L’internement des Canadiens japonais – plus de 40 000 pages et 180 photos numérisées par le Numéri-Lab

Gabrielle Nishiguchi

Depuis son lancement en 2017, le Numéri-Lab a hébergé de nombreux projets, dont deux ont été réalisés dans le cadre de Landscapes of Injustice, un projet majeur de sciences humaines et de justice sociale d’une durée de sept ans, dirigé par l’Université de Victoria, et auquel se sont joints à ce jour quinze partenaires des sphères culturelle et universitaire et du gouvernement fédéral, notamment Bibliothèque et Archives Canada. Ce projet de recherche consiste à documenter et à raconter l’histoire des Canadiens japonais dépossédés de leurs biens – dont la vente forcée fut rendue légale par le décret 1943-0469 (le 19 janvier 1943) – durant la Seconde Guerre mondiale.

Au total, plus de 40 000 pages de documents textuels et plus de 180 photos ont été numérisées par les deux chercheurs avec la collaboration de Landscapes of Injustice. Certains documents sont d’ores et déjà consultables en ligne, notamment les photos concernant l’internement des Canadiens japonais.

Les photos concernant l’internement des Canadiens japonais

Réunies dans trois albums, ces photos ont été prises lors de tournées d’inspection des camps d’internement en 1943 et en 1945. Les deux premiers albums contiennent des photos prises dans des camps en Colombie-Britannique par Jack Long, du Service de la photographie de l’Office national du film du Canada.

Le troisième album, de 1943, renferme vingt-sept photos d’Ernest L. Maag, délégué du Comité international de la Croix-Rouge au Canada. S’y trouvent des photos illustrant les duretés de l’hiver pour les Canadiens japonais internés, comme celle, ci-dessous, de la voiture du délégué enlisée dans l’abondante neige bordant la route au moment de sa tournée d’inspection.

Trois hommes et une voiture dans une tempête de neige – (de droite à gauche) un homme est debout près de la portière, un deuxième est penché près de la roue arrière droite et un troisième vient les aider.

Photo no 26 [L’automobile du délégué du Comité international de la Croix-Rouge est prise dans une épaisse neige lors de sa tournée d’inspection des camps en hiver 1943]. Photo : Ernest L. Maag (e999900382-u)

Ci-dessous, des baraques dans un camp d’internement, avec de la neige pelletée contre leurs murs de planches à feuillure, recouverts d’un papier goudronné les protégeant des éléments.

(de droite à gauche) Des enfants se tiennent devant leurs baraques en bois à feuillure, contre lesquelles on a pelleté la neige. Plus loin, une personne internée marche dans cette rue de fortune. Les murs des baraques sont recouverts d’un papier goudronné les protégeant des éléments.

Photo no 5 [dans un camp d’internement, on a pelleté la neige contre les baraques, dont les murs de planches à feuillure sont recouverts d’un papier goudronné isolant. Photo : Ernest L. Maag] (e999900386-u)

On peut consulter toutes les photos numérisées lors du projet au moyen de l’outil Recherche dans la collection en utilisant les mots-clés « photos au sujet de l’internement des Canadiens japonais ».

Une logique fautive et préjudiciable

Il faut savoir que les photos prises par Jack Long avaient été commandées par le gouvernement canadien durant la Seconde Guerre mondiale dans le but de faire croire que les quelque 20 000 Canadiens japonais, qu’il avait internés de force en 1942, étaient particulièrement bien traités, et qu’en fait ils aimaient la vie dans les camps d’internement.

Les bureaucrates appliquaient une logique fautive et préjudiciable qui leur faisait ranger les Canadiens d’origine japonaise – dont les trois quarts étaient nés au Canada ou avaient été naturalisés citoyens canadiens – dans la même catégorie que les Japonais du Japon impérial. Ce parti pris discriminatoire procédait du raisonnement suivant : si les autorités impériales japonaises voyaient ces photos, ils pourraient être amenés à mieux traiter les soldats canadiens prisonniers de guerre de l’Axe.

Légendes originales

Les légendes originales reflètent l’intention initiale des photos, et sont donc cohérentes avec les mentalités des années 1940. Les personnes internées ne sont pas désignées comme étant de nationalité canadienne; on les appelle des « Japonais », à l’exception d’un cas où on utilise le terme péjoratif « Japs ». Les non-Japonais sont des « Blancs », des « Occidentaux » ou « des personnes d’autres races ». Seuls des non-Japonais sont nommés dans les légendes.

On ne ménage pas les euphémismes. On parle d’économie d’espace et de confort chaleureux pour ne pas dire que la baraque est trop petite. Les internés sont « des personnes évacuées ». Si on les déporte, ils sont « rapatriés ». Les baraques d’internement sont « des chalets ». Le camp lui-même est un « centre d’habitation » ou « un quartier ». On y trouve « des allées de maisons bien disposées » et des « avenues agréables ». Souvent, on a soin d’expliquer que les personnes internées sont traitées comme des Canadiens : « Dans les hôpitaux des camps, des mères accouchent comme dans tout autre hôpital. Voyez cette mère tout heureuse qui bavarde avec le docteur Burnett, directeur de l’hôpital »; « À la fin de l’année scolaire, les élèves japonais des familles évacuées tiennent une fête de fin d’année comme partout ailleurs au Canada. Les quartiers ne sont pas gardés, et les parents et amis évacués peuvent se rendre visite, ou faire du sport en plein air. »

On ne ménage pas non plus les qualificatifs : « joyeux », « moderne », « un bel endroit », « bien équipé », « bien pourvu », « propre », « aussi parfait que possible »… Près d’une photo prise à l’hôpital du camp de New Denver, en Colombie-Britannique, dans l’aile des femmes, l’auteur de la légende interprète la scène : « on voit toute la chaleur humaine que véhiculent ces sourires ». Dans ce cas-ci, le ruban ornant les cheveux de la patiente internée pourrait bien être la preuve que la scène était arrangée pour la photo.

(de gauche à droite) Patiente alitée (et internée), avec une infirmière à son chevet.

Dans l’aile féminine de l’hôpital du camp de New Denver, on voit toute la chaleur humaine que véhiculent ces sourires. [Le photographe semble avoir préparé cette scène avec la patiente internée; remarquons le ruban ornant le sommet de sa chevelure.] (e999900300-u)

Certes, les photos de M. Long ont été minutieusement arrangées par une main professionnelle, mais il n’y a pas à se méprendre sur le sourire forcé et artificiel des personnes internées dans les camps.

Au vu des photos de M. Long, un fonctionnaire du ministère des Affaires extérieures a écrit ce commentaire sur la pochette du dossier : « Ce sont d’excellentes photos. » En revanche, son collègue Arthur Redpath Menzies a rédigé le 26 avril 1943 un autre commentaire sous le premier, commentaire qui nous rappelle brutalement la réalité cachée derrière la façade prise en photo : « Il faut comprendre qu’en réalité, cet endroit n’a absolument rien d’enchanteur. Des gens qui y sont allés m’en ont parlé : c’est très froid, et il n’y a pas de travail, sinon scier du bois […] Ce n’est pas un endroit très agréable – pour des citoyens canadiens dont le seul crime est la couleur de leur peau ». M. Menzies est par la suite devenu chef de mission du Canada au Japon, en 1950, puis ambassadeur extraordinaire avec pleins pouvoirs en République populaire de Chine et en République socialiste du Vietnam en 1976.

Un village environné de montagnes. On aperçoit plusieurs bâtiments à l’avant-plan et des rangées de plus petites habitations plus loin à gauche.

À Lemon Creek, en C.-B., les maisons des personnes évacuées sont assez espacées pour qu’elles y vivent confortablement et cultivent un potager. Dans chaque chalet vit une famille. [Baraques au camp d’internement de Lemon Creek, en C.-B.] Photo : Jack Long (e999900291)

Un homme est debout devant un grand rayonnage incliné rempli de caractères d’imprimerie japonais.

Une partie des milliers de caractères d’imprimerie japonais utilisés pour The New Canadian, un journal hebdomadaire de Kaslo, en C.-B. Ce journal a aujourd’hui ses bureaux à Winnipeg, au Manitoba. [Le journal The New Canadian a vu le jour à Vancouver en 1939. Publié en anglais, il se voulait la voix des Nisei (Canadiens japonais de deuxième génération). Après l’attaque de Pearl Harbor et l’internement d’environ 20 000 Canadiens japonais, le journal a repris sa publication au camp d’internement de Kaslo, en C.-B. Une section en japonais a été ajoutée pour mieux servir les Issei, soit les Canadiens japonais de première génération. En 1945, le journal a déménagé à Winnipeg, puis en 1949 à Toronto, en Ontario, où il a continué de paraître jusqu’en 2001.] Photo : Jack Long (e999900358-u)

Trois femmes, dont une infirmière, se tiennent autour d’un îlot où se trouvent des cabarets, de la vaisselle et des bouteilles de lait. Des ustensiles sont suspendus au montant central de l’îlot.

La cuisine très moderne de l’hôpital du camp de Greenwood. [Cuisine d’hôpital au camp d’internement de Greenwood, en C.-B.] Photo : Jack Long (e999900255-u)

Les légendes originales de ces photos témoignent du passé colonial du Canada. Lorsque c’est nécessaire pour présenter un portrait plus complet et équitable de notre histoire, Bibliothèque et Archives Canada accompagne ses documents de mises en contexte. Il s’agit d’un travail important, car, comme il est écrit sur le site Web de Landscapes of Injustice : [traduction] « La volonté d’une société de parler des épisodes sombres de son histoire en dit très long sur son caractère démocratique. »

Si vous avez l’idée d’un projet comme celui-ci, veuillez écrire au Numéri-Lab et y présenter un résumé de votre projet.

Sources connexes de BAC

Documents textuels

Dossiers

Liens connexes


Gabrielle Nishiguchi est archiviste à la section Société, emploi, affaires autochtones et gouvernementales de la Direction générale des archives à Bibliothèque et Archives Canada.

Un registre de déportation et l’histoire d’un déporté canadien japonais

Par R. L. Gabrielle Nishiguchi

Photo noir et blanc d’un groupe de femmes et d’un enfant, se tenant debout devant des bagages et des caisses.

Après leur internement durant la Deuxième Guerre mondiale, des Canadiens japonais attendent d’être déportés par train puis par bateau vers le Japon. Slocan City, Colombie-Britannique, 1946. Source : Tak Toyota (c047398)

Le 20 septembre prochain, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) exposera, le temps d’une soirée seulement, un ouvrage bien spécial : un registre datant de 1946, à la reliure bleue usée par le temps. L’exposition se tiendra dans le cadre de l’événement Retour sur le redressement à l’égard des Canadiens japonais : Conférence sur le 30e anniversaire de l’Entente, organisé conjointement par BAC et l’Association communautaire japonaise d’Ottawa.

Mais pourquoi ce registre est-il aussi important? Parce que ses pages roses, imprimées à l’encre violette Gestetner, renferment les noms de 3 964 Canadiens d’origine japonaise déportés en 1946 vers le Japon, un pays ravagé par la guerre; parmi eux, près de 2 000 enfants nés au Canada. Ensemble, ils représentent un cinquième des 20 000 Canadiens d’origine japonaise expulsés de la côte Ouest en 1942.

Pour chaque personne inscrite au registre, on peut aussi voir les renseignements suivants : numéro d’inscription, date de naissance, sexe, état matrimonial, nationalité et lieu de départ, auxquels s’ajoutent une note indiquant si la personne a signé ou non le formulaire de recensement (un aspect dont nous reparlerons plus loin), ainsi que des observations comme mental hospital (hôpital psychiatrique), mentally unbalanced [and] unable to sign (mentalement déséquilibré [et] incapable de signer), New Denver Sanitorium (Sanatorium de New Denver), illeg[itimate] (illégitime), adopted (adopté), common law (union libre) et Canadian Army (armée canadienne).

La couverture du registre porte l’inscription Repatriates (rapatriés) tracée à la plume. Mais le terme Repatriation (rapatriement), utilisé par le gouvernement canadien, ne désignait ni plus ni moins qu’une véritable déportation, comme l’ont démontré universitaires et chercheurs; il était souvent jumelé au mot « volontaire », ce qui n’était pas le cas, comme nous le verrons aussi plus loin. Par ailleurs, on ne pouvait parler de véritable « rapatriement » pour les enfants nés au Canada, et dont le seul lien avec le Japon était leur origine raciale.

Lorsqu’on feuillette les pages à l’encre pâlissante, on peut voir que certains noms sont accompagnés d’annotations manuscrites au stylo ou à la plume. BAC possède d’autres registres semblables, mais ce sont ces annotations qui confèrent à cet exemplaire une telle importance : elles semblent faire référence à des extraits de lois ou de décrets (p. ex., décret P.C. 7356, 15 décembre 1945) précisant comment les agents d’immigration pourraient empêcher certains déportés de revenir au Canada.

Conscient de l’importance historique du registre, BAC a immédiatement numérisé son contenu pour en assurer la préservation, veillant en même temps à ce que le pouvoir évocateur de ces noms demeure dans notre mémoire collective. Couchés sur le papier, les noms des 3 964 déportés et les informations connexes apportent un témoignage silencieux mais puissant des souffrances endurées par ces hommes, ces femmes et ces enfants qui se sont retrouvés au Japon, un pays vaincu et affamé, empêchés de revenir au Canada uniquement en raison de leur origine raciale.

Photo noir et blanc de trois hommes soulevant une caisse.

Trois Canadiens japonais en train de charger une caisse. L’un deux pourrait être Ryuichi Hirahara, 42 ans (no d’inscription 02553). M. Hirahara et sa femme Kazu, âgée de 40 ans (no d’inscription 02554 ), étaient tous deux de nationalité japonaise et ont été internés à Slocan City, en Colombie-Britannique. L’étiquette d’expédition sur la caisse porte le nom de « Ryuichi Hirahara » ainsi qu’une adresse à Wakayama City, au Japon. Ne sachant si sa maison ancestrale avait survécu à la guerre, M. Hirahara avait demandé que ses effets personnels soient retenus en son nom à la gare de Wakayama. Il savait que les gares compteraient parmi les premiers bâtiments à être remis en état, les trains étant essentiels à la reconstruction du Japon. Les Hirahara ont été déportés au Japon en 1946. Source : Tak Toyota [Traduction originale : Henry Shibata, retraduit en français par Bibliothèque et Archives Canada] (c047391)

L’histoire d’un déporté : Henry Shibata

Les participants à la conférence « Retour sur le redressement à l’égard des Canadiens japonais », le 20 septembre prochain, pourront non seulement voir le registre, mais aussi rencontrer l’une des personnes qui y sont inscrites : Henry Shibata. Canadien de naissance, M. Shibata a été déporté au Japon en 1946. Il est aujourd’hui âgé de 88 ans.

Sur l’une des pages du registre, à côté des noms de M. Shibata et de ses six frères et sœurs – tous nés au Canada –, se trouvent des annotations manuscrites qui semblent être des extraits de loi faisant référence au décret 7356 du Conseil privé (qui interdisait le retour des Canadiens japonais naturalisés ayant été déportés). Si tel est bien le cas, cela signifie que le gouvernement canadien avait bel et bien l’intention d’empêcher Henry et ses frères et sœurs de revenir au pays.

Photo noir et blanc de deux hommes debout devant un portail en fer. On aperçoit derrière eux un agent de police londonien.

L’honorable W. L. Mackenzie King et Norman Robertson à la conférence des premiers ministres du Commonwealth, Londres (Angleterre), 1er mai 1944. C’est à cette époque que Norman Robertson, sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures, et son adjoint spécial Gordon Robertson (avec qui il n’a aucun lien de parenté) ont élaboré le plan de déportation approuvé par le premier ministre Mackenzie King. (c015134)

Le recensement qui pouvait faire basculer une vie

Au cours du printemps 1945, le gouvernement du Canada dresse la liste de tous les Canadiens d’origine japonaise âgés de 16 ans et plus (incluant les personnes internées dans des camps et celles traitées à l’hôpital psychiatrique). Ce vaste recensement comprend également un formulaire où les Canadiens japonais doivent choisir le lieu où ils seront supposément « relocalisés » : au Japon ou à l’est des Rocheuses. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que ce choix peut faire basculer leur vie.

En effet, les personnes qui décident d’aller au Japon signent en réalité – et à leur insu – leur demande de déportation. Le gouvernement considérant qu’ils sont déloyaux envers le Canada, il en fait un motif automatique de ségrégation et de déportation. Plusieurs annotations du registre arborent même la mention app[lication] for deportation (demande de déportation) écrite par un fonctionnaire.

Le recensement est mené par la Gendarmerie royale du Canada, alors que les Canadiens japonais sont découragés et inquiets pour leur avenir. Plusieurs d’entre eux viennent de survivre à trois longues années dans des camps d’internement dont ils ne pouvaient sortir sans laissez-passer : forcés de travailler sur des fermes de betteraves à sucre dans les Prairies pour éviter que leurs familles soient dispersées; obligés de travailler dans des camps routiers isolés; ou internés dans des camps de prisonniers de guerre parce qu’ils se plaignaient d’être séparés de leur femme et de leurs enfants.

Photo noir et blanc d’un agent de la Gendarmerie royale du Canada assis à une table et examinant des documents, entouré de plusieurs hommes.

Agent de la Gendarmerie royale du Canada vérifiant les documents de Canadiens japonais forcés d’abandonner leur maison et d’aller dans des camps d’internement, 1942. Source : Tak Toyota (c047387)

Photo noir et blanc de rangées de baraques dans un camp d’internement.Pourquoi les déportés ont-ils signé pour aller au Japon?

Camp d’internement pour les Canadiens japonais, Lemon Creek (Colombie-Britannique), juin 1945. (a142853)

Pourquoi les déportés ont-ils signé pour aller au Japon?  

Les pressions commencent à s’exercer sur les Canadiens japonais lorsque la communauté est forcée de quitter la côte Ouest, en 1942, pour aller en camp d’internement. Dès l’année suivante, leurs biens, retenus en fiducie par le Bureau du séquestre des biens ennemis, sont vendus aux enchères sans leur consentement. Les internés doivent vivre du produit de ces ventes, dont l’essentiel sert à payer leur propre internement. De plus, les superviseurs des camps sont évalués en fonction du nombre de formulaires signés qu’ils arrivent à obtenir.

De tous les internés, les Canadiens japonais qui acceptent finalement de signer le formulaire sont les plus vulnérables : il s’agit de personnes ayant des familles piégées au Japon, de familles monoparentales ou de patients en psychiatrie (dont certains sont trop malades pour signer). Certains, maîtrisant mal l’anglais, se sentent trop vieux ou trop démunis pour recommencer leur vie dans les collectivités typiquement hostiles de l’est du pays. Quelques enfants plus âgés, nés au Canada, se sentent obligés d’accompagner au Japon leurs parents malades ou vieillissants.

La famille du jeune Henry Shibata est internée à Lemon Creek, en Colombie-Britannique. Ses parents, Hatsuzo et Tomiko, ont de la famille à Hiroshima, mais ignorent si la bombe atomique a laissé des survivants. À 52 ans, Hatsuzo pense que sa méconnaissance de l’anglais écrit ne lui permettrait pas de recommencer sa vie dans l’est du Canada. Depuis l’arrivée de son dernier-né Hisashi, qui a vu le jour dans le camp d’internement de Lemon Creek, il a maintenant une femme et sept enfants à faire vivre.

Durant l’événement « Retour sur le redressement à l’égard des Canadiens japonais », le 20 septembre, le registre des déportations sera ouvert à la page 394, où se trouve l’inscription concernant la famille Shibata. À cette occasion, M. Shibata, un éminent chirurgien-oncologiste de 88 ans, verra pour la première fois son nom dans ce registre – 62 ans après s’être embarqué à bord du S.S. General Meigs pour être déporté au Japon avec sa famille.

À Hiroshima, une ville réduite en cendres par l’explosion de la première bombe atomique, Henry et sa famille sont confrontés à des épreuves inimaginables. Malgré tout, Henry réussit à obtenir son diplôme de l’École de médecine de Hiroshima. Il passe ensuite quatre ans aux États-Unis, le temps de se spécialiser en chirurgie, et revient au Canada en 1961. Son expertise a permis de sauver la vie de nombreux Canadiens. Professeur émérite à l’Université McGill, il a pris sa retraite en 2015.

Le registre mentionné ci-dessus était un moyen pratique d’empêcher le retour des déportés, particulièrement en raison des annotations qu’il comportait. Leur intention ne fait aucun doute dans cette lettre écrite par Arthur MacNamara, sous-ministre du Travail, à son ministre Humphrey Mitchell le 4 mai 1950 : « Le ministère des Affaires extérieures semble enclin à penser que les hommes nés au Canada et qui (…) ont été envoyés au Japon devraient maintenant être autorisés à revenir. Quant à moi, je suis d’avis que cette affaire devrait être traitée avec une magistrale lenteur; même dans le cas des hommes ou des femmes nés au Canada, il me semble qu’ils devraient ‘souffrir pour leurs péchés’. Après tout, ce sont eux qui ont choisi d’aller au Japon; ils n’y ont pas été forcés. » [Traduction]

Photo noir et blanc de trois hommes debout devant un bateau.

Canadiens japonais déportés vers le Japon après la Deuxième Guerre mondiale à bord du S.S. General Meigs, un navire de l’armée américaine, au quai A du Chemin de fer Canadien Pacifique, Vancouver (Colombie-Britannique). Au premier plan, de gauche à droite : le caporal R. A. Davidson de la Gendarmerie royale du Canada, C. W. Fisher, et T. B. Pickersgill, commissaire au placement des Japonais, ministère du Travail, 16 juin 1946. (a119024)

Défi Co-Lab

Co-Lab, notre nouvel outil de production participative, offre aux Canadiens la chance de collaborer avec BAC à partir de leur ordinateur personnel. Au cours des prochains mois, BAC lancera un défi Co-Lab portant sur les images du registre. Les Canadiens touchés par l’histoire de ces déportations et qui veulent aider à garder vivants les noms des déportés pourront retranscrire les 3 964 noms et renseignements connexes. BAC espère ainsi offrir une version numérisée et consultable du registre, afin que les chercheurs puissent accéder à ses importantes annotations manuscrites et compiler d’autres statistiques sur les déportés. D’ici là, vous pouvez voir dès maintenant les pages du registre en utilisant notre outil Recherche dans la collection(bêta).

Nous ne pouvons pas réécrire l’histoire afin d’empêcher ces déportations, mais nous pouvons résoudre le mystère des annotations du registre. Et nous pouvons aussi veiller à ce que chaque inscription demeure accessible aux déportés, à leurs familles et aux chercheurs du monde entier, afin que tous puissent ressentir le pouvoir évocateur de ces noms et ne jamais oublier le lot de souffrances qu’ils portent, ainsi que tout le talent et le potentiel dont le Canada n’a pas su profiter.

En attendant le défi Co-Lab sur le registre, BAC vous lance un autre défi : il a réuni des photos de l’internement des Canadiens japonais. Nous sollicitons votre aide pour rédiger des descriptions et ajouter des mots-clés qui permettront de mieux mettre en contexte ces images historiques et de les rendre ainsi plus repérables. Participez au défi dès maintenant!

Pour en savoir plus sur Co-Lab et l’outil Recherche dans la collection(bêta), consultez notre précédent billet de blogue : Voici Co-Lab : l’outil qui vous permettra de donner un coup de pouce à l’histoire!

Pour d’autres informations sur le site Web de BAC

Approfondissez vos connaissances sur les déportations vécues par les Canadiens japonais, les camps d’internement au Canada et la campagne de redressement, ou consultez notre vaste collection en visitant notre page Web sur les Canadiens japonais.


R. L. Gabrielle Nishiguchi est archiviste à la section Société, emploi, affaires autochtones et gouvernementales de la Division des archives gouvernementales à Bibliothèque et Archives Canada.