Un nouveau chapitre pour notre blogue!

English version

Le blogue de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) entamera bientôt un nouveau chapitre! Après avoir publié plus d’un millier de billets sur une période de 15 ans, nous nous préparons à lancer un nouvel espace Web consacré aux récits et aux histoires.

Cet espace convivial sera conçu pour faciliter la découverte et les interactions avec les histoires des personnes qui ont vécu ici, au Canada. Nous souhaitons que ces récits reflètent toute la richesse des expériences canadiennes et touchent les communautés partout au pays.

Nous mettrons le blogue sur pause le temps de préparer ce nouvel espace moderne et attrayant. Nous reviendrons vous dévoiler le résultat à l’hiver 2026.

D’ici là, n’hésitez pas à nous écrire à histoire-story@bac-lac.gc.ca si vous avez des idées d’histoires à proposer.

Nous vous invitons à conserver votre abonnement au blogue pour l’instant, et à ouvrir l’œil pour le lancement du nouvel espace Web.

Merci de votre fidélité et de votre appui.

Traces d’un arpenteur de Parcs Canada à travers ses notes des années 1950

English version

Par Laura M. Smith

La collection permanente de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) conservée à Winnipeg comprend maintenant de nombreux carnets de terrain ayant appartenu à des employés de Parcs Canada. Ces carnets soigneusement remplis dans le cadre de différents projets d’arpentage menés dans les parcs nationaux contiennent des mesures, des calculs, des dessins techniques et des notes sur les conditions de terrain. D’une simplicité trompeuse, ces petits livres utilitaires à couverture rigide renferment une mine de données empiriques sur l’infrastructure des parcs. Il s’agit d’outils précieux pour les chercheurs dans un large éventail de domaines. Si ces carnets sont tous relativement semblables, l’un d’eux se distingue toutefois des autres. Au-delà des données de terrain méticuleusement consignées qu’il contient, le carnet Misc Surveys Winter ’56, ou Recensements de l’hiver 1956, recèle un trésor caché : les notes marginales d’un employé de Parcs Canada au sujet de son quotidien sur le terrain.

Dans ce type de carnets, les notes marginales, le texte et les images se fondent si bien à l’information principale qu’ils peuvent facilement échapper à un examen superficiel. Prenons l’exemple de cette note météorologique, banale en apparence, qui contient une touche personnelle inattendue : « ENSOLEILLÉ SUPER FROID – PAS DE CAFÉ CHAUD – 3 PO DE NEIGE – 27 JANV. 1956 » [traduction]. Ces subtils ajouts transforment le ton de l’habituel carnet de bord générique, lui conférant une dimension plus intime qui se rapproche d’un journal personnel ou d’une lettre. Ces ajouts sont cependant si discrets qu’ils ne dévoilent leurs secrets qu’à des lecteurs attentifs.

Page comportant une note manuscrite en anglais qui se traduit par ENSOLEILLÉ SUPER FROID – PAS DE CAFÉ CHAUD – 3 PO DE NEIGE – 27 JANV. 1956.

Contenu de la page 36B du carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

Les dessins techniques, que l’on retrouve typiquement dans ces carnets de terrain, servent à consigner des caractéristiques topographiques comme le niveau du lit d’une rivière ou le dénivelé d’une colline. Ici, l’auteur a ajouté des figures caricaturales amusantes à ses schémas.

Deux pages comportant de l’écriture manuscrite et des dessins.

Contenu des pages 17 et 26. (MIKAN 48775)

Les gribouillages retrouvés dans ce carnet semblent spontanés, nés soit de l’ennui ou d’une inspiration créative soudaine. Ils témoignent d’un humour subtil, teinté de sensibilité. Dans l’exemple suivant, on aperçoit en haut de la page un personnage rudimentaire, de profil, projetant un avion en papier jusqu’au bas de la page. Ces images amusantes suscitent notre curiosité et nous donnent envie de découvrir ce qui se trouve aux pages suivantes.

Page comportant de l’écriture manuscrite et des gribouillages.

Contenu de la page 37 du carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

L’esprit humoristique de l’arpenteur se reflète clairement dans ses notes. On y découvre par exemple le croquis d’un parapluie retourné, doté de trois poignées, accompagné de la légende suivante : « Deux singes dans un parapluie! » [traduction]

Page comportant un dessin d’un parapluie et une note manuscrite portant la mention : « Deux singes dans un parapluie! » [traduction]

Contenu de la page 39 du carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

Plusieurs annotations témoignent de l’esprit d’observation de l’employé de Parcs Canada en lien avec son environnement. Par exemple, sur l’une des pages du carnet, il immortalise au crayon des empreintes d’animaux, probablement observées dans le parc. Sur une autre page, il esquisse le logo d’un paquet de cigarettes Matinée avec filtre, une sorte de nature morte improvisée dessinée entre deux mesures d’élévation. Ces gribouillages semblent évoquer un moment de calme, une période d’inactivité ou peut-être quelques minutes libres pendant une pause. En poursuivant attentivement la lecture du carnet, on découvre d’autres détails sur l’auteur et son travail.

Page comportant un dessin d’empreintes d’animaux.

Contenu de la page 41 du carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

Une autre illustration trouvée dans ce carnet de terrain fait référence à une image de la culture populaire qui a été largement diffusée, principalement sous forme de graffiti, après la Seconde Guerre mondiale. Ce mème analogique, dont les origines sont contestées, est généralement connu sous le nom de « Kilroy » ou « Kilroy était ici », parce que l’image était souvent accompagnée de cette phrase. Le plus souvent, Kilroy est représenté comme un homme chauve au long nez, caché derrière un mur, soulevant la tête juste assez haut pour regarder par-dessus. BAC conserve dans ses collections un négatif en noir et blanc d’une photographie datant de 1959, tirée de la revue musicale Clap Hands (une production de l’Université de Toronto), qui représente un groupe de personnes prenant une pose qui rappelle les images « Kilroy était ici ». Bien que ce soit moins le cas de nos jours, l’image de Kilroy était très populaire et répandue à l’époque où ce carnet de terrain a été rempli.

Cinq personnes prenant une pose qui rappelle les images « Kilroy était ici » en tenant devant elles une bannière portant les mots CLAP HANDS.

L’une des photos prises dans le cadre de la revue musicale Clap Hands en 1959, Hart House, Université de Toronto, R11224-1856-3-E, Numéro de boîte : 6354, Numéro de dossier : Assignment 5916-1. Bibliothèque et Archives Canada/e010745731. Crédit : Walter Curtin.

La présence d’un dessin de Kilroy dans ce carnet ne manque pas d’intérêt. Elle permet de relier ce document à la culture visuelle populaire de l’époque. Le fait que l’image originale ait été produite sous forme de graffiti constitue clairement une source d’inspiration et d’intérêt pour quiconque crée ses propres notes marginales. Le croquis présente le personnage, dont on voit seulement la tête, caché derrière un tas de bûches à côté d’une hache. Cette scène, imprégnée de l’esprit de Parcs Canada, situe Kilroy à l’endroit où se trouvait alors l’arpenteur, dans le parc national Yoho. Il s’agit d’une étude de cas intéressante sur l’évolution des images populaires au fil du temps.

Une personne derrière trois bûches de bois. L’une de ces bûches sert d’appui à une hache.

Contenu de la page 43 du carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

La plupart des annotations et des notes marginales trouvées dans ce carnet de terrain sont relativement discrètes, insérées parmi les renseignements habituels. Cependant, deux entrées d’une page chacune, rédigées dans le style d’un journal, font exception. L’absence de pagination suggère ici que ces notes n’ont jamais fait partie du document officiel.

Note manuscrite.

Entrée non paginée dans le carnet de terrain Misc Surveys Winter ’56. (MIKAN 48775)

Ces notes, à la fois humoristiques et merveilleusement descriptives, plongent le lecteur contemporain au cœur de cette époque et de ce lieu précis. À la lecture du mot rédigé sur la page ci-haut, on peut presque entendre le vent hurler!  « 14 février 1956. Une Saint-Valentin très romantique aujourd’hui! Coincé dans le bois! Environ -15 degrés. Le vent fouette mes oreillettes à 32 miles à l’heure. Tom nous a téléphoné de Banff pour nous demander de mesurer la prise d’eau. Elle fait 310 pieds de longueur. Journée idéale pour l’arpentage, bien sûr, à part le fait que la ligne de visée gèle sans arrêt et que le vent la pousse vers une caténaire. Deux silhouettes immobiles sur les battures de la rivière font écho à notre majestueux palais de glace. L’une des silhouettes est celle de Nick MacDonald et l’autre, celle de Bill Bradshaw, qui est complètement gelé. Je suis dans la voiture et je bois du rhum. Tom! Tu ne sais pas ce que tu nous fais subir! Oh, si seulement j’étais de retour au 444, avec un bon feu de bois, deux coupes de vin et Rhona! 15 février 1956. – 26 degrés. Plus de rhum. Tout est dit. » [traduction]

Bien que ces entrées de journal correspondent au ton léger que l’on retrouve tout au long du carnet de terrain, elles en révèlent un peu plus sur les motivations de l’auteur. Il devient alors évident que le carnet de terrain n’a pas été créé uniquement dans un but transitoire, mais qu’il était bel et bien destiné à être conservé et consulté plus tard par d’autres personnes. L’auteur voulait que les remarques et plaisanteries au fil du carnet soient découvertes. Cela change notre compréhension des notes marginales, qui ne sont plus seulement personnelles, mais qui deviennent alors publiques. Les notes et les dessins griffonnés dans ce carnet avaient donc pour but de divertir. Certes, l’auteur n’envisageait pas que son carnet de terrain soit lu par un large public ou qu’il connaisse une telle longévité, mais nous avons la chance de pouvoir en profiter. Ce document nous plonge au cœur du quotidien de l’auteur, nous offrant un rare aperçu de ses expériences. Nous ne l’avons pas connu personnellement, mais ses notes humoristiques et son ton amical nous donnent un aperçu de sa personnalité. Ces notes, qui nous révèlent d’importants détails sur les conditions de travail d’un arpenteur des années 1950, enrichissent le carnet de terrain et constituent un précieux témoignage de la société de l’époque.


Laura M. Smith travaille au bureau régional de Winnipeg de Bibliothèque et Archives Canada.

La vie du carabinier Sulo W. Alanen

English version

Par Ariane Gauthier

Photographie sépia de Sulo W. Alanen, âgé d’environ 30 ans, publiée dans un journal finlandais annonçant son décès.

Photo de Sulo W. Alanen telle qu’elle est parue dans un journal finlandais annonçant son décès. (Source : Mémorial virtuel de guerre du Canada)

L’histoire de Sulo W. Alanen prend racine dans le village nord-ontarien de Nolalu, une petite localité près de Thunder Bay, qui a vu le jour grâce à l’arrivée des colons finlandais dans la région. Ceux-ci ont sans doute été attirés par l’industrie florissante du bois, le potentiel pour les exploitations agricoles, et la commodité du chemin de fer traversant Nolalu.

Matti Alanen, originaire de Jurva, en Finlande, faisait partie de ces immigrants qui ont bravé le sort en s’embarquant vers le Canada en 1904, poussés par la promesse d’une vie meilleure. Comme beaucoup de compatriotes, il s’installe à Nolalu, une communauté finlandaise en pleine croissance, fondée seulement quatre ans plus tôt. Il y trouve une certaine familiarité dans un pays étranger, entouré de voisins serviables finlandais. Matti choisit l’agriculture comme principal moyen de subsistance. En 1908, Hilma Lehtiniemi, originaire d’Ikaalinen, en Finlande, rejoint sa famille au Canada. À son arrivée à Nolalu, elle rencontre et épouse Matti, probablement vers 1910, comme le confirme le dossier militaire de Sulo, qui mentionne leur mariage en avril 1910 à Port Arthur, en Ontario.

Sulo, le troisième enfant et garçon du couple, est né le 13 mai 1914 à Silver Mountain, en Ontario, une petite localité minière près de Nolalu. La ferme familiale des Alanen semble avoir été située quelque part entre ces deux communautés, puisque le dossier de service de Sulo indique parfois qu’il réside à Silver Mountain, parfois à Nolalu.

Photographie en noir et blanc datant de 1888, montrant le village minier de Silver Mountain, entouré d’une vaste forêt et d’un paysage rural.

Village minier de Silver Mountain, 1888. (Source : a045569)

Sulo était l’enfant du milieu d’une fratrie de cinq. Le recensement de 1931 donne un aperçu de son enfance, en révélant que sa langue maternelle est le finnois. Cela n’a rien d’étonnant, étant donné que Nolalu était une communauté principalement finlandaise, où la majorité des colons partageaient cette même langue. Les déclarations de recensements des foyers voisins confirment cette réalité : presque tous les chefs de famille étaient originaires de Finlande et leur première langue était le finnois.

Extrait du recensement de 1931 pour Nolalu, présentant les membres de la famille Alanen, leur âge, leur sexe et leur lieu de naissance.

Capture d’écran du recensement de 1931 montrant la famille Alanen. Le nom de Sulo figure à la ligne 42 de la 5e page. (Source : e011639213)

L’anglais est venu plus tard pour Sulo, ses frères et sa sœur, probablement du simple fait qu’ils vivaient au Canada, puisqu’aucun d’eux n’a fréquenté l’école ni appris à écrire. Une grande partie de l’enfance de Sulo a été consacrée à travailler à la ferme familiale. À l’âge adulte, Sulo continue à travailler à la ferme de son père jusqu’à son enrôlement dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale. Son dossier de service mentionne également qu’il travaillait occasionnellement comme bûcheron pour accroître ses revenus.

Sulo est contraint de servir au 102ᵉ camp d’entraînement de base canadien à Fort William, conformément à la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, adoptée en 1941 par le gouvernement King dans la volonté d’un compromis visant à éviter une conscription généralisée. Cette loi oblige les hommes valides à contribuer à la défense et à la sécurité nationale du Canada. Après avoir terminé les 30 jours de service exigés par ce programme, Sulo prend une décision déterminante pour la suite : il s’enrôle volontairement, le 4 mai 1943.

Son enrôlement dans l’Armée canadienne coïncide avec les préparatifs essentiels des Alliés pour les débarquements du jour J, planifiés pour l’été 1944. De sa formation initiale au Camp Shilo, au Manitoba, jusqu’à son embarquement pour l’Angleterre, Sulo a un objectif clair : se préparer en vue de l’assaut sur Juno Beach.

Le navire à bord duquel il voyage arrive en Angleterre le 11 avril 1944, seulement deux mois avant l’opération Overlord. Le 27 avril, Sulo est affecté aux Royal Winnipeg Rifles, précisément au 2ᵉ groupe canadien de renfort de base. Cette affectation signifie qu’il n’est pas destiné à participer à la première vague d’assaut. En tant que membre de la compagnie C, il doit rejoindre les Royal Winnipeg Rifles après que ceux-ci auront percé le mur de l’Atlantique.

Le journal de guerre des Royal Winnipeg Rifles nous donne un aperçu de ce que fut le jour J pour Sulo et ses camarades. Les troupes sont informées à 21 h, la veille, que l’opération Overlord est lancée, et toutes accueillent cette nouvelle avec un certain enthousiasme. Le journal note : « Il régnait une atmosphère d’attente et un sentiment d’aventure sur tous les navires cette nuit-là. Nous étions à la veille du jour pour lequel nous nous sommes entraînés si durement et si longtemps en Angleterre. »

La longue journée commence à 4 h du matin par une tasse de thé et une collation froide. Le ciel est couvert; la mer agitée. À 5 h 15, les chalands de débarquement sont abaissés du navire Llangibby Castle, encore à environ 15 kilomètres de la côte. À 6 h 55, la marine royale et le soutien aérien commencent à bombarder la côte française. Les chalands atteignent la plage vers 7 h 49, et les compagnies B et D débarquent en premier. Comme le note sombrement le journal de guerre : « Le bombardement n’ayant tué aucun Allemand ni réduit au silence une seule arme, ces compagnies durent attaquer leurs positions “à froid” – et le firent sans hésiter. »

Les compagnies A et C touchent terre un peu plus tard, vers 9 h. La compagnie C débarque sur les secteurs Mike et Love de Juno Beach, où la plage et les dunes environnantes sont sous l’intense feu des mortiers. Cloués sur place pendant environ deux heures, les soldats parviennent finalement à se regrouper et, aux côtés de la compagnie A, avancent vers leur objectif, Banville. En chemin, ils affrontent plusieurs îlots de résistance qu’ils parviennent à neutraliser, jusqu’au sud de Banville, où l’ennemi s’est solidement retranché dans une position stratégique.

Carte de Juno Beach illustrant les mouvements de la 3e Division d’infanterie canadienne le jour J. Les parties agrandies indiquent le secteur de débarquement et le trajet de la compagnie C des Royal Winnipeg Rifles.

Carte de Juno Beach montrant les mouvements de la 3e Division d’infanterie canadienne le jour J. (Source : e999922605-u)

La première journée de la bataille de Normandie conduit les membres survivants des Royal Winnipeg Rifles jusqu’à Creully, vers 17 h, achevant ainsi la phase II de l’opération Overlord. Peu de temps de repos leur est accordé, en particulier à la compagnie C, qui doit repousser une attaque de patrouille ennemie à 2 h du matin. Les soldats parviennent à contrer l’assaut et font 19 prisonniers allemands, ce qui leur permet de bénéficier d’un court répit jusqu’à 6 h 15, heure à laquelle ils reçoivent l’ordre d’avancer à nouveau. Leur prochain objectif est la ligne OAK à Putot-en-Bessin.

Cet épisode marque le début de l’expérience éprouvante des Royal Winnipeg Rifles dans les jours suivant le débarquement, marqués par l’une des résistances allemandes les plus féroces et acharnées.

Photographie prise par le lieutenant Bell, photographe militaire, montrant de l’artillerie canadienne camouflée avec des branchages, Carpiquet, France, 4 juillet 1944.

Numérotations militaires 35899-36430 – Europe du Nord-Ouest — Album 75 de 110. (Source : e011192295)

Le 5 juillet, les Royal Winnipeg Rifles atteignent péniblement le village de Marcelet, où ils se livrent à la bataille de Carpiquet. Bien que le dossier de service de Sulo ne donne pas de détails précis sur les blessures qui ont mis fin à sa vie ce jour-là, le journal de guerre rapporte que son régiment est constamment soumis aux bombardements ennemis et aux mitraillages aériens tout au long de la journée. Dans ce chaos, Sulo aurait été soit touché par des éclats d’obus, soit enseveli sous les décombres de bâtiments effondrés. Sulo n’est pas retrouvé immédiatement et est signalé comme disparu. Son corps est enfin retrouvé après une légère accalmie dans les combats le 5 juillet, et il est officiellement déclaré tué au combat.

Comme de nombreux Canadiens qui ont donné leur vie lors du débarquement et de la bataille de Normandie, Sulo W. Alanen repose au cimetière de guerre canadien de Bény-sur-Mer dans le Calvados, en France. Il y est enterré dans la parcelle XV. G. 16, où son nom restera gravé à jamais.

Pour en savoir plus sur le sujet :


Ariane Gauthier est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

« Je veux rouler à vélo! » : Le cyclisme dans le Corps expéditionnaire canadien durant la Première Guerre mondiale

English version

Par Dylan Roy

« Enfourche ton vélo et vas-y! »

Ces mots, ma mère me les répétait souvent dans ma jeunesse lorsque je lui demandais de me conduire quelque part. Avec le recul, même si je lui en voulais parfois de m’obliger à rester actif (enfant un peu paresseux que j’étais), je suis reconnaissant d’avoir sillonné toutes ces rues à vélo pendant mon adolescence. En plus de m’offrir une bonne dose d’exercice, le vélo m’apportait une certaine autonomie et me permettait de tisser des liens sociaux dont j’avais grandement besoin.

À bien y penser, le vélo est un phénomène humain quasi universel. J’ai été surpris d’apprendre que même l’Armée canadienne y avait recours. Je n’avais jamais réfléchi aux raisons qui pouvaient en justifier l’usage. Le vélo me semblait être une activité trop éloignée de la réalité militaire, une activité réservée aux civils. Pourtant, l’Armée canadienne a intégré l’usage du vélo dans ses rangs pendant une grande partie de son histoire.

Les bicyclettes ont en effet joué un rôle central dans l’accomplissement des missions de certaines unités militaires. Cette série mettra en lumière les fonctions de ces unités cyclistes. Le premier volet portera spécifiquement sur les divisions ayant servi pendant la Première Guerre mondiale. Alors enfilez votre casque et pédalez vers les paragraphes qui suivent pour découvrir l’histoire des courageux cyclistes qui ont servi notre armée pendant la Grande Guerre.

Photographie panoramique montrant des dizaines de soldats au garde-à-vous à côté de leur vélo.

Photographie panoramique du 2e Bataillon de cyclistes du Corps canadien, Force expéditionnaire canadienne. (e010932293)

Commençons par souligner que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) propose de nombreuses ressources sur les divisions, compagnies et corps de cyclistes ayant servi durant la Première Guerre mondiale. L’une des plus précieuses est le Guide des sources pour les unités du Corps expéditionnaire canadien : Cyclistes. Ce guide est une mine d’informations pour les chercheurs sur de nombreux aspects de ces unités cyclistes. Il faut toutefois faire preuve de vigilance, car certaines des références archivistiques de ce guide comportent des erreurs de transcription. Malgré cela, ces outils restent d’une grande valeur pour la recherche.

Outre les ressources de BAC, l’Histoire officielle de l’Armée canadienne dans la Grande Guerre 1914-1919, Tome 1, Partie 1 constitue une source précieuse d’informations sur les unités cyclistes.

Cela dit, à quoi ressemblaient les missions des unités cyclistes durant la guerre? L’Encyclopédie canadienne résume leur rôle comme suit : « Pendant la Première Guerre mondiale, on encourage les jeunes hommes adeptes de la bicyclette à devenir membre du Canadian Corps Cyclists’ Battalion. Plus de 1000 hommes le font. Leurs tâches vont de la livraison des messages, de la lecture des cartes aux activités de reconnaissance et au véritable combat. »

Grâce à leur équipement particulier, les unités cyclistes bénéficiaient d’une mobilité supérieure à celle des unités d’infanterie, ce qui les classait parmi les troupes « montées », au même titre que le Canadian Light Horse Regiment (avec l’avantage que les freins étaient plus faciles à vérifier, comme dirait Lambert Jeffries). Vous pouvez d’ailleurs constater leur position hiérarchique dans l’Organigramme du Corps expéditionnaire canadien (CEC) de 1918 ci-dessous :

Deux captures d’écran d’un schéma représentant l’organisation de la Force expéditionnaire canadienne en 1918. La première illustre la hiérarchie de la Force expéditionnaire canadienne en détaillant les différentes chaînes de commandement. La seconde, tirée du même schéma, met en évidence la position hiérarchique du Bataillon de cyclistes du Corps canadien.

Deux images représentant un organigramme de la Force expéditionnaire canadienne en 1918. La première capture d’écran montre le schéma complet, alors que la seconde met en évidence la position du Bataillon de cyclistes du Corps canadien. (Organigramme du Corps expéditionnaire canadien de 1918)

Bien que les unités cyclistes aient joué un rôle actif pendant la guerre, elles ont d’abord dû suivre un entraînement rigoureux. BAC propose sur sa chaîne YouTube plusieurs vidéos sur l’Armée canadienne, dont une montrant une journée typique pour les membres des unités cyclistes en 1916. Ce film, un bien patrimonial de BAC, est offert en anglais seulement.

La vidéo montre l’importance de nombreux aspects, allant des tâches plus ordinaires de la vie militaire, comme la lessive, aux éléments cruciaux de la formation, tels que les exercices, la signalisation et la reconnaissance.

Quatre scènes du film The Divisional Cyclists : A Glimpse of a Day’s Training (1916). En haut à gauche, des hommes effectuent des exercices de signalisation synchronisés avec des drapeaux. En haut à droite, des soldats exécutent des exercices aérobiques légers. En bas à gauche, des soldats pédalent de manière coordonnée, côte à côte. En bas à droite, deux hommes participent à un exercice de reconnaissance à vélo en forêt.

Quatre scènes tirées de la vidéo The Divisional Cyclists : A Glimpse of a Day’s Training (1916) illustrant des exercices de signalisation, des entraînements et des initiatives de reconnaissance. (ISN 285582)

Une fois leur formation achevée, les unités cyclistes prenaient directement part aux efforts de guerre. Ces infatigables hommes à vélo avaient l’expérience du combat, participant à certaines des batailles les plus marquantes de la Première Guerre mondiale, telles qu’Ypres et Vimy. L’extrait suivant, tiré du journal de guerre de la 1re Compagnie divisionnaire canadienne de cyclistes, décrit les terribles événements de la bataille d’Ypres et le rôle de la division le 22 avril 1915, près d’Elverdinghe :

À 16 h 30, un bombardement intense a débuté sur le front, immédiatement à l’est de notre position. Toute la ligne semblait enveloppée d’un nuage de fumée verdâtre. À 18 h 30, on a signalé l’arrivée de nombreux soldats des troupes sud-africaines, déroutés, venant des tranchées de première ligne. Tous au bord de l’effondrement, ils se plaignaient d’un nouveau gaz mortel transporté par un léger vent du nord-est depuis les tranchées ennemies. On a donné l’ordre à la D.M.T. de se tenir prête.

À 19 h 15, des instructions en provenance du quartier général de la division ont été reçues, ordonnant un déplacement immédiat au Château des trois tours. Les cyclistes ont été positionnés en attente sur l’avenue menant à la route Elverdinghe – Ypres. La communication étant interrompue avec les différentes unités d’infanterie et d’artillerie, le quartier général de la division a demandé par moments aux cyclistes d’agir comme messagers auprès des quartiers généraux des différentes brigades. À 22 h 10, le lieutenant Chadwick et le 1er peloton ont été envoyés en patrouille profonde sur le front immédiat, au-delà du canal. Le caporal Wingfield et sa section ont été dépêchés pour une patrouille profonde derrière les lignes de tranchées sur notre flanc gauche. [traduction]

Capture d’écran du journal de guerre présenté ci-dessus.

Capture d’écran du journal de guerre de la 1re Compagnie divisionnaire canadienne de cyclistes. (e001131804, image 53)

Cet extrait illustre le chaos de la guerre et les épreuves endurées par de nombreux soldats lors de cette journée fatidique d’avril 1915. Il évoque également certains des aspects les plus marquants de la Première Guerre mondiale, notamment l’utilisation de gaz, décrits comme des nuages de fumée verdâtre. En outre, il offre un aperçu des principales missions accomplies par les cyclistes, notamment en matière de communications, de transport de messages et de patrouilles de reconnaissance.

Durant la guerre, les divisions cyclistes ont pris de l’ampleur. Puis, comme mentionné précédemment, un bataillon entier, le Bataillon de cyclistes du Corps expéditionnaire canadien, a été mis sur pied. BAC consacre une sous-série entière à ce bataillon. Des détails supplémentaires expliquant sa formation et sa dissolution sont fournis dans la section Biographie/Histoire administrative. En voici un extrait :

« Le Bataillon de cyclistes du Corps d’armée canadien [Canadian Corps Cyclist Battalion] a été constitué à Abeele en mai 1916 sous le commandement du major A. McMillan et a été formé en fusionnant la 1re, la 2e et la 3e compagnies de cyclistes de la Division canadienne. Le bataillon a été démobilisé à Toronto en avril 1919 et a été démantelé en vertu de l’ordonnance générale 208 du 15 novembre 1920. Au Canada, les compagnies de cyclistes faisaient appel à des recrues « disposant d’une intelligence supérieure à la moyenne et d’un bon niveau d’études » ». (n° MIKAN 190737)

En consultant les descriptions de niveau inférieur de cette sous-série, on découvre des documents relatifs au bataillon. La sous-série couvre une variété de sujets, notamment le programme d’entraînement de la compagnie de réserve des cyclistes et des témoignages de prisonniers de guerre canadiens, entre autres.

Treize officiers en uniforme ayant servi dans le Bataillon de cyclistes du Corps expéditionnaire canadien, janvier 1919. Sept hommes sont assis sur des chaises et six autres hommes se tiennent debout derrière eux.

Photographie des officiers du Bataillon de cyclistes du Corps expéditionnaire canadien, prise en janvier 1919. (PA-003928)

Les unités cyclistes canadiennes n’étaient pas en reste. Elles ont eu un impact significatif sur l’effort de guerre grâce à leurs missions en matière de reconnaissance, de communications, de signalisation et de combat actif. Il est impressionnant de penser que ces hommes, équipés de bicyclettes rudimentaires, ont parcouru les terrains hostiles de l’Europe pendant la Première Guerre mondiale pour accomplir leurs missions. Cela relativise bien mes propres plaintes lorsque je peine à gravir une colline en chemin vers le boulot, pourtant équipé d’une monture nettement plus moderne et performante. La détermination et le courage dont ont fait preuve les membres des unités cyclistes de l’Armée canadienne durant cette période sont une grande source d’inspiration.

Sources supplémentaires


Dylan Roy est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

Visite au Mémorial de Vimy : la boucle est bouclée (troisième partie)

English version

Par Rebecca Murray

En 2022, j’ai parlé de la recherche que j’ai faite pour déterminer si mon arrière-grand-père avait été présent à l’inauguration du Mémorial de Vimy, en 1936. L’année suivante, j’ai écrit la suite de l’histoire. Aujourd’hui, je conclus (probablement) cette trilogie sur mon histoire familiale.

Nous nous sommes laissés après avoir fait une formidable découverte : Thomas C. Phillips était effectivement tout près du Mémorial de Vimy en juillet 1936. Cependant, un point important demeurait à éclaircir : comment s’était-il rendu en France?

À l’époque, la traversée de l’Atlantique se faisait généralement par la mer. Selon un document familial, Thomas serait embarqué à bord du navire à vapeur Alaunia. Une recherche en ligne confirme que ce bateau a quitté Montréal le 20 juillet 1936. Thomas aurait donc pu arriver à temps (de justesse!) pour l’inauguration du 26 juillet. C’est donc ici que nous reprendrons notre recherche.

J’ai porté mon attention sur des listes de passagers et des documents semblables. Mon premier arrêt fut au comptoir de généalogie. J’ai en effet appris deux choses : un problème partagé est à moitié résolu, et mes collègues de la généalogie sont formidables! Je leur ai donc posé une question (vous le pouvez aussi) et j’ai appris que les listes de passagers ultérieures à 1935 sont conservées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Une demande d’accès à l’information est nécessaire pour les consulter. Quant aux documents antérieurs, ils font partie d’ensembles de données consultables sur le site de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Il faut utiliser des mots-clés comme « passager », « immigration » ou « frontière ».

J’ai longtemps tergiversé. Les passionnés de recherche parmi vous comprendront sans peine que je préférais ne pas céder les rênes de mon enquête. Pour éviter d’être entièrement dépendante, j’ai choisi une nouvelle approche toute simple : je suis allée voir de l’autre côté de l’océan et, plutôt que de chercher des documents sur les arrivées, j’ai cherché des départs (autrement dit, le voyage de retour de Thomas). Cette idée m’a menée aux Archives nationales du Royaume-Uni. Dans leurs archives numériques sur Findmypast, j’ai découvert non pas un, mais deux Thomas Phillips partis vers Montréal à l’été 1936. Je remercie de nouveau mes précieux collègues de la généalogie, dont l’expertise s’est avérée essentielle à cette étape de ma recherche.

Pour filtrer les résultats, j’ai cherché une date de départ à la fin de l’été et indiqué l’année de naissance de Thomas (1877). J’ai rapidement trouvé ce que je cherchais : une liste de passagers du navire à vapeur Antonia, de la compagnie Cunard, construit dans les années 1920. Quand j’y ai vu le nom de Thomas, j’ai eu envie de crier et de partager ma découverte avec quelqu’un, comme on le fait quand on est dans la salle de référence, mais quand on travaille de la maison, on obtient seulement les grommellements du chien dérangé pendant sa sieste.

La liste nous renseigne sur le voyage et sur Thomas. L’Antonia a quitté Liverpool le 28 août 1936 à destination de Québec et de Montréal. La plupart des données n’ont rien d’inhabituel, mais la colonne 8 (le dernier pays de résidence permanente) est particulièrement intéressante. On y trouve des régions du Royaume-Uni, d’autres parties de l’Empire britannique et des pays étrangers. Sans surprise, la plupart des passagers provenaient d’autres parties de l’Empire britannique. Peut-être que d’autres pèlerins canadiens étaient allés en France le mois précédent pour assister à l’inauguration du Mémorial de Vimy.

Page jaunie dressant la liste de quelques dizaines de passagers d’un paquebot.

Liste de passagers de l’Antonia, un navire de la compagnie de navigation Cunard White Star, qui a quitté Liverpool, en Angleterre, le 28 août 1936. L’information sur Thomas Phillips est encerclée en rouge. Source : Archives nationales du Royaume-Uni.

Nous y apprenons que la dernière adresse de Thomas au Royaume-Uni était « c/o 88 Leadenhall St, London ». Vous vous doutez bien que je me suis demandé ce qu’il y avait au 88, rue Leadenhall en 1936. Une petite recherche sur le Web a révélé qu’il s’agissait de la Cunard House, un édifice à huit étages où se trouvaient les bureaux de la compagnie de navigation Cunard et de ses succursales. J’ai aussi appris que les passagers donnaient souvent une adresse avec la mention « aux soins de » (care of, ou c/o), probablement pour faciliter la correspondance pendant leur voyage.

Armée de ces renseignements nouveaux, j’ai pu retourner dans les archives de BAC pour voir ce que je pourrais trouver au sujet de l’Antonia et du voyage de Thomas. Les collections d’archives à BAC donnent beaucoup d’information sur le navire, de ses origines en tant que paquebot de ligne à ses fonctions de transporteur de troupes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Évidemment, je me suis surtout intéressée aux documents sur le pèlerinage à Vimy!

BAC possède aussi des images de l’Antonia, dont cette magnifique photo prise pendant sa traversée vers l’Europe plus tôt cet été-là.

Le paquebot bicolore Antonia en mer. Le pont Jacques-Cartier et plusieurs navires à quai se trouvent à l’arrière-plan.

Pèlerins pour Vimy à bord de l’Antonia en partance de Montréal (Québec), 1936. Source : Clifford M. Johnston/Bibliothèque et Archives Canada/PA-056952.

J’ai ensuite épluché les journaux montréalais du début septembre pour voir si le retour de Thomas était mentionné dans les nouvelles maritimes. L’arrivée de l’Antonia est bel et bien documentée, mais mon arrière-grand-père n’est pas nommé. J’ai alors une fois de plus constaté que le plus difficile, dans une recherche archivistique, est parfois de savoir quand s’arrêter.

Je voulais d’abord savoir si mon arrière-grand-père avait assisté à l’inauguration du Mémorial de Vimy, et j’ai fini par me renseigner sur son voyage à l’aller et au retour. La recherche a été ponctuée de grandes découvertes et d’amères déceptions, ce qui est courant lorsqu’on fouille dans les archives. En plus d’obtenir de l’information, j’ai acquis de précieuses aptitudes en recherche, ce qui n’est vraiment pas à dédaigner. Bien loin de me décourager, je suis déjà prête à m’attaquer au prochain mystère familial! Vive les défis!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Le camp d’internement de Kapuskasing

English version

Par Ariane Gauthier

Nous établissons des liens surprenants tout le long de notre vie. Des choses que nous pensions confinées à notre travail ou à nos cercles sociaux surviennent de manière inattendue dans d’autres sphères. De mon côté, plusieurs longs voyages en voiture avec mon mari en direction du nord de l’Ontario m’ont menée à en apprendre plus sur le camp d’internement de Kapuskasing. Peu de personnes savent qu’il y avait des camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales. Et peu encore savent que ces camps n’étaient pas tous destinés aux prisonniers de guerre : plusieurs d’entre eux séquestraient des civils canadiens de nationalité dite « ennemie ».

Le camp de Kapuskasing a été actif du début de la Première Guerre mondiale, en 1914, jusqu’en 1920. On y confinait surtout des civils de nationalité ukrainienne. Ceux-ci étaient condamnés aux travaux forcés, construisant entre autres des bâtiments et rasant plusieurs hectares de forêts environnantes afin que le gouvernement puisse y établir une ferme expérimentale.

Photographie en noir et blanc du camp d’internement de Kapuskasing en juillet 1916. On y voit une enfilade de cabanes en bois devant lesquelles se tiennent des rangées de prisonniers et les gardes du camp.

Le camp d’internement de Kapuskasing. (e011196906)

Mon travail comme archiviste de référence m’a permis de creuser un peu plus dans les ressources de Bibliothèque et Archives Canada afin d’en apprendre davantage sur cette période sordide de l’histoire canadienne. J’ai ainsi retrouvé les documents de William Doskoch, né le 5 avril 1893 à Laza, en Galicie, un territoire de l’empire austro-hongrois qui appartient aujourd’hui à l’Ukraine.

En 1910, à l’âge de 17 ans, William Doskoch rejoint son frère au Canada pour travailler dans les mines de charbon de Nanaimo, en Colombie-Britannique. Alors qu’il est de passage à Vancouver en 1915, il se fait arrêter, étant considéré comme un ennemi de la nation. Il sera enfermé dans plusieurs camps d’internement : d’abord au camp de Morrissey, puis à celui de Mara Lake, et ensuite au camp de Vernon, avant d’être finalement transféré à Kapuskasing. C’est de là qu’il fut libéré cinq ans plus tard, le 9 janvier 1920.

Le fonds d’archives de William Doskoch est riche en ressources qui nous permettent de comprendre les camps d’internement selon la perspective d’une personne internée. Bien qu’on y trouve de l’information sur plusieurs camps, je m’intéressais surtout à ses notes sur Kapuskasing. Selon ces écrits, les conditions y étaient similaires à celles du camp de Vernon : maltraitance des prisonniers, exécutions aléatoires, plusieurs cas de tuberculose, et conditions d’internement inadéquates pour les températures froides.

Portrait studio d’un homme assis. Il tient dans sa main un journal.

Portrait de William Doskoch. (No MIKAN 107187)

J’ai aussi retrouvé une lettre écrite par George Macoun, garde au camp de Kapuskasing, qui relatait des événements survenus au camp entre novembre 1917 et l’été 1919. Bien que de moindre ampleur que le fonds William Doskoch, elle nous offre un aperçu assez rare de l’expérience d’un garde dans un camp d’internement.

Première page d’une lettre écrite à la main.

Lettre de George Macoun, garde au camp d’internement de Kapuskasing. (No MIKAN 102082)

Originaire d’Irlande, George Macoun immigre au Canada, où il se joint à la milice en février 1915. C’est ainsi qu’il en vient à prendre part aux opérations au camp d’internement de Kapuskasing. Il rédige cette lettre quelque temps après la fin de la guerre, après avoir été démis de ses fonctions comme garde. Un peu comme il le ferait dans des mémoires, il se remémore les expériences marquantes de son temps à Kapuskasing, entre autres les conflits et les tensions qui régnaient parmi les gardes en raison d’abus de pouvoir. Il raconte :

« Un petit incident est survenu en mars 1918 qui a soulevé la colère de l’ensemble du bataillon contre ce commandant, en raison de la manière absolument irrégulière, selon les procédures militaires, dont un cas fut géré. Lors d’une soirée dans la salle de loisirs, quelque temps pendant la dernière semaine de février 1918, un certain caporal, un des hommes les plus populaires de la garde, a eu le malheur de se saouler et de faire du tapage pendant la nuit, non seulement dans sa chambre, mais aussi dans une autre chambre. Cette information a été transmise par un mouchard à l’O.C. [officier commandant] bien connu, à peu près deux semaines plus tard, quand des accusations ont été portées contre le caporal. »

Le fonds du Secrétariat d’État du Canada regorge également d’information. On y trouve notamment une sous-série intitulée Documents touchant le Bureau du séquestre des biens ennemis et les opérations d’internement, couvrant la période de 1914 à 1951 (R174-59-6-F, RG6-H-1). Pendant les deux guerres mondiales, le Secrétariat d’État s’occupait entre autres des affaires découlant des opérations d’internement. Toutefois, certaines activités, comme celles touchant la gestion des propriétés des internés confisquées par l’État, ont éventuellement été transférées à d’autres ministères au fil des années. On y retrouve quand même de la documentation sur les certificats de libération des camps d’internement, ainsi que sur l’administration des camps. Les boîtes 760 à 765 inclusivement contiennent des documents relatifs aux opérations du camp de Kapuskasing.

Puisque l’information abonde, je m’attarderai seulement à quelques éléments intéressants pour Kapuskasing. Par exemple :

  • Selon la correspondance du directeur des opérations d’internement, la ferme expérimentale construite par les prisonniers de Kapuskasing a été achevée au début décembre 1917.
  • Selon les statistiques de décembre 1918, le camp détenait les prisonniers suivants : 607 Allemands, 371 Autrichiens, 7 Turcs, 5 Bulgares et 6 prisonniers « autres ». Une note suggère que la classification « autres » servait à désigner des prisonniers de guerre, mais ce n’est pas clair.
  • Plusieurs lettres écrites par des prisonniers à des membres de leur famille étaient censurées. C’est le cas des missives qu’Adolf Hundt envoyait à sa femme. Découragé par l’ampleur de la censure, il a renoncé à lui écrire, menant son épouse à s’inquiéter pour sa santé.

Ce billet de blogue vous a présenté un aperçu des renseignements qu’on peut dénicher sur le camp de Kapuskasing dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Celle-ci offre un immense potentiel pour mieux comprendre ce moment sordide de l’histoire canadienne. Nous avons donc créé un guide de recherche sur les camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales, qui m’a beaucoup servi dans la rédaction de ce billet de blogue.

Pour consulter le guide, suivez ce lien :


Ariane Gauthier est archiviste de référence au sein de la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

Les scénarios multimédias d’Oliver Hockenhull

English version

Par Brian Virostek

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient bouleverser certaines personnes, dont une illustration d’une pendaison publique. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre Mise en garde – terminologie historique.

Que se passe-t-il dans la tête d’un cinéaste expérimental confronté aux enjeux du contrôle et de la résistance, et qui souhaite par-dessus tout montrer cela à l’écran de façon à faire réfléchir son public?

Sur quels types d’archives peut-on compter pour comprendre un film qui n’a jamais eu de scénario et dont le réalisateur a rejeté les méthodes traditionnelles? Espérant obtenir réponse à ces questions, j’ai demandé à l’artiste multimédia Oliver Hockenhull s’il avait songé à faire don d’images ou de documents en même temps que ses films Determinations (1988, mis à jour en 2022) et Entre la langue et l’océan (1991). En réponse, il a généreusement donné un lot fascinant de documents qui, quoique peu volumineux, offre un aperçu de son processus créatif.

Parmi les documents clés, mentionnons une copie de la demande de subvention présentée par Hockenhull au Conseil des arts du Canada pour son film Determinations. Elle offre une description détaillée des thèmes abordés dans le film, ce qui nous permet de mesurer la démarche et l’engagement profond de l’artiste.

Un formulaire du gouvernement rempli à la machine à écrire.

Première page de la demande de subvention présentée par Hockenhull pour son film Determinations. (No MIKAN 6652053)

Cette demande de subvention jette aussi un éclairage sur le montage du film, réalisé sous forme de collage polyvalent. Hockenhull s’est inspiré de multiples facettes de son expérience, pleinement conscient que la réalisation du film serait en même temps une démarche de compréhension. Avant le tournage, il avait assisté aux procès des membres de Direct Action (The Squamish Five) et écrit à chacun. De toute évidence, il ne se contentait pas de suivre l’actualité : il voulait être là, en personne, ouvert au dialogue. Le film traduit bien la franchise qu’on dénote dans sa correspondance.

Les premières lignes d’une lettre manuscrite.

Lettre adressée à John Oliver Hockenhull par Doug Stewart, 4 janvier 1986. (No MIKAN 6652053)

Dans la lettre qui suit, on voit une étoile à cinq branches griffonnée dans la marge. On dirait cinq « A » majuscules, reliés à la base. On ignore à quel moment ce symbole a été apposé sur la lettre.

Lettre dactylographiée comportant une étoile dessinée à la main dans le coin supérieur gauche.

Lettre adressée à John Oliver Hockenhull par Ann Hansen. (No MIKAN 6652053)

Dernier détail (mais non le moindre) de cette demande de subvention : elle semble avoir été obtenue à la suite d’une demande d’accès aux renseignements personnels, un processus qui permet aux personnes de demander l’accès aux renseignements détenus à leur sujet par le gouvernement du Canada. Fidèle au sujet de son film Determinations, Oliver Hockenhull a exploré et mis à profit les rouages d’un système, nous invitant à prendre part à son enquête.

Les photographies et les diapositives contenues dans ce fonds d’archives révèlent que le film n’a pas pris naissance par écrit, dans un logiciel de traitement de texte, mais bien dans un atelier d’artiste où des photographies et des publicités pour des armes ont été fixées aux murs, mises en collage, combinées et recouvertes de peinture. Le collage ci-après illustre la rencontre entre l’image personnelle (représentée par la photo de famille) et la version créée par des procédés techniques, illustrée par les détails de la télécopie.

Copies d’une photo de famille et d’une télécopie assemblées en collage et recouvertes d’un vernis coloré.

Un collage réalisé sur les murs de l’atelier où une partie du film Determinations a été tournée. (No MIKAN 6652053)

Ici, on voit que des danseurs et des acteurs se sont retrouvés dans l’atelier aux côtés d’artistes visuels, et se sont intégrés au collage. Dans l’image ci-dessous, une publicité pour des armes a été copiée sur une diapositive puis projetée dans l’atelier, par-dessus un acteur.

Au premier plan, une personne brandit une arme à feu. À l’arrière-plan, on voit une publicité pour des armes, avec des ogives ornées d’étoiles et de rayures.

Un exemple de collage multimédia tiré du film Determinations : médias imprimés, projection de diapositive et performance d’acteur. (No MIKAN 6652053)

Sur la photo suivante, le caméraman et la preneuse de son tournent une scène dans une cuisine. Le réalisateur a opté pour un lieu étroit, mais réellement habité. L’espace étant trop exigu pour inclure les deux acteurs dans le cadre ou pour tourner depuis deux angles (comme dans un champ-contrechamp traditionnel), le réalisateur a choisi de filmer la conversation en écran partagé : il montre les deux personnages dans le même espace physique, mais dans des champs visuels distincts. Voilà un autre exemple où le cinéaste s’impose des contraintes matérielles tout en confrontant ses personnages à des questions difficiles. Chaque solution ajoute une pièce à la mosaïque de la compréhension.

Une femme debout sur un réfrigérateur tient un microphone, tandis qu’un homme filme à l’aide d’une caméra. Un projecteur placé à l’arrière éclaire la scène.

Tournage du film Determinations. (No MIKAN 6652053)

Dans l’exemple suivant, Hockenhull adopte une approche à la fois sculpturale et picturale, présentant une image altérée d’un visage reflété dans un miroir déformant : on voit une personne déchirée en deux, le regard d’un troisième œil suggérant un état méditatif. En continuant d’explorer son thème par divers médiums plastiques et performatifs, le réalisateur aboutit à une image emblématique, qui représentera d’ailleurs le film dans des photographies et des communiqués de presse.

Image déformée d’un visage d’homme.

Une personne déchirée en deux, le regard d’un troisième œil suggérant un état méditatif. (No MIKAN 6652053)

Bibliothèque et Archives Canada possède une copie du film Determinations dans sa version originale de 1988, ainsi que dans sa version de 2022 (accompagnée de la musique de Gerry Hannah, un ancien membre des Squamish Five).

Pour son film suivant, Entre la langue et l’océan, Oliver Hockenhull a commencé ses recherches à Bibliothèque et Archives Canada. Il s’est inspiré de la version publiée du Journal d’un patriote exilé en Australie, 1839-1845, de François-Maurice Lepailleur, ainsi que de textes et d’illustrations connexes. Les reproductions qu’il a obtenues ont alimenté son processus créatif.

Texte dactylographié.

Extrait du Journal d’un patriote exilé en Australie, 1839-1845, par François-Maurice Lepailleur. (No MIKAN 6652066)

Après l’idéalisme révolutionnaire qui se dégage du texte ci-dessus, nous découvrons ensuite la correspondance de fonctionnaires de la période coloniale immergés dans un univers d’intrigues et de violences. Ci-dessous, l’auteur de la lettre avertit le destinataire de l’existence de complots visant à l’assassiner, par exemple en l’empoisonnant.

Lettre manuscrite.

Lettre adressée au lieutenant-général Jim John Colborne, New York, 15 décembre 1838. (No MIKAN 6652066)

Les recherches du réalisateur révèlent en outre que les patriotes révolutionnaires (comme Lepailleur) furent confrontés à une autre forme de violence, comme en témoigne l’illustration ci-dessous. La prison des Patriotes-au-Pied-du-Courant, qu’on voit à l’arrière-plan, est aujourd’hui un petit musée montréalais qui vaut le détour.

Dessin d’Henri Julien représentant une exécution devant une prison à Montréal.

Un sentiment de violente oppression imprègne le film, transmis de manière symbolique plutôt que littérale. (No MIKAN 6652066)

Comme dans son film précédent, Determinations, Hockenhull cherche une voix authentique, s’appuyant sur des journaux et de la correspondance pour raconter son histoire. L’écriture et les illustrations plus longues et fluides se reflètent dans la production, non seulement dans les costumes et les décors, mais aussi par une mise en scène plus somptueuse et maîtrisée. On peut le voir sur cette diapositive de photographie prise sur le plateau :

Deux silhouettes devant un rideau éclairé de teintes rouge orangé émanant d’une boule de feu crachée par un artiste de cirque à l’arrière-plan.

Mise en scène théâtrale tirée d’Entre la langue et l’océan et intégrant des éléments non diégétiques, comme un artiste de cirque en arrière-plan. (No MIKAN 6652066)

L’image suivante présente un collage assemblé par Hockenhull à partir d’instantanés Polaroid annotés de codes temporels. Sur les images où Lepailleur est assis sur une chaise, on voit en arrière-plan une ancienne carte de l’Australie. Comme dans son travail précédent sur le film Determinations, le réalisateur a rassemblé des documents visuels durant sa phase de recherche, a reproduit les images sur des diapositives et les a projetées dans la scène. Mais on note ici une certaine sophistication : en continuité à la mise en scène, l’image est intégrée au moyen de la projection frontale, une technique d’effets spéciaux qui permet aux images projetées de remplir l’arrière-plan de manière homogène, sans masquer les acteurs.

Une grille de six images, dont cinq illustrant chacune une personne différente, et une affichant les années « 1837 » et « 1838 ». Chaque image comporte un code temporel dans le coin inférieur droit.

Collage d’instantanés Polaroid réalisé par Oliver Hockenhull. (No MIKAN 6652066)

C’est une expression de l’histoire en fractions de seconde, composé d’impressions Polaroid et d’illustrations recadrées, comme un scénarimage après coup. Le cinéaste relie ces événements disjoints en laissant leurs contours se frôler, pour reconstruire à partir de ces fragments un monde cohérent.


Brian Virostek est archiviste à la Direction générale des archives et du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Salade à l’ananas et au fromage des années 1950

English version

Bannière Cuisinez avec Bibliothèque et Archives Canada

Par Ariane Gauthier

Les années 1950 ont été une décennie déterminante pour le consumérisme dans le monde occidental, en particulier dans les Amériques. La croissance économique, les progrès technologiques et les médias de masse ont joué un rôle central dans la formation d’une culture axée sur la consommation qui s’est imposée dans l’après-guerre. Cette transformation a jeté les bases de la société de consommation moderne et de l’économie mondiale qui allaient continuer d’évoluer au cours des décennies suivantes.

Dans les années 1950, l’essor des conserves aux États-Unis a marqué un changement clé dans la culture alimentaire américaine et, par extension, canadienne. À mesure que de plus en plus de femmes entraient sur le marché du travail et que les horaires familiaux chargés devenaient la norme, les produits en conserve comme les légumes, les soupes et les viandes offraient une solution rapide et fiable pour la préparation des repas. Ce boum a été alimenté par les progrès des technologies de conservation des aliments, qui ont rendu les produits en conserve abordables et accessibles au ménage moyen. Avec l’avantage supplémentaire d’une longue durée de conservation, ces produits ont contribué à redéfinir la cuisine maison, pour la rendre plus simple et plus efficace, tout en répondant à l’appétit croissant des consommateurs pour des produits pratiques.

C’est dans ce contexte historique que la Kraft Foods Limited a publié le livret 40 famous menus from O.K. Economy & Shop-rite (Quarante menus populaires des magasins O.K. Economy et Shop-rite), une recette duquel fera l’objet de cet article de blogue.

La couverture de 40 famous menus from O.K. Economy & Shop-rite. On y voit des images de certains plats préparés suivant les recettes du livret.

40 famous menus from O.K. Economy & Shop-rite. (OCLC 1006679567)

On y trouve une multitude de recettes mettant en valeur les divers produits Krafts. Mais je m’intéressais surtout aux recettes à base d’aspic ou de gélatine. Ce qui me fascinait, entre autres, c’était que le but premier de plusieurs recettes avec de la gélatine n’était pas tant d’être appétissantes que de vouloir impressionner. À la base, les recettes avec gélatine cherchaient surtout à mettre en valeur la beauté des moules qu’on pouvait se procurer et l’art esthétique d’y figer des crudités. Dans les années 1950, les choses ont changé un peu, il y avait un désir de manger de l’aspic pour le plaisir de son goût, mais l’idée d’impressionner demeurait, comme on peut le voir avec la recette que j’ai choisie.

La recette comprend des images des étapes de cuisson à la droite et une suggestion de menu au haut de la page.

Recette de salade à l’ananas et au fromage. (OCLC 1006679567)

Les ingrédients témoignent d’une volonté sincère de vouloir créer un plat goûteux. En théorie, les saveurs devraient bien se mélanger. Le seul intrus, quelque peu suspect, est le fromage cheddar râpé. Cela dit, on remarque, dans l’avant-dernière phrase de la première étape, le désir d’impressionner que j’ai soulevé plus tôt : Add to lime jelly, then pour a small amount (enough to make a thin layer on the bottom) into a 6-cup star mold, or other fancy-shaped mold. qu’on peut traduire par « Ajouter à la gelée à la lime, ensuite verser une petite quantité (assez pour former une fine couche) dans un moule en forme d’étoile de 6 tasses, ou tout autre moule de forme de fantaisie. »

La précision au sujet du style du moule trahit, à un certain degré, l’intention de créer quelque chose d’impressionnant.

Sur ce, je me suis lancée dans la confection de cette recette en espérant avoir trouvé là quelque chose qui serait savoureux.

Les ingrédients sont les ananas broyés en conserve, le paquet de poudre de gelée à la lime, la brique de fromage à la crème, et le bloc de fromage cheddar.

Les ingrédients pour la recette de salade à l’ananas et au fromage, avec le moule. (Photo par Ariane Gauthier)

Une fois les ingrédients réunis, la recette se fait assez rapidement. Pour commencer, il fallait dissoudre le jello à la lime dans une tasse d’eau chaude, ensuite le mélanger avec le jus d’ananas, puis verser une fine couche du liquide dans le moule. Une fois fait, il fallait laisser reposer le moule au réfrigérateur pour que la gelée fige un peu.

Il faut commencer par égoutter les ananas broyés pour en tirer le jus. Ensuite, mélanger le sachet de poudre de gelée dans une tasse d’eau chaude et y ajouter le jus réservé.

La première étape de la recette, soit la préparation du jello à la lime. (Photos par Ariane Gauthier)

Une fois la première étape accomplie, il faut verser une fine couche du jello liquide dans le moule et laisser figer au réfrigérateur.

Versage à la louche de la première couche de jello dans le moule. (Photo par Ariane Gauthier)

En attendant, j’ai passé à la prochaine étape. J’ai combiné le reste du mélange liquide de jello à la lime et jus d’ananas avec le fromage à la crème. J’ai malaxé le tout jusqu’à ce que ce soit bien lisse et j’ai ensuite mis le bol au réfrigérateur pour une trentaine de minutes.

Il faut combiner le restant du mélange liquide jello-jus avec le fromage à la crème. Une fois bien incorporé, le laisser dans son bol et l’envoyer au frigo pour qu’il épaississe.

La deuxième étape de la recette de salade à l’ananas et au fromage. (Photos par Ariane Gauthier)

Ceci a permis d’épaissir le liquide et de pouvoir intégrer les ananas broyés et le fromage cheddar râpé de manière homogène. Après, il était question d’ajouter ce mélange dans le moule puis qu’il repose au frigo quelques heures.

Une fois le mélange épaissi, il faut intégrer l’ananas et le cheddar râpé avant de tout déposer dans le moule.

La quatrième étape de la recette de salade à l’ananas et au fromage. (Photos par Ariane Gauthier)

Le lendemain, j’ai apporté le produit fini au travail et j’ai eu le plaisir de révéler le plat à mes collègues. Voici le résultat :

La salade à l’ananas et au fromage en trois temps.

Salade à l’ananas et au fromage. (Photos par Mélanie Gauthier)

Au moment de retourner le moule dans une assiette, la révélation s’est faite au son de « oh! » et de « ah! » inquiets, voire quelque peu dégoûtés. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’attendais à ce que le produit fini soit plutôt jaunâtre et non vert. Sous le regard de mes collègues, j’ai pris la première bouchée et j’ai été en mesure d’en encourager un autre à essayer ladite « salade ». Son commentaire englobe bien mes propres impressions. Il a dit : « C’est la trinité maudite : température, texture et saveur écœurantes. »

À la fin, nous n’étions que cinq à avoir osé essayer le plat. Les autres se sont contentés de l’odeur intense du fromage à la crème et de l’expérience émétique de trancher la gélatine.

C’est la première recette que je ne vous recommande pas d’essayer. Cependant, je continue à croire malgré cet échec qu’il est possible de créer une recette de gélatine ou d’aspic savoureuse.

N’hésitez pas à partager vos concoctions dans les commentaires ou en utilisant le mot-clic #CuisinezAvecBAC et en étiquetant nos médias sociaux : FacebookInstagramX (Twitter)YouTubeFlickr et LinkedIn.

Autres ressources


Recette – Salade à l’ananas et au fromage

1 paquet de gelée en poudre à saveur de lime
1 tasse d’eau chaude
1 tasse d’ananas broyés en conserve
1 paquet de 8 oz de fromage à la crème Philadelphia
1 paquet de 8 oz de fromage cheddar fort de marque Cracker Barrel
Chicorée frisée ou laitue

  1. Dissoudre la gelée en poudre à la lime dans l’eau chaude. Égoutter l’ananas; mesurer le jus et ajouter de l’eau froide pour obtenir 1 tasse. Ajouter à la gelée à la lime, puis verser une petite quantité (assez pour faire une fine couche au fond) dans un moule en étoile de 6 tasses, ou tout autre moule de forme de fantaisie. Laisser refroidir au réfrigérateur.
  2. Pendant ce temps, ramollir le fromage à la crème. Ajouter graduellement le reste du mélange de gelée au fromage à la crème, en mélangeant jusqu’à l’obtention d’une consistance lisse. Réfrigérer jusqu’à ce que le mélange épaississe légèrement.
  3. Râper le fromage cheddar de marque Cracker Barrel.
  4. Intégrer le fromage râpé et l’ananas broyé au mélange de fromage à la crème légèrement épaissi. Verser sur la couche de gelée ferme dans le moule. Laisser refroidir au réfrigérateur jusqu’à ce que la gelée soit ferme.
  5. Démouler sur un plat de service. Garnir avec de la chicorée frisée ou de la laitue.

Donne 6 portions.


Ariane Gauthier est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

L’éducation dans les externats sous le régime de la Loi sur les Indiens : quelles conséquences pour les enfants inuit et métis?

English version

Par William Benoit et Alyssa White

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Des années 1860 aux années 1990, le gouvernement fédéral a exploité près de 700 externats indiens fédéraux dans tous les territoires et toutes les provinces (à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador), avec la collaboration des églises presbytérienne, unie, anglicane et catholique. Contrairement aux pensionnats indiens, les externats fonctionnaient seulement durant le jour. Leur but était cependant le même : assimiler les enfants des Premières Nations, inuit et de la Nation Métisse à la société « blanche » en effaçant en eux les langues et les cultures autochtones.

Maison de bois blanche avec un toit en croupe, derrière une clôture de fil de fer supportée par des poteaux en bois. La porte métallique de la clôture est ouverte.

Externat de Fishing Lake près de Wadena (Saskatchewan), vers 1948. (e011080261)

De nombreux élèves autochtones ont subi des abus verbaux, physiques et sexuels dans les externats. De plus, les communautés n’avaient pas leur mot à dire sur les programmes d’étude et le fonctionnement de ces établissements. Dans les années 1970, 1980 et 1990, le gouvernement fédéral a commencé à céder le contrôle sur les externats aux Premières Nations et aux Inuit, et les communautés ont enfin pu gérer – du moins en partie – l’enseignement donné à leurs enfants.

Selon Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, de 180 000 à 210 000 élèves ont fréquenté les externats fédéraux entre 1923 et 1994 (une estimation fondée sur les données historiques et l’expertise statistique du Ministère). Les trois groupes autochtones n’ont pas été touchés de la même façon, les élèves des Premières Nations étant plus nombreux que les élèves inuit et métis. Chaque groupe avait une relation particulière avec le gouvernement fédéral, et des problèmes distincts concernant les services d’éducation que le gouvernement prétendait offrir. Par exemple, le gouvernement accepterait-il d’assumer ses responsabilités en matière d’éducation et de financement pour les Inuit et les Métis? Les documents concernant les divers groupes n’étaient pas conservés avec le même soin et la même cohérence non plus.

Le présent article aborde les répercussions des externats fédéraux sur les Inuit et la Nation Métisse, dont les expériences divergent de celles des Premières Nations et ne sont généralement pas aussi bien documentées.

Enfants de la Nation Métisse dans les externats indiens fédéraux : des chiffres impossibles à déterminer

La présence d’enfants métis dans les externats ne fait aucun doute, mais connaître leur nombre est pratiquement mission impossible. On peut raisonnablement présumer que les élèves métis et indiens non inscrits qui vivaient dans la zone d’implantation d’un externat le fréquentaient, surtout s’il n’y avait pas d’école provinciale ou religieuse à proximité.

Le gouvernement fédéral s’est davantage préoccupé des personnes assujetties à la Loi sur les Indiens – c’est-à-dire les Indiens inscrits –, aux dépens des personnes considérées comme Métis et Indiens non inscrits. Il faut en tenir compte quand on aborde la question de la fréquentation des externats. Cela rend compte de la difficulté pour les Métis d’obtenir des services gouvernementaux, par exemple en santé et en éducation. En fait, les Métis et les Indiens non inscrits tombaient dans une sorte de vide juridique : les gouvernements provinciaux et fédéral se renvoyaient la balle, chacun refusant d’assumer ses responsabilités et son pouvoir législatif.

La Loi sur les Indiens

L’enjeu plus global du statut d’Indien défini dans la Loi mérite également notre attention, notamment en ce qui concerne ses répercussions sur l’identité des Autochtones.

Sous le régime de la Loi, les Indiens inscrits sont sous la protection du gouvernement canadien. Cette relation juridique paternaliste découle d’une vision impérialiste considérant les Autochtones comme des enfants auxquels il faut montrer un mode de vie colonial « civilisé ». Le gouvernement a créé les externats et les pensionnats indiens fédéraux afin de contrôler ses pupilles.

La Loi sur les Indiens ne s’applique qu’aux Indiens inscrits. Les Inuit et les Métis n’étant pas considérés comme des Indiens, ils ont été privés des droits que confère ce statut, même s’ils étaient Autochtones et contribuaient à former la nation canadienne.

Contexte historique entourant l’identification des enfants de la Nation Métisse

Pour qu’on sache avec précision le nombre d’élèves ayant fréquenté les externats parmi les Indiens non inscrits (Premières Nations), les Inuit et les Métis, il aurait fallu que le gouvernement fédéral reconnaisse sa responsabilité juridique à leur égard. Dans le cas des Inuit, on considère généralement que l’obligation juridique du gouvernement a commencé en 1939, quand la Cour suprême a tranché la question de savoir si les « Esquimaux » étaient des « Indiens » (1). Pour ce qui est des Métis et des Indiens non inscrits, la date communément admise est 2016, année où la Cour suprême a statué que ces groupes doivent légalement être considérés comme des « Indiens » au sens de la Loi constitutionnelle (2).

Les documents du gouvernement fédéral témoignent d’une triste réalité : très peu de données ont été recueillies lorsqu’il n’y avait aucune obligation légale de servir ces communautés. Par conséquent, les documents sur les externats produits entre les années 1860 et 1990 n’identifient pas les élèves métis et non inscrits. On peut dire la même chose des Inuit avant 1939. Les sources gouvernementales ne permettent donc pas de connaître avec précision le nombre d’enfants métis ayant fréquenté les externats.

Enfants inuit dans les externats indiens fédéraux : loin de leur famille et de leur foyer

Quatre régions forment actuellement l’Inuit Nunangat : la région désignée des Inuvialuit (dans le nord des Territoires du Nord-Ouest), le Nunavut, le Nunavik (dans le nord du Québec) et le Nunatsiavut (dans le nord du Labrador). Les premiers externats fédéraux ont été ouverts dans le sud du Canada au début des années 1860. Il a fallu attendre la fin des années 1940 et le milieu des années 1950 pour que des externats soient ouverts au Nunavut.

Carte montrant la mer en bleu et la terre en vert pâle. Les noms des communautés sont écrits en caractères syllabiques inuktitut, et suivis des noms inuit et anglais.

Carte de l’Inuit Nunangat (territoire des Inuit), gracieuseté d’Inuit Tapiriit Kanatami.

Parmi les externats les plus proches des enfants inuit, mentionnons ceux à Old Crow Village (Yukon), Fort Simpson (Territoires du Nord-Ouest), Churchill (Manitoba), Fort Severn (Ontario) et Fort George (Québec). Certains de ces établissements éloignés fermaient parfois leurs portes pendant plusieurs années.

Contrairement aux élèves des pensionnats indiens (ou foyers fédéraux), hébergés pendant des mois loin de leurs familles, les élèves des externats pouvaient rentrer chez eux le soir. Mais les besoins des communautés inuit étaient largement ignorés puisque les externats étaient souvent construits dans les communautés des Premières Nations (ou à proximité), une situation qui a perduré jusqu’aux années 1940.

Les externats avaient pour but d’éviter les séparations. Pourtant, les enfants inuit étaient emmenés loin de chez eux, parfois sans avertissement. Leur nouveau milieu différait par le climat, l’écosystème, la culture sociale et la langue. Même la faune et la flore étaient méconnaissables. Parler d’un choc serait bien en deçà de la vérité pour décrire leur expérience.

La photo ci-dessous semble montrer un moment heureux : deux garçons souriants profitent d’une journée en plein air avec leurs familles pour aller voir un avion dans le hameau d’Iglulik. Ce que l’image ne dit pas, c’est qu’ils ignorent qu’on les embarquera dans quelques minutes à bord de cet avion qui les transportera à 800 kilomètres de là, à l’externat fédéral Sir Joseph Bernier, à Igluligaarjuk (Chesterfield Inlet). (3)

Deux garçons debout sur la rive regardent l’objectif.

Kutik (Richard Immaroitok) et Louis Tapadjuk, Iglulik (Nunavut), 1958. (e004923422)

Comme la présence à l’école est devenue obligatoire dans les années 1920, le contrôle du gouvernement fédéral sur l’éducation des enfants inuit imposait certainement un stress et des craintes aux familles.

Les externats nordiques étaient de petites installations comprenant généralement d’une à trois classes ainsi qu’une résidence pour le personnel. Selon leur emplacement, ils pouvaient accueillir de 8 à 20 élèves environ. Lorsqu’un externat était comblé, les autres enfants de la région étaient envoyés dans un autre établissement, au sud ou à l’ouest.

Deux bâtiments en bois de plain-pied, peints en vert pâle, sur un terrain rocailleux. On voit à l’arrière-plan une haute colline couverte d’arbres. À gauche se trouve une pancarte blanche avec du texte en noir, fixée sur des poteaux de bois.

Externat de Qunngilaaq (anciennement Reindeer Station, Territoires du Nord-Ouest), entre 1950 et 1960. (e011864959)

Les enfants qui n’avaient pas accès à un externat local étaient envoyés dans un pensionnat, une pension de famille ou un foyer d’accueil, à plusieurs centaines ou milliers de kilomètres de leur famille et de leur milieu de vie, confiés à de parfaits étrangers dans des lieux qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils n’avaient pas le droit de quitter. Les distances et les coûts des déplacements empêchaient souvent toute visite familiale. Résultat : certains enfants inuit étaient séparés de leur famille pendant des années.

Des externats ont été construits partout au pays dans les années 1940 à 1980, comme ceux dans le Grand Nord, pour servir les communautés isolées sur la rive sud de l’île d’Ellesmere et de Resolute Bay (Nunavut).

Pour donner une idée de la répartition des externats au Canada et des difficultés des communautés éloignées, sur les 699 externats connus, seulement 75 devaient servir le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le nord du Québec. À peine 7 d’entre eux existaient avant les années 1940 (au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest); les 68 autres furent construits entre 1940 et 1969.

Le projet sur les externats

Le projet sur les externats vise à repérer, décrire, numériser et rendre accessibles des documents gouvernementaux sur les externats indiens fédéraux. À terme, le public pourra consulter ces documents.

Les documents numérisés comprennent des listes nominatives d’externats, des documents sur les pensions de famille, les foyers d’accueil et autres foyers, des demandes et autorisations de transfert ainsi que des documents sur les adoptions ou les départs des externats. Ils peuvent servir à retracer le parcours de nombreux enfants autochtones dans les externats et les divers types de foyers.

Soulignons toutefois que l’accès à la plupart des documents sur les externats est restreint selon la loi. Pour les consulter, il faut avoir recours aux lois sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. Malgré ces embûches, le projet vise à jeter les bases qui faciliteront autant que possible l’accès aux documents. Pour cela, il faut notamment rendre les procédures et les ressources plus faciles à comprendre et à utiliser. Les descriptions détaillées des archives sont un pas dans cette direction. Pour plus de renseignements sur la façon d’accéder aux documents numérisés grâce au projet, consultez l’aperçu du projet et son guide de recherche.

Les Premières Nations, les Inuit et la Nation Métisse doivent avoir accès à leur histoire pour guérir, apaiser leurs souffrances et aller de l’avant. Le public canadien doit aussi y avoir accès, pour mieux comprendre comment le pays s’est construit et former un avenir meilleur pour tout le monde.

Le chemin vers la réconciliation est long. L’accès à l’information et la sensibilisation du public seront essentiels pour progresser. La souveraineté des Autochtones sur leurs données et l’accès communautaire aux documents sont deux des principaux obstacles qu’il reste à franchir.

Autres ressources de Bibliothèque et Archives Canada

Ressources externes

Références

  1. Reference as to whether “Indians” includes “Eskimo”,1939 CanLII 22, [1939] SCR 104. Cette décision de la Cour suprême du Canada porte sur la reconnaissance constitutionnelle des Inuit au Canada. L’affaire porte sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui s’appelait alors Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Cette disposition conférait au gouvernement fédéral une compétence législative sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens ». La Cour suprême considérait qu’aux fins du paragraphe 91(24), les Inuit devaient être considérés comme des Indiens.
  2. Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 SCC 12, [2016] 1 SCR 99. Cette décision de la Cour suprême du Canada porte sur la reconnaissance constitutionnelle des Métis et des Indiens non inscrits au Canada. Ceux-ci sont également considérés comme des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24). La Cour estime que c’est le gouvernement fédéral et non les gouvernements provinciaux qui ont la responsabilité juridique de légiférer sur les enjeux qui concernent les Métis et les Indiens non inscrits. Le paragraphe 91(24) de l’Acte constitutionnel, 1867 traite des compétences exclusives du gouvernement fédéral.
    Le statut d’Indien (personne des Premières Nations) au sens de l’Acte constitutionnel n’est pas le même que le statut d’Indien inscrit défini dans la Loi sur les Indiens. Cette décision de la Cour suprême n’accorde donc pas le statut d’Indien aux Métis et aux Indiens non inscrits. Elle pourrait cependant engendrer de nouvelles discussions et négociations, voire des litiges contre le gouvernement fédéral au sujet des revendications territoriales et de l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à d’autres services gouvernementaux.
  3. Greenhorn, Beth. « The Story behind Project Naming at Library and Archives Canada », dans Atiquput: Inuit Oral History and Project Naming, Carol Payne, Beth Greenhorn, Deborah Kigjugalik Webster et Christina Williamson (directrices de publication), 70-71. Montréal et Kingston: Presses de l’Université McGill-Queen’s, 2022.

William Benoit est un conseiller autochtone pour le projet sur les externats.
Alyssa White est adjointe en archivistique pour le projet sur les externats.

Comprendre les documents sur les externats à Bibliothèque et Archives Canada

English version

Par Marc St. Dennis

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Le projet sur les externats de Bibliothèque et Archives Canada vise à repérer, numériser et décrire les documents sur le système des externats indiens fédéraux, afin de les rendre plus accessibles aux survivants, à leurs familles et aux chercheurs. De nombreux enfants inuit, des Premières Nations et de la Nation Métisse ont fréquenté ces écoles, qui s’inscrivaient dans un ensemble de politiques d’assimilation coloniales. Les premiers externats financés par le gouvernement fédéral ont vu le jour dans les années 1870; les derniers ont fermé leurs portes (ou ont été cédés à des communautés) au début des années 2000. Quant au projet sur les externats, il a commencé en 2022 et devrait se conclure en 2026.

Une carte, un plan technique et cinq photos noir et blanc sur du papier jauni.

Plan du site, plan technique et photographies de l’externat d’Aiyansh, près de Terrace (Colombie-Britannique), 1967. RG22, boîte no 10, dossier no 2909. (e011814153)

En tant qu’archiviste affecté à ce projet, j’ai passé des journées à éplucher des documents historiques, certains banals, d’autres fascinants, et d’autres encore portant le poids du passé. Si vous vous demandez ce qu’ils contiennent, vous êtes au bon endroit.

La recherche sur les externats est en quelque sorte un travail de détective. On ouvre un dossier en espérant trouver une réponse claire, mais on se retrouve avec des rapports administratifs, des documents financiers ou des dossiers médicaux. Il y a souvent des surprises, comme le plan d’une école dessiné à la main au dos d’une vieille note de service. Pour s’y retrouver, il faut absolument savoir ce que les divers types de documents peuvent nous apprendre.

À la recherche des injustices

Même les documents courants peuvent révéler de profondes injustices. Les externats faisaient partie d’un système visant à assimiler les enfants inuit, des Premières Nations et de la Nation Métisse. Une discipline sévère, des ressources insuffisantes et une indifférence pour le bien-être des élèves étaient monnaie courante. Contrairement aux élèves des pensionnats, ceux des externats quittaient l’école le soir (pour aller chez leurs parents ou ailleurs), mais ils n’échappaient pas aux mauvais traitements, à la négligence et aux abus.

Six enfants debout dans la neige, vêtus d’un parka bleu, blanc ou rouge, regardent une scène de la Nativité en bois devant une maquette de bâtiment.

Enfants inuit devant une scène de la Nativité, externat de Pangnirtung, Nunavut, entre 1950 et 1960. Fonds Joseph Vincent Jacobson et famille. (e011864991)

De nombreux élèves se rappellent avoir subi des abus physiques, émotionnels et même sexuels. Certains dossiers contiennent des preuves de ces sévices, comme des plaintes de parents, des documents sur les châtiments infligés ou des rapports internes sur des cas de mauvaise conduite. En outre, il ne faut pas oublier que les documents témoignent des préjugés institutionnels du personnel et du gouvernement fédéral. En général, les administrateurs des écoles, les enseignants et les fonctionnaires documentaient les mesures disciplinaires pour justifier leur propre comportement et non pour reconnaître les torts infligés aux élèves. Certains rapports diminuent ou nient carrément les abus allégués. Les termes employés dans les documents officiels reflètent souvent les préjugés de l’époque. Les élèves autochtones n’étaient alors pas considérés comme des victimes de maltraitance systémique, mais comme des cas problématiques ou difficiles.

Les événements et les politiques pouvaient eux aussi être présentés sous un jour avantageux pour le gouvernement, faisant l’impasse sur les véritables expériences des élèves. Par exemple, on pouvait dire qu’il suffisait d’améliorer les conditions de vie dans les écoles pour remédier à une négligence systémique, même si les élèves continuaient de souffrir. Les chercheurs doivent faire preuve d’esprit critique et se rappeler que les mots ne correspondent pas toujours à la réalité. Le contexte est essentiel; il faut lire entre les lignes, comparer les sources et écouter les survivants pour avoir une meilleure idée des injustices de l’époque.

Page noire sur laquelle sont collées deux rangées de quatre photographies noir et blanc. Il y a une légende tapuscrite sous chaque photo.

Photographies prises à Tetl’it Zheh (anciennement Fort McPherson), à Tsiigehtchic (anciennement Arctic Red River) et dans les environs de Thunder River, dans les Territoires du Nord-Ouest. Ancien ministère des Affaires indiennes, R216, RG85, volume 14980, album 37, page 95. (e010983667)

Contenu des documents

Nous travaillons avec des documents provenant de ministères, d’administrateurs d’écoles et d’autres fonctionnaires impliqués dans l’exploitation des externats au Canada. Les dossiers brossent un portrait détaillé des écoles, de leur fonctionnement, des élèves et des défis auxquels ceux-ci sont confrontés.

Feuille lignée jaunie sur laquelle sont collées huit photos noir et blanc en trois rangées. Un plan architectural est dessiné à la main à la fin de la troisième rangée. Une légende écrite à l’encre bleue se trouve sous chaque photographie.

Externat de Big Eddy, The Pas (Manitoba), vers l’été 1947. Ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord. (e011078102)

Les documents montrent la complexité de la vie quotidienne dans les externats. Les rapports sur les présences et les plans de cours donnent une idée de la vie en classe, alors que les bulletins montrent les progrès réalisés par les élèves, ainsi que les biais du système. Les dossiers médicaux et les documents sanitaires décrivent les conditions de vie souvent difficiles des enfants. Quant aux grands livres sur les finances, ils nous apprennent comment les ressources étaient attribuées (ou non), influençant ainsi la qualité des soins et de l’éducation.

Les lettres et les notes de service témoignent de relations tendues entre le personnel des écoles, les représentants du gouvernement et les familles. Les accords entre les gouvernements et les directeurs des écoles montrent la fluctuation des responsabilités et l’absence d’imputabilité. Quant aux lettres de démission, elles laissent imaginer un roulement élevé au sein du personnel enseignant. Enfin, les rapports d’entretien documentent la détérioration des bâtiments, et les documents sur la fréquentation scolaire expliquent comment les élèves étaient surveillés et punis, souvent sévèrement.

Précisons que le dossier d’un élève en particulier ne comprend pas nécessairement tous ces types de documents.

L’ensemble de ces documents décrit le contexte qu’il faut absolument connaître pour comprendre les expériences et la réalité quotidienne des élèves inuit, des Premières Nations et de la Nation Métisse, ainsi que les injustices systémiques.

Des documents qui favorisent la vérité et la réconciliation

Pour mener à bien la réconciliation, il faut absolument comprendre ce qui s’est passé dans les externats. Les survivants ont raconté leur histoire, et les documents prouvent leurs dires. Les dossiers sont essentiels à plus d’un titre :

  • Réclamations : Les survivants qui ont fait des réclamations dans le cadre du recours collectif concernant les externats indiens fédéraux ont utilisé ces documents pour confirmer leur présence dans un externat particulier et leurs expériences.
  • Histoire familiale : Les descendants des élèves apprennent beaucoup de choses sur l’éducation donnée à leurs parents et sur leurs expériences dans les externats.
  • Recherche : Les chercheurs et les historiens qui étudient les répercussions de ces écoles sur les communautés autochtones consultent les documents pour découvrir des politiques, des écarts de financement et des exemples de maltraitance systémique.
  • Sensibilisation : L’accessibilité des documents évite que le public canadien oublie ce chapitre douloureux de son histoire, et accroît la compréhension et la responsabilisation.

Si vous effectuez des recherches sur les externats pour l’une ou l’autre des raisons ci-dessus, ces documents sont irremplaçables. Cependant, la recherche dans les archives demande beaucoup de patience. Certains documents sont incomplets, les notes manuscrites ne sont pas toujours faciles à déchiffrer et le jargon gouvernemental n’était pas plus facile à comprendre à l’époque.

Mais nous pouvons vous aider! L’équipe du projet sur les externats s’emploie à décrire les dossiers pour en faciliter l’accès. Les lois sur la protection de la vie privée nous empêchent d’inclure les noms des élèves ou du personnel de l’école dans les descriptions. Toutefois, lorsque les dossiers comprennent des noms, nous le précisons dans une note à l’intention des chercheurs. Les descriptions donnent les noms des écoles et des communautés, énumèrent les types de documents et indiquent s’il y a des photographies, des dessins, des cartes ou des plans. Toute l’information est interrogeable. Notre priorité est que les chercheurs connaissent le contenu des documents et puissent utiliser ceux-ci.

Alors si vous vous retrouvez empêtrés dans la correspondance sur la réparation d’une chaudière, ne vous inquiétez pas. Vous êtes sur la bonne voie!

Autres ressources à Bibliothèque et Archives Canada

Ressources à l’extérieur de Bibliothèque et Archives Canada


Marc St. Dennis a travaillé comme archiviste pour le projet sur les externats à Bibliothèque et Archives Canada, de janvier 2024 à mars 2025.