Fabrication de textile au Canada : les archives de la Dominion Textile

Par Jennifer Anderson et Dalton Campbell

Les archives peuvent illustrer le quotidien des travailleurs canadiens, donner une idée aux chercheurs contemporains de la vie au travail des générations antérieures et retracer l’évolution de l’économie canadienne au fil du temps. Les nombreuses photographies sur la production et la commercialisation du textile fabriqué au Canada se trouvant dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) en sont un bon exemple. Plusieurs de ces photographies ont été numérisées et peuvent être consultées sur la page Recherche dans la collection de BAC.

Photographie couleur de cinq paquets de draps Texmade, de modèles et couleurs variés.

Photographie promotionnelle de produits Texmade, une marque de la Dominion Textile (e011201409).

Pendant plusieurs générations, la Dominion Textile est synonyme du coton fabriqué au Canada. Fondée en 1905 par la fusion de quatre entreprises de textile indépendantes, la Dominion Textile possède à l’origine onze usines produisant essentiellement de la toile de coton écru et fin pour le marché canadien. Plus l’entreprise consolide sa position, plus elle diversifie ses activités dans l’industrie du textile, et ce, d’un bout à l’autre du pays. Son siège social est situé à Montréal (Québec).

À l’époque de la création des premières entreprises de textile, la plupart des Canadiens confectionnent eux-mêmes leurs vêtements. Selon Serge Gaudreau, l’industrie textile, à l’instar des chemins de fer, est un symbole tangible de la modernité du Canada à l’aube du 20e siècle, une industrie complexe qui allie le travail humain et la machinerie. Confrontées à la concurrence des États-Unis et du Royaume-Uni, les entreprises canadiennes bénéficient d’allègements fiscaux grâce à une politique nationale mise en place par le premier ministre John A. Macdonald; ces mesures permettent aux usines de textile canadiennes de tirer leur épingle du jeu dans le marché très concurrentiel des années 1870.

Dans l’industrie du textile, la race, l’ethnicité, le sexe et la classe sociale ont leur importance. En effet, comme dans le reste du secteur manufacturier du Québec de l’époque, la main-d’œuvre qui marque une nouvelle ère pour l’industrie est largement francophone et irlandaise. Les dirigeants sont toutefois anglophones. Le coton lui-même provient probablement du sud des États-Unis. Les Américains ont aboli l’esclavage en 1865, mais le système de métayage qui l’a remplacé ne met pas un terme à l’exploitation des ouvriers pauvres et non blancs.

Dans les usines de textile du Canada, la main-d’œuvre se compose en très grande majorité de femmes, comme l’indique Gail Cuthbert Brandt dans son essai Through the Mill : Girls and Women in the Quebec Cotton Textile Industry, 1881–1951 et Joy Parr dans The Gender of Breadwinners: Women, Men and Change in Two Industrial Towns, 1880–1950.

Une photographie noir et blanc montrant des hommes et des femmes posant dans une usine, de grosses machines au premier plan.

Sept ouvriers et trois ouvrières posant derrière des machines, vers 1895, Magog (Québec) (e011213545).

La Dominion Textile conserve elle-même ses archives avant leur transfert à BAC. Le fonds d’archives comprend une riche collection de photographies, de documents textuels et d’enregistrements audiovisuels documentant le travail et la culture des employés, l’architecture des usines dans diverses villes, les procédés de fabrication du textile et les produits finis. Comme dans beaucoup de villes industrielles, les usines de coton mettent sur pied des équipes sportives, dont la mémoire se perpétue dans les archives.

Une photographie noir et blanc d’une équipe de soccer montrant les joueurs en chandail rayé et les entraîneurs en costume.

L’équipe du Montmorency Association Football Club, championne de la ligue de soccer, 1915, Montmorency (Québec) (e011213574).

La collection contient les documents administratifs et opérationnels de la société mère ainsi que les procès-verbaux et documents financiers de 62 entreprises associées à la Dominion Textile. Ces dernières comprennent les quatre compagnies d’origine ayant fusionné en 1905, des sociétés filiales et les entreprises de textile indépendantes acquises par la Dominion Textile alors qu’elle prend son essor et devient la plus importante société de textile au Canada.

Pour certaines entreprises de tissu, la fusion de la Dominion Textile est une nécessité. La Montmorency Cotton Mills, fondée en 1898, fabrique une large gamme de produits (tissu écru, fil de bonneterie, tissu éponge, toile à draps et flanelle) destinés au marché domestique et à l’exportation. La fusion de l’entreprise est forcée, particulièrement en raison des répercussions de la révolte des Boxeurs de 1900 sur le commerce international. Les usines de la Montmorency restent en activité jusque dans les années 1980. Les photographies d’archives conservées à BAC illustrent la longévité de l’usine et la puissante chute d’où provient l’énergie nécessaire à son fonctionnement.

Une photographie aérienne noir et blanc montrant une usine près d’une rivière, avec une imposante chute à l’arrière-plan.

La Dominion Textile, 1925, Montmorency (Québec) (e011213592).

En 1929, dans le cadre d’une importante acquisition, la Dominion Textile acquiert ce qui s’appellera la Sherbrooke Cotton Company. Cette acquisition comprend les actions de la Sherbrooke Housing Company qui souhaite construire une ville modèle pour les employés de l’usine. La manufacture, réorganisée en 1935 aux fins de la fabrique de fibres synthétiques, poursuit ses activités jusque dans les années 1990.

Page d’un classeur montrant une photo aérienne en couleur d’une usine en ville, près d’une rivière, avec des statistiques imprimées sous la photo.

Sherbrooke Fabrics, vers 1980, Sherbrooke (Québec) (e011213596).

L’origine de la Penman Manufacturing Company, incorporée pour la première fois en 1882, remonte à 1868, date d’ouverture de sa première manufacture de tricots. Sous la direction de John Penman, l’entreprise devient le plus grand fabricant de tricots au Canada grâce à l’acquisition de six petites usines situées à Port Dover, à Paris et dans d’autres villes de l’Ontario et du Québec.

En 1906, l’entreprise est acquise par la Dominion Textile et restructurée sous le nom de Penmans Limited. La compagnie poursuit son expansion, produisant de la bonneterie, des sous-vêtements et d’autres articles tricotés.

Page d’un classeur montrant une photo aérienne en couleur d’une usine avec sa cheminée au centre, entourée d’arbres et d’une ville, avec des statistiques sous la photo.

Usine de la Penmans, vers 1980, Paris (Ontario) (e011213581).

Les photographies de la Dominion Textile montrent diverses usines dans des villages et des villes du centre et de l’est du Canada; elles témoignent de la très grande proximité qui existe entre les usines, les collectivités et la main-d’œuvre. Elles sont accompagnées d’archives provenant d’autres collections de BAC.

Les photos illustrent les changements technologiques ainsi que les mesures de protection en matière de santé et sécurité dans les milieux de travail, et reflètent aussi l’évolution de cette industrie.

Une photographie noir et blanc de deux femmes debout, utilisant des appareils dans un laboratoire; il y a une large fenêtre à l’arrière-plan, et des tuyaux et des lampes fluorescentes au plafond.

Laboratoire d’essai, vers 1945, Yarmouth (Nouvelle-Écosse) (e011213547).

Une photographie noir et blanc d’un homme portant un jean et un chandail sans manches et surveillant une machine à bobiner.

Un travailleur surveillant une machine à bobiner dans une usine de la Long Sault Fabrics, 1984 (e011213534).

La collection d’archives comprend aussi des documents textuels sur la négociation de l’accord de libre-échange de 1987 avec les États-Unis et ses incidences prévues sur l’industrie du textile.

La collection montre que la mise en marché d’articles de mode fabriqués au Canada est aussi liée à la diplomatie culturelle et au commerce international. Au fil des ans, les pressions économiques, la concurrence et les conditions de travail pénibles entraînent souvent des restructurations et des réductions de l’effectif, lesquelles se heurtent à la résistance des travailleurs. La collection contient des images de grèves et de conflits de travail dans les usines de textile.

Une photographie noir et blanc d’un groupe de personnes marchant dans la rue et portant une bannière sur laquelle est écrite : « Travailleurs et travailleuses du textile, CSD [Centrale des syndicats démocratiques], usine de Montmorency ».

Manifestants lors d’un conflit de travail, vers 1970 (e011213559).

Le fonds contient également des images promotionnelles aux couleurs vives et des images en mouvement montrant les produits finis qui font de la Dominion Textile une marque de prestige au Canada.

Une photographie couleur de deux femmes défilant sur un podium, vêtues d’une robe, d’une veste et d’un turban en coton imprimé.

Défilé de mode, 1986 (e011201412).

Nous avons très hâte de voir comment les chercheurs intégreront les photographies récemment numérisées dans de nouveaux projets liés à l’importance de l’industrie du textile au Canada et continueront à explorer l’éventail des ressources conservées à BAC. Pour obtenir de l’aide des Services de référence, communiquez avec nous.

Pour voir d’autres images sur la Dominion Textile et la fabrication des textiles, consultez notre album Flickr.

Voici quelques autres sources d’information à BAC :

Fonds Hamilton Cotton Company
Fonds S. Lennard and Sons Ltd.
Fonds Mercury-Chipman Knit Ltd.
Fonds Amalgamated Clothing and Textile Workers Union: Textile Division
Fonds Jacob Lawrence Cohen
Fonds Madeleine Parent et Kent Rowley
Fonds Margot Trevelyan
Royal Commission on the Textile Industry
Documents du ministère de l’Industrie


Jennifer Anderson était archiviste à la Division des services de référence et Dalton Campbell est archiviste à la Section des sciences, de l’environnement et de l’économie de Bibliothèque et Archives Canada. Les auteurs tiennent à remercier Kerry O’Neill pour sa contribution à ce billet.

Les porteurs des voitures-lits

Par Dalton Campbell

Les voitures-lits sont introduites au Canada dans les années 1870 par la Pullman Palace Car Company. Celle‑ci construit et exploite des voitures ferroviaires de luxe dont les sièges sont convertibles en lits superposés; les sièges forment la couchette inférieure, tandis que la couchette supérieure est abaissée depuis le plafond. Les voitures Pullman sont reconnues pour leurs commodités, leur confort et le service assuré par les porteurs.

Photographie en noir et blanc de trois hommes près d’une voiture ferroviaire. Un chef cuisinier se tient sur les marches d’accès au train, un autre tient la main-courante, et le troisième, un porteur, est légèrement à l’écart, à côté du train.

Un porteur en compagnie de deux autres employés pendant un arrêt effectué lors de la visite de sir Arthur Conan Doyle au Canada, en 1914. (a011186)

Photographie en noir et blanc d’une femme de profil, étendue sous les couvertures de la couchette inférieure, lisant un journal.

Le soir, les porteurs préparent les lits. Un des sièges est ouvert afin d’aménager une couchette inférieure confortable. Alors que les passagers dorment, les porteurs continuent de travailler au delà de minuit. Ils peuvent faire un somme pendant la nuit s’il n’y a pas d’appels ou d’urgences, mais ils se réveillent avant l’aube afin d’entreprendre leur journée de travail. 1937. (e010861953)

Photographie en noir et blanc de passagères assises dans une voiture-lits, regardant par les fenêtres.

Pendant que les passagers déjeunent, les porteurs convertissent les couchettes en sièges. La couchette supérieure est rangée à l’intérieur des panneaux, au-dessus des sièges. 1929. (e010861953)

Au début du XXe siècle, les sociétés de chemins de fer font partie des rares entreprises canadiennes à embaucher des Noirs. Cette occasion attire beaucoup d’hommes, mais il y a des restrictions : les chemins de fer n’embauchent des Noirs qu’à titre de porteurs, et, de la Première Guerre mondiale aux années 1950, aucun Noir n’est engagé ou promu à un poste d’ingénieur, de chef de train ou à tout autre poste à bord du train.

Les porteurs servent les passagers tout au long du voyage; ils les aident à embarquer et à débarquer; servent des boissons et des collations; préparent les couchettes; font les lits; cirent les chaussures; s’occupent des jeunes enfants et les divertissent; et répondent aux moindres désirs et besoins des clients. Pourtant, malgré leur rôle essentiel et leur présence constante, ils sont relégués à l’arrière-plan.

Photographie en noir et blanc de personnes à une gare. Un porteur transportant des bagages sur un chariot est vu de dos. Deux passagers élégamment vêtus discutent avec un préposé aux billets. Sur le mur derrière eux, un panneau d’information annonce le train Dominion, qui part de Montréal pour se rendre à Vancouver. Un train de voyageurs est visible à l’arrière-plan.

Un porteur se charge des bagages de passagers sur le point de monter à bord du Dominion à la gare Windsor de Montréal, au Québec, vers 1947. (e003641861)

Les hommes touchent un salaire de base, parcourent le Canada et rencontrent des voyageurs. Stanley Grizzle, un ancien porteur de voitures-lits, affirme dans son autobiographie que les porteurs sont admirés au sein de la communauté noire.

Cependant, la médaille a un revers. Les porteurs travaillent de longues heures, doivent être disponibles à toute heure du jour ou de la nuit, et dorment dans des couchettes aménagées dans le compartiment pour fumeurs des hommes. Ils passent souvent plusieurs jours consécutifs loin de chez eux. De plus, ils craignent les plaintes des passagers et font fréquemment l’objet de mesures disciplinaires sévères de la part de la direction. Les porteurs sont en outre exposés à des représailles s’ils signalent que des passagers jouent à l’argent, consomment trop d’alcool ou se livrent à des activités illicites.

Les porteurs doivent endurer les insultes et les sobriquets des passagers. Par exemple, Stanley Grizzle écrit que les porteurs se font souvent appeler « George », en référence à George Pullman, premier propriétaire de la Pullman Car Company. De plus, les porteurs doivent compter sur les pourboires des voyageurs. Selon Grizzle, si l’argent est le bienvenu, le fait de demander un pourboire est humiliant, renforce l’impression d’asservissement et permet à l’entreprise de justifier les maigres salaires.

Photographie en noir et blanc d’une foule et de bagages sur le quai, à côté d’un train de passagers. Deux porteurs se trouvent à côté du train. Le premier est sur le quai et veille sur les bagages tandis que l’autre est debout à la porte de la voiture. Au premier plan se trouve une automobile portant la mention « Jasper Park Lodge » sur la portière. Des montagnes sont visibles au loin.

Deux porteurs aident des passagers et d’autres membres de l’équipage à la gare de Jasper, en Alberta, en 1929. (a058321)

La Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs se forme au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Le syndicat négocie des augmentations salariales, de meilleures conditions de travail (et de sommeil), des mesures disciplinaires plus justes et transparentes, et la fin de la discrimination raciale en matière d’embauche et de promotion. En raison des changements qui affectent l’industrie du voyage, les sociétés de chemins de fer emploient de moins en moins de porteurs de voitures-lits à partir des années 1960. En 1999, Patrimoine canadien a dévoilé une plaque à la gare Windsor de Montréal, au Québec, en hommage aux porteurs des voitures-lits.

Ressources connexes


Dalton Campbell est archiviste à la section Science, environnement et économie dans la division des Archives privées.