueillir l’exposition, le Musée a exploité son expertise du développement créatif et de la scénographie pour créer une ambiance rappelant celle des romans policiers et des films d’espionnage du milieu du siècle dernier. Il a aussi créé des éléments interactifs pour aider les visiteurs à mieux comprendre et apprécier les artefacts.

Inattendu! Trésors Surprenants de Bibliothèque et Archives Canada sera à l’affiche au Musée canadien de l’histoire jusqu’au 26 novembre 2023. Au cours des prochains mois, ce blogue et les comptes de médias sociaux de Bibliothèque et Archives Canada donneront plus de détails sur les formidables trésors exposés. C’est à ne pas manquer!


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des Expositions de Bibliothèque et Archives Canada.