L’éducation dans les externats sous le régime de la Loi sur les Indiens : quelles conséquences pour les enfants inuit et métis?

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Par William Benoit et Alyssa White

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Des années 1860 aux années 1990, le gouvernement fédéral a exploité près de 700 externats indiens fédéraux dans tous les territoires et toutes les provinces (à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador), avec la collaboration des églises presbytérienne, unie, anglicane et catholique. Contrairement aux pensionnats indiens, les externats fonctionnaient seulement durant le jour. Leur but était cependant le même : assimiler les enfants des Premières Nations, inuit et de la Nation Métisse à la société « blanche » en effaçant en eux les langues et les cultures autochtones.

Maison de bois blanche avec un toit en croupe, derrière une clôture de fil de fer supportée par des poteaux en bois. La porte métallique de la clôture est ouverte.

Externat de Fishing Lake près de Wadena (Saskatchewan), vers 1948. (e011080261)

De nombreux élèves autochtones ont subi des abus verbaux, physiques et sexuels dans les externats. De plus, les communautés n’avaient pas leur mot à dire sur les programmes d’étude et le fonctionnement de ces établissements. Dans les années 1970, 1980 et 1990, le gouvernement fédéral a commencé à céder le contrôle sur les externats aux Premières Nations et aux Inuit, et les communautés ont enfin pu gérer – du moins en partie – l’enseignement donné à leurs enfants.

Selon Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, de 180 000 à 210 000 élèves ont fréquenté les externats fédéraux entre 1923 et 1994 (une estimation fondée sur les données historiques et l’expertise statistique du Ministère). Les trois groupes autochtones n’ont pas été touchés de la même façon, les élèves des Premières Nations étant plus nombreux que les élèves inuit et métis. Chaque groupe avait une relation particulière avec le gouvernement fédéral, et des problèmes distincts concernant les services d’éducation que le gouvernement prétendait offrir. Par exemple, le gouvernement accepterait-il d’assumer ses responsabilités en matière d’éducation et de financement pour les Inuit et les Métis? Les documents concernant les divers groupes n’étaient pas conservés avec le même soin et la même cohérence non plus.

Le présent article aborde les répercussions des externats fédéraux sur les Inuit et la Nation Métisse, dont les expériences divergent de celles des Premières Nations et ne sont généralement pas aussi bien documentées.

Enfants de la Nation Métisse dans les externats indiens fédéraux : des chiffres impossibles à déterminer

La présence d’enfants métis dans les externats ne fait aucun doute, mais connaître leur nombre est pratiquement mission impossible. On peut raisonnablement présumer que les élèves métis et indiens non inscrits qui vivaient dans la zone d’implantation d’un externat le fréquentaient, surtout s’il n’y avait pas d’école provinciale ou religieuse à proximité.

Le gouvernement fédéral s’est davantage préoccupé des personnes assujetties à la Loi sur les Indiens – c’est-à-dire les Indiens inscrits –, aux dépens des personnes considérées comme Métis et Indiens non inscrits. Il faut en tenir compte quand on aborde la question de la fréquentation des externats. Cela rend compte de la difficulté pour les Métis d’obtenir des services gouvernementaux, par exemple en santé et en éducation. En fait, les Métis et les Indiens non inscrits tombaient dans une sorte de vide juridique : les gouvernements provinciaux et fédéral se renvoyaient la balle, chacun refusant d’assumer ses responsabilités et son pouvoir législatif.

La Loi sur les Indiens

L’enjeu plus global du statut d’Indien défini dans la Loi mérite également notre attention, notamment en ce qui concerne ses répercussions sur l’identité des Autochtones.

Sous le régime de la Loi, les Indiens inscrits sont sous la protection du gouvernement canadien. Cette relation juridique paternaliste découle d’une vision impérialiste considérant les Autochtones comme des enfants auxquels il faut montrer un mode de vie colonial « civilisé ». Le gouvernement a créé les externats et les pensionnats indiens fédéraux afin de contrôler ses pupilles.

La Loi sur les Indiens ne s’applique qu’aux Indiens inscrits. Les Inuit et les Métis n’étant pas considérés comme des Indiens, ils ont été privés des droits que confère ce statut, même s’ils étaient Autochtones et contribuaient à former la nation canadienne.

Contexte historique entourant l’identification des enfants de la Nation Métisse

Pour qu’on sache avec précision le nombre d’élèves ayant fréquenté les externats parmi les Indiens non inscrits (Premières Nations), les Inuit et les Métis, il aurait fallu que le gouvernement fédéral reconnaisse sa responsabilité juridique à leur égard. Dans le cas des Inuit, on considère généralement que l’obligation juridique du gouvernement a commencé en 1939, quand la Cour suprême a tranché la question de savoir si les « Esquimaux » étaient des « Indiens » (1). Pour ce qui est des Métis et des Indiens non inscrits, la date communément admise est 2016, année où la Cour suprême a statué que ces groupes doivent légalement être considérés comme des « Indiens » au sens de la Loi constitutionnelle (2).

Les documents du gouvernement fédéral témoignent d’une triste réalité : très peu de données ont été recueillies lorsqu’il n’y avait aucune obligation légale de servir ces communautés. Par conséquent, les documents sur les externats produits entre les années 1860 et 1990 n’identifient pas les élèves métis et non inscrits. On peut dire la même chose des Inuit avant 1939. Les sources gouvernementales ne permettent donc pas de connaître avec précision le nombre d’enfants métis ayant fréquenté les externats.

Enfants inuit dans les externats indiens fédéraux : loin de leur famille et de leur foyer

Quatre régions forment actuellement l’Inuit Nunangat : la région désignée des Inuvialuit (dans le nord des Territoires du Nord-Ouest), le Nunavut, le Nunavik (dans le nord du Québec) et le Nunatsiavut (dans le nord du Labrador). Les premiers externats fédéraux ont été ouverts dans le sud du Canada au début des années 1860. Il a fallu attendre la fin des années 1940 et le milieu des années 1950 pour que des externats soient ouverts au Nunavut.

Carte montrant la mer en bleu et la terre en vert pâle. Les noms des communautés sont écrits en caractères syllabiques inuktitut, et suivis des noms inuit et anglais.

Carte de l’Inuit Nunangat (territoire des Inuit), gracieuseté d’Inuit Tapiriit Kanatami.

Parmi les externats les plus proches des enfants inuit, mentionnons ceux à Old Crow Village (Yukon), Fort Simpson (Territoires du Nord-Ouest), Churchill (Manitoba), Fort Severn (Ontario) et Fort George (Québec). Certains de ces établissements éloignés fermaient parfois leurs portes pendant plusieurs années.

Contrairement aux élèves des pensionnats indiens (ou foyers fédéraux), hébergés pendant des mois loin de leurs familles, les élèves des externats pouvaient rentrer chez eux le soir. Mais les besoins des communautés inuit étaient largement ignorés puisque les externats étaient souvent construits dans les communautés des Premières Nations (ou à proximité), une situation qui a perduré jusqu’aux années 1940.

Les externats avaient pour but d’éviter les séparations. Pourtant, les enfants inuit étaient emmenés loin de chez eux, parfois sans avertissement. Leur nouveau milieu différait par le climat, l’écosystème, la culture sociale et la langue. Même la faune et la flore étaient méconnaissables. Parler d’un choc serait bien en deçà de la vérité pour décrire leur expérience.

La photo ci-dessous semble montrer un moment heureux : deux garçons souriants profitent d’une journée en plein air avec leurs familles pour aller voir un avion dans le hameau d’Iglulik. Ce que l’image ne dit pas, c’est qu’ils ignorent qu’on les embarquera dans quelques minutes à bord de cet avion qui les transportera à 800 kilomètres de là, à l’externat fédéral Sir Joseph Bernier, à Igluligaarjuk (Chesterfield Inlet). (3)

Deux garçons debout sur la rive regardent l’objectif.

Kutik (Richard Immaroitok) et Louis Tapadjuk, Iglulik (Nunavut), 1958. (e004923422)

Comme la présence à l’école est devenue obligatoire dans les années 1920, le contrôle du gouvernement fédéral sur l’éducation des enfants inuit imposait certainement un stress et des craintes aux familles.

Les externats nordiques étaient de petites installations comprenant généralement d’une à trois classes ainsi qu’une résidence pour le personnel. Selon leur emplacement, ils pouvaient accueillir de 8 à 20 élèves environ. Lorsqu’un externat était comblé, les autres enfants de la région étaient envoyés dans un autre établissement, au sud ou à l’ouest.

Deux bâtiments en bois de plain-pied, peints en vert pâle, sur un terrain rocailleux. On voit à l’arrière-plan une haute colline couverte d’arbres. À gauche se trouve une pancarte blanche avec du texte en noir, fixée sur des poteaux de bois.

Externat de Qunngilaaq (anciennement Reindeer Station, Territoires du Nord-Ouest), entre 1950 et 1960. (e011864959)

Les enfants qui n’avaient pas accès à un externat local étaient envoyés dans un pensionnat, une pension de famille ou un foyer d’accueil, à plusieurs centaines ou milliers de kilomètres de leur famille et de leur milieu de vie, confiés à de parfaits étrangers dans des lieux qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils n’avaient pas le droit de quitter. Les distances et les coûts des déplacements empêchaient souvent toute visite familiale. Résultat : certains enfants inuit étaient séparés de leur famille pendant des années.

Des externats ont été construits partout au pays dans les années 1940 à 1980, comme ceux dans le Grand Nord, pour servir les communautés isolées sur la rive sud de l’île d’Ellesmere et de Resolute Bay (Nunavut).

Pour donner une idée de la répartition des externats au Canada et des difficultés des communautés éloignées, sur les 699 externats connus, seulement 75 devaient servir le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le nord du Québec. À peine 7 d’entre eux existaient avant les années 1940 (au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest); les 68 autres furent construits entre 1940 et 1969.

Le projet sur les externats

Le projet sur les externats vise à repérer, décrire, numériser et rendre accessibles des documents gouvernementaux sur les externats indiens fédéraux. À terme, le public pourra consulter ces documents.

Les documents numérisés comprennent des listes nominatives d’externats, des documents sur les pensions de famille, les foyers d’accueil et autres foyers, des demandes et autorisations de transfert ainsi que des documents sur les adoptions ou les départs des externats. Ils peuvent servir à retracer le parcours de nombreux enfants autochtones dans les externats et les divers types de foyers.

Soulignons toutefois que l’accès à la plupart des documents sur les externats est restreint selon la loi. Pour les consulter, il faut avoir recours aux lois sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. Malgré ces embûches, le projet vise à jeter les bases qui faciliteront autant que possible l’accès aux documents. Pour cela, il faut notamment rendre les procédures et les ressources plus faciles à comprendre et à utiliser. Les descriptions détaillées des archives sont un pas dans cette direction. Pour plus de renseignements sur la façon d’accéder aux documents numérisés grâce au projet, consultez l’aperçu du projet et son guide de recherche.

Les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse doivent avoir accès à leur histoire pour guérir, apaiser leurs souffrances et aller de l’avant. Le public canadien doit aussi y avoir accès, pour mieux comprendre comment le pays s’est construit et former un avenir meilleur pour tout le monde.

Le chemin vers la réconciliation est long. L’accès à l’information et la sensibilisation du public seront essentiels pour progresser. La souveraineté des Autochtones sur leurs données et l’accès communautaire aux documents sont deux des principaux obstacles qu’il reste à franchir.

Autres ressources de Bibliothèque et Archives Canada

Ressources externes

Références

  1. Reference as to whether “Indians” includes “Eskimo”,1939 CanLII 22, [1939] SCR 104. Cette décision de la Cour suprême du Canada porte sur la reconnaissance constitutionnelle des Inuit au Canada. L’affaire porte sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui s’appelait alors Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Cette disposition conférait au gouvernement fédéral une compétence législative sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens ». La Cour suprême considérait qu’aux fins du paragraphe 91(24), les Inuit devaient être considérés comme des Indiens.
  2. Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 SCC 12, [2016] 1 SCR 99. Cette décision de la Cour suprême du Canada porte sur la reconnaissance constitutionnelle des Métis et des Indiens non inscrits au Canada. Ceux-ci sont également considérés comme des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24). La Cour estime que c’est le gouvernement fédéral et non les gouvernements provinciaux qui ont la responsabilité juridique de légiférer sur les enjeux qui concernent les Métis et les Indiens non inscrits. Le paragraphe 91(24) de l’Acte constitutionnel, 1867 traite des compétences exclusives du gouvernement fédéral.
    Le statut d’Indien (personne des Premières Nations) au sens de l’Acte constitutionnel n’est pas le même que le statut d’Indien inscrit défini dans la Loi sur les Indiens. Cette décision de la Cour suprême n’accorde donc pas le statut d’Indien aux Métis et aux Indiens non inscrits. Elle pourrait cependant engendrer de nouvelles discussions et négociations, voire des litiges contre le gouvernement fédéral au sujet des revendications territoriales et de l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services gouvernementaux.
  3. Greenhorn, Beth. « The Story behind Project Naming at Library and Archives Canada », dans Atiquput: Inuit Oral History and Project Naming, Carol Payne, Beth Greenhorn, Deborah Kigjugalik Webster et Christina Williamson (directrices de publication), 70-71. Montréal et Kingston: Presses de l’Université McGill-Queen’s, 2022.

William Benoit est un conseiller autochtone pour le projet sur les externats.
Alyssa White est adjointe en archivistique pour le projet sur les externats.

Soldats autochtones de la Première Guerre mondiale : à la recherche d’anciens combattants oubliés

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Ethan M. Coudenys

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Pour de nombreux chercheurs autochtones, dont je fais partie, il est essentiel de comprendre le point de vue des premiers habitants du territoire sur la Première Guerre mondiale. Il faut parfois chercher des heures et des heures pour savoir si un ancien combattant de la Grande Guerre était bel et bien autochtone. Nous avons d’excellentes ressources sur quelques militaires bien connus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse, mais ce domaine de la recherche historique cache encore bien des mystères.

Le présent blogue ne vise pas à raconter l’histoire générale des Autochtones qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale. Je ne tenterai pas non plus de synthétiser l’expérience de ces militaires dans un seul billet de blogue. Je vais plutôt raconter les histoires de deux personnes fort différentes et présenter des méthodes de recherche pour trouver de l’information sur les Autochtones qui ont servi pendant la Grande Guerre.

L’histoire de John Shiwak

Deux photos du même homme assis en uniforme militaire.

John Shiwak du Royal Newfoundland Regiment, no 1735. The Rooms, Item E 29-45.

John Shiwak est né en 1889 à Rigolet, au Labrador. Membre d’une communauté inuite, il est un chasseur-trappeur expérimenté lorsqu’il se joint au First Newfoundland Regiment (qui deviendra le Royal Newfoundland Regiment) le 24 juillet 1915. Il est encore à l’entraînement lorsque le régiment sort de la tranchée Saint John’s Road à Beaumont-Hamel, le 1er juillet 1916, pour lancer la bataille de la Somme. Quand Shiwak rejoint le régiment en France trois semaines plus tard, le 24 juillet, il constate, comme bien d’autres, à quel point le régiment a été ravagé pendant les 45 minutes de son combat sur la Somme. En avril 1917, Shiwak est promu au grade de caporal suppléant. Malheureusement, en novembre, soit moins d’un an avant la fin des combats, John Shiwak est atteint par un obus pendant la bataille de Masnières (dans le cadre de la première bataille de Cambrai). Il y trouve la mort avec six compagnons de son unité.

Groupe de cinq hommes assis ou debout.

Membres de la Légion des pionniers (avant 1915); John Shiwak est debout à gauche. The Rooms, Item IGA 10-25.

De telles histoires sont courantes pendant la Première Guerre mondiale. L’homme inuk a été tué dans l’exercice de ses fonctions, au milieu de ses frères d’armes. Ce qui ajoute à la tristesse de la tragédie, c’est que le lieu de sépulture de ces sept courageux hommes n’a jamais été retrouvé. Une hypothèse veut qu’une école ait été construite alors que l’on ignorait la présence des corps de sept soldats de la Grande Guerre à cet endroit. Cependant, comme tous les hommes tués dont le lieu de sépulture demeure inconnu, Shiwak ne tombera pas dans l’oubli. Son nom restera à jamais gravé sur les plaques de bronze au Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel, en France, et sur un monument semblable à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.

L’histoire d’Angus Edwardson

Le soldat Angus Edwardson m’intéresse particulièrement, car il est mon arrière-arrière-grand-père. Il a combattu à Passchendaele. Il est né en 1894 à Lac-Barrière, environ 300 kilomètres au nord-ouest d’Ottawa, dans une communauté nordique en grande partie algonquine anishinaabe. Selon son formulaire d’enrôlement, Edwardson et sa famille vivaient à Oskélanéo, au Québec. Pendant très longtemps, notre famille ignorait qu’il était Autochtone et ne connaissait pas les détails de son séjour dans les tranchées.

Heureusement, mon domaine de travail m’amène à faire des découvertes extrêmement intéressantes. Le recensement de 1921 m’a appris qu’il était un ancien soldat. J’ai ensuite pu trouver ses feuilles d’engagement.

L’histoire d’Edwardson n’est pas aussi remarquable que celle de Shiwak, mais elle donne une idée des difficultés que doivent surmonter les chercheurs qui s’intéressent à des Autochtones ayant fait partie du Corps expéditionnaire canadien (CEC) ou des Forces armées britanniques en général.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson, sur deux pages.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson (matricule 1090307).

Selon l’agent de recrutement qui remplit les feuilles d’engagement, Edwardson a le teint pâle, les yeux bleus et les cheveux foncés, une description qui ne correspond pas à l’idée qu’on se fait généralement d’un Autochtone. Il ne dit pas non plus qu’Edwardson fait partie des Premières Nations en écrivant le mot « Indien », fréquemment employé à l’époque, dans la section réservée aux marques distinctives, aux particularités congénitales et aux signes d’anciennes maladies.

Son dossier nous apprend qu’Edwardson est membre du 253e bataillon d’infanterie (Université Queen’s), mais qu’il sert dans plusieurs bataillons et régiments pendant son passage au front. Le 28 août 1918, alors membre du 213e Bataillon, il est blessé à la main gauche par une balle.

Difficultés pour les chercheurs

Comme je l’ai mentionné, ne pas savoir si un membre du CEC est Autochtone constitue un sérieux obstacle pour les chercheurs. Les dossiers d’engagement demeurent parfois entièrement muets à ce sujet. C’est même très courant pendant les dernières années de la Première Guerre mondiale. Aucun des deux hommes dont j’ai parlé n’est désigné comme un « Indien » sur son formulaire d’engagement. Nous devons donc nous fier à d’autres sources pour savoir s’ils étaient bien Autochtones.

Les recensements, souvent négligés, constituent la première de ces sources. Ils procurent des renseignements essentiels sur les personnes recherchées. Et les renseignements personnels améliorent considérablement les chances de réussite lorsqu’on cherche des Autochtones ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. J’ai découvert qu’Edwardson était Autochtone parce qu’il est inscrit comme tel dans le recensement de 1921. Dans le cas de Shiwak, j’ai dû suivre un tout autre chemin, parsemé d’embûches. J’ai fini par trouver ses origines ethniques dans les mémoires de Sydney Frost, un capitaine du Royal Newfoundland Regiment, intitulés A Blue Puttee at War. Il existe encore d’autres sources confirmant que Shiwak était Autochtone.

Liste de noms dans le recensement de 1921, avec le sexe, l’âge et l’origine de chacun.

Déclaration de recensement d’Angus Edwardson et de sa famille, 1921 (e003065155).

Les sources secondaires sur la Première Guerre mondiale sont innombrables. Il suffit de chercher le nom de Shiwak pour en trouver plusieurs. Mais quand il s’agit de membres autochtones du CEC moins connus, ce n’est pas si simple. L’excellent livre For King and Kanata: Canadian Indians and the First World War, par Timothy Winegard, explique comment nous pourrions améliorer nos techniques pour chercher des individus et des groupes autochtones au sein du CEC. L’auteur souligne implicitement le rôle des communautés, qui décidaient d’envoyer des hommes s’enrôler. Cependant, cette piste n’est pas facile à suivre. Ça vaut la peine de communiquer avec des sociétés de généalogie locales ou des communautés autochtones pour qu’elles nous aident à trouver des listes de noms. Elles peuvent aussi nous donner une petite idée du nombre d’hommes de cette communauté qui ont servi dans l’armée.

Les dernières sources d’information très utiles pour des recherches de cette nature sont ce qu’on appelait les « Registres des Indiens ». Ces archives dressent des listes de membres de nombreuses bandes. Il s’agit d’une excellente source si vos recherches portent sur une bande précise et si vous pouvez vous rendre dans les locaux de Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa. Par contre, la difficulté reste entière pour les chercheurs qui ne connaissent pas le nom de la bande et qui ignorent si le sujet est mort pendant la guerre. Chercher un Inuk ou un Métis est encore plus difficile, car très peu de sources primaires ont été produites durant les années qui ont immédiatement suivi la Grande Guerre. Il est parfois possible de trouver un Inuk ou un Métis ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment grâce à des sources secondaires, mais c’est un processus long et ardu.

Conclusion

Le caporal suppléant John Shiwak (Inuk) et le soldat Angus Edwardson (Premières Nations) ont tous deux combattu pendant la Première Guerre mondiale. Les deux exemples montrent les obstacles à surmonter pour trouver de l’information sur des Autochtones qui ont fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. Les multiples défis peuvent poser des difficultés considérables. Il existe néanmoins des ressources, comme les archives (notamment les recensements), les communautés autochtones locales et les sources propres à certains peuples autochtones conservées à Bibliothèque et Archives Canada. Ces solutions possibles ne permettent cependant pas de résoudre tous les problèmes pour les chercheurs qui s’intéressent aux Autochtones ayant participé à la Première Guerre mondiale.

Autres ressources


Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada. Fier de ses origines innues, il est aussi le descendant d’une personne ayant survécu aux pensionnats autochtones.

Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada.

Par Karyne Holmes

 Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Dans le livrel multilingue interactif De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada, des employés des Premières Nations, Inuit et de la Nation Métisse présentent des centaines d’articles conservés à Bibliothèque et Archives Canada. L’élaboration du livrel a commencé en 2018, peu après mon arrivée à BAC en tant que chercheuse pour l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires. Celle-ci vise à chercher, numériser et décrire les documents relatifs aux Autochtones pour qu’ils soient plus faciles à consulter.

J’ai eu l’honneur d’être invitée à rédiger des essais, ainsi que l’introduction du livrel intitulée « Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue ». Pour écrire l’introduction, j’ai songé à l’impact que peut avoir la découverte de documents familiaux historiques dans la vie d’une personne. Je me suis aussi demandé pourquoi le travail accompli dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires était si important. Je voulais également faire connaître la valeur inestimable de certains projets, comme le livrel et cette initiative de BAC. L’introduction explique enfin que le livrel favorise la connaissance et la réappropriation des langues autochtones.

Deux femmes et une fille debout dans l’herbe. Derrière elles, une peau d’orignal étirée est attachée par des cordes à un cadre en bois. La fille porte un bébé et la femme à gauche tient la main d’un petit enfant. De grands arbres minces ayant perdu leurs feuilles se trouvent à l’arrière-plan.

Des femmes et des enfants denesųłiné debout devant un cadre de tannage de peaux d’orignal, lac Christina (Alberta), 1918 (a017946). Cette photo est présentée dans l’essai « Tannage traditionnel de peaux de caribou et d’orignal dans les collectivités dénées du Nord » rédigé par Angela Code.

Le Comité directeur sur les archives canadiennes a récemment publié le cadre de réconciliation en réponse à l’appel à l’action no 70 lancé par la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Ce rapport reconnaît que « les archives coloniales […] ont largement contribué à la formation d’un récit historique canadien qui privilégie les réalisations de la société de colonisateurs eurocentrique au détriment des identités, expériences et histoires des Premières Nations, des [Inuit et de la Nation Métisse]. » Un des principaux messages transmis dans le cadre est que les archives doivent respecter la souveraineté intellectuelle des peuples autochtones sur les documents créés par ces derniers et les concernant. De plus, ces archives doivent intégrer les points de vue, les connaissances, les langues, les histoires, les noms de lieux et les interprétations des Autochtones.

Le cadre donne des pistes pour intégrer la réconciliation aux pratiques archivistiques qui témoignent du travail amorcé à BAC. Notre publication collaborative De Nations à Nations constitue une précieuse ressource éducative pour montrer l’importance de replacer les archives dans leur contexte afin de faire connaître la grande diversité des points de vue et des expériences des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse.

Pidji-ijashig – Anamikàge – Pee-piihtikweek – Tunngasugit – ᑐᙵᓱᒋᑦ – Bienvenue : introduction du livrel De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada

Pour lire ce billet de blogue en anishinabemowin, visitez le livrel. De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Les documents d’archives et les ressources documentaires des bibliothèques nous donnent un aperçu de la vie et des expériences de nos ancêtres. C’est le cas pour tous les peuples, mais de tels documents revêtent une signification particulière pour les peuples autochtones. Les politiques et les actions coloniales, encore courantes de nos jours, ont séparé nos familles et rompu les liens qui nous unissent aux cultures, aux communautés, aux connaissances et aux récits de nos peuples, tout en nous privant d’y accéder. Les documents d’archives facilitent la découverte de l’histoire des familles et des communautés. Ils contribuent également à raviver des souvenirs et à restaurer le savoir, des réalités que beaucoup de gens ont oubliées en partie pendant l’ère des pensionnats et le retrait forcé des enfants autochtones de leurs familles. Grâce aux documents historiques, chaque personne peut retrouver des pièces manquantes et découvrir de nouvelles informations sur son histoire personnelle et celle de sa communauté. Ces pièces nous permettent de raconter nos histoires dans nos propres mots et de les faire connaître au monde entier.

Un homme et son épouse debout devant un bâtiment. Une de leurs filles est debout à côté de sa mère. Leur fils et leur deuxième fille sont assis devant eux.

Michel Wakegijig et sa famille à l’extérieur de leur résidence, Première Nation Wiikwemkoong, vers 1916 (e011310537-040_s1).

Certes, la valeur des documents historiques est indéniablement reconnue. Toutefois, la majorité des documents conservés par Bibliothèque et Archives Canada (BAC) ont été créés, recueillis et interprétés selon une perspective coloniale. Par conséquent, de nombreux documents concernant les communautés autochtones ne rendent pas tous les détails et dressent un portrait inexact des faits. En outre, ils sont souvent présentés selon le point de vue et l’intérêt de l’auteur et l’importance qu’il leur accorde. Pour parvenir à mettre en contexte et à interpréter les documents qui concernent les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse, il est essentiel de les jumeler aux connaissances autochtones.

Formulaire textuel avec questions dactylographiées et réponses manuscrites.

Page de la déclaration de Lucie Bellerose pour demander un certificat des Métis, signée à Saint-Albert en 1885. Les certificats numérisés comprennent des renseignements biographiques sur les ancêtres de la Nation Métissse (e011358921).

Les initiatives en cours à BAC donnent aux Premières Nations, aux Inuit et à la Nation Métisse la priorité quant à la gestion du contenu lié aux peuples autochtones. L’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires vient modifier les descriptions de documents d’archives en adoptant une perspective de décolonisation. Afin que les descriptions représentent fidèlement le contenu des documents d’archives, nous y intégrons des noms de lieux, de communautés et de personnes ainsi que des termes culturels. L’initiative Écoutez pour entendre nos voix apporte un soutien aux communautés qui souhaitent contrôler et préserver tout matériel propre aux langues autochtones qui a été créé et hébergé dans ces communautés.

Une femme debout dans la neige. Elle porte un capuchon avec une doublure de fourrure et des bottes couvertes de fourrure qui montent jusqu’aux genoux. Elle tient un sac à main en cuir brun dans sa main gauche.

Jeune femme inuk de Kinngait (anciennement Cape Dorset) portant un parka rouge de style qilapaaq (ourlet droit) ainsi que des kamiik (bottes) avec des ours polaires brodés sur les doublures de laine, Iqaluit, Nunavut (anciennement Frobisher Bay, Territoires du Nord-Ouest) (e011212600). Cette photo a été décrite dans le cadre de l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires.

Le présent livrel offre une collection d’archives et de documents publiés qui sont conservés à BAC et qui ont été sélectionnés par des membres de l’équipe de BAC s’identifiant comme faisant partie des Premières Nations, des Inuit ou de la Nation Métisse. Les documents choisis – tirés de transcriptions, photographies, cartes, matériel audiovisuel et publications – mettent en lumière l’importance de notre identité culturelle et reflètent nos expériences personnelles en matière d’apprentissage et de connaissance de notre propre histoire. Les essais du livrel présentent des voix différentes, des perspectives multiples et des interprétations personnelles des documents.

Aquarelle montrant un groupe de personnes accompagnées de deux chiens, debout sur une rivière gelée, dans le coin inférieur gauche. Plusieurs d’entre eux portent des harpons. Un autre chien court en direction du groupe. À l’arrière-plan, quelques petits groupes de personnes, plusieurs chiens et un cheval se tiennent sur la glace. Un fort en bois domine la rive gauche. Quelques bâtiments de bois plus petits se trouvent sur la rive opposée, au loin.

Pêche hivernale sur la glace des rivières Assiniboine et Rouge (à l’emplacement actuel de Winnipeg). Un fort se trouve à l’arrière-plan, Manitoba, 1821 (e011161354). Cette œuvre est présentée dans l’essai « Trois mille ans de pêche sur la rivière Rouge », par William Benoit.

Lorsque cela est possible, une traduction est fournie dans la langue parlée par les personnes dont il est question dans l’essai. Pour les Autochtones, la langue est inextricablement liée à la culture. Les langues autochtones sont exceptionnellement descriptives des objets, des expériences et des émotions, des éléments qui ne peuvent être entièrement expliqués ou traduits en français ou en anglais. Les langues des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse ont été transmises d’une génération à l’autre par les récits, les chants et les expériences liées au territoire. La langue est largement influencée par le paysage physique d’un lieu et ses ressources. Ces éléments ont façonné les vocabulaires autochtones et chaque peuple possède des représentations et des valeurs uniques, propres à sa culture. Partout au Canada, les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse se réapproprient leurs langues pour renouer avec leur histoire, assurer la continuité culturelle et honorer leurs ancêtres en connaissant les langues par lesquelles ces derniers interprétaient le monde.

À noter que l’écriture des langues et des noms des peuples autochtones suit les désirs exprimés par les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse. Les règles grammaticales du français et de l’anglais ne sont donc pas toujours respectées.

Autres ressources de Bibliothèque et Archives Canada


Karyne Holmes est conservatrice à la Division des expositions et des prêts. Elle a aussi été archiviste pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires, visant à numériser les documents relatifs aux Autochtones conservés à Bibliothèque et Archives Canada.

Le tikinagan : transporter les nourrissons en toute sécurité

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Pour lire ce billet de blogue en kanien’keha, visitez le livrel.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Les Premières Nations et la Nation Métisse utilisent les tikinagans pour transporter les nouveau-nés en toute sécurité. Les modèles varient d’une nation à l’autre, mais ils sont généralement faits de petites pièces de bois. Le nourrisson est solidement emmailloté dans une longue écharpe ou un sac fixé à une planche. Les tikinagans permettent aux parents de travailler de leurs mains et de se déplacer avec leur enfant en toute sécurité.

Une femme de Première Nation porte un bébé sur son dos.

Une femme de Première Nation transporte un enfant dans un tikinagan attaché à l’aide d’une sangle (e011303100-006)

Pour en savoir davantage sur les images de tikinagans dans les collections conservées à Bibliothèque et Archives Canada, lisez le billet de blogue de l’auteure kanien’keha:ka Elizabeth Kawenaa Montour, intitulé La signification et la polyvalence du tikinagan, ainsi que son essai Le tikinagan des Premières Nations : un legs durable.

Une famille devant une tente près de Lac Seul, en Ontario.

Mary Ann Trout-Carpenter et son époux George Carpenter avec leurs enfants. Le nourrisson dans le tikinagan est soit Melvin, soit Donna. James est auprès de sa mère, George se trouve au centre et Marianne se tient debout devant son père. Première Nation de Lac Seul, Ontario. (e008300467)

Cet essai a été publié dans le livrel interactif multilingue De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Il s’agit d’un recueil de 28 essais rédigés par Elizabeth Kawenaa Montour et d’autres membres du personnel issus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse. La plupart des textes sont écrits dans la langue du peuple autochtone dont ils racontent l’histoire et sont accompagnés d’une traduction française et anglaise. Les auteurs sont des archivistes, des conservateurs et des conseillers autochtones qui ont un lien personnel avec les articles de la collection présentés dans leurs essais. Ceux-ci témoignent de la diversité des récits, des langues et des cultures autochtones.

Une femme porte un bébé dans un tikinagan sur son dos.

Femme de Première Nation transportant un bébé dans un tikinagan, lieu inconnu, 1918 (a017973)

Comment dire « tikinagan » dans diverses langues autochtones

  • Anishnaabeg : tiginaaganan
  • Oji-cri : tikinagan (aussi épelé tiginaagan, tikkanaagan ou tikanagan)
  • Kanien’kéha : kahrhon
  • Mitchif : tikinagan
  • Mi’kmaq : migjowajij alapilaqan
  • Ojibwé : dikinaagan
  • Cri des plaines (nêhiyawêwin) : askotaskopison

Autres ressources

    • Porte-bébés, un album Flickr de Bibliothèque et Archives Canada

Un peuple dans l’ombre et la Nation Métisse : comment tout a débuté

Bannière pour le web de l'exposition Un peuple dans l’ombre. À droite, visage du guide métis Maxime Marion.Beth Greenhorn et William Benoit

Lorsque nous avons commencé nos recherches en vue d’une éventuelle exposition sur les Métis en 2014, nous n’avions aucune idée des sujets qui seraient explorés ni de la façon dont ils seraient présentés, du contenu que nous pourrions découvrir ni de la perception qu’en aurait le public. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) n’avait jamais auparavant créé d’exposition axée sur les citoyens, la culture et l’histoire de la Nation Métisse. Quand nous préparons une exposition, nous nous demandons souvent si notre travail sera bien accueilli. Le projet va-t-il perdurer ou passer comme un éclair?

Nous voulions mettre en valeur les documents sur les Métis contenus dans les archives de BAC, mais nous nous sommes vite rendu compte que même pour nous, le personnel de BAC, ces documents étaient difficiles à trouver. À l’automne 2014, la recherche du mot-clé « Métis » dans les œuvres d’art, les photos, les cartes et les timbres donnait comme résultat moins de cent documents. Nous avions du mal à croire que les collections de BAC contenaient si peu de documents relatifs aux Métis. Le problème devait être lié aux termes de recherche utilisés autrefois par les archives pour décrire les Métis. Ou encore, les images représentant des personnes, des activités et des communautés métisses devaient être décrites de façon erronée. Malgré ces obstacles, nous étions prêts à relever le défi!

Les travaux pour préparer l’exposition se sont accélérés en 2015. Nous avons organisé l’exposition en partenariat avec la Fédération Métisse du Manitoba (FMM) et le Ralliement national des Métis (RNM). Leur aide et leurs connaissances à cet égard ont contribué de façon inestimable à son succès.

De 2014 à 2016, nous avons examiné et mis à jour plus de 1 800 documents en ajoutant le mot « Métis » aux titres ou aux notes descriptives, afin de rendre ces documents plus accessibles et de mieux refléter la diversité des collections de BAC. En plus d’améliorer l’accès aux documents existants, BAC a numérisé plus de 300 nouveaux documents photographiques portant sur l’histoire des Métis, dont bon nombre ont été intégrés à l’exposition. Les stratégies que nous avons élaborées pour découvrir le contenu métis dans les collections de BAC (en utilisant les communautés métisses historiques et en cherchant des indications de la culture matérielle métisse) ont donné un titre parfait à l’exposition. Le contenu que nous recherchions était là depuis le début, mais caché « dans l’ombre »; il fallait seulement le trouver.

L’exposition Un peuple dans l’ombre a été inaugurée en février 2016 dans l’édifice principal de BAC au 395, rue Wellington, à Ottawa. Nous avons organisé l’exposition autour de deux thèmes : les portraits connus de citoyens métis, et les œuvres d’art et les photos représentant des indices visuels de la culture métisse.

L’exposition a pris une ampleur que nous n’avions jamais imaginée. En février 2017, elle a été adaptée pour un public international. Un peuple dans l’ombre : la Nation Métisse a été présenté au siège de l’UNESCO à Paris, en France. Grâce à l’enthousiasme et à l’aide financière de la FFM, du RNM et du gouvernement du Canada, Un peuple dans l’ombre a été transformé en une exposition itinérante de reproductions numériques. Depuis son ouverture en juin 2017 au Centre du patrimoine de Saint-Boniface, au Manitoba, l’exposition a été présentée dans 15 communautés du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Photo en couleur d’un lieu d’exposition présentant de grands panneaux verticaux avec des photos et du texte.

Installation de l’exposition Un peuple dans l’ombre au Centre du patrimoine de Saint-Boniface, au Manitoba, en juin 2017. Photo : Bibliothèque et Archives Canada

Un peuple dans l’ombre a été présenté au Red Deer Museum and Art Gallery, en Alberta, de décembre 2018 à mars 2019. Des citoyens métis de la région ont généreusement prêté des souvenirs et des trésors de leurs propres collections, ce qui a permis de personnaliser l’exposition et est venu enrichir les reproductions d’œuvres d’art et de photos détenues par BAC.

L’exposition est actuellement présentée au Swift Current Museum, en Saskatchewan. Nous sommes ravis de sa popularité, et en particulier du fait que les citoyens de la Nation Métisse résidant en dehors d’Ottawa ont accès à des documents patrimoniaux sur leur histoire. Il est également important que le grand public ait la possibilité d’en apprendre davantage sur les Métis, leur riche histoire et leur culture, d’une manière qui soit exacte et appropriée.

Ouvrir la voie à un meilleur accès aux documents concernant les Autochtones

Depuis l’instauration de l’exposition Un peuple dans l’ombre, axée sur les collections d’œuvres d’art et de photos, BAC a augmenté la quantité de contenu numérisé lié à la Nation Métisse. De 2018 à 2021, l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires a permis de numériser près de 600 000 documents, sur tous les types de support, qui concernaient les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse au Canada. Plus de la moitié de ces documents portent sur la Nation Métisse. L’équipe responsable de cette initiative a intégré aux descriptions des noms de lieux, de communautés et de personnes ainsi que des termes culturels afin de décrire les documents avec plus d’exactitude et de faciliter la recherche des documents pertinents. Parmi les documents numérisés, il y a des milliers de certificats de Métis et de cartes de lots de la rivière Rouge, y compris ce plan de 1880 montrant la paroisse de Lorette, au Manitoba.

Une carte en couleur montre des lots agricoles numérotés le long d’une rivière, avec des noms de personnes.

Plan des lots riverains dans la paroisse de Lorette, au Manitoba, 1880 (e011213853)

En 2021, BAC a publié De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Ce livrel multilingue et interactif présente 28 essais écrits par des collègues de BAC issus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse. Neuf de ces essais portent sur la Nation Métisse et comprennent des enregistrements audio en michif traditionnel qui accompagnent certaines images. De Nations à Nations est gratuit et téléchargeable sur la plateforme Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). Il est possible de consulter une version en ligne à partir d’un ordinateur de bureau, d’une tablette ou d’un navigateur Web sur appareil mobile sans module d’extension.

La seconde initiative « Nous sommes là : Voici nos histoires » a commencé en 2022 et se poursuit, avec la numérisation d’autres documents liés aux Premières Nations, aux Inuit et à la Nation Métisse. Soulignons que l’équipe responsable de cette seconde initiative s’appuie sur les travaux de réparation entrepris en 2014 en trouvant des documents d’archives et en modifiant leur description dans une perspective de décolonisation.

Pour en savoir plus sur Un peuple dans l’ombre, vous pouvez lire le billet de blogue rédigé en 2016, lorsque l’exposition a ouvert ses portes à Ottawa.

Pour en savoir plus sur l’engagement pris par BAC de jouer un rôle important en faveur de la réconciliation, vous pouvez lire le Plan d’action pour le patrimoine autochtone de BAC.

Autres ressources liées à la Nation Métisse


Beth Greenhorn est une pionnière habitant sur le territoire traditionnel non cédé des Anishinabeg de Kitigan Zibi et des Algonquins de Pikwakanagan. Elle est gestionnaire de projet principale à la Direction de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

 William Benoit est un Métis de la Rivière-Rouge. Il a grandi dans la communauté métisse historique de St. Norbert, au Manitoba. Il a de l’expérience dans le domaine de l’histoire canadienne et de la généalogie autochtone. Il est conseiller en engagement autochtone interne à la Direction de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Explorer l’histoire des peuples autochtones dans un livrel multilingue – Partie 2

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a lancé De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada pour coïncider avec la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre 2021. Les essais contenus dans la première édition de ce livre électronique interactif et multilingue présentent une large sélection de documents d’archives et de publications, comme des revues, des cartes, des journaux, des œuvres d’art, des photographies, des enregistrements sonores et cinématographiques, ainsi que des publications. Les biographies des auteurs sont également incluses. Bon nombre de ces derniers ont enregistré des salutations audio personnalisées sur la page de leur biographie, dont certaines dans leur langue ancestrale. Les essais sont variés et, dans certains cas, très personnels. Les histoires que racontent les auteurs remettent en question le récit dominant. Nous avons inclus, outre les biographies, des notices biographiques des traducteurs en reconnaissance de leur expertise et de leurs contributions.

Le livrel De Nations à Nations a été créé dans le cadre de deux initiatives autochtones à BAC : Nous sommes là : Voici nos histoires et Écoutez pour entendre nos voix. Les essais ont été rédigés par Heather Campbell (Inuk), Anna Heffernan (Nishnaabe), Karyne Holmes (Anishinaabekwe), Elizabeth Kawenaa Montour (Kanien’kehá:ka), William Benoit (Nation Métisse) et Jennelle Doyle (Inuk) du bureau de BAC de la région de la capitale nationale. Ryan Courchene (Métis-Anichinabe), du bureau régional de BAC à Winnipeg, ainsi que Delia Chartrand (Nation Métisse), Angela Code (Dénée) et Samara mîkiwin Harp (nêhiyawak), archivistes de l’initiative Écoutez pour entendre nos voix, se sont joints à eux.

Cette édition comprend les langues ou dialectes autochtones suivants : anishinaabemowin, anishinabemowin, denesųłiné, kanien’kéha, mi’kmaq, nêhiyawêwin et nishnaabemowin. Les essais relatifs au patrimoine inuit sont présentés en inuttut et en inuktitut. En outre, le contenu du patrimoine inuit est présenté en inuktut qaliujaaqpait (orthographe romaine) et en inuktut qaniujaaqpait (syllabique inuktitut). Le livrel présente des enregistrements audio en mitchif patrimonial d’images sélectionnées dans des essais relatifs à la Nation Métisse.

Préparer un tel type de publication est une entreprise complexe en raison de défis techniques et linguistiques qui font appel à la créativité et à la flexibilité. Les avantages d’un contenu dirigé par des Autochtones l’emportent cependant sur toutes les complications. Avec l’espace et le temps dont ils ont bénéficié, les auteurs ont récupéré des documents pertinents pour leurs histoires et offert de nouvelles perspectives grâce à leurs interprétations. Les traducteurs ont donné un sens nouveau aux documents, en décrivant la plupart d’entre eux, sinon tous, pour la première fois dans les langues des Premières Nations, l’inuktut et le mitchif.

L’archiviste Anna Heffernan décrit ainsi l’expérience vécue lors de la recherche et de la rédaction de son essai concernant la tradition manoominikewin (récolte du riz sauvage) des Michi Saagiig Nishnaabeg (Ojibwas de Mississauga) : « J’espère que les gens de Hiawatha, de Curve Lake et des autres collectivités Michi Saagiig seront heureux et fiers de voir leurs ancêtres sur ces photos, et de les voir représentés en tant que Michi Saagiig, pas seulement en tant qu’ »Indiens ». »

Une page du livre électronique contenant trois images noir et blanc de personnes et montrant les différentes étapes de la récolte du riz sauvage.

Page tirée de l’essai d’Anna Heffernan, « Manoominikewin : la récolte du riz sauvage, tradition des Nishnaabeg », traduit en nishnaabemowin par Maanii Taylor. Image de gauche : homme des Michi Saagiig Nishnaabeg piétinant le manoomin, Pimadashkodeyong (lac Rice), Ontario, 1921 (e011303090). En haut à droite : femme des Michi Saagiig Nishnaabeg vannant du manoomin, Pimadashkodeyong (lac Rice), Ontario, 1921 (e011303089). En bas à droite : extraits de films muets montrant des hommes et des femmes ojibwas d’une collectivité non identifiée récoltant du manoomin, Manitoba, 1920-1929 (MIKAN 192664).

En réfléchissant à son expérience, l’archiviste Heather Campbell décrit ainsi l’incidence positive du processus :

« Lorsque l’on écrit sur nos collectivités, c’est rarement du point de vue d’une personne qui en fait partie. C’est un honneur d’avoir été invitée à écrire sur la culture inuit pour le livre électronique. J’ai pu choisir le thème de mon article, et on m’a fait confiance pour effectuer les recherches appropriées. En tant que personne originaire du Nunatsiavut, il était très important pour moi d’avoir la possibilité d’écrire sur ma propre région, en sachant que d’autres Nunatsiavummiut y trouveraient leur écho. »

Une page du livre électronique qui montre les pages d’un livre d’images, avec du texte écrit en inuktut qaliujaaqpait et en français.

Page tirée de l’essai de Heather Campbell, « Publications en inuktut », traduit en inuktut qaliujaaqpait par Eileen Kilabuk-Weber. On y voit des pages sélectionnées du livre Angutiup ânguanga / Anguti’s Amulet, 2010, écrit par le Central Coast of Labrador Archaeology Partnership, illustré par Cynthia Colosimo et traduit par Sophie Tuglavina (OCLC 651119106).

William Benoit, conseiller autochtone interne à BAC, a rédigé un certain nombre d’essais plus courts sur la langue et le patrimoine de la Nation Métisse. Chacun de ses textes peut être lu séparément; toutefois, collectivement, ils donnent un aperçu de divers aspects de la culture métisse. Il affirme ce qui suit : « Bien que la Nation Métisse soit le plus grand groupe autochtone au Canada, nous sommes incompris ou mal représentés dans le récit national général. Je suis reconnaissant d’avoir la possibilité de raconter quelques histoires sur mon héritage. »

Une page du livre électronique avec, à gauche, un texte en français, et à droite, une lithographie d’un paysage enneigé avec un homme assis dans une carriole (traîneau) tirée par trois chiens portant des manteaux colorés. À gauche, un homme vêtu d’une couverture et chaussé de raquettes marche devant les chiens. Un homme tenant un fouet et portant des vêtements typiques de la culture métisse (long manteau bleu, jambières rouges et chapeau décoré) marche à la droite du traîneau.

Page tirée de l’essai de William Benoit, « Carrioles et tuppies métis », avec un enregistrement audio en mitchif par Verna De Montigny, aînée métisse. Image représentant le gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson voyageant en carriole à chiens, avec un guide des Premières Nations et un meneur de chiens de la Nation Métisse, Rivière Rouge, 1825 (c001940k).

La création du livrel De Nations à Nations a été une entreprise importante et une expérience d’apprentissage positive. Ayant nécessité deux ans et demi d’élaboration, le livrel est véritablement le fruit d’un travail collectif qui a fait appel à l’expertise et à la collaboration d’auteurs des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse, des traducteurs en langues autochtones et des conseillers autochtones.

Je suis reconnaissante d’avoir eu l’occasion de collaborer avec tant de personnes formidables et dévouées. Un grand merci aux membres du Cercle consultatif autochtone, qui ont offert leurs connaissances et leurs conseils tout au long de la préparation de cette publication.

Dans le cadre du travail continu visant à soutenir les initiatives autochtones à BAC, nous présenterons les essais du livrel De Nations à Nations sous forme de billets de blogue. Nous sommes heureux d’amorcer cette série avec l’essai de Ryan Courchene, « Histoires cachées ».

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.


Beth Greenhorn est gestionnaire principale de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Tom Thompson est spécialiste en production multimédia à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Explorer l’histoire des peuples autochtones dans un livrel multilingue – Partie 1

À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].Beth Greenhorn, en collaboration avec Tom Thompson

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a récemment publié le livre électronique interactif et multilingue De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Ce livrel est le fruit de deux initiatives touchant le patrimoine documentaire autochtone, Nous sommes là : Voici nos histoires et Écoutez pour entendre nos voix. Il contient des essais rédigés par des collègues à BAC faisant partie des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse. Le processus de création de cette publication a été bien différent de tout ce que BAC a réalisé auparavant.

Au début, l’équipe du projet ne comptait que deux personnes : Tom Thompson, un spécialiste de la production multimédia, et moi-même. On m’avait demandé de coordonner un livre électronique (livrel) portant sur les documents autochtones conservés à BAC. Nous avions déterminé qu’il s’agissait d’un excellent moyen de présenter le contenu nouvellement numérisé et de la meilleure plateforme pour incorporer du matériel interactif, comme des documents audiovisuels. Un livrel offrait également la possibilité de présenter les langues et les dialectes autochtones.

Les travaux commencent peu de temps après que les Nations Unies déclarent 2019 Année internationale des langues autochtones. C’est dans cet esprit que nous amorçons alors des consultations auprès de nos collègues autochtones; les discussions sont aussitôt encourageantes.

À ce moment, notre intention de départ est de présenter du contenu d’archives et d’autres documents historiques créés par des Autochtones dans leurs langues ancestrales et conservés à BAC. Après plusieurs mois de recherches infructueuses, nous constatons qu’à l’exception d’un petit nombre de documents, il existe peu de contenu écrit dans les langues des Premières Nations ou en inuktut, la langue des Inuit. En ce qui concerne le mitchif, la langue de la Nation Métisse, il n’y a aucun document connu dans la collection préservée à BAC.

Compte tenu de cette réalité, l’équipe chargée du livrel doit alors adopter une nouvelle stratégie pour créer une publication qui appuie les langues autochtones, bien que les documents publiés et archivés aient été créés en grande partie par la société colonisatrice. Après plusieurs séances de remue-méninges, la réponse devient claire et s’avère étonnamment simple. Au lieu de mettre l’accent sur les documents historiques écrits en langue autochtone, les auteurs doivent d’abord choisir des éléments de la collection qu’ils trouvent significatifs, peu importe le média, puis en discuter dans leurs essais. L’étape suivante est de traduire chaque essai dans la langue autochtone représentée par les personnes décrites dans chaque section. Le contenu traduit dans une langue autochtone doit être présenté comme le texte principal, tandis que les versions française et anglaise deviennent secondaires.

Choisi par les auteurs, le titre De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada souligne le caractère distinct de chaque nation et la diversité des voix. En plaçant la voix des auteurs au premier plan, les histoires offrent une compréhension plus riche du monde grâce à la prise en compte des connaissances et des perspectives autochtones.

Puisque de nombreuses collectivités autochtones ne disposent que d’une connectivité Internet limitée, l’équipe de projet prend soin d’intégrer dans le livrel un contenu dynamique, chaque fois que cela est possible. Il s’agit notamment d’images en haute résolution, d’épisodes de baladodiffusion, de clips audio et de séquences de films. Une connexion Internet demeure nécessaire pour télécharger le livrel et accéder à certains contenus, dont les enregistrements de la base de données, les billets de blogue et les liens externes.

Une carte de l’Amérique du Nord avec des symboles placés d’un bout à l’autre du Canada.

Carte montrant l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens, sans frontières géopolitiques. Les icônes font référence aux biographies et aux essais des auteurs du livrel. Image : Eric Mineault, BAC

À la suite d’une recommandation du Cercle consultatif autochtone à BAC, l’équipe de projet engage des experts en langues autochtones et des gardiens du savoir pour traduire les essais et les textes connexes dans le livrel. De toutes les tâches liées à la création de ce livre électronique, la recherche de traducteurs qualifiés restera l’une des plus difficiles, certes, mais aussi l’une des plus gratifiantes. Beaucoup de ces langues sont en péril; dans certains cas, elles sont même sur le point de disparaître. Alors que le travail de revitalisation de la langue commence dans de nombreuses collectivités pour créer des lexiques et des dictionnaires normalisés, on se rend vite compte que de nombreux mots en anglais sont sans équivalent dans les langues autochtones. Très souvent, les traducteurs doivent consulter les aînés de leur collectivité pour confirmer la terminologie et trouver un mot ou une expression transmettant le même sens, le même message.

En créant le livrel, BAC adopte un important changement de paradigme, soit celui de présenter la langue autochtone en tant que contenu principal, et de proposer le français et l’anglais comme textes secondaires. Pour souligner ce changement, les auteurs intègrent dans leurs essais des mots dans leurs langues ancestrales pour dépeindre les lieux, donner des noms propres et fournir des descriptions. La première occurrence d’un de ces mots s’accompagne de traductions en français ou en anglais entre parenthèses. Par la suite, seuls les mots autochtones sont utilisés pour toute référence ultérieure.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.


Beth Greenhorn est gestionnaire principale de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Tom Thompson est spécialiste en production multimédia à la Division des expositions et du contenu en ligne, à Bibliothèque et Archives Canada.

Cinq mythes sur les armoiries du Canada

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde — terminologie historique.

Par Forrest Pass

Le 21 novembre 2021 marque le centenaire des armoiries du Canada. Emblème officiel du gouvernement fédéral, elles figurent sur les passeports, les billets de banque, les insignes militaires et les bâtiments publics canadiens. Certains éléments des armoiries ont influencé la conception d’autres emblèmes, dont le drapeau national adopté en 1964.

Peinture en couleur représentant des armoiries. L’écu au centre est divisé en cinq sections. La première a un fond rouge et trois lions dorés. La deuxième a un fonds doré avec un lion rouge dessiné dans un cadre rouge orné de fleurs de lys. La troisième est de couleur bleu pâle avec une harpe dorée. La quatrième, de couleur bleu royal, comporte trois fleurs de lys dorées. La cinquième, en bas, est de couleur argent et représente une branche à trois feuilles d’érable vertes. Au-dessus de l’écu se trouve un cimier composé d’un lion doré couronné, tenant une feuille d’érable rouge dans sa patte droite. Le lion se tient sur une couronne torsadée de soie rouge et blanc, au-dessus d’un heaume royal de couleur or. La devise « A mari usque ad mare » est inscrite sur un listel bleu placé sous l’écu. Le listel repose sur des roses, des chardons, des trèfles et des lys. L’écu est soutenu par un lion et une licorne. Le lion tient une lance à laquelle est attaché un drapeau britannique. La licorne tient une lance à laquelle est attaché un drapeau bleu chargé de trois fleurs de lys dorées, la bannière de la France prérévolutionnaire.

Le dessin final des armoiries du Canada, 1921. Illustration d’Alexander Scott Carter. (e008319450) Les signatures des membres du comité, dont celle de l’archiviste fédéral Arthur Doughty, apparaissent dans le coin inférieur droit.

Bibliothèque et Archives Canada conserve les documents du comité qui a conçu les armoiries. Ce comité, créé par le cabinet fédéral en 1919, comprenait notamment l’archiviste fédéral Arthur Doughty.

Contrairement au débat sur le drapeau qui s’est déroulé environ 40 ans plus tard, la question des armoiries n’a donné lieu à aucun débat parlementaire ou discussion publique de grande ampleur. Par conséquent, peu de Canadiens connaissent bien les délibérations qui ont mené à l’adoption des armoiries. Des mythes populaires sur l’histoire et la signification de l’emblème ont comblé ce vide. Voici cinq idées fausses, démenties par des sources primaires.

Mythe no 1 : Les trois feuilles d’érable sur une seule tige représentent le multiculturalisme canadien.

Les trois feuilles d’érable présentes sur l’écu sont la caractéristique canadienne par excellence sur les armoiries. Depuis les années 1960, certains suggèrent que cette disposition des feuilles représente l’unité des Canadiens de différentes origines. Par exemple, dans sa ballade Three Red Leaves, composée pendant le grand débat sur le drapeau de 1964, la chanteuse country et western Diane Leigh chante un éloge que l’on pourrait traduire ainsi :

Trois feuilles rouges jointes ensemble
Liant trois nationalités dans l’unité
Anglais, Français et nouveaux Canadiens
Vivant dans cette terre d’opportunités

Jusqu’à tout récemment, quelques publications officielles affirmaient elles aussi que les feuilles symbolisent les Canadiens de toutes origines, y compris les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse, qui ne sont nullement mentionnés par Mme Leigh.

La signification d’un emblème évolue avec le pays qu’il représente. Si « l’unité dans la diversité » a la cote aujourd’hui, rien ne prouve que le comité a voulu représenter cet idéal canadien. En réalité, la tige à trois feuilles d’érable devient un emblème populaire bien avant 1921. Elle apparaît pour la première fois sur une affiche de la Saint-Jean-Baptiste en 1850. Elle figure également sur les armoiries provinciales du Québec et de l’Ontario, conçues par les hérauts du Collège d’armes à Londres, en 1868. À cette époque, comme en 1921, les trois feuilles sont probablement choisies pour des raisons esthétiques plutôt que symboliques : trois feuilles remplissent mieux qu’une la base triangulaire d’un écu héraldique.

Une page dactylographiée comportant une tige à trois feuilles d’érable. Plusieurs éléments d’un défilé, dans une variété de polices de caractères, sont énumérés sous le titre « Association Saint-Jean-Baptiste » : Drapeau britannique; Les pompiers canadiens; La Société mercantile d’économie; La Société de tempérance; et Bannière du commerce.

Affiche annonçant la procession annuelle de l’Association Saint Jean-Baptiste, Montréal, 24 juin 1850. (OCLC 1007829742) Il s’agit peut-être de la plus ancienne utilisation de trois feuilles d’érable sur une seule tige.

Mythe no 2 : Le roi George V a choisi le rouge et le blanc comme couleurs nationales du Canada.

Dans les années 1940, le colonel Archer Fortescue Duguid, historien militaire passionné d’héraldique, affirme que le roi George V a choisi le rouge et le blanc comme couleurs nationales du Canada parce que ce sont les couleurs de la torque et du lambrequin (le tissu flottant autour du heaume) sur les armoiries du Canada. Par conséquent, soutient M. Duguid, le futur drapeau canadien doit également être rouge et blanc.

L’idée selon laquelle le dessin des armoiries serait à l’origine des couleurs nationales du Canada apparaît pour la première fois en 1918. Selon le sous-ministre de la Défense Eugène Fiset, le rouge évoque la Grande-Bretagne, le sacrifice militaire et la splendeur de l’automne, tandis que le blanc représente les froids hivers canadiens. Le premier dessin proposé par le comité des armoiries comprend les feuilles d’érable rouges sur fond blanc proposées par M. Fiset, ainsi qu’une torque rouge et blanc au sommet de l’écu.

Peinture en couleur représentant des armoiries. L’écu au centre est divisé en cinq sections. La première est blanche et ornée d’une tige à trois feuilles d’érable rouges. La deuxième est rouge avec trois lions dorés. La troisième, de couleur or, comprend un lion rouge dans un cadre rouge orné de fleurs de lys. La quatrième est bleue avec une harpe dorée. La cinquième, bleue elle aussi, comporte trois fleurs de lys dorées. L’écu est surmonté d’un cimier composé d’un lion couronné de couleur or tenant une feuille d’érable dans sa patte droite et se tenant sur un carré d’herbe verte, le tout reposant sur une couronne torsadée de soie rouge et blanc. Sous l’écu, la devise « A mari usque ad mare » est inscrite sur un listel gris. L’écu est soutenu par un lion et une licorne.

La première proposition du comité, illustrée par Alexander Scott Carter, 1920. (e011313790) Dans la version finale, les feuilles d’érable rouges sont devenues vertes, mais la torque est restée rouge et blanche, tout comme le lambrequin ajouté plus tard.

Cette proposition ne fait pas l’unanimité. Sir Joseph Pope, sous-secrétaire d’État aux affaires extérieures, préférerait que les feuilles d’érable soient vertes plutôt que rouges, cette dernière couleur évoquant pour lui la mort et la pourriture. C’est finalement sir Pope qui aura gain de cause, mais le lambrequin rouge et blanc est resté, probablement par accident.

Personne, à commencer par le roi, ne se soucie des lambrequins en 1921. Lorsqu’un citoyen fait valoir en 1922 que ceux-ci devraient être rouge et or — les couleurs principales de l’écu — les membres du comité répondent avec indifférence qu’il est trop tard pour faire des changements. Les couleurs nationales ne sont mentionnées, ni dans la proclamation royale, ni dans la brochure officielle publiée en 1922 pour expliquer le symbolisme des armoiries.

En 1946, au cours d’audiences parlementaires sur un nouveau drapeau canadien, la thèse de M. Duguid est contestée par un passionné d’héraldique, Hugh Savage : c’est généralement le drapeau, et non les armoiries, qui détermine les couleurs nationales d’un pays. Pourtant, la théorie de M. Duguid convainc de nombreuses personnes et contribue au choix du rouge et du blanc pour le drapeau canadien en 1964.

Mythe no 3 : La licorne enchaînée commémore la conquête britannique de la Nouvelle-France.

Le lion et la licorne qui soutiennent l’écu sont empruntés aux armoiries royales du Royaume-Uni, ce qui montre les loyautés impériales du comité. À l’époque, la licorne représente l’Écosse. Sa chaîne rappelle peut-être les légendes médiévales sur la difficulté de dompter cet animal mythique.

Comme la licorne enchaînée des armoiries canadiennes tient une bannière royale française, certains y ont vu un symbole de la domination britannique sur le Canada français. Or, rien ne prouve que le comité ait voulu, ou même envisagé, cette interprétation.

Il est cependant vrai que les trois fleurs de lys dorées mises sur l’écu par les membres du comité soulèvent des inquiétudes parmi les conseillers héraldiques du roi. Le Collège d’armes craint en effet que les fleurs de lys, destinées à honorer les Canadiens français, laissent croire que le Canada revendique la souveraineté sur la France! Le commissaire général du Canada à Paris consulte discrètement des responsables français pour s’assurer que le dessin ne déclenchera pas de tensions diplomatiques.

Peinture en couleur représentant des armoiries. L’écu au centre est divisé en sept sections. La première et la quatrième sont rouges et comprennent trois lions dorés. La deuxième est de couleur or, avec un lion rouge dans un cadre rouge orné de fleurs de lys. La troisième est bleue et renferme une harpe dorée. Les cinquième et septième sections sont blanches et comportent chacune une seule feuille d’érable verte. La sixième est bleue avec trois fleurs de lys dorées. Au-dessus de l’écu se trouve un cimier composé d’un lion couronné de couleur or, tenant une feuille d’érable rouge dans sa patte droite. Le lion se tient sur une torque torsadée de soie rouge et blanc. Sous l’écu, la devise « A mari usque ad mare » est inscrite sur un listel bleu. L’écu est soutenu par un lion et une licorne. Le lion tient une lance à laquelle est attaché un drapeau britannique. La licorne tient une lance à laquelle est attaché un drapeau bleu chargé de trois fleurs de lys dorées, la bannière de la France prérévolutionnaire.

Contre-proposition du Collège d’armes, Londres, septembre 1921. (e011313801) Le Collège d’armes a suggéré de déplacer les fleurs de lys pour éviter de laisser entendre que le Canada règne sur la France. Les Canadiens ont rejeté cette idée.

Mythe no 4 : Le comité qui a conçu les armoiries n’a pas songé à inclure des symboles autochtones.

Les symboles de deux puissances colonisatrices, la Grande-Bretagne et la France, dominent les armoiries du Canada. Celles-ci ne comportent aucune référence aux peuples autochtones. Pourtant, sur l’une des propositions, des figures des Premières Nations soutiennent l’écu. Ce dessin a été soumis par Edward Marion Chadwick, un avocat de Toronto qui s’intéresse à la fois à l’héraldique et aux cultures des Premières Nations.

Dessin noir et blanc représentant des armoiries. L’écu central présente un lion entouré de deux feuilles d’érable, en haut, et d’une fleur de lys, en bas. Au sommet de l’écu se trouve un cimier composé d’un orignal, le sabot droit levé, debout sur une torque torsadée et des lambrequins en tissu. Le cimier repose sur un heaume d’écuyer marqué d’une croix. Sous l’écu, un listel dit « Dieu Protege Le Roy ». Deux hommes des Premières Nations soutiennent l’écu. Ils portent des coiffes à plumes et des vêtements en peau de daim à franges. Celui de gauche tient un tomahawk, et celui de droite, un calumet, c’est-à-dire une pipe de cérémonie.

Proposition d’armoiries canadiennes soumise par Edward Marion Chadwick, 1917. (e011313794) Les figures qui soutiennent l’écu dans la version de M. Chadwick représentent les Premières Nations de l’est et de l’ouest du Canada.

Ce n’est pas la première fois que des personnages et emblèmes autochtones figurent dans l’héraldique coloniale. Sur les armoiries séculaires de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador, des membres des Premières Nations soutiennent l’écu. Le sceau du Haut-Canada, avant la Confédération, comprend un calumet (une pipe de cérémonie) commémorant les traités et les alliances.

Cependant, selon sir Joseph Pope, qui s’exprime souvent au nom du comité des armoiries, les peuples autochtones constituent une partie négligeable du passé. « Pour ma part, je ne vois pas du tout la nécessité de commémorer les Indiens », écrit sir Pope en rejetant la proposition de M. Chadwick. Cette réponse raciste reflète l’opinion de nombreux Canadiens blancs de l’époque.

Aujourd’hui, rares sont les personnes qui approuveraient la proposition de M. Chadwick, mais pour des raisons très différentes. À son crédit, M. Chadwick s’est efforcé de représenter les vêtements et les insignes avec précision. Par contre, à notre époque, sa proposition serait perçue comme un stéréotype et une appropriation culturelle. Les Autochtones qui soutiennent l’écu sont de « nobles sauvages » donnant une idée romancée de l’apparence d’un membre des Premières Nations.

De plus, ces figures représentent des régions du pays; elles ne constituent pas une inclusion significative des peuples autochtones, qui n’ont d’ailleurs pas été consultés. De nos jours, de nombreux Autochtones s’opposent à juste titre à la manière dont ils apparaissent dans l’héraldique. En conséquence, le gouvernement provincial de Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, est en train de revoir ses armoiries dessinées en 1635. Le Canada ferait sans doute de même si la conception de M. Chadwick avait prévalu.

Mythe no 5 : Les armoiries du Canada ne peuvent être modifiées.

Le gouvernement canadien pourrait-il changer les armoiries du pays pour les rendre plus représentatives d’un pays diversifié? Les armoiries sont des symboles qui nous rattachent au passé, mais même les emblèmes très anciens peuvent évoluer.

Par exemple, les armoiries royales du Royaume-Uni, qui ont servi de modèle aux armoiries du Canada, ont été modifiées une demi-douzaine de fois depuis l’union des couronnes anglaise et écossaise, en 1603. Le dernier changement remonte à 1837.

Depuis 1921, des artistes ont réinterprété les armoiries officielles du Canada à deux reprises, en 1957 et en 1994, dans le but de moderniser leur apparence sans en modifier les éléments essentiels.

Si le gouvernement du Canada souhaite modifier ses armoiries un jour, il aura besoin de la collaboration de l’Autorité héraldique du Canada, la division du Bureau du secrétaire du gouverneur général chargée de concéder et d’enregistrer les armoiries au Canada. Il ne sera pas nécessaire de consulter les autorités héraldiques britanniques, mais la reine (ou le roi) devra approuver le projet final.

Un processus lancé à notre époque, que ce soit dans le but de modifier les armoiries actuelles ou d’en concevoir de nouvelles, serait sans aucun doute plus participatif — et transparent — que celui du siècle dernier.


Forrest Pass est conservateur au sein de l’équipe des expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Plans de lots riverains de la Nation Métisse

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Par William Benoit

Peinture à l’huile illustrant une personne sur une charrette de la rivière Rouge tirée par un bœuf sur un chemin de terre. Une petite maison blanche et deux autres petits bâtiments se trouvent en arrière-plan.

Maison d’un colon manitobain et charrette de la rivière Rouge (c013965k)

Bibliothèque et Archives Canada détient des plans de lots riverains métis produits par le gouvernement du Canada, conformément à la Loi sur le Manitoba et aux accords sur le transfert de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest. Ces plans sont importants pour comprendre la Nation Métisse. Ils sont d’une valeur inestimable pour tous les Métis puisqu’ils indiquent où leurs ancêtres habitaient avant que la région ne soit intégrée au Canada.
Grande carte représentant des lots riverains rectangulaires et étroits. Les noms des propriétaires des lots sont écrits à l’encre rouge. Une rose des vents indiquant le nord se trouve dans le haut de la carte.

Plan des lots riverains dans la paroisse de Lorette, au Manitoba. Arpentage effectué par G. McPhillips, arpenteur adjoint; revu et certifié par A. H. Whitcher, inspecteur des arpentages. Bureau d’arpentage des terres fédérales, Winnipeg, 16 février 1878. (e011213852)

La colonie de la Rivière-Rouge est le berceau de la patrie de la Nation Métisse. En 1869, on y compte 12 000 habitants, dont 10 000 sont des Métis. Selon certains recensements, de 5 000 à 7 000 de ces Métis sont des enfants.

En 1670, le roi Charles II octroie un monopole commercial dans la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Ce territoire comprend toutes les terres irriguées par les rivières qui s’écoulent dans la baie d’Hudson. Il recouvre aussi ce qui est devenu le Manitoba, la majeure partie de la Saskatchewan, le sud de l’Alberta, le sud du Nunavut et le nord du Québec et de l’Ontario. La Terre de Rupert s’étend jusqu’aux États-Unis actuels, couvrant une partie du Minnesota, du Dakota du Nord, du Dakota du Sud et du Montana.

Le 19 novembre 1869, la Compagnie de la Baie d’Hudson cède la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest (qui lui avaient été octroyés par lettres patentes) à la Couronne britannique. Par un décret daté du 23 juin 1870, le gouvernement britannique admet le territoire au Canada au titre de l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (maintenant la Loi constitutionnelle de 1867). Le transfert entre en vigueur le 15 juillet 1870. Cette cession fait l’objet de traités avec les peuples autochtones souverains.

Cependant, les Métis de la Rivière-Rouge envisagent ce transfert avec appréhension, y voyant une menace pour leur mode de vie. Ils ignorent ce qui adviendra de leur territoire et de leurs droits démocratiques dans le nouveau régime proposé. Le gouvernement fédéral envoie des équipes d’arpentage avant le transfert de la Terre de Rupert. Leurs levés doivent être effectués selon le système d’arpentage ontarien, en carrés, alors que les Métis utilisent des lots longs et étroits, dont l’extrémité donne sur la rivière. Par conséquent, le nouveau système découpe les propriétés existantes.

Le 11 octobre 1869, proclamant que le gouvernement fédéral n’a pas le droit d’agir sans autorisation, un groupe de Métis empêche une équipe d’arpenteurs d’accéder à un lot riverain. La remise en question des méthodes adoptées par le gouvernement du Canada signifie à ce dernier qu’il doit consulter les résidents et respecter leurs droits.

En novembre 1869, les Métis s’emparent d’Upper Fort Garry et établissent un gouvernement provisoire. Celui-ci rédige des demandes que le Canada doit satisfaire avant que les Métis acceptent l’incorporation de leurs terres au pays. La Loi sur le Manitoba découle de ces demandes. L’accord entourant cette loi est l’un des pactes qui conduisent à l’expansion du Canada vers l’ouest.

L’intention derrière la Loi sur le Manitoba consiste à respecter les préoccupations des Métis à l’égard de leurs terres. Elle prend deux formes : une disposition visant à protéger les propriétés foncières existantes des 3 000 propriétaires métis adultes (article 32), et une disposition visant à donner aux enfants et aux familles métis une « longueur d’avance » dans la province avec une concession de 1,4 million d’acres de terre (article 31).

Dans le Manitoba d’après la Confédération, la position des Métis se détériore. Les nouveaux pionniers provenant de l’Ontario se montrent hostiles, parfois à cause de convictions racistes, parfois pour des raisons culturelles ou religieuses. Pendant plusieurs générations, des aînés décriront cette période comme un « règne de terreur » contre les Métis. L’application de l’article 31 sur la gestion des terres est un processus très long, gangrené par la corruption. En conséquence, de nombreux Métis vendent les droits fonciers qui leur ont été promis et quittent la province qu’ils ont contribué à créer.

La carte ci-dessous, dessinée en 1874, montre les lots riverains dans les paroisses St-Norbert et St-Vital. Elle illustre la situation à l’époque où la diaspora métisse vient de se former. Elle documente également les spéculations foncières de personnes telles que Donald Smith, célèbre pour son implication dans la construction du chemin de fer national, ainsi que les efforts du clergé catholique visant à créer et maintenir une enclave francophone en prévision de la vague d’immigration à venir.

Les cartes des lots riverains métis sont des documents très importants aujourd’hui, car elles peuvent aider à identifier et à recenser les citoyens de la Nation Métisse.

Grande carte représentant des lots riverains étroits et rectangulaires. Les noms des propriétaires des lots sont écrits à l’encre rouge. Un chemin de fer et une rivière sont dessinés sur la carte.

Plan des lots riverains dans les paroisses St-Norbert et St-Vital, au Manitoba (e011205909)

Visitez l’album Flickr sur les images des plans de lots riverains de la Nation métisse


William Benoit est conseiller en engagement autochtone interne au bureau du bibliothécaire et archiviste du Canada adjoint à Bibliothèque et Archives Canada.

Compagnie de la Baie d’Hudson : 350 ans d’archives

Par Anik Laflèche

En 2020, nous avons souligné le 350e anniversaire de la Compagnie de la Baie d’Hudson (la Compagnie). Fondée le 2 mai 1670, la Compagnie est l’une des plus anciennes entreprises au monde toujours en activités.

Si sa durée de vie est impressionnante en soi, la Compagnie se démarque aussi par ses très nombreux documents qui sont parvenus jusqu’à nous après avoir été conservés à Londres, en Angleterre, pendant une bonne partie de leur existence. Il est incroyable que ces documents puissent toujours être consultés après avoir échappé à l’usure des siècles, à la nature sauvage canadienne, à la traversée de l’Atlantique, aux mauvaises conditions de préservation, aux incendies, aux inondations et à deux guerres mondiales.

Photo noir et blanc d’un bâtiment derrière un portail sur lequel on peut lire « Compagnie de la Baie d’Hudson, constituée en 1670 ». Un deuxième bâtiment est partiellement caché par une clôture du côté droit.

Fort Chipewyan, poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Alberta, 1900 (a019629)

Les documents de la Compagnie sont fascinants, même sans tenir compte de l’histoire de l’entreprise. Au début, ils ne sont pas conservés pour des raisons historiques, mais pour des motifs opérationnels et juridiques.

Alors que tous les documents sont classés par ordre alphabétique en 1796, de grands efforts de description et de classement sont effectués en 1931, lorsque la Compagnie embauche son premier archiviste : Richard Leveson Gower. Cette décision découle de la pression grandissante exercée par des chercheurs et des historiens qui souhaitent consulter la collection.

Dans les années 1960, le centenaire de la Confédération (1967) et de la création du Manitoba (1970) approche à grands pas. L’idée de transférer les archives au Canada est alors sérieusement envisagée. Le projet se réalise en 1974, lorsque les archives organisationnelles de la Compagnie sont données aux Archives du Manitoba. La collection de pièces de musée se retrouve quant à elle au Musée du Manitoba (en anglais).

Bien que BAC n’ait pas la garde de ces documents, il conserve des copies de bon nombre d’entre eux sur microfilm, dans le fonds MG20. D’autres fonds, notamment celui du ministère de l’Intérieur (RG15), permettent d’étudier le rôle de la Compagnie dans le développement du Nord-Ouest et dans la concession des terres, après la cession de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest.

Le fonds MG20 comprend des documents très variés datant de 1667 à 1956 : registres de procès-verbaux du conseil d’administration; registres de correspondance; journaux; grands livres; dossiers du personnel; journaux de bord; photos; journaux des postes de traite; journaux intimes; cartes; et photos et dessins architecturaux. Le classement de ces documents est identique à celui de l’entreprise à ses débuts et à celui des Archives du Manitoba.

Image noir et blanc d’un registre de procès-verbaux. La date du 24 octobre 1671 est inscrite dans le coin supérieur droit. La liste des hommes ayant participé à la réunion se trouve à gauche. Le reste du texte comprend deux paragraphes décrivant la teneur des discussions.

Registre de procès-verbaux dont la première entrée date du 24 octobre 1671. C’est le plus ancien document dans les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il comprend des documents rédigés au cours des 18 premiers mois d’existence de l’entreprise. Le roi Charles II accorde une charte à la Compagnie le 2 mai 1670. (MG20-A1, document A.1/1, bobine de microfilms HBC-1)

La Compagnie a joué un rôle controversé au fil des siècles, participant de manière essentielle à l’exploitation des ressources pendant la colonisation. Ses documents constituent néanmoins une source d’information exceptionnelle sur l’histoire du Canada, des Premières Nations, de la Nation métisse et des Inuits. Ils offrent un aperçu du passé colonial de notre pays, de son expansion vers l’ouest et le nord, de son développement économique et culturel ainsi que du quotidien des commerçants de fourrure, des Autochtones et des communautés frontalières.

Par exemple, les archives témoignent de la naissance et du développement de la Nation métisse, un peuple indépendant d’ascendance autochtone et européenne qui est devenu une nation distincte dans le Nord-Ouest à la fin du 18e siècle. Au cours du siècle suivant, la Nation métisse organise une résistance contre l’invasion de ses terres ancestrales à la suite du transfert de la Terre de Rupert au Dominion du Canada par la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Les archives de la Compagnie peuvent contribuer aux efforts du Canada entourant la réconciliation avec les Premières Nations, la Nation métisse et les Inuits. Pour en savoir plus sur leur histoire, je vous recommande le livre Keepers of the Record: The History of the Hudson’s Bay Company Archives, de Deidre Simmons. Vous pouvez aussi consulter la page Au sujet des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson des Archives du Manitoba.

Si vous effectuez des recherches au moyen des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou sur un sujet connexe, vous pouvez demander l’aide de nos spécialistes de la référence. Remplissez simplement ce formulaire pour communiquer avec nous. Nous vous répondrons avec grand plaisir!


Anik Laflèche est archiviste à la Division des services de référence.