CIL : L’histoire derrière la marque

Par François Larivée

Le sigle CIL fait partie de ces marques de commerce qui évoquent immédiatement quelque chose dans l’imaginaire populaire – dans ce cas-ci, la peinture. Or, lorsqu’on découvre l’histoire de l’entreprise derrière cette marque bien connue, on constate avec surprise que CIL tire son origine de la fabrication d’explosifs et de munitions.

Photographie noir et blanc montrant un grand panneau de forme rectangulaire ancré dans un talus et affichant une publicité de la compagnie CIL. La publicité prend la forme d’une œuvre peinte, avec une maison à chaque extrémité, le tout situé dans un paysage de banlieue. Entre les deux maisons, on aperçoit le logo ovale de la compagnie CIL, avec les mots « Peintures » en haut à gauche et « Paints » en bas à droite.

Panneau publicitaire de la compagnie CIL sur le boulevard Monkland, Ville LaSalle (Québec), vers 1950. (a069072)

Des origines explosives

En fait, les origines de la CIL remontent jusqu’en 1862, avant même la Confédération. Cette année-là, la Hamilton Powder Company voit le jour à Hamilton, en Ontario. Cette compagnie se spécialise dans la production de poudre noire, utilisée alors comme explosif pour divers usages, et plus spécialement pour la construction des voies ferrées (un secteur alors en plein essor).

Les activités de la Hamilton Powder Company culminent en 1877 avec l’obtention d’un important contrat : participer aux travaux de construction du chemin de fer national devant relier l’Est du Canada et la Colombie-Britannique. (Ce lien, comme on le sait, était une condition posée par la Colombie-Britannique pour se joindre à la Confédération.) La poudre noire produite par la compagnie est alors utilisée pour permettre le périlleux passage de la voie ferrée à travers les Rocheuses, dans les années 1884 et 1885.

À la suite de son expansion, la Hamilton Powder Company déplace son siège social à Montréal. C’est aussi dans les environs de Montréal, à Belœil, qu’elle développe à partir de 1878 ce qui deviendra son principal site de production d’explosifs.

En 1910, elle fusionne avec six autres compagnies canadiennes, majoritairement spécialisées elles aussi dans la production d’explosifs. Ensemble, elles forment une nouvelle entreprise : la Canadian Explosives Company (CXL). Bien que les explosifs demeurent l’essentiel de sa production, de nouvelles activités s’ajoutent, dont la fabrication de produits chimiques et de munitions.

L’une des compagnies ayant participé à la fusion, la Dominion Cartridge Company, se spécialisait déjà en effet dans la fabrication de munitions, et plus particulièrement de cartouches de fusils (surtout utilisées pour la chasse). Elle avait été fondée en 1886 à Brownsburg, au Québec, par deux Américains – Arthur Howard et Thomas Brainerd – et par le Canadien John Abbott, qui deviendrait plus tard le troisième premier ministre du pays. En 2017, Bibliothèque et Archives Canada a acquis une importante partie du fonds d’archives de la CIL portant sur son usine de Brownsburg.

Guerres mondiales et munitions militaires

Au cours de la première moitié du 20e siècle, la compagnie produit de plus en plus de munitions. En effet, conséquence des deux guerres mondiales, la demande est en forte hausse, et particulièrement pour les munitions militaires.

Dès 1915, l’Arsenal fédéral (responsable de la production de munitions militaires au Canada) ne peut satisfaire seul à la demande. Le gouvernement canadien sollicite donc l’aide de la Dominion Cartridge, alors l’une des plus grandes compagnies privées dans ce secteur. Elle obtient ainsi d’importants contrats pour produire des munitions militaires.

Décret approuvé et signé le 4 mai 1915 par le Bureau du Conseil privé, sur la recommandation du ministère de la Milice et de la Défense. Il autorise l’établissement d’un contrat avec la Dominion Cartridge Company Limited de Montréal pour la production de cent millions de munitions de type .303 Mark VII, selon les spécifications du bureau britannique de la Guerre (War Office), à 36 $ par mille livres.

Décret du Bureau du Conseil privé approuvant l’établissement d’un contrat avec la Dominion Cartridge Company pour la production de munitions, mai 1915. (e010916133)

Afin de refléter la diversification progressive de ses opérations, la compagnie prend le nom, en 1927, de Canadian Industries Limited (CIL).

Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la CIL augmente encore davantage sa production de munitions militaires. En partenariat avec la Couronne, elle met sur pied en 1939 une filiale dédiée exclusivement à ce secteur d’activité : la Defence Industries Limited (DIL). La Couronne est propriétaire des usines et des équipements, mais délègue à la CIL la gestion des opérations. Elle lui fournit aussi les fonds nécessaires pour faire fonctionner les usines, bien qu’elle n’en achète pas la production.

Les Alliés ayant d’importants besoins en munitions, la DIL prend rapidement de l’expansion. Elle ouvre de nombreuses usines : en Ontario, à Pickering (Ajax), Windsor, Nobel et Cornwall; au Québec, à Montréal, Brownsburg, Verdun, Saint-Paul-l’Hermite (usine Cherrier), Sainte-Thérèse (usine Bouchard), Belœil et Shawinigan; ainsi qu’au Manitoba, à Winnipeg.

Certaines occupent des sites immenses, et la DIL devient l’un des plus importants complexes industriels. En 1943, au sommet de son activité, elle emploie plus de 32 000 personnes, en grande majorité des femmes.

Photographie noir et blanc d’une employée vêtue d’un uniforme et d’un bonnet blancs, tenant un projectile qu’elle présente à l’honorable C. D. Howe. Derrière eux, plusieurs projectiles de formats différents sont exposés sur une table. À l’arrière-plan, on voit quelques civils et militaires debout sur une estrade, derrière un lutrin.

Edna Poirier, une employée de la Defence Industries Limited (DIL), présente à l’honorable C. D. Howe le 100 000 000e projectile fabriqué à l’usine Cherrier, Saint-Paul-l’Hermite (Québec), septembre 1944. (e000762462)

Photographie noir et blanc montrant des employés devant des bâtiments d’usine, s’éloignant de ce qui semble être un vestiaire. La plupart sont vus de dos; d’autres font face à la caméra ou discutent entre eux. On aperçoit en arrière-plan quelques wagons de train.

Des ouvriers et des ouvrières quittant l’usine Cherrier de la Defence Industries Limited pour aller prendre le train, Saint-Paul-l’Hermite (Québec), juin 1944. (e000762822)

Nouveaux produits et centenaire

Après la Seconde Guerre mondiale, la CIL réduit progressivement la production de munitions, qu’elle abandonne définitivement en 1976 pour se concentrer sur les produits chimiques et synthétiques, les fertilisants agricoles et les peintures. Elle commence alors à investir une importante partie de son budget de fonctionnement dans la recherche et le développement de nouveaux produits. Son laboratoire central de recherche, mis sur pied en 1916 près de l’usine de Belœil, prend de l’ampleur, comme en témoigne une importante partie du fonds d’archives de la CIL conservé à Bibliothèque et Archives Canada.

L’essor de l’usine d’explosifs et du laboratoire dans la région de Belœil débouche sur la création, en 1917, d’une toute nouvelle municipalité : McMasterville, ainsi nommée en l’honneur de William McMaster, premier président de la Canadian Explosives Company en 1910.

Photographie noir et blanc d’un travailleur portant un équipement de protection et une visière, versant d’une machine un liquide blanc coulant en une bande uniforme dans un cylindre qu’il tient de la main droite. Un peu de fumée s’échappe du liquide.

Travailleur versant du nylon liquide à partir d’un autoclave, Canadian Industries Limited, Kingston (Ontario), vers 1960. (e011051701)

Photographie noir et blanc d’un travailleur remplissant un sac en le tenant sous le bec verseur d’une machine. Une pile de sacs vides se trouve près de lui. On peut lire sur les sacs : « CIL Fertiliser ».

Mise en sac de l’engrais chimique à l’usine de Canadian Industries Limited, Halifax (Nouvelle-Écosse), vers 1960. (e010996324)

Même si la CIL diversifie ses opérations, la production d’explosifs demeure son principal facteur de croissance et de profitabilité. Ces explosifs sont utilisés dans de nombreux projets d’envergure, dont des projets miniers à Sudbury, Elliot Lake, Thompson, Matagami et Murdochville, et des projets hydroélectriques à Manicouagan, Niagara et Churchill Falls. Ils servent aussi lors de la construction de la voie maritime du Saint-Laurent et de l’autoroute transcanadienne.

Pour souligner son centenaire, en 1962, la compagnie fait construire un important immeuble au centre-ville de Montréal : la maison CIL (aujourd’hui la tour Telus). Les travaux s’échelonnent de 1960 à 1962 et témoignent de l’essor de la CIL.

À la même époque, la compagnie achète une maison patrimoniale dans le Vieux-Montréal, qu’elle restaure et baptise d’abord la Maison du centenaire de CIL, puis la maison Del Vecchio (en hommage à celui qui la fit construire). Elle y expose périodiquement des pièces de collection venant de son musée d’armes et de munitions, à Brownsburg.

La compagnie disparaît, mais la marque demeure

En 1981, la CIL déménage son siège social de Montréal vers Toronto. Son laboratoire central de recherche, quant à lui, est transféré de McMasterville à Mississauga. L’usine d’explosifs de McMasterville reste cependant en activité, et ce, malgré les nombreux accidents de travail – certains mortels – qui y surviennent. Elle diminuera progressivement sa production, avant de fermer pour de bon en 2000.

L’époque florissante de la CIL était toutefois déjà révolue depuis un certain temps, puisque depuis 1988, la compagnie n’était qu’une simple filiale de la compagnie britannique de produits chimiques ICI (elle-même acquise en 2008 par la compagnie hollandaise AkzoNobel).

Pour clore la boucle, en 2012, la compagnie américaine PPG acheta d’AkzoNobel sa division de production de revêtements et de peintures – et, par la même occasion, la marque de peinture si bien connue CIL, qui existe encore aujourd’hui.

Ressources connexes


François Larivée est archiviste à la Section des sciences, de l’environnement et de l’économie de la Direction générale des archives.

Polysar ou l’aventure de la production du caoutchouc synthétique au Canada

Par François Larivée 

Les personnes nées avant 1980 se souviendront peut-être de l’image d’un important complexe industriel figurant au verso des billets de 10 dollars. Ce dessin représentait en fait l’usine Polysar (originellement Polymer) à Sarnia (Ontario) et il a figuré sur le billet violet entre 1971 et 1989. Or l’histoire de cette entreprise, qui fut créée en 1942 en tant que société de la Couronne par le gouvernement du Canada et dont Bibliothèque et Archives Canada possède le fonds d’archives, est assez fascinante.

Photographie noir et blanc montrant, en avant-plan, trois grands réservoirs sphériques et un enchevêtrement complexe de tuyaux alors qu’en arrière-plan, se trouve une très haute cheminée d’où s’échappent une flamme et de la fumée. On y voit également un bâtiment équipé de cinq autres cheminées.

Vue de tuyaux et de trois réservoirs sphériques Horton contenant un mélange de butylène et de butadiène utilisé dans la fabrication de caoutchouc synthétique à l’usine Polymer Rubber Corporation, septembre 1944 (MIKAN 3627791)

Lire la suite