Le Théâtre Cercle Molière célèbre ses 100 ans : des traces d’un anniversaire important dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada

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Par Ariane Brun del Re

Cette année, le Théâtre Cercle Molière, une compagnie de théâtre professionnelle installée dans le quartier de Saint-Boniface, à Winnipeg, célèbre son centenaire. Cet anniversaire est d’autant plus remarquable qu’il s’agit de la plus ancienne compagnie de théâtre francophone en existence au Canada.

Fondé pour interpréter des classiques du répertoire français, le Cerce Molière se tourne vers le théâtre québécois et canadien dans les années 1950. Au cours de la décennie suivante, il se professionnalise et devient l’un des principaux lieux d’ébullition de la dramaturgie franco-manitobaine, un rôle qu’il assume encore aujourd’hui.

Bien que le fonds d’archives du Cercle Molière soit conservé au Centre du patrimoine de la Société historique de Saint-Boniface, certains documents qui témoignent de l’existence et de l’évolution de cette compagnie de théâtre importante font partie des collections de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), notamment le fonds Gabrielle Roy.

Connue pour avoir remporté le prestigieux prix Femina avec son roman Bonheur d’occasion (1945), Gabrielle Roy est originaire de Saint-Boniface. Avant de devenir une écrivaine de renommée internationale, elle foule à plusieurs reprises les planches du Cercle Molière. Elle en devient membre vers 1930-1931, à l’époque où elle enseigne à l’Institut Provencher de Saint-Boniface. Le Cercle est alors dirigé par Arthur Boutal, journaliste et imprimeur de profession, qui monte des pièces de théâtre françaises avec l’aide de sa conjointe Pauline (née Le Goff), artiste peintre et dessinatrice de mode. Après le décès d’Arthur Boutal en 1941, Pauline assume la direction de la compagnie jusqu’en 1968. Le certificat ci-dessous, décerné à Gabrielle Roy par la province du Manitoba à l’occasion du 50e anniversaire de la compagnie, témoigne de son implication au sein du Cercle Molière :

Certificat signé le 1er novembre 1975 par René E. Toupin, ministre du Tourisme, des Loisirs et des Affaires culturelles. Le document arbore le blason du Manitoba et un portrait de Molière.

Certificat remis à Gabrielle Roy par la province du Manitoba en reconnaissance de sa participation au Cercle Molière. (e011271382)

Le fonds Gabrielle Roy contient aussi plusieurs ébauches du texte intitulé « Cercle Molière… porte ouverte… », qu’elle a rédigé vers 1975 pour un album censé marquer le 50e anniversaire de la compagnie. L’article paraît dans l’ouvrage collectif Chapeau bas : réminiscences de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français (1980). Gabrielle Roy s’y souvient des défis rencontrés par les membres du Cercle : « La difficulté principale pour nous qui étions sans ressources fut toujours de nous assurer un local gratuit pour nos répétitions. Nous avons erré ça et là jusqu’à aboutir, au cours d’un hiver assez rude, à répéter, foulard au cou, dans la pénombre d’un entrepôt mal éclairé et peu chauffé. En fin de compte, j’obtiens du directeur de l’Académie Provencher, où j’étais institutrice, la permission d’utiliser ma salle de classe à cette fin. »  (p. 117)

L’endo et le verso d’une feuille tirée d’un carnet à spirale. Le texte est écrit en lettres cursives à l’encre bleue et comprend plusieurs ajouts et ratures.

L’endo et le verso de la première page du carnet dans lequel Gabrielle Roy a écrit le texte « Le Cercle Molière… porte ouverte… » paru dans Chapeau bas. (e011271380)

Après avoir assumé diverses fonctions pour la compagnie de théâtre, Gabrielle Roy décroche son premier vrai rôle dans la pièce Blanchette d’Eugène Brieux, dont la première représentation a lieu le 30 novembre 1933. Elle y joue la fille d’un couple d’aristocrates. Grâce à cette pièce, la compagnie se démarque au Festival régional du Manitoba, un concours préliminaire qui lui ouvre les portes du nouveau Festival national d’art dramatique, qui se déroule à Ottawa en avril 1934. Contre toute attente, la compagnie triomphe dans le volet francophone.

Deux ans plus tard, le Cercle Molière remporte de nouveau le Festival régional du Manitoba, avec Les Sœurs Guédonec de Jean-Jacques Bernard. La pièce met en scène deux vieilles filles paysannes, dont l’une, Maryvonne, est jouée par Gabrielle Roy et l’autre, Marie-Jeanne, par Élisa Houde, comme le montre le programme ci-dessous :

La page couverture du programme, imprimée sur un carton bleu-gris, fournit des informations générales sur l’édition 1936 du Festival régional du Manitoba. Les pages intérieures, imprimées sur du papier jauni, présentent la distribution de quatre pièces jouées au Festival, dont Les Sœurs Guédonec, présentée par le Cercle Molière, ainsi qu’une publicité.

Programme de l’édition 1936 du Festival régional du Manitoba lors duquel le Cercle Molière présente Les Sœurs Guédonec, avec Gabrielle Roy dans le rôle de Maryvonne. (MIKAN 5383741)

Le Cercle est ainsi sélectionné pour participer au Festival national d’art dramatique, où il remporte le trophée de la meilleure pièce française pour une deuxième fois. Lors de ce séjour à Ottawa, Gabrielle Roy croise un certain Yousuf Karsh. Le jeune photographe canadien d’origine arménienne collabore avec le Little Theatre, à Ottawa, où il apprend à photographier les acteurs sur scène, comme il le relate dans son livre In Search of Greatness (1962) : « L’expérience de photographier des acteurs sur scène, avec un éclairage de plateau, était électrisante. [Mon mentor, John H.] Garo, m’avait appris à travailler avec la lumière du jour, à attendre que l’éclairage soit idéal. Dans ce nouveau contexte, le metteur en scène avait une maîtrise complète de l’éclairage. Les possibilités infinies de l’éclairage artificiel m’ont subjugué. » [traduction] (p. 48) Ces techniques d’éclairage apprises au théâtre, qui permettait des contrastes importants entre le noir et le blanc, allaient devenir sa marque de commerce.

En raison de son intérêt pour le théâtre, Karsh devient le photographe attitré du Festival national d’art dramatique en 1933. BAC conserve plusieurs photographies qu’il a prises de Gabrielle Roy lors de la représentation des Sœurs Guédonec :

Photographie en noir et blanc de deux femmes assises à une table près d’un foyer. Chacune porte une robe de couleur foncée, un tablier et une coiffe blanche.

Photographie de Yousuf Karsh montrant Élisa Houde (à gauche) et Gabrielle Roy (à droite) dans une représentation de la pièce Les Sœurs Guédonec au Festival national d’art dramatique. (e011069771_s1)

Au moment où leurs chemins se croisent, Gabrielle Roy et Yousuf Karsh ont tous les deux 27 ans. Sans le savoir, ils sont à l’aube d’une carrière de renommée internationale, propulsée par le monde du théâtre. Les deux artistes marqueront leur discipline respective : elle, la littérature; lui, la photographie.

Des années plus tard, en examinant l’une des photographies d’elle et d’Élisa Houde prise par Karsh, Gabrielle Roy écrit : « Je regarde la petite photo jaunie et reçois un bizarre choc au cœur. À la fin, qu’est-ce qui poussait cette femme [Élisa Houde], tranquille institutrice déjà passablement âgée, à tant se démener tout-à-coup [sic]? Au reste, qu’est-ce qui nous poussait tous? Le monde serait-il changé parce que, venue du fond du pays, une troupe d’amateurs allait interpréter, dans la capitale canadienne, une pièce du répertoire français? Dans la bigarrure ethnique du Manitoba presque tout acquise d’avance à l’anglais, qu’étaient-ce que notre poignée de gens parlant français, nos efforts insensés, cet espoir hardi dont aujourd’hui encore je me demande comment il a pu fleurir dans notre solitude? Une fleur au désert! » (1980, p. 120-121)

Ce qui est certain, c’est que Gabrielle Roy allait être changée par cette « fleur au désert », pour reprendre son expression. Son passage au Cercle Molière aurait confirmé son envie d’écrire : « Au cours des répétitions, à me découvrir parfois comprise et exprimée par les mots d’un auteur, il me venait le désir de donner peut-être moi aussi un jour la parole à d’autres. Quelle griserie ce devait être! » (1980, p. 123)

Cent ans après sa fondation, le Théâtre Cercle Molière demeure une porte ouverte, un lieu de rassemblement et d’effervescence pour le théâtre francophone du Manitoba et d’ailleurs. Il a propulsé la carrière d’un grand nombre d’artistes et marqué des générations de spectateurs et de spectatrices. Bon anniversaire, Théâtre Cercle Molière!

Autres ressources :

  • Gabrielle Roy, une vie : biographie, François Ricard (OCLC 35940894)
  • Chapeau bas : réminiscences de la vie théâtrale et musicale du Manitoba français (OCLC 10112702)
  • In Search of Greatness. Reflections of Yousuf Karsh, Yousuf Karsh (OCLC 947443)
  • Site Web du Théâtre Cercle Molière
  • Fonds Gabrielle Roy, Bibliothèque et Archives Canada (MIKAN 3672665)
  • Fonds Yousuf Karsh, Bibliothèque et Archives Canada (MIKAN 6145974)
  • The Dominion Drama Festival – Theatre Canada fonds, Bibliothèque et Archives Canada (MIKAN 99527)
  • Collection des arts du spectacle, Bibliothèque et Archives Canada (MIKAN 99163)

Ariane Brun del Re est archiviste de littérature de langue française au sein de la Division des archives culturelles à Bibliothèque et Archives Canada.

Le Cercle Molière : une institution franco-manitobaine centenaire à découvrir dans les archives de BAC!

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Par Théo Martin

Saviez-vous que Le Cercle Molière, l’une des plus anciennes institutions canadiennes en arts de la scène, célèbre son centenaire cette année? Bibliothèque et Archives Canada (BAC) souligne cet anniversaire en publiant deux billets de blogue mettant en lumière certains éléments de nos fonds d’archives et collections qui témoignent des débuts et de l’évolution de cette compagnie de théâtre franco-manitobaine.

Le Cercle Molière est fondé en 1925 à Saint-Boniface, au Manitoba, par le professeur belge André Castelein de la Lande, le fonctionnaire et administrateur manitobain Raymond Bernier, ainsi que le traducteur et administrateur Louis-Philippe Gagnon, qui en est le premier président. À ses débuts, Le Cercle Molière est un organisme de théâtre amateur qui vise à promouvoir la culture et la langue françaises au Manitoba. Il cherche aussi à faire connaitre la dramaturgie française à la population de langue anglaise de Winnipeg et des environs pour ainsi rapprocher les deux communautés linguistiques. Sa première production, Le monde où l’on s’ennuie d’Édouard Pailleron, présentée au Dominion Theatre de Winnipeg en 1925, a conquis les spectateurs et spectatrices. Tout au long des années 1920, Le Cercle Molière maintient son élan et offre une à plusieurs productions par année, affirmant progressivement sa place dans le paysage culturel.

Les couvertures de deux programmes côte à côte.

À gauche, une image du programme de la production L’échelle cassée de George Berr, 1926. Collection des arts du spectacle, MG28 I 139, volume 18, dossier 14. À droite, une image du programme de la production L’Arlésienne d’Alphonse Daudet, 1928. Collection des arts du spectacle, MG28 I 139, volume 28, dossier 14. (MIKAN 4705232)

Dès ses premières années, Le Cercle Molière dépasse les frontières de Saint-Boniface en organisant des tournées à travers le Manitoba, offrant aux communautés francophones de la province un accès précieux au théâtre. En 1934, la renommée de la compagnie de théâtre franchit un cap important lorsque le 14e gouverneur général du Canada, lord Bessborough, l’invite à participer au Festival national d’art dramatique. La même année, Le Cercle Molière remporte le prix de la meilleure pièce en français, tant au niveau régional que national, pour sa production de Blanchette d’Eugène Brieux.

Cette reconnaissance nationale marque le début d’une longue participation au Festival, jalonnée de nombreux trophées régionaux et nationaux. En démontrant qu’il est possible de faire du théâtre en français en dehors du Québec, où les institutions théâtrales rivalisaient déjà, Le Cercle Molière affirme son rôle d’ambassadeur du théâtre francophone et contribue à son rayonnement à l’échelle canadienne.

Images côte à côte d’un programme du Festival national d’art dramatique ainsi qu’une page qui contient des informations sur une pièce de théâtre intitulée Blanchette.

À gauche, une image du programme de la deuxième finale annuelle du Festival national d’art dramatique, avril 1934. À droite, une page présentant la pièce Blanchette, produite par Le Cercle Molière, qui remportera le prix de la meilleure pièce en français. Collection des arts du spectacle, MG28 I 139, dossier 14. (MIKAN 4705232)

Photographie de 4 personnes debout sur une scène au milieu d’un décor.

Des comédiens du Cercle Molière dans la production Le voyage à Biarritz lors du Festival national d’art dramatique, à Ottawa, en 1937. Cette année-là, Joseph Plante recevait le trophée du meilleur acteur français. Photo : Yousuf Karsh, fonds Yousuf Karsh, 1987-054 NPC. (MIKAN 4332367)

Faire du théâtre en français ne sera cependant pas de tout repos pour Le Cercle Molière et d’autres troupes de théâtre francophones hors Québec. Durant le festival de 1936, certains journalistes et critiques québécois, sans doute heurtés que Le Cercle Molière ait remporté cette année-là le trophée de la meilleure pièce en français, lui reprochent la piètre qualité du français parlé dans ses productions :

« Les acteurs québécois ayant pris part au Festival d’art dramatique d’Ottawa sont de mauvais perdants. C’est du moins sous ce jour que nous les montre une dépêche de la Presse Canadienne parue dans les journaux. Ils ont critiqué la décision de M. Granville-Barker, qui a décerné la place d’honneur au Cercle Molière. Les artistes de l’Ouest, assurent-ils, n’ont pas le pur accent français. Quant au juge il serait incompétent, faute de connaitre suffisamment notre langue […] »
     La Liberté (Saint-Boniface, Manitoba), le 6 avril 1936. (1)

Toutefois, et heureusement, ces reproches s’estompent au cours des décennies suivantes.

Dans les années 1930, un couple dynamique d’origine française, Arthur et Pauline Boutal, produit d’une main de maître les spectacles du Cercle Molière, acclamés partout au Canada français et à l’échelle internationale. Après le décès d’Arthur, Pauline continue de porter le flambeau jusque dans les années 1960. Le Cercle Molière présente un plus grand nombre de productions, dont plusieurs pièces de théâtre jeunesse. En 1961, il lance l’Atelier, un premier volet de formation destiné aux artistes de la relève théâtrale du Manitoba.

À partir des années 1970, Le Cercle Molière devient une compagnie professionnelle sous la direction artistique de Roland Mahé, offrant davantage de place à la dramaturgie contemporaine de langue française, à la dramaturgie expérimentale et au théâtre jeunesse (notamment avec la création du Festival théâtre jeunesse (1970) et du Théâtre du Grand Cercle (1985). Peu à peu, Le Cercle Molière devient un véritable lieu de diffusion de la dramaturgie franco-manitobaine et franco-canadienne. Il présente notamment des œuvres écrites par les artistes et dramaturges Roger Auger, Claude Dorge, Irène Mahé, Jean-Guy Roy, Jean-Pierre Dubé, Janine Tougas et Marc Prescott.

Affiche d’une pièce de théâtre avec des ombrages de mains en haut de la page et de l’écriture occupant le reste de l’espace.

Affiche de la pièce Montserrat, d’Emmanuel Robles, présentée par Le Cercle Molière au Festival national d’art dramatique, en 1971, à Ottawa. Fonds The Dominion Drama Festival – Theatre Canada. R5415 1980-058 NPC. (MIKAN 2979533)

Deux couvertures de pièces de théâtre côte à côte. La première présente une femme tenant un sac, debout devant un magasin à grande surface sur une rue achalandée. La deuxième montre une personne assise sur une chaise, un sac sur la tête, avec des lumières colorées de la tête aux pieds.

À gauche, la pièce Suite manitobaine, du dramaturge Roger Auger. Les Éditions du Blé, Saint-Boniface, 2007. ISBN 9782921347969. (OCLC 86226189) À droite, la pièce Sex, lies et les Franco-manitobains du dramaturge Marc Precott. Les Éditions du Blé, Saint-Boniface, 2013. ISBN 9782923673837, 2923673832. (OCLC 842523879)

Aujourd’hui connue sous le nom de Théâtre Cercle Molière, la compagnie centenaire, dirigée depuis 2012 par la comédienne et metteuse en scène métisse Geneviève Pelletier (qui conclura son mandat le 31 juillet 2025), continue d’explorer de nouveaux horizons artistiques. Œuvrant à promouvoir la diversité culturelle, la compagnie fait fièrement rayonner la dramaturgie franco-canadienne au Manitoba, au Canada et ailleurs dans le monde.

BAC est fier de conserver des traces documentaires de ce joyau incontestable des arts de la scène au pays. La collection nationale comporte des publications imprimées d’œuvres de dramaturges québécois et franco-canadiens qui ont été jouées sur la scène du Cercle Molière. Les fonds d’archives et collections de BAC comptent également plusieurs documents promotionnels (affiches, programmes, feuillets, coupures de presse) du Cercle Molière, notamment le fonds du Festival d’art dramatique du Canada (R5415) et la collection des arts de la scène (R3376). Par ailleurs, BAC conserve les archives de personnalités qui ont œuvré au sein du Cercle Molière dans leur jeunesse, notamment celles de la romancière Gabrielle Roy (R11799) et du journaliste Henri Bergeron (R10049). À cela s’ajoute un certain nombre de photographies prises dans les années 1930 par le photographe de renom Yousuf Karsh (R613) dans le cadre du Festival national d’art dramatique à Ottawa. Au sein de ce corpus photographique se trouvent quelques clichés d’une jeune comédienne alors inconnue, originaire de Saint-Boniface, au Manitoba, qui deviendra l’une des autrices franco-manitobaines les plus célébrées de sa génération (mais cela sera le sujet d’un autre billet de blogue).

Autres ressources

Fonds et collections de BAC :

Autres centres d’archives :

  • Les fonds d’archives du Cercle Molière et de Pauline Boutal se trouvent au Centre du patrimoine (Société historique de Saint-Boniface, Manitoba).

Sources imprimées :

  • Dubé, Jean-Pierre, Lynne Champagne. Le Cercle Molière : 75 ans de théâtre. [Édition] Le Cercle, Winnipeg, Manitoba. [2001] (OCLC 46629181)
  • Le Cercle Molière : cinquantième anniversaire. Éditions du Blé, Saint-Boniface, Manitoba, 1975. (OCLC 2877379)
  • Lee, Betty. Love and Whisky: the story of the Dominion Drama Festival. McClelland and Stewart, Toronto, 1973. (OCLC 786525)
  • The Oxford Companion to Canadian Theatre. Oxford University Press, Toronto, 1989. (OCLC 21293755)

Sites Web (ou publications en ligne) :

Référence

  1. Le Cercle Molière : cinquantième anniversaire. Éditions du Blé, Saint-Boniface, Manitoba, 1975. (OCLC 2877379)

Théo Martin est archiviste des arts de la scène au sein de la Division des archives culturelles à Bibliothèque et Archives Canada.

Portrait d’une étoile de la médecine sportive et du mouvement paralympique

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Par Muhamed Amin

À l’occasion de son 40e anniversaire en 1994, le magazine Sports Illustrated a dévoilé sa liste des 40 personnalités ayant significativement transformé ou amélioré le monde du sport. Des noms comme Muhammad Ali, Michael Jordan, Roberto Clemente, Billie Jean King et Pelé se sont imposés d’eux-mêmes : non seulement ces icônes ont-elles dominé leurs disciplines sportives, elles les ont aussi redéfinies. Véritables archétypes du changement social, elles ont influencé la perception de l’athlète moderne au sein de la population.

Mais pourquoi Robert W. Jackson, un médecin et enseignant, figure-t-il sur cette liste? On le comprend vite lorsqu’on se penche sur son parcours : non content de révolutionner les domaines de la chirurgie et de la médecine sportive, il a été l’un des pionniers du mouvement paralympique au Canada et à l’étranger, en plus de jouer un rôle déterminant pour que les athlètes handicapés occupent la place qui leur revient dans l’univers du sport.

Portrait d’un homme vêtu d’un sarrau de laboratoire et utilisant des instruments médicaux.

Portrait du Dr Jackson, R17017, vol. 29, dossier 1 (no MIKAN 5965983). ©2024 par Danny Turner, photographe.

Né à Toronto (Ontario) en 1932, le Dr Robert W. Jackson obtient son diplôme de médecine en 1956. Il se consacre ensuite à la chirurgie orthopédique, perfectionnant ses compétences en chirurgie et en enseignement tout en étendant ses recherches et ses champs d’intérêt à la médecine sportive et aux sports paralympiques.

En 1964, alors qu’il accompagne l’équipe olympique canadienne à Tokyo, au Japon, il fait la rencontre du Dr Masaki Watanabe, chef du département de chirurgie orthopédique à l’hôpital Tokyo Teishin et inventeur du premier instrument de chirurgie arthroscopique. Sous sa supervision, il découvre les instruments arthroscopiques et l’intégration de techniques peu invasives aux interventions chirurgicales.

Une série de quatre photographies montrant un médecin et des instruments médicaux et chirurgicaux.

Le Dr Masaki Watanabe et le premier modèle d’instrument arthroscopique, R17017, vol. 20, dossier 24 (no MIKAN 5966007).

Une photographie montrant deux hommes assis à une table, face à l’objectif.

Le Dr Jackson (en veston foncé) en compagnie du Dr Masaki Watanabe, R17017, vol. 20, dossier 24 (no MIKAN 5966007).

À son retour au Canada, le Dr Jackson poursuit ses recherches, désireux d’en savoir plus sur cette approche novatrice. Rapidement, il intègre la méthode arthroscopique à la chirurgie nord-américaine conventionnelle, donnant lieu à l’une des plus grandes avancées du 20e siècle en orthopédie. Cet exploit débouchera sur des améliorations dans toutes les autres branches de la chirurgie, en plus de révolutionner le domaine de la médecine sportive.

Un chirurgien effectue une intervention avec l’aide d’un professionnel de la santé, sous le regard d’autres intervenants.

Le Dr Jackson effectuant une chirurgie arthroscopique, R17017, vol. 21, dossier 1 (no MIKAN 5966007).

Chirurgien de renommée internationale, le Dr Jackson nous inspire aussi par son dévouement comme enseignant, son apport à la littérature scientifique et sa passion pour le sport. Il a révolutionné le traitement des blessures sportives et la réadaptation chez les athlètes amateurs et professionnels, d’une part grâce à ses efforts pour créer des installations publiques de médecine du sport et des loisirs, et d’autre part grâce à son travail auprès d’athlètes professionnels de football, de basket-ball et d’athlétisme, pour ne nommer que ceux-là.

Trois personnes apprenant à utiliser de nouveaux instruments médicaux.

Le Dr Jackson avec l’ancienne sprinteuse olympique canadienne Angela Bailey au Centre d’apprentissage en arthroscopie, R17017, vol. 20, dossier 24 (no MIKAN 5966000).

Un groupe de personnes et de footballeurs sur un terrain de football.

Le Dr Jackson (en manteau foncé), médecin des Argonauts de Toronto, une équipe de la Ligue canadienne de football, R17017, vol. 21, dossier 9 (no MIKAN 5966007).

Considéré par plusieurs comme le fondateur du mouvement paralympique canadien, le Dr Jackson a fait preuve d’un dévouement, d’un engagement et d’un soutien immenses envers les athlètes handicapés, notamment en se concentrant sur l’essor des sports paralympiques. Fondateur et premier président de l’Association canadienne des sports en fauteuil roulant (1967), il a mené la première équipe canadienne d’athlètes en fauteuil roulant aux Jeux paraplégiques internationaux de 1968.

Un groupe de personnes en fauteuils roulants et deux hommes debout à l’arrière.

Le Dr Jackson (debout au centre) avec des membres de l’équipe paralympique canadienne aux Jeux de Stoke Mandeville de 1966, R17017, vol. 21, dossier 5 (no MIKAN 5966010).

Son travail pour les Jeux internationaux de Stoke Mandeville – l’organe directeur international du sport en fauteuil roulant (précurseur des Jeux paralympiques) – l’a mené à organiser et à présider les premières Olympiades pour handicapés physiques tenus en Amérique du Nord à Toronto, au Canada, en 1976. L’événement a réuni des athlètes paraplégiques, amputés et aveugles de partout dans le monde.

À gauche, un certificat de médaille d’or de l’Olympiade de Toronto; à droite, un programme de l’Olympiade de Toronto, trois types de billets d’entrée et un écusson arborant le logo de l’Olympiade.

À gauche, un certificat de médaille d’or de l’Olympiade de Toronto de 1976, R17017, vol. 12, dossier 11 (no MIKAN 5966009). À droite, un programme des Olympiades de Toronto de 1976, trois billets d’entrée et un écusson, R17017, vol. 12, dossier 18 (no MIKAN 5966009).

Une médaille commémorative arborant le logo de l’Olympiade de Toronto et portant au centre la mention « Everyone Wins » (Tout le monde gagne).

Médaille commémorative « Everyone Wins » (Tout le monde gagne) de l’Olympiade de Toronto de 1976, R17017, vol. 32, dossier 4 (no MIKAN 5966009).

On doit aussi au Dr Jackson l’inclusion de plusieurs épreuves aux Jeux paralympiques. Pensons à la course en fauteuil roulant (1 500 m pour les hommes, 800 m pour les femmes) et au ski pour personnes aveugles et amputées, des épreuves aujourd’hui courantes aux Jeux d’été comme d’hiver. Ces ajouts sont le fruit de négociations directes entre le Dr Jackson et Juan Antonio Samaranch, président du Comité international olympique de l’époque.

En 1997, le Comité a d’ailleurs décerné sa plus haute distinction au Dr Jackson, lui décernant l’Ordre olympique pour avoir révolutionné le traitement des blessures sportives dans le monde et favorisé l’essor du sport pour les athlètes handicapés sur la scène internationale. Ce même exploit lui a valu de recevoir l’Ordre paralympique dix ans plus tard.

Deux hommes et une femme, debout face à la caméra.

Le Dr Jackson (au centre) recevant l’Ordre olympique en 1996, accompagné de son épouse Marilyn Jackson et de l’ancien président du Comité international olympique Juan Antonio Samaranch, R17017, vol. 20, dossier 30 (no MIKAN 5966010).

Les nombreuses distinctions décernées au Dr Jackson parlent d’elles-mêmes. Parmi les plus prestigieuses, notons son intronisation au temple de la renommée de l’American Orthopædic Society for Sports Medicine en 2005; sa nomination à l’Ordre du Canada en 1997; son intronisation à titre posthume au Temple de la renommée des sports du Canada en 2017; et l’obtention de l’Ordre olympique (1997) et de l’Ordre paralympique (2007), comme nous l’avons dit plus haut.

Au-delà de tous ces honneurs, le Dr Jackson nous laisse un remarquable héritage, qui se traduit surtout par sa grande influence sur les personnes qui ont croisé sa route. Pensons aux patients qu’il a guéris, à la communauté médicale qui a bénéficié de ses recherches, aux athlètes dont la carrière sportive a été prolongée grâce à ses contributions à la médecine sportive, et aux athlètes handicapés qui brillent aujourd’hui aux côtés de leurs pairs sur la scène internationale à l’occasion d’événements comme les Jeux olympiques.

À gauche, un portrait de trois hommes, deux debout et un assis; à droite, un homme debout à côté d’une femme assise.

À gauche, tout au fond, le Dr Jackson avec Rick Hansen (à gauche) lors du dîner de bienfaisance organisé par ce dernier, R17017, vol. 20, dossier 34 (no MIKAN 5966010). À droite, le Dr Jackson avec Chantal Petitclerc, ancienne athlète paralympique canadienne devenue sénatrice, R17017, vol. 20, dossier 32 (no MIKAN 5966010).

Pionnier de la chirurgie arthroscopique et fondateur du mouvement paralympique canadien, le Dr Jackson a profondément marqué la médecine et le sport, ici et à l’étranger. Il s’impose sans contredit comme une personnalité influente méritant de figurer parmi les personnes ayant considérablement transformé ou amélioré le monde du sport.


Muhamed Amin est archiviste en sports et loisirs au sein de la Division des archives privées de Bibliothèque et Archives Canada.

Les Archives Web du gouvernement du Canada lancent la collection sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2010 à Vancouver

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Doigts sur un clavier d'ordinateur.

Par Tom J. Smyth

À l’occasion du 15e anniversaire des Jeux olympiques et paralympiques de 2010 à Vancouver, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) est fier de lancer une collection d’archives en ligne qui documente ce grand événement de l’histoire du Canada.

Affiche pour les Jeux olympiques de Vancouver intitulée « Des plus brillants exploits ».

Image tirée de la page d’accueil du site des Jeux olympiques de Vancouver dans les archives Web.

L’archivage Web : qu’est-ce que c’est, et pourquoi c’est important?

L’archivage Web est une discipline spécialisée de la conservation numérique, axée sur la préservation. Il garantit l’accès futur à des ressources uniques publiées sur Internet. Il utilise du matériel informatique et des logiciels spécialisés pour cibler, télécharger, organiser, décrire, préserver et reconstituer le contexte original publié et interactif des ressources Web. Pour ce faire, il a recours à l’émulation dans un portail de découverte et d’accès public spécialisé.

Des bibliothèques et des archives nationales du monde entier utilisent l’archivage Web pour capturer et préserver des ressources généralement uniques, qui ne se trouvent sur aucun autre support. Préserver le patrimoine documentaire numérique provenant de notre domaine Internet national est donc capital pour l’histoire de notre pays.

L’acquisition de ressources Web fait officiellement partie du mandat de BAC depuis 2004, en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. C’est le Programme de préservation du Web et des médias sociaux, au sein du Secteur des services numériques, qui s’en acquitte de façon quotidienne depuis le milieu de l’année 2005.

Le Programme conserve des données et des collections de recherche tirées de ressources Web uniques, qui documentent des thèmes et des événements historiques et culturels canadiens. La conservation se fait dans le respect des priorités et des cadres stratégiques de BAC; des exigences de l’utilisation informatique (p. ex., extraction de textes et de données, intelligence artificielle, apprentissage machine et grands modèles de langue); et des programmes d’étude modernes dans le domaine des sciences humaines numériques. Nous mettons ensuite ces ressources à la disposition du public pour les générations à venir, afin de soutenir la recherche internationale future sur le Canada par l’entremise des Archives Web du gouvernement du Canada.

L’archivage Web est appuyé par le Consortium international pour la préservation d’Internet, qui compte plus de 50 membres, dont BAC (membre fondateur et actuel président du Comité directeur).

Conserver des collections d’archives Web sur les Jeux olympiques

Depuis la création du Programme de préservation du Web et des médias sociaux, BAC rassemble des ressources sur les Jeux olympiques au fur et à mesure de leur déroulement, à commencer par les Jeux d’hiver de 2006 tenus à Turin, en Italie.

Au début, nos efforts étaient modestes : nous recueillions l’information publiée sur les sites officiels des Jeux olympiques et du Comité olympique canadien. Puis nous avons commencé à recueillir des renseignements sur les programmes de soutien fédéraux (« À nous le podium ») et sur les organismes sportifs olympiques, sans oublier les blogues d’athlètes.

À l’heure actuelle, les collections d’archives Web sur les Jeux olympiques et paralympiques de BAC comprennent ce qui suit :

  • Hiver 2006 : Turin, du 10 au 26 février 2006
  • Été 2008 : Beijing, du 8 au 24 août 2008
  • Hiver 2010 : Vancouver, du 12 au 28 février 2010
  • Été 2012 : Londres, du 27 juillet au 12 août 2012
  • Hiver 2014 : Sotchi, du 7 au 23 février 2014
  • Été 2016 : Rio de Janeiro, du 5 au 21 août 2016
  • Hiver 2018 : Pyeongchang, 9 au 25 février 2018
  • Été 2020 : Tokyo, du 23 juillet au 8 août 2020
  • Hiver 2022 : Beijing, du 4 au 20 février 2022
  • Été 2024 : Paris, du 26 juillet au 11 août 2024

Rappelons-nous que le Canada a accueilli trois Jeux olympiques : les Jeux d’été de 1976 à Montréal, les Jeux d’hiver de 1988 à Calgary et les Jeux d’hiver de 2010 à Vancouver.

Les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2010 à Vancouver se sont déroulés du 12 au 28 février 2010 (1). Au total, 209 athlètes canadiens y ont participé : c’est le quatrième contingent canadien en importance de l’histoire. Le Canada s’est classé troisième au classement général des médailles, et premier pour le nombre total de médailles d’or, avec 14 médailles d’or, 7 médailles d’argent et 5 médailles de bronze (2).

Équipe de hockey féminin célébrant sa victoire sur la patinoire. Le filet de la gardienne est déplacé; autour des joueuses qui se font l’accolade, la glace est jonchée de casques, de gants et de bâtons de hockey.

Équipe Canada célèbre sa victoire à la finale de hockey féminin aux Jeux olympiques de Vancouver, en février 2010. Crédit : Jason Ransom. (MIKAN 5570828)

Les Jeux de 2010 ont été spéciaux pour le Canada; ils ont vu l’établissement de partenariats sans précédent avec certaines communautés autochtones. (Ces dernières ne parlent pas au nom de tous les groupes autochtones, et ne prétendent pas refléter leur opinion.) Ce sont aussi les plus récents Jeux olympiques organisés au Canada, et ceux ayant demandé le plus d’efforts. Pour le Programme de préservation du Web et des médias sociaux, ce fut un important jalon, tant sur le plan de l’élaboration du programme que sur celui des méthodes de collecte et de conservation thématiques.

Développement des collections et conservation numérique : l’évolution

Depuis Vancouver 2010, nous n’avons cessé de peaufiner nos méthodes et de constituer de vastes collections d’archives Web pour documenter les performances et les perspectives du Canada ainsi que les expériences des athlètes canadiens aux Jeux d’hiver et d’été et aux Jeux paralympiques.

Tout a commencé en juin 2009, quand un chercheur universitaire nous a contactés. Il s’intéressait à l’archivage Web, et en particulier à la promotion du tourisme et des activités sportives. Il nous a demandé ce qui était fait pour promouvoir le tourisme en Colombie-Britannique en vue des Jeux olympiques.

Nous avons dû nous rendre à l’évidence : nous n’en avions aucune idée! Mais cela nous a permis de lancer notre processus de conservation sans tarder, et ainsi, d’avoir amplement le temps de recueillir les ressources Web et celles des médias d’information documentant les préparatifs avant l’ouverture officielle des Jeux. Nous avons aussi pu prendre en compte des perspectives nouvelles et typiquement canadiennes, comme les points de vue autochtones.

Nous n’avions jamais délibérément ciblé et recueilli les données et les ressources Web sur le tourisme en tant que thème parallèle aux Jeux, d’autant plus que nous n’avions pas accueilli de Jeux olympiques depuis Calgary, en 1988. Nous nous sommes donc posé la question : quelles ressources et quels thèmes auxquels nous n’avions pas encore pensé pourraient intéresser les chercheurs dans nos archives Web?

Cette question a lancé une sorte de remise en question sur la façon de penser la conservation et de respecter les principes généraux du dépôt légal national. Puisqu’on ne peut pas prévoir tous les besoins des clients en matière de recherche, il faut recueillir les ressources de la façon la plus inclusive possible. Nous nous sommes aussi demandé comment conserver et organiser nos données pour aider les chercheurs de demain, tant en informatique qu’en sciences humaines numériques, à utiliser nos collections d’archives Web en tant que « mégadonnées ».

Nous avons commencé à envisager de nouveaux thèmes et sous-thèmes pour la conservation (comme l’aménagement des infrastructures et des installations, l’incidence environnementale, écologique et économique des Jeux, et même le sentiment anti-olympique). Élargir ainsi notre champ d’action a exigé davantage de recherches, mais le résultat en valait la peine : nous avons pu constituer des archives Web beaucoup plus riches et complètes pour les générations futures.

Tout cela a porté ses fruits : avant la fin de l’année 2009, le Secrétariat fédéral pour les Jeux olympiques et paralympiques à Patrimoine canadien (l’organisation d’accueil) a pris connaissance de notre projet et a voulu le promouvoir. C’est ainsi que le projet a été présenté dans un rapport de 2009-2019 intitulé Le rendement du Canada : La contribution du gouvernement du Canada (3), en tant que réalisation conjointe de BAC et du Secrétariat en vue des Jeux de Vancouver.

Notre méthode de collecte a beaucoup évolué depuis : aujourd’hui, nous disposons d’une « liste de base » raffinée pour de nombreux sujets (comme les Jeux olympiques, mais aussi la présence Web du gouvernement fédéral, les changements au sein du gouvernement ou du cabinet, les élections fédérales, etc.). Cette liste est composée d’URL considérés comme des ressources clés, qui ne sont pas susceptibles de changer et dont le contenu peut être recueilli rapidement, efficacement et fréquemment. Les spécialistes de l’archivage Web peuvent ainsi se concentrer sur la conservation et l’inclusion de ressources supplémentaires, générées en conséquence directe d’événements uniques et adaptées à ces derniers. Ce fut le cas, par exemple, des Jeux de 2024 à Paris.

Paris 2024 et accès à la collection sur Vancouver 2010

Pour les Jeux de 2024 à Paris, nous savions que de nouveaux sujets seraient abordés; des sujets qui n’étaient pas aussi pertinents ou qui n’existaient tout simplement pas en 2010. Par exemple, on a sérieusement envisagé d’inclure les sports électroniques dans les disciplines olympiques officielles, et le breakdance s’y est taillé une place. La sécurité fut aussi une préoccupation majeure; pour la première fois, elle a été classée parmi les thèmes principaux.

Au départ, nous comptions faire connaître nos travaux de conservation liés aux Jeux olympiques en lançant la collection sur les Jeux de 2024 à Paris. Mais nous nous sommes rendu compte que la majeure partie du travail connexe avait été effectué pour la collection d’archives Web de Vancouver 2010, lors de la préparation des métadonnées et des vocabulaires contrôlés. C’était donc la collection toute désignée pour donner le coup d’envoi de nos publications sur les Jeux olympiques; en effet, le modèle, plus complexe, peut mieux servir de « gabarit » pour organiser nos collections historiques sur les Jeux olympiques par l’entremise des Archives Web du gouvernement du Canada.

Nous avons aussi pensé que ce serait encore plus passionnant si nous lancions nos collections olympiques en en choisissant une qui est si chère à notre cœur, et qui a joué un rôle essentiel dans l’élaboration du programme!

Alors voilà : nous avons donc le plaisir de lancer notre collection sur les Jeux olympiques et paralympiques de 2010 à Vancouver, à quelques jours du 15e anniversaire de l’événement!

Pour faciliter la navigation et la découverte, la collection a été classée en sous-thèmes :

  • Blogues
  • À nous le podium
  • Commanditaires
  • Tourisme
  • Gouvernement – municipal
  • Gouvernement – provincial
  • Gouvernement – fédéral
  • Environnement
  • Points de vue autochtones
  • Organismes de sport
  • Organismes à but non lucratif
  • Éducation
  • Postes Canada
  • Sites officiels des Jeux olympiques
  • Communauté
  • Médias d’information
  • Autres perspectives et protestations
  • Sites olympiques
  • Athlètes
  • Jeux paralympiques
  • Entreprises
  • Commémoration
  • Rétrospective

En établissant ces sujets, ainsi que les vocabulaires contrôlés et l’architecture des métadonnées nécessaires pour soutenir, organiser et publier la collection, nous avons établi des bases qui nous permettront de bâtir, d’élargir, de compléter et de publier toutes nos autres collections historiques sur les Jeux olympiques, qui suivront en temps voulu.

Nous espérons que vous aimerez la collection sur Vancouver 2010!

Références

  1. Vancouver 2010 – Équipe Canada – Site officiel de l’équipe olympique
  2. Taille d’Équipe Canada par Jeux olympiques d’hiver – Équipe Canada – Site officiel de l’équipe olympique
  3. Rapport du président du Conseil du Trésor du Canada. Le rendement du Canada: La contribution du gouvernement du Canada – Rapport annuel au Parlement de 2009-2010, p. 79.

Tom J. Smyth est gestionnaire du Programme de préservation du Web et des médias sociaux et des Archives Web du gouvernement du Canada à Bibliothèque et Archives Canada. L’équipe du Programme comprend Elizabeth Doyle, Jason Meng, Kevin Palendat et Russell White.

Dans le même bateau : à la recherche de registres de navires dans les collections de BAC

English version

Par Elaine Young

Saviez-vous que, dès le 18e siècle, les navires canadiens d’une certaine taille devaient être immatriculés auprès des autorités gouvernementales? Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède divers types de documents liés à l’immatriculation des navires; il en a transcrit récemment près de 84 000, qui sont maintenant consultables.

Ces transcriptions comprennent le nom du navire, son port d’immatriculation (parfois appelé port d’enregistrement), ainsi que le numéro et l’année d’immatriculation : des renseignements essentiels pour appuyer la recherche et découvrir des histoires fascinantes (et parfois surprenantes!) sur les navires. C’est une ressource inestimable pour la recherche sur l’histoire maritime au Canada, ainsi qu’un outil généalogique pouvant servir à retracer les familles liées à ces navires.

BAC est devenu le gardien de ces documents – dont plusieurs grands livres ou registres – il y a un certain nombre d’années, quand Transports Canada (l’organisme de réglementation) a adopté la tenue de documents numériques. Ce projet de transcription fait partie des efforts de l’institution pour améliorer la recherche dans ses collections.

Pour favoriser l’accès en ligne, BAC a numérisé un certain nombre de registres, puis a travaillé avec des chercheurs du domaine pour cibler la meilleure information à transcrire.

Le contenu transcrit touche les navires qui ont été exploités puis mis hors service (immatriculation retirée) entre 1838 et 1983. Il vise des navires ayant navigué dans les eaux de l’Atlantique et du Pacifique ainsi que dans les eaux intérieures.

Les registres contiennent une mine de renseignements, y compris le type et la description des navires, leur taille, leur propriétaire et la date de leur construction. C’est une source d’information précieuse pour quiconque fait des recherches sur la construction navale, le transport maritime ou les industries côtières et océaniques. Par exemple, ils témoignent de la transition des navires à voiles aux navires à vapeur, et de l’arrivée des coques en fibre de verre et en matériaux composites. Ils contiennent aussi de l’information pertinente pour la recherche généalogique, car de nombreux navires ont été transmis de génération en génération au sein d’une même famille.

Voici un exemple d’immatriculation typique d’un navire :

Pages 1 et 2 du formulaire d’immatriculation du navire M.C.M. Le document a été rempli à la machine à écrire et à la main (en lettres attachées).

M.C.M., Port of Registry: NEW WESTMINSTER, BC, 9/1914 [Navire M.C.M., port d’enregistrement : New Westminster, C.-B., 9/1914], R184, RG12-B-15-A-i, no de volume : 3041. (e011446335_355)

La première page de ce registre concerne le navire M.C.M. immatriculé en 1914 à New Westminster, en Colombie-Britannique. Elle contient des détails sur le navire, notamment sur sa construction, sa taille, etc. La deuxième page recense les noms des propriétaires au fil du temps.

La légende sous l’image ci-dessus illustre bien la convention d’appellation que vous verrez dans l’outil Recherche dans la collection : nom du navire / port d’immatriculation / numéro consécutif attribué à chaque navire nouvellement immatriculé dans ce port au cours d’une année / année d’immatriculation.

Pour trouver des documents sur le site Web de BAC, dans l’outil Recherche dans la collection :

1. Allez à Recherche avancée.
2. Dans le menu déroulant « Collection », choisissez « Collections et fonds ».
3. Dans le menu déroulant « Sous-ensembles de collections et fonds », choisissez « Immatriculation des navires ».

Copie d’écran de la page de recherche avancée de l’outil Recherche dans la collection. On peut voir dans les encadrés orange les menus déroulants « Collection » et « Sous-ensembles de collections et fonds ».

Comment trouver des immatriculations de navires dans l’outil Recherche dans la collection. (Bibliothèque et Archives Canada)

4. Vous voulez chercher des mots précis dans la base de données? Entrez-les dans la barre de recherche au haut de l’écran. Vous pouvez aussi entrer une date ou une fourchette de dates dans le champ « Date » (pour refléter la date où le navire a été mis hors service). Si vous préférez parcourir toutes les immatriculations de navires, laissez les champs vides et cliquez sur « Rechercher ».

Copie d’écran de la page de recherche avancée de l’outil Recherche dans la collection. Le terme « Dora Mae » est saisi dans le champ « Tous les mots », et la période « 1940 à 1950 » est saisie dans les champs de fourchette de dates. Le tout est encadré en orange.

Comment préciser votre recherche à l’aide de mots-clés et de fourchettes de dates. (Bibliothèque et Archives Canada)

Pour faire une recherche plus précise, utilisez le champ « Tous les mots » situé au haut de l’écran. Vous pourrez alors faire une recherche par nom de navire, port d’immatriculation, numéro officiel et année d’immatriculation.

Nom :

  • Le nom du navire est attribué par son propriétaire au moment de l’immatriculation initiale. Il demeure généralement le même pendant toute la durée de vie du navire, mais peut parfois être modifié, par exemple si le navire change de propriétaire.
  • Quand un navire est mis hors service (c’est-à-dire que son immatriculation est retirée), une période d’attente s’applique avant que son nom puisse être réutilisé. Deux navires ne peuvent pas avoir le même nom en même temps.
  • Les navires peuvent avoir des noms semblables, mais ils doivent être différents (par exemple, Marie-Claire, Le Marie-Claire, Marie et Claire). On peut aussi créer un nouveau nom en ajoutant un chiffre romain après le nom d’un navire déjà immatriculé (par exemple, Radisson II).

Port d’immatriculation :

  • Il s’agit du port où le navire a été immatriculé.
  • Le navire peut avoir été immatriculé dans un port situé près de l’endroit où il a été construit ou exploité.
  • Cette information peut s’avérer utile pour connaître les activités de construction navale dans un secteur donné.
  • Un navire peut avoir été immatriculé dans différents ports au fil du temps. En effet, lorsqu’un propriétaire déménageait ou vendait son navire pour le transférer ailleurs, il devait en renouveler l’enregistrement selon le port d’immatriculation le plus près.

Numéro officiel :

  • Il s’agit d’un numéro unique attribué à un navire au moment de son immatriculation.
  • Le numéro officiel demeure le même pour la durée de vie du navire, même lorsque celui-ci est mis hors service ou détruit. De plus, il n’est jamais attribué à un autre navire.
  • Il peut vous aider à trouver des renseignements sur un navire dans d’autres types de documents :
    • registres de propriété : livres qui contiennent les numéros officiels attribués à divers ports d’immatriculation
    • registres de transactions : livres documentant les transactions supplémentaires lorsque les deux pages attribuées par navire dans un registre sont déjà remplies
    • registres de construction : livres documentant les navires en construction
    • dossiers de navires : dossiers individuels ouverts par les bureaux des ports d’immatriculation pour des navires particuliers

Année d’immatriculation

  • Il s’agit d’un numéro consécutif attribué, en commençant par 1, à chaque navire nouvellement immatriculé. Il est suivi d’une barre oblique (/), puis de l’année où le navire a été immatriculé. Par exemple, 22/1883 désignerait le 22e navire immatriculé dans un port donné en 1883.

On peut également consulter les registres des navires mis hors service au moyen de la liste de recherche « Enregistrements de navires, 1838-1983 – Personnel de BAC », qui donne un accès direct aux documents au niveau de la série. À partir de là, vous pouvez voir les documents d’immatriculation individuels des navires.

Bref, grâce à toutes ces nouvelles transcriptions, vous pouvez maintenant accéder à des dizaines de milliers de documents auparavant inaccessibles en ligne. Les usagers peuvent chercher plus facilement des renseignements sur la généalogie, la construction navale, le transport maritime et de nombreux autres domaines. Cette ressource précieuse met en lumière les histoires complexes et variées formant la trame du transport maritime et de la construction navale au Canada, ainsi que les collectivités bâties autour de ces activités et la vie des personnes qui possédaient ces navires.

L’équipe du projet et BAC tiennent à remercier Don Feltmate résidant en Nouvelle-Écosse et John MacFarlane résidant en Colombie-Britannique, qui ont fait valoir sans relâche l’importance de ces documents et de leur accessibilité.

Ressources complémentaires


Elaine Young est analyste à la Division des partenariats et de l’engagement communautaire de Bibliothèque et Archives Canada.

Tourner la page de la censure : la liberté de lire

English version

Par Rebecca Murray

De la littérature fantastique à la fiction historique, plusieurs ouvrages contemporains abordent la question des livres bannis et contestés. Par exemple, dans son œuvre à succès Fourth Wing, Rebecca Yarros raconte l’histoire d’une archiviste en herbe plongée dans le monde périlleux des dresseurs de dragons. Pendant son périple (alerte au divulgâchage), l’héroïne découvre la vérité sur un ouvrage « rare » (c’est-à-dire banni), que sa famille se transmet précieusement depuis des générations. De son côté, Kate Thompson, dans The Wartime Book Club, dépeint l’histoire d’une courageuse bibliothécaire sur l’île de Jersey, alors sous occupation allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui donne des livres interdits à ses voisins. Chacune à leur façon, ces deux auteures placent la question de la censure à l’avant-scène, mettant en vedette des héroïnes déterminées à défendre le droit de lire, même des histoires interdites.

Or, il n’est pas nécessaire de lire des œuvres fictives ou historiques pour mesurer l’importance de cet enjeu. La Semaine de la liberté d’expression est une campagne annuelle créée en 1984 dans le but même de sensibiliser les lecteurs aux effets insidieux de la censure. Elle vise à faire connaître les obstacles que doivent franchir les publications et les défis que doivent relever les bibliothèques près de chez vous.

Saviez-vous que des œuvres en apparence inoffensives comme Les contes des frères Grimm et Bambi ont été contestées dans divers pays? L’histoire de la censure et de la contestation des livres ou d’autres publications, tant au Canada qu’à l’étranger, est à la fois longue et complexe. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) joue un rôle capital dans le milieu des bibliothèques au Canada, car il préserve pour les générations futures des exemplaires de tous les livres publiés au pays (y compris des livres audio et électroniques).

Les sections suivantes présentent des thèmes essentiels dans l’histoire de la Semaine de la liberté d’expression. Elles établissent un lien avec le mandat de BAC et expliquent comment l’institution participe à cette campagne.

Des rayons remplis de livres.

Exemplaires de consultation de livres et d’autres publications préservés à Bibliothèque et Archives Canada. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

Bibliothèques scolaires

Les salles de classe et les bibliothèques scolaires sont souvent visées par des plaintes sur un livre particulier ou des contestations motivées par des politiques générales. Depuis la création de la Semaine de la liberté d’expression, de nombreuses contestations ont mené à des réactions variées. Parmi celles-ci figurent la mise en place de formations pour aider les enseignants à aborder des enjeux sensibles dans la littérature, la suspension de retraits d’ouvrages des collections, des réunions de conseils scolaires rassemblant des centaines de participants, et, dans des cas extrêmes, des autodafés d’ouvrages contestés.

Les collections des bibliothèques nationales comme BAC sont différentes de celles des bibliothèques publiques et scolaires, car les publications ne sortent pas de nos salles de lecture. Elles ne sont donc pas à la merci des exigences du public ou des changements de politiques. Les retraits de livres dans d’autres bibliothèques ou des écoles n’ont donc aucun effet sur les collections de BAC.

Œuvres sur la censure

Depuis les débuts de la Semaine de la liberté d’expression, des auteurs et des penseurs étudient la censure au Canada et son incidence sur la littérature, les bibliothèques, le cinéma et d’autres formes d’expression culturelle. Leurs ouvrages sont importants pour reconstituer l’histoire de la censure au Canada, car ils donnent des renseignements précieux sur l’évolution du phénomène au fil du temps.

Voici quelques exemples provenant des collections d’œuvres publiées de BAC :

Trois livres sur une table.

Les livres Dictionnaire de la censure au Québec, Fear of Words et Women Against Censorship. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

De nouvelles tendances

Il peut sembler surprenant que des contes de fées classiques ou des histoires comme Bambi puissent soulever la controverse. Mais la société évolue, et ce qui est jugé offensant ou non change aussi. Les politiques et les débats fort variés à ce sujet le démontrent. Prenons-en pour preuves les questionnements sur l’inclusion des bandes dessinées dans les bibliothèques publiques, les pétitions visant à retirer des prix littéraires d’anciens lauréats et les règlements sur l’importation et la vente de certaines publications au Canada. Ces changements s’inscrivent dans une tendance historique qui se poursuivra sans l’ombre d’un doute. Les données sur les contestations signalées par des bibliothécaires donnent de précieux renseignements sur l’évolution des comportements sociétaux.

Le site Web de la Semaine de la liberté d’expression propose une ligne du temps qui remonte aux origines de la campagne au Canada (1984) et propose une liste d’ouvrages contestés.

La 41e Semaine de la liberté d’expression aura lieu du 23 février au 1er mars 2025. Plusieurs activités seront organisées dans le cadre de la campagne. Restez à l’affût pour ne rien manquer!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Perspectives des porteurs noirs : Donner une voix au personnel du service ferroviaire pendant et après la Seconde Guerre mondiale

English version

Par Stacey Zembrzycki

Cette série de billets de blogue en quatre parties est inspirée par un ensemble d’images saisissantes et obsédantes conservées dans les archives du ministère de la Défense nationale (MDN), numéro d’acquisition 1967-052. Ces photographies sont un témoignage du service à la nation pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Présentant différentes perspectives, elles révèlent les intersections de classes, de races et de fonctions.

Une femme blanche se tient entre un homme noir à gauche et un homme blanc à droite.

La princesse Alexandra représente la Couronne britannique en sol canadien lors de sa tournée royale en 1954. (e011871943)

Les soldats volontaires et conscrits qui partent au combat et en reviennent nous révèlent les réalités de la préparation à la guerre, du déploiement sur des fronts lointains et du retour à la maison.

Photographies côte à côte d’un porteur de voiture-lit noir allumant une cigarette pour un soldat blanc, blessé et allongé sur un lit dans un train, et d’un porteur de voiture-lit noir serrant la main d’un soldat blanc.

Image de gauche : Un porteur de voiture-lit et un soldat blessé dans le train-hôpital du Lady Nelson. Image de droite : Le porteur Jim Jones, de Calgary, serre la main du soldat Harry Adams, membre du Royal Canadian Regiment d’Halifax, tandis que les unités des forces spéciales de l’armée canadienne arrivent à Fort Lewis, dans l’État de Washington, pour l’entraînement des forces de la brigade. (e011871940 et e011871942)

Toutes les photographies montrent des hommes noirs, souvent identifiés comme des membres du personnel ferroviaire dans les descriptions des images. Ils sont le fil conducteur de ces moments historiques. Leur travail essentiel, comme cuisiniers ou porteurs de voitures-lits, a rendu les voyages en train possibles, voire luxueux, en temps de guerre comme en temps de paix. S’il a souvent été passé sous silence et négligé dans nos récits nationaux, leur service est indéniablement manifeste dans ces images.

Comment pouvons-nous commencer à reconstituer les expériences captées dans ces images? Nous pouvons entre autres nous tourner vers la collection de Stanley G. Grizzle, notamment les interviews qu’il a menées en 1986 et en 1987 avec d’anciens porteurs de voitures-lits des chemins de fer du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique (CP). Grizzle a cherché à documenter les conditions abusives imposées par ces compagnies ferroviaires aux hommes noirs jusqu’au milieu du vingtième siècle, ainsi que la lutte longue et complexe qui a abouti à leur syndicalisation. En même temps, il a laissé à ses narrateurs la possibilité de raconter des moments mémorables de leur vie sur les chemins de fer. En les écoutant attentivement, nous arrivons à construire un récit et à replacer les images du MDN en contexte. Comme le passé, cependant, ces souvenirs restent fugaces et fragmentaires, et de nombreux ont sombré dans l’oubli.

Cinq interviews tirées de la collection de Stanley Grizzle donnent un aperçu du travail des porteurs pendant la Seconde Guerre mondiale. Si ces échanges fournissent peu de détails sur les images ci-dessus, ils donnent une idée des conditions de travail des porteurs et des responsabilités supplémentaires qui leur incombaient en temps de guerre. Écoutons ce que ces bribes de conversations révèlent de leurs expériences :

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417383, fichier 1, 34:30)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417397, fichier 2, 09:26)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 17:18)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 05:56)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417386, fichier 1, 32:12)

L’expérience de ces hommes, les personnes qu’ils ont servies et leurs sentiments à l’égard des tâches supplémentaires qui leur ont été confiées en raison de la Seconde Guerre mondiale offrent des informations précieuses qui contribuent à humaniser le rôle de porteur. Pour George Forray, le recours accru au service ferroviaire en temps de guerre lui a permis, comme à beaucoup d’autres, d’obtenir un emploi à temps plein et d’acquérir une sécurité financière pendant cette période turbulente. Bill Overton, tout en expliquant les gains syndicaux qu’il a contribué à obtenir, au prix de luttes acharnées, raconte avoir été submergé alors qu’il devait nourrir 83 cadets de l’armée de l’air affamés. Même s’il y avait dans le train des employés blancs qui n’étaient pas en service, il explique qu’il était difficile de leur demander de l’aide. Grâce à son récit, nous comprenons mieux les subtilités et les malentendus qui entourent le paiement des heures supplémentaires à cette époque, ainsi que les structures racialisées qui régissaient et divisaient les travailleurs du chemin de fer.

Dans l’un des récits de guerre les plus clairs et les plus concis de la collection de Grizzle, un narrateur inconnu raconte – malgré des coupures audibles dans l’enregistrement sonore – les détails du transport de prisonniers de guerre allemands. S’il décrit l’environnement physique des voitures-lits et les repas servis, il laisse le reste à l’imagination, ne parlant pas de la façon dont les porteurs percevaient ces responsabilités ni les dangers auxquels ils étaient confrontés. Ces perspectives se sont en grande partie perdues dans l’histoire. Eddie Green poursuit sur ce sujet en parlant de l’évolution de la technologie ferroviaire au début du vingtième siècle. La remise en service de voitures obsolètes pour répondre aux besoins en temps de guerre a amené son lot de défis importants et de dangers physiques pour les porteurs, qui ont dû faire face à ces risques tout en s’occupant d’un plus grand nombre de passagers. Le stress devait être énorme.

À bien des égards, le dernier extrait de l’interview boucle la boucle. Joseph Morris Sealy explique comment la forte demande à l’égard des services ferroviaires en temps de guerre a ouvert la voie à d’importantes avancées syndicales. Les augmentations salariales soutenues par le gouvernement ont servi de point de départ à la négociation de la première convention collective entre la Fraternité internationale des porteurs de wagons-lits et le CP en 1945. Il n’était plus question de revenir à la situation d’avant la guerre. La circulation ininterrompue des personnes et des marchandises par la voie ferrée s’est avérée essentielle au maintien d’une économie stable et fonctionnelle. Les porteurs, pleinement conscients du rôle essentiel qu’ils jouaient, se sont battus pour obtenir un traitement équitable et une juste rémunération.

S’il n’est pas possible de reconstituer les informations contextuelles des images ci-dessus, les récits qui les accompagnent contiennent suffisamment de renseignements pour révéler ce qui a pu se passer avant et après la prise des photographies. Ils donnent une voix aux porteurs, mettant en lumière leurs expériences et les complexités de leur travail pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, comme pour toutes les sources historiques, ces témoignages oraux et photographiques soulignent les défis que pose la reconstitution du passé : nous devons travailler avec les fragments dont nous disposons. Malgré leurs limites, ces sources nous obligent à repenser fondamentalement notre récit national et le rôle central qu’y joue la main-d’œuvre noire.

Autres ressources


Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés, des minorités ethniques et des personnes racialisées. Elle est membre du corps enseignant du Département d’histoire et de lettres classiques au Collège Dawson.

Perspectives des porteurs noirs : navires et trains hospitaliers

English version

Par Jeff Noakes

Un porteur vêtu d’une casquette foncée et d’un veston blanc allume la cigarette d’un patient couché dans un lit.

Le porteur Jean-Napoléon Maurice (à droite) allume la cigarette du soldat Clarence Towne, un patient à bord d’un train hospitalier, 20 août 1944. (e011871941)

L’image ci-dessus provient d’une série de photographies de porteurs de voitures-lits noirs prises pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette série présente plusieurs points de vue sur les personnes qui ont servi la nation et nous amène à nous interroger sur l’histoire qui se cache derrière les images. Qui sont ces personnes? Pourquoi avoir pris ces photos? Pourquoi sont-elles importantes? Quelles histoires peuvent-elles révéler?

La date et le catalogage d’origine donnent suffisamment d’information pour approfondir certains aspects. La photo ci-dessus a été prise à l’intention du public. Elle parut dans des journaux canadiens qui identifient les deux hommes : le porteur Jean-Napoléon Maurice et le soldat Clarence Towne. Les légendes dans les journaux précisent que Maurice, un membre du Royal 22e Régiment, a été blessé en Italie, tandis que Towne a subi des blessures au combat à Caen, en Normandie. Certains journaux omettent de dire que Maurice servait auparavant au sein des Fusiliers Mont-Royal, et qu’il a participé au raid de Dieppe.

Le service militaire de Maurice est explicitement mentionné dans la légende du journal. On pourrait aussi deviner son passé en regardant son uniforme : les décorations sur son veston blanc sont bien visibles, tout comme son insigne du service général, en forme de bouclier, auquel son service militaire lui donne droit. De nombreux lecteurs de l’époque auraient facilement reconnu ces décorations. Quant à Towne, le plâtre à son bras gauche témoigne de ses blessures subies en service. Dans au moins un des journaux, la photo a été retouchée pour augmenter le contraste entre le plâtre et les draps.

La photographie s’inscrivait probablement dans une vaste campagne de publicité sur les trains hospitaliers. Maurice faisait partie d’un groupe de quatre porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) choisis pour travailler dans les voitures hospitalières parce qu’ils étaient d’anciens combattants blessés en service. À la fin d’août 1944, les journaux ont publié la photo ci-dessus et les histoires du service militaire et du travail de porteur de ces quatre hommes (Maurice, Randolph Winslow, Sam Morgan et James E. Thompson).

À partir de la date et de la légende originale, nous pouvons aussi faire des recherches dans les documents conservés à Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Aucun train hospitalier ne s’appelait Lady Nelson, mais un des navires hospitaliers du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale portait ce nom.

Cet ancien navire de ligne civil est coulé par un sous-marin allemand en 1942, dans le port de Castries, sur l’île Sainte-Lucie. Après avoir été renfloué, le Lady Nelson est transformé en navire hospitalier pour transporter le personnel militaire blessé ou malade. Plus tard, il transporte d’autres militaires et leurs personnes à charge. Ses voyages le mènent notamment de ports du Royaume-Uni à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Là, des trains hospitaliers utilisant le matériel des Chemins de fer nationaux du Canada et du Canadien Pacifique transportent les patients partout au pays. La photo est donc celle d’un patient qui se trouve dans un train hospitalier véhiculant les blessés débarqués du Lady Nelson.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Direction des mouvements était responsable d’une bonne partie de ces opérations. Ses documents sont conservés dans le fonds du ministère de la Défense nationale [R112-386-6-F, RG24-C-24]. Cette volumineuse collection nous renseigne sur les déplacements de centaines de milliers de militaires à destination et en provenance du Canada, ainsi que sur le transport de marchandises et de matériel militaire. Elle comprend aussi de nombreux documents sur le voyage vers le Canada des personnes à charge des militaires, comme les veuves de guerre et leurs enfants, durant et après le conflit. Ces ressources ont été microfilmées vers 1950 et sont aujourd’hui numérisées. On peut les consulter sur le site Canadiana du Réseau canadien de documentation pour la recherche.

Avis : Ces documents n’existent qu’en anglais et peuvent comprendre des renseignements médicaux que certaines personnes pourraient juger perturbants, offensants ou néfastes. Les termes historiques pour désigner des diagnostics en sont des exemples. Les documents contiennent parfois d’autres termes et contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants ou qui pourraient causer un préjudice, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Les éléments qui composent les collections, leurs contenus et leurs descriptions sont le reflet des époques au cours desquelles ils ont été créés et des points de vue de leurs créateurs.

Parmi les documents se trouvent des dossiers sur les voyages des navires hospitaliers, sur le personnel ramené au pays, ainsi que sur la planification et le fonctionnement des trains hospitaliers et d’autres moyens de transport qui ont amené les patients à divers endroits au Canada et à Terre-Neuve. Certains voyages vont même plus loin, par exemple, pour rapatrier des Américains qui ont servi dans l’Armée canadienne ou des membres d’armées alliées qui doivent traverser l’Amérique du Nord pour retrouver leur pays.

Selon les notes de catalogage, la photo a été prise le 20 août 1944. Il pourrait donc y avoir un lien avec l’arrivée du Lady Nelson quelques jours plus tôt. Une recherche dans le catalogue de BAC mène à un dossier de la Direction des mouvements [RG24-C-24-a, numéro de bobine de microfilm : C-5714, numéro de dossier : HQS 63-303-713] qui décrit l’événement survenu le 18 août, bien que le navire ait peut-être amarré juste avant minuit le 17. La photo donne donc une idée du contenu des documents sur ce voyage particulier. Elle nous amène également à réfléchir à l’utilité potentielle et aux limites de ces sources, surtout en ce qui concerne les expériences des porteurs de voitures-lits à bord des trains hospitaliers.

Un navire hospitalier à une seule cheminée dont la coque et la superstructure sont blanches. Les bâtiments gris du port apparaissent à l’arrière-plan. Une bande verte horizontale interrompue par trois croix rouges orne la coque. Le numéro 46 est peint dans des rectangles noirs sous la bande verte.

Le navire hospitalier canadien Lady Nelson à Halifax, Nouvelle-Écosse. (e010778743)

Les centaines de pages conservées dans ce dossier (des messages, des lettres, des notes de service et des listes de militaires rapatriés) décrivent l’ensemble des événements. À son départ de Liverpool, peu avant minuit le 8 août 1944, le Lady Nelson transporte 507 militaires vers Halifax pour des raisons médicales. Presque tous sont membres des forces canadiennes, et 90 % font partie de l’armée de terre. Se trouvent également à bord deux Terre-Neuviens qui ont servi dans la Royal Navy britannique ainsi qu’un officier de la force aérienne royale néo-zélandaise qui amorce son long voyage de retour via le Canada. Deux patients décédés pendant le voyage reçoivent une sépulture en mer : le soldat George Alfred Maguire, le 11 août, et le capitaine Theodore Albert Miller, le 15. Le catalogue de BAC permet de consulter leurs dossiers de service numérisés, qui fournissent des détails sur leur dernier voyage ici-bas.

Des histoires plus générales ressortent aussi du dossier sur ce voyage, dont la façon dont les militaires blessés et malades sont rapatriés jusqu’au Canada. À la mi-août 1944, le Lady Nelson peut accueillir environ 500 passagers. Le mois suivant, un deuxième navire hospitalier pouvant transporter autour de 750 patients, le Letitia, entre en service. À partir de ce moment, plus de 1 000 blessés ou malades peuvent traverser l’Atlantique Nord chaque mois pour revenir au Canada.

L’augmentation de la capacité témoigne également de l’intensité croissante des combats outre-mer à partir du débarquement du jour J, le 6 juin 1944, et de la campagne de Normandie. Les pertes subies sur ce théâtre de guerre s’ajoutent au coût de la campagne terrestre en Italie, de la guerre navale et des conflits aériens. À la mi-août, une note de service parle d’un « arriéré » de pertes au Royaume-Uni en attente d’un rapatriement au Canada. Les documents montrent aussi qu’il n’y a pas seulement des militaires blessés au combat, que ce soit physiquement ou psychologiquement : d’autres patients retournent au Canada en raison de blessures et de maladies découlant de causes variées.

Lorsqu’elle organise le transport hospitalier, la Direction des mouvements s’intéresse principalement au personnel qui retourne au pays. Elle doit entre autres connaître leurs besoins médicaux pendant le voyage et leur destination. On retrouve par conséquent des détails sur les individus transportés vers divers lieux au Canada, comme l’état de santé, les soins requis et le plus proche parent.

La plupart des documents donnent des détails sur les services nécessaires à l’organisation des voyages, mais ils mentionnent rarement les personnes qui participent à ce travail. L’équipage des trains hospitaliers et les employés des compagnies de chemin de fer, dont les porteurs, ne sont pas mentionnés individuellement. Chaque voiture hospitalière comprend du personnel médical, mais aussi un porteur. Des porteurs sont également affectés dans les autres voitures de passagers et voitures-lits du train.

Pourtant, leurs expériences ne sont pas décrites. Les dossiers les mentionnent brièvement, sans donner leur nom, pour demander qu’ils soient présents dans les trains hospitaliers. Il y a aussi des références indirectes à l’équipage du train. La présence des porteurs fait partie des services exigés de la part des compagnies de chemin de fer. Les militaires parlent d’eux comme du reste du personnel à bord des trains.

Dans les quelque 400 pages de documents sur ce voyage du Lady Nelson et du train hospitalier au Canada, il n’y a qu’une mention explicite des porteurs. Dans une lettre adressée au Canadien Pacifique au début d’août 1944, la Direction des mouvements prévient que le Lady Nelson devrait arriver aux alentours du 16 août. En plus de mentionner que des voitures hospitalières seraient nécessaires pour les patients, la lettre demande que des porteurs soient présents. Quatre voitures hospitalières du Canadien Pacifique, exigeant chacune un porteur, sont mentionnées. Comme la compagnie a choisi des porteurs qui avaient été blessés pendant leur service militaire, on déduit qu’il s’agit de Jean-Napoléon Maurice et de ses trois collègues.

Lettre dactylographiée.

Lettre de la Direction des mouvements au Canadien Pacifique mentionnant explicitement les porteurs. C’est le seul document à le faire dans le dossier de la Direction des mouvements concernant l’arrivée du Lady Nelson à la mi-août 1944. (MIKAN 5210694, oocihm.lac_reel_c5714.1878)

Voici une traduction de la lettre ci-dessus :

M.C. 303-713

7 août 1944

Monsieur A. L. Sauvé,
Agent général,
Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,
OTTAWA (ONT.)

Arrivée du navire W-713 :
Voitures hospitalières du Canadien Pacifique no 96-97-98-99

Le navire susmentionné devrait arriver à Halifax (Nouvelle-Écosse) autour du 16 août 1944 avec à son bord des invalides de l’Armée canadienne. Pour les héberger pendant leur déplacement du port vers des destinations dans l’ensemble du Canada, toutes les voitures hospitalières seront nécessaires, dont les voitures du Canadien Pacifique no 96, 97, 98 et 99.

2. Pourriez-vous prendre les dispositions nécessaires pour que des porteurs du Canadien Pacifique soient disponibles à Halifax en prévision de ce déplacement? Ils devraient arriver au plus tard le matin du 16 août.

[Signature]
Directeur des mouvements

La Direction des mouvements est plus loquace au sujet de Clarence Towne. Membre des North Nova Scotia Highlanders, il a été blessé au coude et au bras gauche par une mitrailleuse allemande. Il occupe un lit dans la voiture hospitalière 98 pour aller retrouver son épouse Jane à St. Catharines (Ontario).

Towne a peut-être été choisi comme exemple de patient parce que ses blessures ne l’ont pas défiguré et ne risquent pas de traumatiser le front intérieur. On ne peut en dire autant d’autres blessés. Le plâtre sur le bras gauche de Towne révèle doucement et indirectement la nature de ses blessures. Contrairement à d’autres patients à bord du train, ce militaire a subi des blessures physiques au combat et ne souffre pas de troubles psychologiques ou de blessures causées par un accident ou une maladie. C’est un autre facteur qui a pu jouer un rôle dans le choix de la photo.

En plus d’être le premier fil qui permet de dérouler l’histoire de certaines personnes à l’aide d’une pluralité de sources, cette photo fait connaître le grand dossier des porteurs et des services essentiels qu’ils ont rendus dans les trains hospitaliers pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale. Elle remplissait sans doute d’autres rôles au moment où elle a été prise. Jean-Napoléon Maurice est peut-être photographié en train d’allumer la cigarette de Clarence Towne pour confirmer les idées de la population sur les porteurs de chemin de fer noirs, la nature de leur travail et leur statut racial et social, le tout se manifestant par leur rôle au service des voyageurs.

La photo rappelle aussi l’omniprésence du tabac dans les années 1940. Dans les voitures hospitalières, les lits de chaque patient sont munis d’un cendrier, ce qui paraît inimaginable de nos jours. L’interaction personnelle que représente l’allumage d’une cigarette avait probablement pour but de montrer l’attention portée aux militaires blessés. C’était l’occasion pour l’armée et le gouvernement du Canada de montrer qu’ils se préoccupaient du sort des militaires rapatriés, ce qui n’était pas à dédaigner à une époque où les trains hospitaliers et leurs passagers ne rappelaient que trop, sur le front intérieur, les coûts humains croissants de la Deuxième Guerre mondiale.

Autres ressources


Jeff Noakes est un historien spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale au Musée canadien de la guerre.

Valentins censurés : les services gouvernementaux surveillent Cupidon de près

English version

Par Rebecca Murray

Il y a quelques mois, j’ai découvert des archives très étonnantes dans la base de données du Bureau du censeur en chef de la presse. Celui-ci fut établi par un décret du 10 juin 1915, dans lequel le secrétaire d’État autorisait la nomination d’une personne chargée de censurer les écrits, les copies, les impressions et les publications de toutes les maisons d’édition. Le Bureau avait ainsi les pleins pouvoirs pour superviser la censure des documents imprimés en temps de guerre. Vous vous en doutez bien, je n’ai pas pu m’empêcher d’approfondir la question.

J’ai commencé par examiner une série de documents rédigés entre 1915 et 1920, conservés dans le fonds du secrétaire d’État (RG6/R174). Ces documents portent principalement sur la censure pendant la Première Guerre mondiale. Ils couvrent divers sujets comme les éléments subversifs au Canada et la propagande de guerre.

Avec plus de 1 500 descriptions au niveau du dossier, la série mentionne diverses publications signalées par le censeur de la presse. Sans surprise, la plupart sont liées à la guerre : publications en allemand, textes progermaniques et autres renseignements sensibles. Mais qu’est-ce qui pouvait justifier la présence d’un dossier sur les cartes de Saint-Valentin dans la série? Étaient-elles trop osées?

Curieuse, j’ai ouvert le dossier (consultable sur microfilm numérisé sur le site Canadiana du Réseau canadien de documentation pour la recherche). À la mi-janvier 1916, une correspondance commence entre le sous-ministre des Postes (R. M. Coulter), le censeur en chef de la presse (le lieutenant-colonel E. J. Chambers) et le ministère de la Justice. L’article fautif est une carte de Saint-Valentin et son enveloppe, produites par la Volland Company, à Chicago.

Carte de Saint-Valentin avec l’image d’une femme portant un chapeau à large bord. Le texte sous l’image est partiellement caviardé et caché par un timbre disant « CENSURÉ (PAYS ENNEMI) ».

La carte de Saint-Valentin en question, avec les marques de caviardage. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 655.

R. M. Coulter signale la carte au lieutenant-colonel Chambers le 18 janvier 1916. La raison? L’étiquette sur l’enveloppe et le fac-similé d’un timbre en caoutchouc sur la carte laissent croire à une censure officielle, et Coulter craint que ces éléments ne créent de la confusion pour les représentants du gouvernement. Malheureusement, le dossier ne comprend aucun exemplaire de l’enveloppe.

Chambers donne son accord dès le lendemain : « Ce serait sans aucun doute une grave erreur d’autoriser la circulation de ces enveloppes au Canada, car elles attireraient une attention indésirable sur la censure et risqueraient de constituer un obstacle si l’on décide un jour de censurer l’ensemble du courrier. » [Traduction]

La question ne s’arrête pas là : un mémoire est transmis au sous-ministre de la Justice le 20 janvier. Une lettre envoyée le lendemain mentionne qu’il ne serait pas judicieux de laisser circuler au Canada des cartes de Saint-Valentin et des enveloppes comme celles-ci.

La même lettre décrit le rôle général du Bureau du censeur en chef de la presse : « Je peux vous dire en toute confidentialité que l’un des principaux objectifs de la censure au Canada, en ce moment, consiste à intercepter la correspondance ennemie que les agents et sympathisants teutons [allemands] au Canada entretiennent avec les agents du renseignement des gouvernements ennemis dans les pays ennemis ou neutres. La censure reste donc aussi discrète que possible, car si le système de censure actif au Canada était connu, l’objectif ne pourrait être atteint. » [Traduction]

Bien que la carte de Saint-Valentin en question ne soit pas considérée comme une « correspondance ennemie », la ressemblance avec des marques de censure véritables préoccupe sérieusement le sous-ministre des Postes et le censeur en chef de la presse. Ceux-ci craignent tout ce qui peut faire connaître ou ridiculiser leur travail, car la censure, fort courante à l’époque, restait volontairement discrète.

Vers la fin du dossier, j’ai été étonnée de trouver de la correspondance des censeurs régionaux avec des libraires et d’autres fournisseurs qui avaient commandé ou acheté la carte. Plusieurs fournisseurs ont rapidement répondu au gouvernement et assuré qu’ils retourneraient les cartes à l’éditeur américain. Il est cependant difficile de déterminer combien de cartes circulaient déjà ou avaient été vendues avant le rappel.

Page couverte de caractères tapuscrits et manuscrits et d’un timbre.

Lettre adressée au lieutenant-colonel Chambers, censeur en chef de la presse, de la part du bureau régional de la censure de la presse dans l’Ouest du Canada. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 674.

En plus de la correspondance intergouvernementale, le censeur en chef de la presse écrit à l’éditeur le 25 janvier : « Les autorités canadiennes tiennent sincèrement à éviter, dans la mesure du possible, que la guerre nuise au commerce et aux bonnes relations entre le Canada et ses bons voisins du sud. » [Traduction] Ces paroles diplomates montrent que le censeur en chef tient à gérer la situation avec tact.

Page blanche avec du texte manuscrit et tapuscrit.

Lettre de P.F. Volland & Co. au censeur en chef de la presse au Canada. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 669.

La réponse du 24 janvier montre comment l’éditeur réagit au retrait de son produit du marché canadien. Sans mentionner pourquoi la carte portait des marques de censure, l’éditeur assure que « l’objectif n’était pas d’attirer une attention indésirée sur la censure en vigueur dans le Dominion. » [Traduction]

Le travail du censeur en chef de la presse pendant la Première Guerre mondiale montre comment le gouvernement gérait la circulation de l’information au cours du conflit. Cette affaire peut sembler banale, et même plus amusante qu’inquiétante de nos jours. Elle rappelle cependant que la censure sous toutes ses formes est toujours d’actualité. Pour approfondir cette question, prenez connaissance du rôle de Bibliothèque et Archives Canada dans le cadre de la Semaine de la liberté d’expression, une campagne annuelle de sensibilisation à la censure qui fait connaître les livres contestés partout au Canada.


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Une proposition audacieuse pour le nouveau drapeau canadien

English version

Par Forrest Pass

Le 15 février 2025, le drapeau national du Canada aura 60 ans. Pour souligner les anniversaires de ce symbole, les médias et les institutions du patrimoine – dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) – publient habituellement des dessins soumis par des Canadiens au cours des années qui ont précédé l’adoption du drapeau.

Ces soumissions soulèvent des réflexions intéressantes. Par exemple, à quoi les uniformes olympiques canadiens ressembleraient-ils si un autre drapeau que la feuille d’érable rouge sur fond blanc avait été choisi? Les dessins rejetés nous renseignent aussi sur les valeurs des artistes et leurs idées concernant le passé, le présent et l’avenir du pays.

De nombreux passionnés du drapeau ont un favori parmi les candidatures rejetées. L’histoire entourant ma soumission préférée associe deux incontournables de la mi-février : les drapeaux et le chocolat.

En 2013, alors que je travaillais comme historien au Musée canadien de l’histoire, j’ai trouvé un jeu de dix drapeaux en tissu sur eBay. Ils semblaient dater de l’époque du grand débat sur le drapeau. Malheureusement, le vendeur ne connaissait pas leur origine; ils faisaient partie d’un lot acheté à l’occasion d’une vente de succession. Ces petits drapeaux me semblaient toutefois intéressants, car rares sont les soumissions qui ont dépassé le stade de la planche à dessin. Il fallait avoir confiance en son propre dessin (et un certain pécule) pour distribuer des exemplaires en tissu.

Un petit drapeau blanc orné d’une croix rouge, d’une croix bleue et d’une feuille d’érable verte dans un cercle blanc au centre.

Une mystérieuse proposition de drapeau canadien (Musée canadien de l’histoire, 2013.47.1)

J’ai pu confirmer l’authenticité de cette soumission au comité du drapeau de la Chambre des communes, car une photo de presse prise en 1964 le montre, parmi tant d’autres, sur le mur de la salle de réunion. Cette trouvaille justifiait l’acquisition des drapeaux pour la collection du Musée, mais j’espérais néanmoins trouver l’auteur de la soumission pour comprendre la symbolique de son drapeau.

Dix-sept hommes et une femme assis à des tables, entourés de dessins de drapeau.

Les membres du comité du drapeau de la Chambre des communes avec les quelque 1 200 propositions pour le nouveau drapeau canadien, 7 octobre 1964. Le drapeau mystère est encerclé en rouge. (Bibliothèque et Archives Canada, a213164)

Un heureux hasard a voulu qu’un collègue trouve une référence à ce drapeau quatre ans plus tard, dans les textes sur le grand débat du drapeau consignés dans le Hansard (le journal des débats à la Chambre des communes). Dans un discours prononcé le 26 août 1964, Clément Vincent (député de Nicolet-Yamaska au Québec) a décrit le drapeau et sa valeur symbolique à d’autres députés. Une petite enquête dans le Hansard a révélé le nom du dessinateur : Jean Dubuc. Une recherche sur Internet m’a fait découvrir une lettre à un journal, une notice nécrologique et un compte Facebook. J’ai donc communiqué avec Daniel Dubuc, le fils de Jean, qui m’a raconté l’histoire de son père.

Jean Dubuc (1920-1965) est né à Chandler (Québec) et a grandi à Chicoutimi. Son grand-père était un magnat de l’industrie des pâtes et papier et de l’hydroélectricité. Jean entre dans la fonction publique québécoise en 1951 et s’établit à Sainte-Foy, en banlieue de Québec. Grand passionné d’héraldique, il soumet sa proposition pour le drapeau canadien à la fin des années 1950. En 1959, il en envoie une copie, avec une lettre d’accompagnement, à tous les sénateurs et aux députés de la Chambre des communes. Son fils a généreusement donné un exemplaire de la lettre au Musée.

Parmi les milliers de propositions soumises avant et pendant le grand débat sur le drapeau, celle de Dubuc se démarque. D’abord, il a eu l’ingénieuse idée de combiner le drapeau traditionnel anglais (la croix rouge de Saint-Georges sur fond blanc) et l’emblème de la marine marchande française avant la révolution (une croix blanche sur fond bleu). Sa soumission donne donc une place égale aux deux principaux groupes colonisateurs et évite les symboles plus familiers, mais controversés, que sont le fleurdelisé et l’Union Jack.

Une autre caractéristique intéressante est la référence aux peuples autochtones, car la plupart des propositions de l’époque, dont celle retenue, n’en avaient aucune. Dubuc écrit que le fond blanc du drapeau représente les premiers occupants du territoire, soit les Premières Nations et les Inuit, qui possèdent encore de vastes étendues de neige et de glace au pays. Il est donc en avance sur son temps : même les rares artistes amateurs qui ont inclus des symboles autochtones au milieu du 20e siècle reconnaissaient rarement que les Autochtones étaient toujours présents, et encore moins qu’ils demeuraient propriétaires de leurs territoires. (Dubuc ne parle pas du troisième peuple autochtone reconnu au Canada de nos jours. L’histoire et la pérennité de la Nation métisse étaient peu connues dans les années 1950, surtout dans l’Est du Canada).

Daniel Dubuc m’a aussi transmis une information qui a suscité ma curiosité : son père a créé un autre objet pour faire la promotion de son drapeau. C’était une fiche pliable décrivant les éléments du dessin et expliquant comment le tout formait une unité. La famille n’avait malheureusement pas d’exemplaire à portée de la main, mais j’ai décidé d’ouvrir l’œil.

J’ai fini par trouver en 2022, alors que je parcourais les archives de Guy Marcoux, député du Ralliement des créditistes à Québec-Montmorency, près de Sainte-Foy, où vivait la famille Dubuc. Dans un volumineux dossier de référence sur le drapeau, le dessin de Dubuc se démarque parmi des dizaines de lettres, de dépliants et de maquettes de drapeau.

Trois images montrant un dépliant intitulé « l’Histoire du drapeau ». Le dépliant tapuscrit décrit un drapeau ayant une croix rouge, une croix bleue et une feuille d’érable verte au centre. Il explique le sens des symboles et la manière de les tracer.

La maquette dépliante sur le drapeau de Jean Dubuc. (Bibliothèque et Archives Canada, fonds Guy Marcoux, MIKAN 110969)

Comme la description donnée par Daniel Dubuc me l’avait laissé croire, le dépliant de Jean s’inspire d’un modèle semblable sur l’histoire de l’Union Jack, un cadeau promotionnel offert par Laura Secord dans les années 1930. À l’instar du modèle de Dubuc, la version de Laura Secord décrit les croix, les couleurs et la signification de l’Union Jack, le drapeau officiel du Canada employé jusqu’en 1946 pour des usages intérieurs. Le concept était fort apprécié : Laura Secord l’a adapté pour soutenir l’effort de guerre, et sa société sœur aux États-Unis, Fanny Farmer Candy Shops, a remis des cadeaux promotionnels semblables sur l’histoire de la bannière étoilée.

Trois images d’un dépliant de papier racontant l’histoire de l’Union Jack. Des rabats présentant la croix de Saint-André, la croix de Saint-Georges et la croix de Saint-Patrick décrivent le motif et l’évolution du drapeau.

Dépliant sur l’Union Jack créé par Laura Secord Candy Shops à l’occasion du couronnement du roi George VI en 1937. (Bibliothèque et Archives Canada. Collection de cartes postales des Archives nationales du Canada. MIKAN 15178)

La campagne personnelle de Jean Dubuc pour faire adopter son drapeau distinctif a utilisé un support – le dépliant de papier – bien connu des décideurs et des Canadiens ordinaires, notamment des amateurs de chocolat. Son motif à la fois simple et percutant se prêtait bien à ce type de promotion sophistiqué. La redécouverte de la maquette de Dubuc montre que, même si les documents du comité du drapeau sont aujourd’hui bien connus, certaines collections de BAC contiennent des détails étonnants sur le grand débat du drapeau, même 60 ans plus tard. Une boîte d’archives, tout comme une boîte de chocolats, réserve parfois bien des surprises!


Forrest Pass est conservateur dans l’équipe des Expositions de Bibliothèque et Archives Canada.