Soldats autochtones de la Première Guerre mondiale : à la recherche d’anciens combattants oubliés

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Ethan M. Coudenys

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Pour de nombreux chercheurs autochtones, dont je fais partie, il est essentiel de comprendre le point de vue des premiers habitants du territoire sur la Première Guerre mondiale. Il faut parfois chercher des heures et des heures pour savoir si un ancien combattant de la Grande Guerre était bel et bien autochtone. Nous avons d’excellentes ressources sur quelques militaires bien connus des Premières Nations, des Inuit et de la Nation Métisse, mais ce domaine de la recherche historique cache encore bien des mystères.

Le présent blogue ne vise pas à raconter l’histoire générale des Autochtones qui ont servi pendant la Première Guerre mondiale. Je ne tenterai pas non plus de synthétiser l’expérience de ces militaires dans un seul billet de blogue. Je vais plutôt raconter les histoires de deux personnes fort différentes et présenter des méthodes de recherche pour trouver de l’information sur les Autochtones qui ont servi pendant la Grande Guerre.

L’histoire de John Shiwak

Deux photos du même homme assis en uniforme militaire.

John Shiwak du Royal Newfoundland Regiment, no 1735. The Rooms, Item E 29-45.

John Shiwak est né en 1889 à Rigolet, au Labrador. Membre d’une communauté inuite, il est un chasseur-trappeur expérimenté lorsqu’il se joint au First Newfoundland Regiment (qui deviendra le Royal Newfoundland Regiment) le 24 juillet 1915. Il est encore à l’entraînement lorsque le régiment sort de la tranchée Saint John’s Road à Beaumont-Hamel, le 1er juillet 1916, pour lancer la bataille de la Somme. Quand Shiwak rejoint le régiment en France trois semaines plus tard, le 24 juillet, il constate, comme bien d’autres, à quel point le régiment a été ravagé pendant les 45 minutes de son combat sur la Somme. En avril 1917, Shiwak est promu au grade de caporal suppléant. Malheureusement, en novembre, soit moins d’un an avant la fin des combats, John Shiwak est atteint par un obus pendant la bataille de Masnières (dans le cadre de la première bataille de Cambrai). Il y trouve la mort avec six compagnons de son unité.

Groupe de cinq hommes assis ou debout.

Membres de la Légion des pionniers (avant 1915); John Shiwak est debout à gauche. The Rooms, Item IGA 10-25.

De telles histoires sont courantes pendant la Première Guerre mondiale. L’homme inuk a été tué dans l’exercice de ses fonctions, au milieu de ses frères d’armes. Ce qui ajoute à la tristesse de la tragédie, c’est que le lieu de sépulture de ces sept courageux hommes n’a jamais été retrouvé. Une hypothèse veut qu’une école ait été construite alors que l’on ignorait la présence des corps de sept soldats de la Grande Guerre à cet endroit. Cependant, comme tous les hommes tués dont le lieu de sépulture demeure inconnu, Shiwak ne tombera pas dans l’oubli. Son nom restera à jamais gravé sur les plaques de bronze au Mémorial terre-neuvien à Beaumont-Hamel, en France, et sur un monument semblable à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador.

L’histoire d’Angus Edwardson

Le soldat Angus Edwardson m’intéresse particulièrement, car il est mon arrière-arrière-grand-père. Il a combattu à Passchendaele. Il est né en 1894 à Lac-Barrière, environ 300 kilomètres au nord-ouest d’Ottawa, dans une communauté nordique en grande partie algonquine anishinaabe. Selon son formulaire d’enrôlement, Edwardson et sa famille vivaient à Oskélanéo, au Québec. Pendant très longtemps, notre famille ignorait qu’il était Autochtone et ne connaissait pas les détails de son séjour dans les tranchées.

Heureusement, mon domaine de travail m’amène à faire des découvertes extrêmement intéressantes. Le recensement de 1921 m’a appris qu’il était un ancien soldat. J’ai ensuite pu trouver ses feuilles d’engagement.

L’histoire d’Edwardson n’est pas aussi remarquable que celle de Shiwak, mais elle donne une idée des difficultés que doivent surmonter les chercheurs qui s’intéressent à des Autochtones ayant fait partie du Corps expéditionnaire canadien (CEC) ou des Forces armées britanniques en général.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson, sur deux pages.

Feuilles d’engagement d’Angus Edwardson (matricule 1090307).

Selon l’agent de recrutement qui remplit les feuilles d’engagement, Edwardson a le teint pâle, les yeux bleus et les cheveux foncés, une description qui ne correspond pas à l’idée qu’on se fait généralement d’un Autochtone. Il ne dit pas non plus qu’Edwardson fait partie des Premières Nations en écrivant le mot « Indien », fréquemment employé à l’époque, dans la section réservée aux marques distinctives, aux particularités congénitales et aux signes d’anciennes maladies.

Son dossier nous apprend qu’Edwardson est membre du 253e bataillon d’infanterie (Université Queen’s), mais qu’il sert dans plusieurs bataillons et régiments pendant son passage au front. Le 28 août 1918, alors membre du 213e Bataillon, il est blessé à la main gauche par une balle.

Difficultés pour les chercheurs

Comme je l’ai mentionné, ne pas savoir si un membre du CEC est Autochtone constitue un sérieux obstacle pour les chercheurs. Les dossiers d’engagement demeurent parfois entièrement muets à ce sujet. C’est même très courant pendant les dernières années de la Première Guerre mondiale. Aucun des deux hommes dont j’ai parlé n’est désigné comme un « Indien » sur son formulaire d’engagement. Nous devons donc nous fier à d’autres sources pour savoir s’ils étaient bien Autochtones.

Les recensements, souvent négligés, constituent la première de ces sources. Ils procurent des renseignements essentiels sur les personnes recherchées. Et les renseignements personnels améliorent considérablement les chances de réussite lorsqu’on cherche des Autochtones ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. J’ai découvert qu’Edwardson était Autochtone parce qu’il est inscrit comme tel dans le recensement de 1921. Dans le cas de Shiwak, j’ai dû suivre un tout autre chemin, parsemé d’embûches. J’ai fini par trouver ses origines ethniques dans les mémoires de Sydney Frost, un capitaine du Royal Newfoundland Regiment, intitulés A Blue Puttee at War. Il existe encore d’autres sources confirmant que Shiwak était Autochtone.

Liste de noms dans le recensement de 1921, avec le sexe, l’âge et l’origine de chacun.

Déclaration de recensement d’Angus Edwardson et de sa famille, 1921 (e003065155).

Les sources secondaires sur la Première Guerre mondiale sont innombrables. Il suffit de chercher le nom de Shiwak pour en trouver plusieurs. Mais quand il s’agit de membres autochtones du CEC moins connus, ce n’est pas si simple. L’excellent livre For King and Kanata: Canadian Indians and the First World War, par Timothy Winegard, explique comment nous pourrions améliorer nos techniques pour chercher des individus et des groupes autochtones au sein du CEC. L’auteur souligne implicitement le rôle des communautés, qui décidaient d’envoyer des hommes s’enrôler. Cependant, cette piste n’est pas facile à suivre. Ça vaut la peine de communiquer avec des sociétés de généalogie locales ou des communautés autochtones pour qu’elles nous aident à trouver des listes de noms. Elles peuvent aussi nous donner une petite idée du nombre d’hommes de cette communauté qui ont servi dans l’armée.

Les dernières sources d’information très utiles pour des recherches de cette nature sont ce qu’on appelait les « Registres des Indiens ». Ces archives dressent des listes de membres de nombreuses bandes. Il s’agit d’une excellente source si vos recherches portent sur une bande précise et si vous pouvez vous rendre dans les locaux de Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa. Par contre, la difficulté reste entière pour les chercheurs qui ne connaissent pas le nom de la bande et qui ignorent si le sujet est mort pendant la guerre. Chercher un Inuk ou un Métis est encore plus difficile, car très peu de sources primaires ont été produites durant les années qui ont immédiatement suivi la Grande Guerre. Il est parfois possible de trouver un Inuk ou un Métis ayant fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment grâce à des sources secondaires, mais c’est un processus long et ardu.

Conclusion

Le caporal suppléant John Shiwak (Inuk) et le soldat Angus Edwardson (Premières Nations) ont tous deux combattu pendant la Première Guerre mondiale. Les deux exemples montrent les obstacles à surmonter pour trouver de l’information sur des Autochtones qui ont fait partie du CEC ou du Royal Newfoundland Regiment. Les multiples défis peuvent poser des difficultés considérables. Il existe néanmoins des ressources, comme les archives (notamment les recensements), les communautés autochtones locales et les sources propres à certains peuples autochtones conservées à Bibliothèque et Archives Canada. Ces solutions possibles ne permettent cependant pas de résoudre tous les problèmes pour les chercheurs qui s’intéressent aux Autochtones ayant participé à la Première Guerre mondiale.

Autres ressources


Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada. Fier de ses origines innues, il est aussi le descendant d’une personne ayant survécu aux pensionnats autochtones.

Les cartes de la crête de Vimy (partie 2)

Par Ethan M. Coudenys

Nous sommes le 9 avril 1917. Une pluie froide s’abat sur la plaine de Douai, en France. Sur le front de l’Ouest, une opération militaire de grande envergure se prépare. De nombreux Canadiens sont réunis en prévision de l’attaque de la crête de Vimy, qui doit commencer à 5 h 30 précises. Environ le tiers des 30 000 hommes rassemblés pour l’attaque s’abritent dans des tunnels, à l’abri des regards des guetteurs allemands. À l’heure H, les troupes surgissent des tunnels et déclenchent un déluge de soufre et de feu sur l’ennemi qui tente de freiner leur avance.

Un tunnel éclairé par une ampoule électrique.

Le souterrain Grange sous la crête de Vimy, le 17 août 2022. Image courtoisie de l’auteur, Ethan M. Coudenys.

Les tunnels ont été aménagés en grande partie par les compagnies galloises des Royal Engineers. Les mineurs gallois sont généralement des professionnels. Ils creusent le sous-sol crayeux à 10 à 15 mètres de profondeur sous le champ de bataille, dans une obscurité presque complète. Une dizaine de kilomètres de tunnels relient la dernière tranchée canadienne à la ligne de front. En plus de cacher les forces rassemblées pour l’attaque, ce réseau facilite les communications et l’approvisionnement.

Si je me fie à mon expérience en tant que guide au Mémorial national du Canada à Vimy, il devait être extrêmement pénible de circuler dans ces tunnels pendant la Première Guerre mondiale. Souvent remplis d’eau, de chauves-souris et de rats, ils baignent dans une odeur pour le moins inhabituelle (et probablement bien pire à l’époque). Malgré les ampoules électriques disposées tous les 20 mètres environ, les sinueux tunnels sont sombres et bruyants. Comme la craie répercute très bien le son, les soldats entendaient distinctement les obus qui explosaient à la surface, les mineurs qui creusaient et les soldats et officiers qui passaient d’un tunnel à l’autre.

Pour éviter que les messagers et les officiers ne se perdent dans ce labyrinthe souterrain, des cartes ont été dessinées. Un seul tunnel, le souterrain Grange, est actuellement ouvert aux visiteurs au lieu historique national de la Crête-de-Vimy. Malgré les efforts du groupe Durand, une association de recherche qui explore les tunnels et les redoutes (ce qui n’est pas sans danger), aucun autre tunnel n’est ouvert au grand public pour l’instant. Le travail bénévole du groupe donne néanmoins des renseignements sur le réseau souterrain à cette époque de la guerre, car l’association cartographie les tunnels découverts en France et en Belgique et produit des rapports à ce sujet.

L’attaque sur la crête de Vimy se divise en deux étapes. La première, la mieux connue, est la prise de la crête par le Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur une ligne de front de 12 kilomètres. Le CEC avait quatre grands objectifs, dont le principal était la colline 145, la plus haute partie de la crête. La seconde visait à prendre le Bourgeon (aussi appelé colline 119), qui a fini par donner son nom à cette étape de la bataille. C’était un poste solidement fortifié équipé d’un canon d’artillerie lourde et d’autres pièces d’artillerie. La colline était très facile à défendre pour les nombreux hommes qui s’y trouvaient, et elle aurait été fort utile aux troupes allemandes qui auraient cherché à reprendre le terrain perdu pendant la première étape.

Carte du plan de bombardement indiquant notamment les écrans de fumée.

Plan du barrage d’artillerie pour la bataille de la colline 119, aussi appelée le Bourgeon (MIKAN 3946966). Photo : Ethan M. Coudenys.

Cartographier le bombardement d’artillerie

Les attaques de la crête de Vimy et du Bourgeon sont les contributions canadiennes à la bataille d’Arras, une vaste opération militaire qui se déroule sur un front de 30 kilomètres principalement tenu par les Britanniques. Les brigades d’artillerie jouent un rôle essentiel dans cette offensive, les unités canadiennes et britanniques unissant leurs forces pour faciliter la progression de l’infanterie. Une telle opération exige une préparation extrêmement minutieuse et une ténacité à toute épreuve. Les unités d’artillerie doivent absolument suivre le même horaire et faire avancer le barrage d’obus de 100 mètres toutes les trois minutes. Chaque unité se voit remettre des cartes établissant l’horaire précis des changements dans la portée et la vitesse des tirs. Cette tactique reçoit le nom de barrage roulant.

Pour développer ce que nous avons brièvement expliqué dans la première partie, un barrage roulant est une tactique militaire créée en grande partie par les généraux britanniques et canadiens, après l’échec de l’appui d’artillerie à la bataille de la Somme, en France, de juillet à la mi-novembre 1916. Cette tactique consiste à lancer un mur d’obus dans le no man’s land, et à faire avancer ce barrage progressivement pour empêcher les forces ennemies de sortir de leurs abris et d’organiser une défense efficace avant l’arrivée des attaquants dans leurs lignes. Elle s’avère efficace pour éliminer les tireurs d’élite et les mitrailleuses ennemis au début de la bataille de la crête de Vimy. Selon l’auteur canadien Pierre Berton, le bombardement est si intense qu’il retentit jusqu’à Londres. Les soldats qui avancent sur ce terrain hostile ont l’impression que le ciel est recouvert de plomb tellement les obus sont nombreux.

Examinons maintenant les divers types de cartes remises aux forces d’artillerie sur la crête de Vimy. Pour l’assaut de la colline 145, l’infanterie et l’artillerie doivent absolument se synchroniser. Les commandants d’artillerie reçoivent les mêmes cartes que les unités d’infanterie afin de pouvoir évaluer la progression des diverses divisions et brigades, qui se trouvent parfois à plusieurs kilomètres.

Les officiers d’artillerie disposent de cartes montrant les principaux dispositifs de défense à détruire dans des zones cibles avant que l’infanterie n’arrive à portée de tir. Il peut s’agir de nids de mitrailleuse, de tireurs d’élite, de pièces d’artillerie ou de mortiers. Le plan d’attaque prévoit une attente substantielle entre les deux premières avancées. Par exemple, l’écart entre une ligne rouge et une ligne noire représente un intervalle d’environ 30 minutes, pendant lequel la deuxième vague de soldats et les troupes d’appui peuvent s’avancer. Autrement dit, l’artillerie vise des objectifs précis pendant un certain temps, s’arrête une demi-heure pour laisser l’infanterie progresser, puis reprend le tir sur des cibles plus éloignées. L’infanterie peut ainsi se reposer et fortifier les positions conquises, pendant que l’artillerie pilonne des fortifications défensives potentiellement dangereuses plus loin sur le front.

Sur le Bourgeon, la stratégie est très différente. L’artillerie utilise toujours le barrage roulant, mais elle adopte aussi deux nouvelles tactiques apparues et développées pendant la Grande Guerre. La première consiste à créer une sorte de « champ de la mort » : un intense feu d’artillerie oblige les défenseurs à sortir de leur abri et à se rendre dans un endroit découvert, où ils sont pris pour cibles par des mitrailleuses et l’artillerie. La seconde tactique est la création d’écrans de fumée. Des barils de pétrole en feu sont lancés sur le champ de bataille afin de créer un épais rideau de fumée noire pour cacher la progression de l’infanterie. Ces deux tactiques deviendront des marques de commerce des forces canadiennes, notamment à la bataille de la colline 70 à Lens, en France, du 15 au 25 août 1917, et à la troisième bataille d’Ypres (Passchendaele), en Belgique, du 31 juillet au 10 novembre 1917.

Le barrage roulant démontre son efficacité lors des premières attaques sur la colline 145. Par contre, la prise du Bourgeon est l’une des batailles les plus coûteuses de l’histoire militaire canadienne : plus de 10 000 hommes sont tués, blessés ou portés disparus.

Conclusion

 Cartographier les champs de bataille n’a rien de nouveau. De l’Empire romain aux guerres napoléoniennes, les généraux et les seigneurs de guerre ont toujours utilisé des cartes pour planifier les attaques et s’orienter sur les champs de bataille. Par contre, les cartes étaient généralement réservées aux officiers hauts gradés et aux militaires du rang.

À Vimy, les cartes du champ de bataille sont distribuées à grande échelle pour bien préparer les troupes et réduire la confusion au sein de l’infanterie. Même les lieutenants subalternes et les caporaux suppléants ont accès au plan d’attaque. Cette innovation des forces alliées pendant la Première Guerre mondiale assure l’énorme succès de l’attaque contre les positions allemandes sur les collines 145 (la crête de Vimy) et 119 (le Bourgeon) dans le cadre de la bataille d’Arras. Les cartes donnent des objectifs clairs et précis à chaque unité et montrent aux soldats, à l’artillerie et aux services d’appui les tactiques qu’il faut adopter pour prendre la crête. Le fruit de mois de préparation, elles jouent un rôle considérable dans la prise de la colline 145 par le CEC.

Autres ressources

  • Les cartes de la crête de Vimy (partie 1), un article de blogue d’Ethan M. Coudenys, Bibliothèque et Archives Canada
  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.

Les cartes de la crête de Vimy (partie 1)

Par Ethan M. Coudenys

La cartographie est la technique permettant de dessiner des cartes. Elle a joué un rôle essentiel dans la planification et la préparation des offensives et des dispositifs de défense pendant la Première Guerre mondiale. Les officiers hauts gradés et les militaires du rang planifiaient les principales batailles de France (comme celles de la Marne, de la Somme et de Verdun) à l’aide de grandes cartes. La cartographie a aussi joué un rôle important lors de la préparation de l’assaut du Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur la colline 145, mieux connue sous le nom de crête de Vimy.

Groupe d’hommes franchissant des réseaux de barbelés pendant que des obus explosent à l’arrière-plan.

Canadiens avançant dans le réseau de barbelés allemands sur la crête de Vimy, avril 1917 (a001087).

Commençons par planter le décor. Avant la bataille de Vimy, le CEC participe à de nombreuses batailles en France et en Belgique. Il se distingue notamment en août et novembre 1916 à Flers-Courcelette (France), à environ 50 kilomètres de Vimy. Sous les ordres du lieutenant-général sir Julian Byng (qui deviendra feld-maréchal et gouverneur général), le CEC devient une force de frappe très efficace. En novembre 1916, les Canadiens se dirigent vers l’est de la ville française d’Arras. De là, ils commencent à préparer l’assaut sur la colline 145, où les forces allemandes ont mis près de trois ans à construire des tranchées lourdement fortifiées.

La bataille de la crête de Vimy commence le 9 avril 1917. Ce n’est pas une opération isolée; elle s’inscrit dans le cadre de la bataille d’Arras. Les Canadiens sont responsables des deux principaux théâtres des combats : la crête elle-même (la colline 145) et le Bourgeon (la colline 119). L’attaque est préparée dans ses moindres détails.

Avant que les Canadiens ne prennent leurs positions, à la fin de novembre 1916, des divisions françaises et marocaines ont déjà tenté de s’emparer de la crête de Vimy. Sans obtenir un succès complet, elles ont tout de même réussi à rapprocher les lignes alliées de la crête. Pendant la bataille de Verdun, les Britanniques prennent le contrôle de ces positions, agrandissant et renforçant les fortifications relativement faibles. Quand le CEC arrive sur le front de Vimy en novembre 1916, il profite de solides fortifications.

Carte montrant un réseau de tunnels et de cratères.

Carte 1 – champ de bataille de Vimy : réseau de tunnels et cratères dans le secteur de la ferme La Folie. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Quand les Canadiens se rendent à Vimy, c’est la première fois que l’ensemble du CEC part au combat. C’est un moment extrêmement important pour les soldats, mais aussi pour la jeune nation. Beaucoup considèrent que c’est le début de la construction d’une identité culturelle et nationale canadienne.

Pour mieux comprendre l’importance de la cartographie dans le cadre des combats, commençons par examiner quelques cartes actuellement exposées au Centre d’accueil et d’éducation du Mémorial national du Canada à Vimy, en France. Des guides canadiens (tous des étudiants dans des universités ou des collèges) y renseignent le public sur la bataille de Vimy, notamment sur les tunnels construits pour soutenir la progression des troupes canadiennes en avril 1917. Les cartes 1 et 2 montrent les tunnels et tranchées creusés pendant la bataille pour le contrôle de la crête.

Carte du champ de bataille de la crête de Vimy.

Carte 2 – Carte moderne du champ de bataille de la crête de Vimy. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Comment les cartes ont-elles été dessinées?

Pour les soldats d’infanterie canadiens, les cartes jouent un rôle crucial : elles aident à se retrouver et à atténuer le chaos dans un environnement où règnent constamment la peur, la confusion et la possibilité d’une mort imminente. Voyons comment les militaires recueillent l’information nécessaire à la création de ces cartes.

Au cours des mois qui précèdent la bataille, le CEC envoie des groupes de soldats dans les tranchées allemandes pour qu’ils en mémorisent la disposition et donnent de l’information sur l’emplacement des fortifications et des armes ennemies. Tantôt restreints, tantôt très imposants (jusqu’à 5 000 hommes ou plus), les groupes d’éclaireurs mènent leurs raids de novembre 1916 jusqu’à la veille de la bataille, en avril 1917. Les raids dans les tranchées sont extraordinairement périlleux, tant pour les attaquants que pour les défenseurs. Ils sont souvent menés de nuit et entraînent parfois de lourdes pertes des deux côtés.

De son côté, le Royal Flying Corps (ancêtre de la Royal Air Force) prend des photos aériennes pour repérer les fortifications et les lieux d’intérêt en prévision de l’assaut.

L’information essentielle ainsi recueillie est consignée sur des cartes détaillées comme la carte 3 ci-dessous. Souvent, les soldats qui ont mené les raids dessinent les cartes à la main, de mémoire.

Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy.

Carte 3 – Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy, en 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Quels étaient les types de cartes?

Carte d’un barrage d’artillerie dans la région de Vimy (France).

Barrage d’artillerie, 1re compagnie d’arpentage, Génie royal, près de Vimy, 1917 (e000000540).

Nous sommes très chanceux d’avoir accès à de nombreuses cartes de la Grande Guerre dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada. Les cartes des tranchées sur le front de l’Ouest comptent parmi les plus populaires auprès des chercheurs. C’est émouvant de penser qu’elles sont le fruit d’énormes efforts, et parfois même du sang versé par des soldats, des ingénieurs et des pilotes. Elles ont été remises à de nombreux officiers subalternes et militaires du rang pour les aider à mener l’attaque du 9 avril 1917.

La première d’entre elles, peut-être la plus importante pour la percée, est celle du barrage d’artillerie. Pendant l’attaque de la crête de Vimy, l’artillerie canadienne, appuyée par de nombreuses unités de campagne britanniques, utilise la tactique du barrage roulant dans le but de paralyser la résistance des forces allemandes pendant que l’infanterie progresse derrière un mur d’obus. Le synchronisme et la précision sont essentiels pour éviter les pertes causées par des tirs amis.

Les unités d’artillerie se servent donc de cartes pour pilonner les lignes allemandes. Les cibles y sont indiquées avec précision, tout comme les quatre principaux objectifs que le CEC doit atteindre entre le 9 et le 12 avril 1917. Les cartes montrent que le barrage roulant doit progresser de 100 mètres toutes les trois minutes pour que les unités d’infanterie puissent suivre le mur de feu. On y trouve aussi des objectifs particulièrement importants, comme des fortifications, des nids de mitrailleuses, des mortiers et des entrepôts de munitions.

Carte détaillée de la crête de Vimy, sur le front de l’Ouest.

Carte en carton de format poche pour soldat d’infanterie, crête de Vimy, 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Les cartes les plus utilisées au cours de l’attaque à Vimy étaient celles remises aux unités d’infanterie. Il s’agissait de copies réduites des grandes cartes employées par les officiers hauts gradés pour planifier l’assaut. Elles comprenaient les objectifs de chaque peloton et compagnie. C’était un outil essentiel pour la planification et l’exécution de l’offensive. Elles aidaient les soldats à rester sur le droit chemin malgré le chaos provoqué par les tirs des canons et des fusils.

La nouvelle politique permettant à chaque soldat de transporter sa propre carte du champ de bataille peut sembler banale à première vue, mais elle a substantiellement contribué à la réussite du CEC lors de la bataille de la crête de Vimy.

Autres ressources

  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.

Un nouveau départ : 150 ans d’infrastructures fédérales en Colombie-Britannique – Région de Kootenay : Le bureau de poste de Rossland

Par Caitlin Webster

La Colombie-Britannique s’est jointe au Canada en 1871, il y a 150 ans. Dans les années qui ont suivi, les infrastructures fédérales se sont répandues dans toute la province. Ce processus est bien documenté dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada. La présente série de huit blogues met en lumière des bâtiments, des services et des programmes, ainsi que leur impact sur les diverses régions de la Colombie-Britannique.

Pendant la période d’avant-guerre, entre 1900 et 1914, la population canadienne augmente de 64 %! La hausse de la demande de services gouvernementaux qui en découle fait tripler la taille du parc immobilier fédéral.

Une grande partie de cette croissance a lieu dans de nouvelles villes comme Rossland, une ville minière du sud-est de la Colombie-Britannique. Comme dans beaucoup de petites villes au Canada, un bureau de poste y est construit au début des années 1900. En raison du boom de la construction dans l’ensemble du pays, bon nombre de ces bâtiments partagent des éléments architecturaux communs. Le bureau de poste de Rossland de 1903 suit le modèle standard : toit fortement incliné et tronqué, ouvertures en arc de cercle et pignons ornés de parapets.

Photographie en noir et blanc de l’extérieur du bureau de poste. De petits groupes d’hommes et d’enfants se tiennent devant l’entrée inachevée du bâtiment et l’une des fenêtres toujours en construction.

Bureau de poste en construction, Rossland, Colombie-Britannique (a046453-v8)

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale interrompt brutalement la croissance économique. En conséquence, de nombreux bâtiments fédéraux acquièrent une importance inattendue dans les petites villes. Certains deviennent des bâtiments municipaux (par exemple des hôtels de ville) tandis que d’autres, comme le bureau de poste de Rossland, conservent leur vocation initiale.

Les immeubles fédéraux de cette époque se distinguent par la qualité de leur construction et les matériaux choisis. En général, le ministère des Travaux publics évite le bois, préférant le fer, la pierre, la brique et d’autres matériaux durables. L’objectif consiste à protéger les biens fédéraux contre les incendies et d’autres risques, en plus de servir d’exemple de construction de qualité dans les collectivités.

Malheureusement, ces matériaux n’offrent qu’une protection partielle au bureau de poste de Rossland. Le 1er mars 1929, un grand incendie balaie le quartier des affaires de la ville. Le feu détruit tous les bâtiments à charpente de bois situés entre la Banque de Montréal et le bureau de poste. Les pompiers utilisent de la dynamite sur certaines structures pour tenter de créer un coupe-feu, ce qui détruit toutes les fenêtres du bureau de poste et aggrave les dégâts causés à la structure.

Photographie en noir et blanc montrant la section du quartier des affaires de Rossland détruite par l’incendie. De la fumée s’élève du site. Il y a des badauds sur le trottoir et des hommes sur les fils électriques environnants.

Le grand incendie de Rossland, les 1er et 2 mars 1929 (a046410-v8)

En fin de compte, le Bureau de poste de Rossland perd son toit distinctif et ses pignons ornés. Cependant, la construction en pierre et en brique permet de restaurer les deux étages restants. L’imposante structure sert toujours de bureau de poste et fait désormais partie du patrimoine officiel de Rossland.

Pour en savoir plus sur les styles architecturaux des bâtiments fédéraux, voir Crown Assets : The Architecture of the Department of Public Works, 1867–1967, par Janet Wright, 1997 (OCLC 1017536309).


Caitlin Webster est archiviste principale à la Division des services de référence au bureau de Vancouver de Bibliothèque et Archives Canada.

Charlie Chaplin s’en va-t-en guerre, partie 1 : Lancer vos recherches généalogiques avec un dossier de la Première Guerre mondiale

Par Emily Potter

Le Charlie Chaplin dont nous allons parler n’est pas celui que vous croyez : il s’agit plutôt du soldat William Charles Chaplin. Hé oui, le titre porte à confusion… tout comme certains renseignements que vous trouverez en faisant des recherches dans les dossiers de la Première Guerre mondiale.

Aux Services de généalogie, les gens nous posent souvent des questions sur le service militaire de leurs ancêtres qui ont combattu pendant la Grande Guerre. C’est une page importante de leur histoire familiale, et ils sont curieux d’en savoir plus.

Mais saviez-vous que les dossiers du personnel militaire regorgent aussi de renseignements biographiques? Cela en fait un excellent point de départ pour vos recherches généalogiques.

Voyons quels renseignements nous pouvons tirer de ces dossiers. Ici, j’ai choisi l’exemple du soldat William Charles Chaplin.

Dans toute recherche généalogique, on veut trouver le nom des ancêtres, ainsi que les dates ou les lieux des grands événements de la vie : naissances, mariages, décès, etc. Que pourrons-nous trouver sur le soldat Chaplin, et qu’apprendrons-nous sur ses parents et son épouse?

Recherche dans le dossier du soldat

Les références aux dossiers des soldats canadiens, des infirmières militaires et des aumôniers se trouvent dans la base de données de Bibliothèque et Archives Canada intitulée Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. Les dossiers sont accessibles gratuitement en ligne.

Écran Écran montrant la recherche du nom « Charles Chaplin » dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. montrant la recherche du nom « Charles Chaplin » dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Écran de recherche de la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Interrogeons d’abord cette base de données. Sur l’écran de recherche, entrez le nom et le prénom de votre ancêtre, puis cliquez sur Recherche. Pour notre exemple, j’ai entré le nom « Charles Chaplin ».

Écran montrant les résultats de la recherche pour le nom « Charles Chaplin » dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Résultats de la recherche pour « Charles Chaplin ».

Parcourez les résultats pour trouver celui qui correspond à votre ancêtre. Si le nom de ce dernier est très courant, la recherche sera plus difficile : il pourrait y avoir des centaines de résultats. En cas de problème, consultez notre section Conseils pour la recherche.

Sur l’écran des résultats, j’ai sélectionné « Chaplin, William Charles ».

Écran montrant la page de référence pour « Chaplin, William Charles » dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Page de référence pour « Chaplin, William Charles ».

Vous verrez alors les renseignements de référence du dossier. Souvent, le document d’attestation s’affiche également en vignette. Pour voir tout le dossier, cliquez sur le lien « Dossier de service numérisé — format PDF ».

Photo de l’enveloppe contenant le dossier de service de William Charles Chaplin, provenant de la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Enveloppe du dossier de William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 1.

Dans notre exemple, les premières images du PDF nous montrent l’enveloppe qui contenait le dossier de William Charles Chaplin. Les inscriptions sur l’enveloppe nous fournissent déjà un premier renseignement : Chaplin est décédé le 5 octobre 1957.

On y trouve aussi l’inscription « over age », c’est-à-dire « dépasse l’âge limite ». Cela signifie que Chaplin a été libéré de l’armée parce qu’il était trop vieux pour servir. (Pour s’enrôler, les recrues devaient avoir entre 18 et 45 ans; mais souvent, des hommes mentaient sur leur âge.) Les dossiers n’ont pas tous une enveloppe, mais quand c’est le cas, on peut y trouver des informations utiles.

Document d’attestation du dossier de service de William Charles Chaplin, dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. On peut lire les mots « ATTESTATION PAPER. 95th Battalion. [DOCUMENT D’ATTESTATION. 95e Bataillon.] » imprimés en haut au centre. Le mot « Original » est écrit à la main dans le coin supérieur droit.

Document d’attestation pour William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 3.

À la troisième page du PDF, on trouve le document d’attestation de Chaplin. C’est le formulaire qui est rempli lorsqu’un soldat s’enrôle. On peut y lire que Chaplin est né le 23 juin 1874. Mais c’est peut-être inexact, puisque Chaplin pourrait avoir menti sur son âge pour s’enrôler : comme on l’a vu plus haut, l’enveloppe du dossier porte l’inscription « over age ».

Le document d’attestation indique aussi que Chaplin est né dans le Kent, en Angleterre, et vivait à Toronto lorsqu’il s’est enrôlé.

Habituellement, un parent ou un conjoint est inscrit en tant que proche. Ici, Chaplin a inscrit sa fille, Miriam Chaplin, puisque son épouse est décédée (ce que confirme sa réponse à la question 7).

À la deuxième page du formulaire d’attestation, on apprend que Chaplin est de confession anglicane.

Fiche d’allocation aux épouses de mobilisés tirée du dossier de service de William Charles Chaplin, dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. Les mots « SEPARATION ALLOWANCE » [allocation aux épouses de mobilisés] sont imprimés au haut de la fiche.

Fiche d’allocation aux épouses de mobilisés pour William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 17.

Cela dit, le document d’attestation n’est pas le seul à contenir des renseignements généalogiques : souvent, on trouve d’autres détails ailleurs dans le dossier.

Par exemple, pour les soldats qui se sont mariés pendant leur service, on trouve parfois un document montrant que la solde est dorénavant envoyée à l’adresse de l’épouse, et non à celle de la mère.

Dans le dossier de Chaplin, plusieurs fiches de paye montrent que sa solde a été envoyée à Agnes Eliza Chaplin, qui avait la garde de ses enfants.

Fiche d’examen médical du Standing Medical Board [comité médical permanent] de Shorncliffe, tirée du dossier de service de William Charles Chaplin dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Fiche d’examen médical de William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 35.

L’image 35 nous donne un autre indice de l’âge de Chaplin (et nous montre bien qu’il avait dépassé l’âge limite lors de son enrôlement). Nous voyons qu’il avait 46 ans en octobre 1916. Si sa date de naissance est bien le 23 juin, son année de naissance serait donc 1870, et non 1874 comme le mentionne son document d’attestation.

Document dactylographié et manuscrit intitulé Particulars of Family of an Officer or Man Enlisted in C.E.F. (Canadian Expeditionary Force) [Renseignements sur la famille d’un officier ou d’un soldat enrôlé dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC)]. Tiré du dossier de service de William Charles Chaplin dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Document présentant des renseignements détaillés sur la famille de William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, images 45 et 46.

Les images 45 et 46 nous apportent une foule de renseignements supplémentaires. Elles sont tirées du document Particulars of Family of an Officer or Man Enlisted in C.E.F. (qui présente des renseignements détaillés sur la famille des officiers et des soldats du Corps expéditionnaire canadien).

Nous apprenons ainsi que Chaplin avait six enfants : Marian (aussi appelée Miriam ailleurs dans le dossier), James, Richard, George, Agnes et William. On voit aussi leur âge. À partir de la date du document et de l’âge des enfants, nous pouvons donc connaître l’année de naissance approximative de chacun.

À la deuxième page du document, nous apprenons que le père de Chaplin est décédé et que sa mère s’appelle Agnes Chaplin. Cela suggère qu’elle avait la garde des enfants de Chaplin, puisque son adresse ici est la même que celle indiquée à l’image 17. Le nom d’Agnes est aussi mentionné dans d’autres documents.

Document dactylographié et manuscrit ayant pour titre Canadian Expeditionary Force (Information for Separation Allowance Board) [Corps expéditionnaire canadien (CEC) : Renseignements pour le Separation Allowance Board, l’organisme responsable des allocations aux épouses de mobilisés]. Tiré du dossier de service de William Charles Chaplin dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Canadian Expeditionary Force (Information for Separation Allowance Board) [Corps expéditionnaire canadien (CEC) : Renseignements pour le Separation Allowance Board, l’organisme responsable des allocations aux épouses de mobilisés]. Tiré du dossier de William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 87.

Passons maintenant aux images 87 et 88. Elles nous montrent un document intitulé Canadian Expeditionary Force (Information for Separation Allowance Board). C’est un formulaire du Corps expéditionnaire canadien (CEC) qui contient des renseignements destinés à l’organisme responsable des allocations aux épouses de mobilisés. Ce document a été rempli en 1919 par Gertrude Ada Prentice; elle y demande qu’on lui transfère l’allocation aux épouses de mobilisés et la délégation de solde de Chaplin, puisqu’elle a maintenant la garde de ses enfants.

Détail déroutant : la première page indique que la femme de Chaplin s’appelait Eliza Agnes Chaplin et qu’elle est décédée le 1er mars 1914. Pourtant, comme on l’a vu plus haut, Agnes Chaplin était le nom de sa mère. Il n’est pas impossible que les deux femmes aient eu le même nom; mais il n’est pas impossible non plus qu’il s’agisse d’erreurs faites lors de l’entrée des données.

Document dactylographié et manuscrit du dossier de service de William Charles Chaplin, tiré de la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale. Les entrées manuscrites sont à l’encre rouge, noire et bleue.

Page du dossier de service de William Charles Chaplin (Corps expéditionnaire canadien), fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 88.

L’image 88, pour sa part, nous révèle qu’un fils de Chaplin s’était lui aussi enrôlé. Il s’appelait J. W. Chaplin et son numéro de régiment était le 868139. On peut supposer qu’il s’agit de son fils aîné James, dont il est question sur l’image 45.

Par ailleurs, il semble qu’Agnes et Celia, deux des filles de Chaplin, aient été adoptées par Gertrude Prentice quand leur mère est morte. Les garçons étaient aussi sous la garde de Gertrude Prentice, même si elle ne les avait pas officiellement adoptés.

On voit également que la grand-mère des enfants est décédée en février 1919.

Au bas de l’image, on peut lire cette note :

Allocation aux épouses de mobilisés et délégation de solde attribuées à la belle-mère ayant la garde des enfants pendant le service du soldat. À son retour de l’étranger, le soldat a pris la garde des enfants et a habité avec la présente tutrice (auteure de la demande), la grand-mère n’étant pas assez forte pour en prendre soin. La grand-mère est morte en février 1919… [Traduction]

Cette note nous indique que c’est la belle-mère de Chaplin qui prenait soin des enfants, et non sa mère. En un sens, ce n’est pas surprenant : à l’époque, les mêmes prénoms se transmettaient souvent au sein d’une famille, comme on le voit ici avec l’épouse et la belle-mère de Chaplin. C’était aussi le cas avec les pères et les fils.

Cela dit, pourquoi la belle-mère de Chaplin aurait-elle porté le même nom de famille que lui? Gertrude Prentice s’est peut-être trompée en écrivant que les enfants ont été pris en charge par la belle-mère de Chaplin, et non par sa mère.

Chose certaine, il y a une erreur dans ce dossier. Mais laquelle? C’est malheureusement inévitable dans les recherches généalogiques : on trouve parfois des renseignements qui ne concordent pas.

Extraits agrandis de documents dactylographiés et manuscrits du dossier de service de William Charles Chaplin; certains passages sont surlignés en jaune. Les entrées manuscrites sont à l’encre rouge et noire. Tiré de la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir de la gauche) Détails des images 21, 46, 88 et 87 du dossier de service de William Charles Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27.

Sur les images ci-dessus, Agnes Eliza Chaplin, qui vivait au 16, avenue Kipping, est parfois indiquée comme étant la mère de Chaplin, et parfois comme étant sa belle-mère.

Jetons un coup d’œil au dossier du fils aîné, James W. Chaplin, pour voir s’il peut nous éclairer sur cette question.

Écran montrant la page de référence pour James William Chaplin dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Page de référence pour James William Chaplin dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale.

Une recherche rapide dans la base de données Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale permet de trouver la référence montrée sur l’image ci-dessus.

Extrait du document d’attestation de James William Chaplin, avec questions numérotées à gauche, et réponses dactylographiées, corrections et ratures manuscrites à droite.

Détail du document d’attestation tiré du dossier de service de James William Chaplin, fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-14, image 3.

Nous y trouvons aussitôt des clarifications : comme proche parent, James a nommé sa grand-mère, Agnes Eliza Turton, domiciliée au 16, avenue Kipping, à Toronto (Ontario).

J’en déduis que dans le dossier, Agnes Eliza Chaplin a toujours été Agnes Eliza Turton, la belle-mère de William Charles Chaplin.

Mais alors, pourquoi lui donner le nom de famille « Chaplin » partout dans le dossier? Est-ce une simple erreur de transcription qui s’est répétée? Ou James a-t-il délibérément choisi de dire qu’Agnes était sa grand-mère, de crainte qu’on refuse d’envoyer sa solde à une personne non liée par le sang? Malheureusement, nous n’avons aucun moyen de le savoir.

Document dactylographié avec marques en rouge.

Détail d’une page du dossier de service de William Charles Chaplin (fonds RG150, acquisition 1992-93/166, boîte 1621-27, image 97).

De retour au dossier de William Charles Chaplin, nous tombons sur un dernier élément d’information utile. Sur l’image 97, on voit une autre date de naissance pour Chaplin : le 23 juin 1870. Cette date concorde avec le fait qu’il a été libéré en raison de son âge; elle est probablement plus fiable que la date qui figure sur son document d’attestation. Nous apprenons aussi que Chaplin est né dans la ville de Chatham.

Passons en revue ce que nous avons appris sur William Charles Chaplin dans son dossier :

  • Date et lieu de naissance : 23 juin 1870, Chatham, Kent, Angleterre
  • Date et lieu du mariage : Inconnus
  • Date et lieu du décès : 5 octobre 1957, lieu inconnu
  • Nom de la mère : Inconnu
  • Nom du père : Inconnu
  • Nom de l’épouse : Eliza Agnes Turton, fille d’Agnes Eliza; décédée avant le 2 mars 1916
  • Noms des enfants : Miriam, James, Richard, George, Agnes, William et Celia

C’est une bonne récolte, sans compter les renseignements que nous avons pu trouver sur les enfants de Chaplin. Nous connaissons leurs noms ainsi que leur âge, à partir duquel nous pouvons établir l’année approximative de leur naissance. Nous savons aussi que deux des filles ont été adoptées par une certaine Gertrude Ada Prentice, qui a aussi pris soin des autres enfants de Chaplin après le décès de sa belle-mère.

Les dossiers de service ne contiennent pas tous autant d’information, mais l’exemple de Chaplin nous montre qu’ils peuvent servir d’excellent point de départ pour vos recherches généalogiques… même si on y trouve parfois des renseignements contradictoires!

À partir de là, nous pouvons maintenant faire des recherches dans d’autres sources afin d’établir la généalogie de William Charles Chaplin.« Pour en savoir davantage sur cette question, lisez la deuxième partie de ce billet de blogue. »


Emily Potter est consultante en généalogie à la Direction générale des services au public de Bibliothèque et Archives Canada.

Découvrir le 2e Bataillon de construction

English version

Par Andrew Horrall

Note sur les termes utilisés dans les documents

De nombreux documents relatifs à la 2e Compagnie de construction contiennent des termes qui étaient couramment utilisés pendant la Première Guerre mondiale, mais qui ne sont plus acceptables aujourd’hui. L’utilisation de ces termes par les autorités militaires est une preuve du racisme subi par les hommes de l’unité.

Comme il est décrit dans le billet de blogue, « Servir malgré la ségrégation », le 2e Bataillon de construction a été la première et la seule unité ségrégée du Corps expéditionnaire canadien (CEC) pendant la Première Guerre mondiale. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a répertorié et numérisé les documents relatifs à l’unité afin de faciliter l’exploration et la compréhension de son histoire et des histoires individuelles des hommes qui en faisaient partie.

Formulaire imprimé rempli par les hommes s’engageant dans le Corps expéditionnaire canadien. Le formulaire comprend 12 questions sur la personne, y compris son nom, sa date de naissance et son plus proche parent. En bas, on trouve une déclaration et un serment prêtés et signés par l’homme, ainsi que la déclaration et la signature d’un magistrat confirmant son engagement.

Page d’attestation pour Arthur Bright, RG 150, versement 1992-93/166, boîte 1066 – 39

Expériences individuelles

Les documents d’archives contiennent des détails sur les personnes ayant servi dans le 2e Bataillon de construction. Chaque histoire est unique et évocatrice.

Vous pouvez trouver les dossiers individuels des hommes en recherchant leur nom, ou en entrant « No. 2 Construction Battalion » (note : il faut insérer les mots-clés en anglais) dans le champ « Unité » de notre base de données, dans le menu déroulant Afficher les options de recherche avancées. Chaque dossier a été entièrement numérisé et comprend des renseignements détaillés sur la vie de la personne, sa famille et son service militaire.

Des amis et des familles servant ensemble

Les dossiers du personnel peuvent également raconter des histoires collectives. Nous savons que les hommes se sont souvent engagés en petits groupes de famille, d’amis ou de collègues de travail dans l’espoir de servir ensemble.

Voici deux stratégies pour trouver et explorer ces petits groupes au sein de l’unité. Commencez par déterminer l’identité de tous les hommes, en entrant « No. 2 Construction Battalion » (note : il faut insérer les mots-clés en anglais) dans le champ « Unité » de notre Base de données, dans le menu déroulant Afficher les options de recherche avancées. Par la suite :

  • Trier la liste par ordre alphabétique. Vous verrez que de nombreux noms de famille apparaissent plus d’une fois. Ouvrez les dossiers individuels des hommes portant le même nom et examinez leur lieu de naissance, leur adresse et leur parent le plus proche (souvent un parent) pour déterminer leur lien de parenté, le cas échéant.

Par exemple, nous pouvons voir que ces deux hommes étaient frères :

Tableau répertoriant 2 soldats avec le nom de famille Bright.

  • Trier la liste par matricule. Ces numéros ont été attribués aux hommes dans l’ordre numérique. En triant la liste de cette façon, on peut recréer les lignes d’hommes au moment de leur enrôlement dans une station de recrutement. Ouvrez les dossiers individuels pour voir si un homme s’est engagé seul ou avec un groupe.

Par exemple, nous savons que les frères Bright se sont engagés ensemble parce qu’on leur a attribué des matricules séquentiels. Nous découvrons également que les hommes portant les matricules précédents et suivants — qui se seraient trouvés à côté d’eux dans le bureau de recrutement en 1916 — avaient tous à peu près le même âge, exerçaient des métiers similaires et vivaient à moins d’un kilomètre les uns des autres à St. Catharines. Comment se connaissaient-ils?

Tableau répertoriant 5 soldats avec des numéros de régiment allant de 931537-931541Suivez les hommes dans la vie civile

Pour explorer plus largement l’histoire des Canadiens noirs, vous pouvez également découvrir la vie civile de bon nombre de ces hommes en entrant leurs noms dans d’autres bases de données de BAC dans la section « Recherche d’ancêtres » de notre site Web :

  • Les Recensements canadiens de 1911, 1916 et 1921. Par exemple, le recensement de 1921 indique qu’Arthur et Norman Bright vivent ensemble comme locataires au 3 Brown’s Lane, dans le centre-ville de Toronto. Ni l’un ni l’autre n’est alors marié, et tous deux travaillent comme ouvriers.
  • Les Listes de passagers montrent quand, où et avec qui les personnes ont immigré au Canada.
  • Les Dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale peuvent ouvrir la voie à l’exploration de la communauté noire du Canada du début du 20esiècle et de ce que signifiait servir dans le 2e Bataillon de construction.
Deux pages d’un journal personnel. La date est imprimée en haut de chaque page, les 30 et 31 octobre. En dessous, le capitaine White a écrit des observations générales sur le temps, les lettres qu’il a écrites et reçues, et la vie au camp.

Deux pages du journal personnel du capitaine William « Andrew » White, l’aumônier de l’unité (e011183038)

La vie quotidienne au sein de l’unité

Deux documents numérisés vous permettent d’explorer les activités quotidiennes de l’unité :

  • Journal personnel de William « Andrew » White; l’aumônier du 2eBataillon de construction; nous pensons qu’il s’agit du seul récit personnel et témoignage direct écrit par un membre de l’unité.
  • Journal de guerre; les unités en service actif devaient tenir un compte rendu quotidien de leurs activités. Bien que les journaux de guerre ne se concentrent pas sur les personnes, ils décrivent les événements qui se sont déroulés chaque jour.

Comment l’armée canadienne a géré l’unité

BAC a numérisé environ la moitié des documents administratifs, organisationnels et historiques relatifs au 2e Bataillon de construction. Ces documents donnent une idée de la façon dont l’armée canadienne gérait l’unité et les hommes qui en faisaient partie.

Ressources numérisées documentant la 2e Compagnie de construction conservées à BAC

Renseignements de base sur l’unité

Autres photographies représentant des soldats noirs

Notez que BAC détient de nombreuses autres photos montrant des soldats noirs. Ces photos ne peuvent toutefois pas être trouvées lors d’une simple recherche, car cette information n’était pas incluse dans le titre original.

Affiche de recrutement

Documents textuels

Cour martiale

Les dossiers numérisés des cours martiales impliquant des membres de la Compagnie de construction no 2 et d’autres hommes noirs sont disponibles sur Canadiana.org (Veuillez noter que la liste ci-dessous peut ne pas être complète).


Andrew Horrall, archiviste à Bibliothèque et Archives Canada, a rédigé le billet de blogue. Il a aussi recensé les documents relatifs au bataillon, avec l’aide d’Alexander Comber et de Mary Margaret Johnston-Miller.

Servir malgré la ségrégation : 2e Bataillon de construction

English version

Par Andrew Horrall

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) détient la plus grande collection de documents sur le 2e Bataillon de construction, une unité ségrégée du Corps expéditionnaire canadien (CEC). Ils veulent alors se battre, mais les attitudes racistes des dirigeants politiques et militaires – ainsi que de la société en général – les empêchent de servir en première ligne. Au lieu de cela, le 2e Bataillon de construction est affecté au Corps forestier canadien. Les hommes passent la guerre dans les Alpes françaises, où ils abattent des arbres, transforment des troncs bruts en bois fini et transportent le bois jusqu’au chemin de fer. À l’époque, le travail est vital, puisque d’énormes quantités de bois sont nécessaires pour construire et renforcer les défenses de première ligne, mais il est loin du type de service que les hommes avaient espéré.

Dessin noir et blanc d’un insigne en forme de bouclier. Au sommet se trouvent une couronne royale et une bannière indiquant « Canada Overseas ». En dessous se trouvent les mots « No. 2 » au-dessus d’une autre bannière avec le mot « Construction ». Des feuilles d’érable ornent les côtés de l’insigne. Un pont en bois sous la couronne et un outil sous la deuxième bannière symbolisent que les membres de l’unité étaient des bâtisseurs.

Le badge de casquette du 2e Bataillon de construction (e011395922)

Dossiers de service du Corps expéditionnaire canadien – Les membres sont identifiés par la mention « No. 2 Construction Battalion » (2e Bataillon de construction) dans le champ Unité de la base de données. Les dossiers de service de plus de 800 militaires donnent la 2e Compagnie de construction comme unité. Cependant, bon nombre de ces hommes ont plutôt servi au sein d’autres unités du Corps expéditionnaire canadien. Les raisons expliquant les écarts entre les dossiers du personnel et ceux des unités ne sont pas claires. Il est possible que des besoins pressants aient forcé les autorités militaires canadiennes à envoyer des hommes dans d’autres unités, même si elles avaient l’intention de les affecter à la 2e Compagnie de construction au départ. Il est également possible que la guerre se soit terminée avant que certains hommes n’aient le temps de se joindre à la compagnie.

C’est en juillet 1916 que l’unité est mobilisée à Truro, en Nouvelle-Écosse. Elle recrute alors dans les communautés noires établies dans les Maritimes et le sud-ouest de l’Ontario, ainsi qu’ailleurs au Canada, dans les Caraïbes et aux États-Unis. Au moins deux membres viennent de beaucoup plus loin, soit Cowasjee Karachi (matricule 931759), originaire de l’actuel Yémen, et Valdo Schita (matricule 931643), né près de Johannesburg, en Afrique du Sud.

Photo noir et blanc montrant 21 soldats posant en toute décontraction, en plein air, assis ou debout sur une pile de longues planches de bois. Huit des hommes semblent porter des uniformes russes, et les autres – dont deux Noirs – sont des Canadiens.

Le lieutenant F. N.  Ritchie, le lieutenant Courtney et quelques-uns des hommes enrôlés du Corps forestier canadien en France. Il s’agit de la seule photo de l’unité conservée dans la collection à BAC (a022752).

Si l’unité est composée d’hommes noirs, les officiers sont Blancs, à l’exception de l’aumônier, le capitaine William « Andrew » White.

L’unité est désignée à la fois par les termes « bataillon » et « compagnie » dans les documents d’archives et les sources publiées. Créée à l’origine comme un bataillon dans le Corps expéditionnaire canadien, elle est composée d’environ 1 000 hommes. Lorsque seulement quelque 600 hommes arrivent en Angleterre en 1917, les autorités militaires la renomme « compagnie », ce qui reflète mieux sa taille.

L’unité rentre au Canada à la fin de la guerre et est officiellement dissoute en septembre 1920. Au fil du temps, l’histoire du 2e Bataillon de construction s’estompe jusqu’à ce que les familles, les membres de la communauté et les historiens commencent à la faire renaître au début des années 1980. Il ne reste alors plus qu’une poignée de membres survivants.

Note sur les termes utilisés dans les documents

De nombreux documents relatifs à la 2e Compagnie de construction contiennent des termes qui étaient couramment utilisés pendant la Première Guerre mondiale, mais qui ne sont plus acceptables aujourd’hui. BAC a remplacé ces termes dans les descriptions, mais on les trouve encore dans de nombreux documents originaux. L’utilisation de ces termes par les autorités militaires est une preuve du racisme subi par les hommes de l’unité.


Andrew Horrall, archiviste à Bibliothèque et Archives Canada, a rédigé le billet de blogue. Il a aussi recensé les documents relatifs au 2e Bataillon de construction, avec l’aide d’Alexander Comber et de Mary Margaret Johnston-Miller.

Vêtir les troupes : tricoter en temps de guerre

English version

Par Cara Downey

Les tricoteuses canadiennes ont joué un rôle important pour vêtir les militaires lors de divers conflits, dont les deux guerres mondiales et la guerre de Corée. Ces as du tricot (en grande majorité des femmes) fabriquaient chaussettes, chandails et autres articles pour les soldats, les pilotes, les matelots, la marine marchande, les malades et les blessés, ainsi que pour les prisonniers de guerre et les réfugiés.

Plusieurs groupes de bénévoles ont appelé la population à tricoter, comme la Société canadienne de la Croix-Rouge, l’Ordre impérial des filles de l’Empire, des corps des forces armées et leurs auxiliaires – par exemple, la ligue navale – et ainsi de suite. On imprimait des patrons spéciaux pour les bénévoles et on leur fournissait tout le matériel. L’ouvrage anglais de Shirley A. Scott, Canada Knits: Craft and Comfort in a Northern Land, vous donnera plus de détails aux pages 32 à 39.

Les patrons comprenaient des directives strictes. Ainsi, les tricoteuses devaient généralement s’en tenir au tricot de base, avec des mailles à l’endroit, puisque l’ajout de motifs non nécessaires les ralentissait et gaspillait de la laine. (À ce sujet, voyez l’ouvrage de Shirley A. Scott cité ci-dessus, à la page 39.)

La série Knitting Instructions for War Work (qu’on pourrait traduire librement par : Comment tricoter pour les militaires), publiée par la Société de la Croix-Rouge en 1940, donnait des instructions détaillées, comme celles-ci :

  • Les tricots doivent être d’une couleur précise :
    • Les chaussettes pour la Marine sont bleu marine ou grises; celles pour l’Armée sont kaki, grises ou chinées; celles des Forces aériennes sont noires ou grises; et celles pour les hôpitaux sont blanches ou grises.
    • Les tuques sont bleu marine pour la Marine et kaki pour l’Armée; pas besoin d’en tricoter pour les Forces aériennes.
  • Pour passer d’une pelote à l’autre, ne faites pas de nœud : utilisez la technique du feutrage.
  • Tricotez lâchement tous les points des bords-côtes.
  • Attachez les chaussettes par paires, avec de la laine de couleur pâle passée à travers deux épaisseurs. Faites une boucle serrée, mais pas de nœud. Attachez à l’extérieur de chaque paire une étiquette indiquant la grandeur; s’il s’agit d’un demi-point, choisissez la plus petite taille. (Knitting Instructions for War Work de la Croix-Rouge, pages 3, 13 et 15.)
Photo noir et blanc de soldats en uniforme, assis dehors en train de tricoter.

Une pause occupée. (e010963520)

Règle générale, le tricot incombait aux femmes, sur le front intérieur (peu importe leur classe sociale), aux enfants (en particulier les filles), ainsi qu’aux malades et aux blessés. La photo Une pause occupée, prise vers 1918-1925, montre des soldats convalescents en train de tricoter, une activité à la fois thérapeutique et relaxante.

On encourageait les gens à tricoter de diverses façons. Par exemple, des affiches incitaient les femmes à « tricoter pour nos hommes ». Pendant la Première Guerre mondiale, la Croix-Rouge américaine a réalisé une affiche qui disait : « Nos hommes ont besoin de chaussettes. Tricotez-en. » Et en 1942, le Comité national des finances de guerre du Canada a créé une affiche montrant une tricoteuse, où l’on pouvait lire : « Qui que vous soyez… quel que soit votre emploi… le Canada a besoin de VOUS… travaillez, épargnez, prêtez à la Victoire ».

Affiche sur laquelle on lit « Qui que vous soyez… quel que soit votre emploi… le Canada a besoin de VOUS… travaillez, épargnez, prêtez à la Victoire ». On y voit les portraits de deux hommes et de deux femmes.

Qui que vous soyez… quel que soit votre emploi… le Canada a besoin de VOUS… travaillez, épargnez, prêtez à la Victoire. (e010695660)

À l’époque, le tricot était tellement en vogue qu’il s’est faufilé jusque dans la culture populaire : songeons à des chansons comme « Knitting socks for Daddy’s men », parue en 1915, et « The pretty little mitt that Kitty knit », parue en 1940. Les livres ne font pas exception : les personnages du roman Rilla d’Ingleside (1921), de Lucy Maud Montgomery, participaient à des cercles de tricot et contribuaient à l’effort de guerre en tricotant à la maison. Quant à Katherine Hale, elle a dédié aux « tricoteuses » son livre Grey Knitting and Other Poems, publié à Toronto en 1914.

Ne passons pas sous silence l’apport de ces tricoteuses. Même si on ne connaît pas avec certitude leur nombre et leur contribution totale, la Société canadienne de la Croix-Rouge estime que pour la Deuxième Guerre mondiale seulement, 750 000 bénévoles ont tricoté 50 millions d’articles! La page Web The Monument Design: The Design for The Volunteers/Les bénévoles de la Halifax Women’s History Society (en anglais) vous donnera plus d’information à ce sujet. La section néo-écossaise de l’Ordre impérial des filles de l’Empire, quant à elle, a fabriqué pendant la même période 350 paires de chaussettes, 525 chandails, 125 couvre-chefs, 50 paires de mitaines, 12 paires de gants et 65 foulards. (Voyez à ce sujet l’ouvrage de Sharon M. H. MacDonald, Hidden Costs, Hidden Labours: Women in Nova Scotia During Two World Wars, page 141.)

Visitez l’album Flickr sur les images de tricot.


Cara Downey est analyste principale à la Division de la gouvernance, de la liaison et des partenariats.

CIL : L’histoire derrière la marque

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Par François Larivée

Le sigle CIL fait partie de ces marques de commerce qui évoquent immédiatement quelque chose dans l’imaginaire populaire – dans ce cas-ci, la peinture. Or, lorsqu’on découvre l’histoire de l’entreprise derrière cette marque bien connue, on constate avec surprise que CIL tire son origine de la fabrication d’explosifs et de munitions.

Photographie noir et blanc montrant un grand panneau de forme rectangulaire ancré dans un talus et affichant une publicité de la compagnie CIL. La publicité prend la forme d’une œuvre peinte, avec une maison à chaque extrémité, le tout situé dans un paysage de banlieue. Entre les deux maisons, on aperçoit le logo ovale de la compagnie CIL, avec les mots « Peintures » en haut à gauche et « Paints » en bas à droite.

Panneau publicitaire de la compagnie CIL sur le boulevard Monkland, Ville LaSalle (Québec), vers 1950. (a069072)

Des origines explosives

En fait, les origines de la CIL remontent jusqu’en 1862, avant même la Confédération. Cette année-là, la Hamilton Powder Company voit le jour à Hamilton, en Ontario. Cette compagnie se spécialise dans la production de poudre noire, utilisée alors comme explosif pour divers usages, et plus spécialement pour la construction des voies ferrées (un secteur alors en plein essor).

Les activités de la Hamilton Powder Company culminent en 1877 avec l’obtention d’un important contrat : participer aux travaux de construction du chemin de fer national devant relier l’Est du Canada et la Colombie-Britannique. (Ce lien, comme on le sait, était une condition posée par la Colombie-Britannique pour se joindre à la Confédération.) La poudre noire produite par la compagnie est alors utilisée pour permettre le périlleux passage de la voie ferrée à travers les Rocheuses, dans les années 1884 et 1885.

À la suite de son expansion, la Hamilton Powder Company déplace son siège social à Montréal. C’est aussi dans les environs de Montréal, à Belœil, qu’elle développe à partir de 1878 ce qui deviendra son principal site de production d’explosifs.

En 1910, elle fusionne avec six autres compagnies canadiennes, majoritairement spécialisées elles aussi dans la production d’explosifs. Ensemble, elles forment une nouvelle entreprise : la Canadian Explosives Company (CXL). Bien que les explosifs demeurent l’essentiel de sa production, de nouvelles activités s’ajoutent, dont la fabrication de produits chimiques et de munitions.

L’une des compagnies ayant participé à la fusion, la Dominion Cartridge Company, se spécialisait déjà en effet dans la fabrication de munitions, et plus particulièrement de cartouches de fusils (surtout utilisées pour la chasse). Elle avait été fondée en 1886 à Brownsburg, au Québec, par deux Américains – Arthur Howard et Thomas Brainerd – et par le Canadien John Abbott, qui deviendrait plus tard le troisième premier ministre du pays. En 2017, Bibliothèque et Archives Canada a acquis une importante partie du fonds d’archives de la CIL portant sur son usine de Brownsburg.

Guerres mondiales et munitions militaires

Au cours de la première moitié du 20e siècle, la compagnie produit de plus en plus de munitions. En effet, conséquence des deux guerres mondiales, la demande est en forte hausse, et particulièrement pour les munitions militaires.

Dès 1915, l’Arsenal fédéral (responsable de la production de munitions militaires au Canada) ne peut satisfaire seul à la demande. Le gouvernement canadien sollicite donc l’aide de la Dominion Cartridge, alors l’une des plus grandes compagnies privées dans ce secteur. Elle obtient ainsi d’importants contrats pour produire des munitions militaires.

Décret approuvé et signé le 4 mai 1915 par le Bureau du Conseil privé, sur la recommandation du ministère de la Milice et de la Défense. Il autorise l’établissement d’un contrat avec la Dominion Cartridge Company Limited de Montréal pour la production de cent millions de munitions de type .303 Mark VII, selon les spécifications du bureau britannique de la Guerre (War Office), à 36 $ par mille livres.

Décret du Bureau du Conseil privé approuvant l’établissement d’un contrat avec la Dominion Cartridge Company pour la production de munitions, mai 1915. (e010916133)

Afin de refléter la diversification progressive de ses opérations, la compagnie prend le nom, en 1927, de Canadian Industries Limited (CIL).

Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la CIL augmente encore davantage sa production de munitions militaires. En partenariat avec la Couronne, elle met sur pied en 1939 une filiale dédiée exclusivement à ce secteur d’activité : la Defence Industries Limited (DIL). La Couronne est propriétaire des usines et des équipements, mais délègue à la CIL la gestion des opérations. Elle lui fournit aussi les fonds nécessaires pour faire fonctionner les usines, bien qu’elle n’en achète pas la production.

Les Alliés ayant d’importants besoins en munitions, la DIL prend rapidement de l’expansion. Elle ouvre de nombreuses usines : en Ontario, à Pickering (Ajax), Windsor, Nobel et Cornwall; au Québec, à Montréal, Brownsburg, Verdun, Saint-Paul-l’Hermite (usine Cherrier), Sainte-Thérèse (usine Bouchard), Belœil et Shawinigan; ainsi qu’au Manitoba, à Winnipeg.

Certaines occupent des sites immenses, et la DIL devient l’un des plus importants complexes industriels. En 1943, au sommet de son activité, elle emploie plus de 32 000 personnes, en grande majorité des femmes.

Photographie noir et blanc d’une employée vêtue d’un uniforme et d’un bonnet blancs, tenant un projectile qu’elle présente à l’honorable C. D. Howe. Derrière eux, plusieurs projectiles de formats différents sont exposés sur une table. À l’arrière-plan, on voit quelques civils et militaires debout sur une estrade, derrière un lutrin.

Edna Poirier, une employée de la Defence Industries Limited (DIL), présente à l’honorable C. D. Howe le 100 000 000e projectile fabriqué à l’usine Cherrier, Saint-Paul-l’Hermite (Québec), septembre 1944. (e000762462)

Photographie noir et blanc montrant des employés devant des bâtiments d’usine, s’éloignant de ce qui semble être un vestiaire. La plupart sont vus de dos; d’autres font face à la caméra ou discutent entre eux. On aperçoit en arrière-plan quelques wagons de train.

Des ouvriers et des ouvrières quittant l’usine Cherrier de la Defence Industries Limited pour aller prendre le train, Saint-Paul-l’Hermite (Québec), juin 1944. (e000762822)

Nouveaux produits et centenaire

Après la Seconde Guerre mondiale, la CIL réduit progressivement la production de munitions, qu’elle abandonne définitivement en 1976 pour se concentrer sur les produits chimiques et synthétiques, les fertilisants agricoles et les peintures. Elle commence alors à investir une importante partie de son budget de fonctionnement dans la recherche et le développement de nouveaux produits. Son laboratoire central de recherche, mis sur pied en 1916 près de l’usine de Belœil, prend de l’ampleur, comme en témoigne une importante partie du fonds d’archives de la CIL conservé à Bibliothèque et Archives Canada.

L’essor de l’usine d’explosifs et du laboratoire dans la région de Belœil débouche sur la création, en 1917, d’une toute nouvelle municipalité : McMasterville, ainsi nommée en l’honneur de William McMaster, premier président de la Canadian Explosives Company en 1910.

Photographie noir et blanc d’un travailleur portant un équipement de protection et une visière, versant d’une machine un liquide blanc coulant en une bande uniforme dans un cylindre qu’il tient de la main droite. Un peu de fumée s’échappe du liquide.

Travailleur versant du nylon liquide à partir d’un autoclave, Canadian Industries Limited, Kingston (Ontario), vers 1960. (e011051701)

Photographie noir et blanc d’un travailleur remplissant un sac en le tenant sous le bec verseur d’une machine. Une pile de sacs vides se trouve près de lui. On peut lire sur les sacs : « CIL Fertiliser ».

Mise en sac de l’engrais chimique à l’usine de Canadian Industries Limited, Halifax (Nouvelle-Écosse), vers 1960. (e010996324)

Même si la CIL diversifie ses opérations, la production d’explosifs demeure son principal facteur de croissance et de profitabilité. Ces explosifs sont utilisés dans de nombreux projets d’envergure, dont des projets miniers à Sudbury, Elliot Lake, Thompson, Matagami et Murdochville, et des projets hydroélectriques à Manicouagan, Niagara et Churchill Falls. Ils servent aussi lors de la construction de la voie maritime du Saint-Laurent et de l’autoroute transcanadienne.

Pour souligner son centenaire, en 1962, la compagnie fait construire un important immeuble au centre-ville de Montréal : la maison CIL (aujourd’hui la tour Telus). Les travaux s’échelonnent de 1960 à 1962 et témoignent de l’essor de la CIL.

À la même époque, la compagnie achète une maison patrimoniale dans le Vieux-Montréal, qu’elle restaure et baptise d’abord la Maison du centenaire de CIL, puis la maison Del Vecchio (en hommage à celui qui la fit construire). Elle y expose périodiquement des pièces de collection venant de son musée d’armes et de munitions, à Brownsburg.

La compagnie disparaît, mais la marque demeure

En 1981, la CIL déménage son siège social de Montréal vers Toronto. Son laboratoire central de recherche, quant à lui, est transféré de McMasterville à Mississauga. L’usine d’explosifs de McMasterville reste cependant en activité, et ce, malgré les nombreux accidents de travail – certains mortels – qui y surviennent. Elle diminuera progressivement sa production, avant de fermer pour de bon en 2000.

L’époque florissante de la CIL était toutefois déjà révolue depuis un certain temps, puisque depuis 1988, la compagnie n’était qu’une simple filiale de la compagnie britannique de produits chimiques ICI (elle-même acquise en 2008 par la compagnie hollandaise AkzoNobel).

Pour clore la boucle, en 2012, la compagnie américaine PPG acheta d’AkzoNobel sa division de production de revêtements et de peintures – et, par la même occasion, la marque de peinture si bien connue CIL, qui existe encore aujourd’hui.

Ressources connexes


François Larivée est archiviste à la Section des sciences, de l’environnement et de l’économie de la Direction générale des archives.

La vie et l’héritage de Tom Cogwagee Longboat

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À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Par Elizabeth Kawenaa Montour

Vitesse, athlétisme, détermination, courage et persévérance : voilà les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on pense à Tom Cogwagee Longboat, dont le nom onondaga (Cogwagee) signifie « Tout ». Au cours du siècle dernier, de nombreux faits, récits et photographies ont été compilés pour tenter de mieux connaître et comprendre l’homme derrière le mythe.

Thomas Charles Cogwagee Longboat, fils de George Longboat et d’Elizabeth Skye, est né le 4 juillet 1886 (certaines sources mentionnent le 4 juin 1887). Membre du clan du Loup de la Nation onondaga du Territoire des Six Nations, il adopte le mode de vie traditionnel des Haudenosaunee (mot qui signifie « peuple de la maison longue »).

À l’âge de 12 ou 13 ans, Longboat est envoyé de force au pensionnat indien de l’Institut mohawk, une école anglaise de confession anglicane qui fut active de 1823 à 1970. C’est un choc pour ses camarades et lui, obligés d’abandonner leur langue et leurs croyances pour parler anglais et pratiquer le christianisme.

Décidé à rentrer chez lui, Longboat s’enfuit du pensionnat, mais on le rattrape et il est puni. Il tente de nouveau sa chance, se réfugiant cette fois à la ferme de son oncle, espérant ainsi mieux dissimuler ses traces. La stratégie fonctionne et met fin à son éducation officielle. Longboat travaillera ensuite comme ouvrier agricole à plusieurs endroits, ce qui l’obligera à se déplacer à pied sur de longues distances.

C’est en 1905 que Tom Longboat entame son parcours de coureur amateur. À peine deux ans plus tard, le 19 avril 1907, il remporte le marathon de Boston – le plus prestigieux au monde – en 2 heures, 24 minutes et 24 secondes, retranchant presque 5 minutes du record précédent. Cet exploit est source de grande fierté et d’inspiration pour les Autochtones et les Canadiens. Le lendemain, on peut lire dans le Boston Globe :

« Bravant la pluie et le froid, les milliers de personnes massées le long des rues, d’Ashland au B.A.A [Boston Athletic Association], ont été largement récompensées lors du passage de Tom Longboat, le plus admirable coureur ayant traversé notre ville. Il a franchi la ligne d’arrivée tout sourire. Rien n’indiquait que ce jeune homme venait de parcourir, en quelques heures, plus de kilomètres qu’une personne n’en marche en une semaine. Gagnant en vitesse à chaque foulée, porté par les acclamations de la foule, le jeune homme au teint de bronze, aux cheveux et aux yeux de jais, au corps long et souple et aux jambes élancées, a volé vers la victoire.

Assourdi par le plus grand vacarme entendu depuis des années, Longboat a franchi la ligne d’arrivée, déchirant le ruban alors que les chronométreurs arrêtaient leur montre et que retentissaient les déclics de dizaines d’appareils photo. Il venait de remporter le plus important des marathons modernes. Des bras se sont tendus, prêts à soutenir le gagnant, mais Longboat n’en a pas eu besoin.

Repoussant ceux qui souhaitaient l’étreindre, il a embrassé la foule du regard et remercié tous ses supporteurs. De nombreuses personnes se sont avancées pour lui serrer la main; si ce n’était du fait que les policiers avaient installé de solides cordons pour retenir le public, il aurait reçu de longues accolades. Il s’est ensuite élancé vers le club d’un pas solide et robuste. » The Boston Globe, 20 avril 1907 [Traduction]

Un an après cette éclatante victoire, Longboat participe au marathon des Jeux olympiques de Londres, en Angleterre. La course totalise 42,2 km, mais il ne peut la compléter, s’effondrant au 32e kilomètre. Il bifurque alors vers la course professionnelle, décrochant en 1909 le titre de champion professionnel du monde lors de la course du Madison Square Garden à New York.

Page noir et blanc du Recensement de 1911, avec du texte dans chacune des 38 colonnes. Les renseignements recueillis se divisent en plusieurs catégories : nom, lieu du domicile, renseignements sur la personne, pays ou lieu de naissance, emploi principal ou métier, citoyenneté, langue et scolarité.

Page du Recensement de 1911 sur laquelle figurent Thomas C. Longboat et sa femme Loretta [Lauretta], comté de York (Ontario). Sous la catégorie « Emploi principal ou métier », on peut lire « Runner » (Coureur). (e002039395)

Photo noir et blanc de deux militaires portant un uniforme de la Première Guerre mondiale. Assis, sourire aux lèvres, ils achètent un journal d’un jeune garçon. Le militaire à droite prend le journal d’une main et donne l’argent au garçon de l’autre.

Le soldat Tom Longboat, coureur de fond onondaga, achète un journal d’un garçon français, juin 1917. (a001479)

En 1916, alors que la Première Guerre mondiale fait rage, Longboat est envoyé outre-mer avec le Corps expéditionnaire canadien. Ses aptitudes physiques hors du commun lui sont d’un grand secours pour accomplir ses fonctions d’estafette, qui l’amènent régulièrement à se déplacer à la course.

Mais après un bombardement intensif en Belgique, Longboat se retrouve prisonnier des décombres. À tort, on le croit décédé; une méprise qui ne sera pas sans conséquence puisque, se croyant veuve, son épouse kanienkenha:ka (mohawk), Lauretta Maracle, se remarie. Le couple avait convolé en justes noces en 1908.

Après la guerre, Tom Longboat se remariera lui aussi, épousant Martha Silversmith, une femme onondaga avec qui il aura quatre enfants.

La carrière militaire de Tom Longboat se poursuit lors de la Deuxième Guerre mondiale, plus précisément au sein de la Garde des anciens combattants, située dans un camp militaire près de Brantford (Ontario). La famille Longboat s’établit ensuite à Toronto, où Tom occupe un poste dans la fonction publique municipale. À sa retraite, il retourne vivre sur le Territoire des Six Nations. Il décède le 9 janvier 1949.

En 1951, on crée à titre posthume un prestigieux prix destiné à perpétuer la mémoire de ce grand athlète : le trophée Tom Longboat, remis chaque année à des athlètes autochtones qui incarnent le travail acharné et la détermination. Le trophée est conservé au Panthéon des sports canadiens, à Calgary; une réplique se trouve actuellement au Cercle autochtone des sports, à Ottawa.

En 1955, Tom Longboat est introduit au Panthéon des sports canadiens et au Indian Hall of Fame.

Plaque rouge rectangulaire arborant un texte doré, surmonté de l’emblème du Canada et de l’inscription « Tom Longboat 1886-1949 ».

Plaque de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada créée en l’honneur de Tom Longboat. On peut la voir sur la 4th Line Road, dans la réserve des Six Nations de la rivière Grand, à Ohsweken, en Ontario. (Photo : Gracieuseté de Parcs Canada)

Les exploits de Longboat sont honorés encore de nos jours. En 1976, le gouvernement du Canada installe une plaque en son honneur sur la 4th Line Road, dans la réserve des Six Nations de la rivière Grand, à Ohsweken (Ontario). En 1999, le magazine Maclean’s nomme Tom Longboat plus grand athlète canadien du 20e siècle. En 2000, Postes Canada émet un timbre soulignant ses victoires. Puis, en 2008, l’Ontario adopte une loi provinciale faisant du 4 juin le Jour Tom Longboat. Ce jour-là, la course Tom Longboat se tient aux Six Nations, tandis qu’en septembre on organise à Toronto la course Longboat Toronto Island Run.

Plusieurs endroits portent également le nom de Tom Longboat: une intersection aux Six Nations, un sentier à Brantford (Ontario), une voie à Toronto et une école élémentaire publique à Scarborough (Ontario). Au 1087, rue Queens Ouest, à Toronto, on retrouve un Longboat Hall au YMCA où l’athlète s’entraînait.

On peut aussi admirer au Centre culturel Woodland des Six Nations une statue de Longboat intitulée « Challenge and Triump » (Défis et triomphe) réalisée par le sculpteur David General, et visiter une exposition consacrée à l’athèlte. Plus récemment, en 2019, on a publié un livre jeunesse sur sa vie : Voici Tom Longboat.

Le destin et les exploits de Tom Cogwagee Longboat sont aussi fascinants qu’inspirants. Pour en savoir plus à son sujet, écoutez notre balado Il s’appelait Tom Longboat, Cogwagee, Tout.  Jetez aussi un coup d’œil à l’album Tom Longboat sur Flickr.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne de la Direction générale des services au public à Bibliothèque et Archives Canada.