Perspectives des porteurs noirs : Donner une voix au personnel du service ferroviaire pendant et après la Seconde Guerre mondiale

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Par Stacey Zembrzycki

Cette série de billets de blogue en quatre parties est inspirée par un ensemble d’images saisissantes et obsédantes conservées dans les archives du ministère de la Défense nationale (MDN), numéro d’acquisition 1967-052. Ces photographies sont un témoignage du service à la nation pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Présentant différentes perspectives, elles révèlent les intersections de classes, de races et de fonctions.

Une femme blanche se tient entre un homme noir à gauche et un homme blanc à droite.

La princesse Alexandra représente la Couronne britannique en sol canadien lors de sa tournée royale en 1954. (e011871943)

Les soldats volontaires et conscrits qui partent au combat et en reviennent nous révèlent les réalités de la préparation à la guerre, du déploiement sur des fronts lointains et du retour à la maison.

Photographies côte à côte d’un porteur de voiture-lit noir allumant une cigarette pour un soldat blanc, blessé et allongé sur un lit dans un train, et d’un porteur de voiture-lit noir serrant la main d’un soldat blanc.

Image de gauche : Un porteur de voiture-lit et un soldat blessé dans le train-hôpital du Lady Nelson. Image de droite : Le porteur Jim Jones, de Calgary, serre la main du soldat Harry Adams, membre du Royal Canadian Regiment d’Halifax, tandis que les unités des forces spéciales de l’armée canadienne arrivent à Fort Lewis, dans l’État de Washington, pour l’entraînement des forces de la brigade. (e011871940 et e011871942)

Toutes les photographies montrent des hommes noirs, souvent identifiés comme des membres du personnel ferroviaire dans les descriptions des images. Ils sont le fil conducteur de ces moments historiques. Leur travail essentiel, comme cuisiniers ou porteurs de voitures-lits, a rendu les voyages en train possibles, voire luxueux, en temps de guerre comme en temps de paix. S’il a souvent été passé sous silence et négligé dans nos récits nationaux, leur service est indéniablement manifeste dans ces images.

Comment pouvons-nous commencer à reconstituer les expériences captées dans ces images? Nous pouvons entre autres nous tourner vers la collection de Stanley G. Grizzle, notamment les interviews qu’il a menées en 1986 et en 1987 avec d’anciens porteurs de voitures-lits des chemins de fer du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique (CP). Grizzle a cherché à documenter les conditions abusives imposées par ces compagnies ferroviaires aux hommes noirs jusqu’au milieu du vingtième siècle, ainsi que la lutte longue et complexe qui a abouti à leur syndicalisation. En même temps, il a laissé à ses narrateurs la possibilité de raconter des moments mémorables de leur vie sur les chemins de fer. En les écoutant attentivement, nous arrivons à construire un récit et à replacer les images du MDN en contexte. Comme le passé, cependant, ces souvenirs restent fugaces et fragmentaires, et de nombreux ont sombré dans l’oubli.

Cinq interviews tirées de la collection de Stanley Grizzle donnent un aperçu du travail des porteurs pendant la Seconde Guerre mondiale. Si ces échanges fournissent peu de détails sur les images ci-dessus, ils donnent une idée des conditions de travail des porteurs et des responsabilités supplémentaires qui leur incombaient en temps de guerre. Écoutons ce que ces bribes de conversations révèlent de leurs expériences :

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417383, fichier 1, 34:30)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417397, fichier 2, 09:26)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 17:18)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 05:56)

Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417386, fichier 1, 32:12)

L’expérience de ces hommes, les personnes qu’ils ont servies et leurs sentiments à l’égard des tâches supplémentaires qui leur ont été confiées en raison de la Seconde Guerre mondiale offrent des informations précieuses qui contribuent à humaniser le rôle de porteur. Pour George Forray, le recours accru au service ferroviaire en temps de guerre lui a permis, comme à beaucoup d’autres, d’obtenir un emploi à temps plein et d’acquérir une sécurité financière pendant cette période turbulente. Bill Overton, tout en expliquant les gains syndicaux qu’il a contribué à obtenir, au prix de luttes acharnées, raconte avoir été submergé alors qu’il devait nourrir 83 cadets de l’armée de l’air affamés. Même s’il y avait dans le train des employés blancs qui n’étaient pas en service, il explique qu’il était difficile de leur demander de l’aide. Grâce à son récit, nous comprenons mieux les subtilités et les malentendus qui entourent le paiement des heures supplémentaires à cette époque, ainsi que les structures racialisées qui régissaient et divisaient les travailleurs du chemin de fer.

Dans l’un des récits de guerre les plus clairs et les plus concis de la collection de Grizzle, un narrateur inconnu raconte – malgré des coupures audibles dans l’enregistrement sonore – les détails du transport de prisonniers de guerre allemands. S’il décrit l’environnement physique des voitures-lits et les repas servis, il laisse le reste à l’imagination, ne parlant pas de la façon dont les porteurs percevaient ces responsabilités ni les dangers auxquels ils étaient confrontés. Ces perspectives se sont en grande partie perdues dans l’histoire. Eddie Green poursuit sur ce sujet en parlant de l’évolution de la technologie ferroviaire au début du vingtième siècle. La remise en service de voitures obsolètes pour répondre aux besoins en temps de guerre a amené son lot de défis importants et de dangers physiques pour les porteurs, qui ont dû faire face à ces risques tout en s’occupant d’un plus grand nombre de passagers. Le stress devait être énorme.

À bien des égards, le dernier extrait de l’interview boucle la boucle. Joseph Morris Sealy explique comment la forte demande à l’égard des services ferroviaires en temps de guerre a ouvert la voie à d’importantes avancées syndicales. Les augmentations salariales soutenues par le gouvernement ont servi de point de départ à la négociation de la première convention collective entre la Fraternité internationale des porteurs de wagons-lits et le CP en 1945. Il n’était plus question de revenir à la situation d’avant la guerre. La circulation ininterrompue des personnes et des marchandises par la voie ferrée s’est avérée essentielle au maintien d’une économie stable et fonctionnelle. Les porteurs, pleinement conscients du rôle essentiel qu’ils jouaient, se sont battus pour obtenir un traitement équitable et une juste rémunération.

S’il n’est pas possible de reconstituer les informations contextuelles des images ci-dessus, les récits qui les accompagnent contiennent suffisamment de renseignements pour révéler ce qui a pu se passer avant et après la prise des photographies. Ils donnent une voix aux porteurs, mettant en lumière leurs expériences et les complexités de leur travail pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, comme pour toutes les sources historiques, ces témoignages oraux et photographiques soulignent les défis que pose la reconstitution du passé : nous devons travailler avec les fragments dont nous disposons. Malgré leurs limites, ces sources nous obligent à repenser fondamentalement notre récit national et le rôle central qu’y joue la main-d’œuvre noire.

Autres ressources


Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés, des minorités ethniques et des personnes racialisées. Elle est membre du corps enseignant du Département d’histoire et de lettres classiques au Collège Dawson.

Perspectives des porteurs noirs : navires et trains hospitaliers

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Par Jeff Noakes

Un porteur vêtu d’une casquette foncée et d’un veston blanc allume la cigarette d’un patient couché dans un lit.

Le porteur Jean-Napoléon Maurice (à droite) allume la cigarette du soldat Clarence Towne, un patient à bord d’un train hospitalier, 20 août 1944. (e011871941)

L’image ci-dessus provient d’une série de photographies de porteurs de voitures-lits noirs prises pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette série présente plusieurs points de vue sur les personnes qui ont servi la nation et nous amène à nous interroger sur l’histoire qui se cache derrière les images. Qui sont ces personnes? Pourquoi avoir pris ces photos? Pourquoi sont-elles importantes? Quelles histoires peuvent-elles révéler?

La date et le catalogage d’origine donnent suffisamment d’information pour approfondir certains aspects. La photo ci-dessus a été prise à l’intention du public. Elle parut dans des journaux canadiens qui identifient les deux hommes : le porteur Jean-Napoléon Maurice et le soldat Clarence Towne. Les légendes dans les journaux précisent que Maurice, un membre du Royal 22e Régiment, a été blessé en Italie, tandis que Towne a subi des blessures au combat à Caen, en Normandie. Certains journaux omettent de dire que Maurice servait auparavant au sein des Fusiliers Mont-Royal, et qu’il a participé au raid de Dieppe.

Le service militaire de Maurice est explicitement mentionné dans la légende du journal. On pourrait aussi deviner son passé en regardant son uniforme : les décorations sur son veston blanc sont bien visibles, tout comme son insigne du service général, en forme de bouclier, auquel son service militaire lui donne droit. De nombreux lecteurs de l’époque auraient facilement reconnu ces décorations. Quant à Towne, le plâtre à son bras gauche témoigne de ses blessures subies en service. Dans au moins un des journaux, la photo a été retouchée pour augmenter le contraste entre le plâtre et les draps.

La photographie s’inscrivait probablement dans une vaste campagne de publicité sur les trains hospitaliers. Maurice faisait partie d’un groupe de quatre porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) choisis pour travailler dans les voitures hospitalières parce qu’ils étaient d’anciens combattants blessés en service. À la fin d’août 1944, les journaux ont publié la photo ci-dessus et les histoires du service militaire et du travail de porteur de ces quatre hommes (Maurice, Randolph Winslow, Sam Morgan et James E. Thompson).

À partir de la date et de la légende originale, nous pouvons aussi faire des recherches dans les documents conservés à Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Aucun train hospitalier ne s’appelait Lady Nelson, mais un des navires hospitaliers du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale portait ce nom.

Cet ancien navire de ligne civil est coulé par un sous-marin allemand en 1942, dans le port de Castries, sur l’île Sainte-Lucie. Après avoir été renfloué, le Lady Nelson est transformé en navire hospitalier pour transporter le personnel militaire blessé ou malade. Plus tard, il transporte d’autres militaires et leurs personnes à charge. Ses voyages le mènent notamment de ports du Royaume-Uni à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Là, des trains hospitaliers utilisant le matériel des Chemins de fer nationaux du Canada et du Canadien Pacifique transportent les patients partout au pays. La photo est donc celle d’un patient qui se trouve dans un train hospitalier véhiculant les blessés débarqués du Lady Nelson.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Direction des mouvements était responsable d’une bonne partie de ces opérations. Ses documents sont conservés dans le fonds du ministère de la Défense nationale [R112-386-6-F, RG24-C-24]. Cette volumineuse collection nous renseigne sur les déplacements de centaines de milliers de militaires à destination et en provenance du Canada, ainsi que sur le transport de marchandises et de matériel militaire. Elle comprend aussi de nombreux documents sur le voyage vers le Canada des personnes à charge des militaires, comme les veuves de guerre et leurs enfants, durant et après le conflit. Ces ressources ont été microfilmées vers 1950 et sont aujourd’hui numérisées. On peut les consulter sur le site Canadiana du Réseau canadien de documentation pour la recherche.

Avis : Ces documents n’existent qu’en anglais et peuvent comprendre des renseignements médicaux que certaines personnes pourraient juger perturbants, offensants ou néfastes. Les termes historiques pour désigner des diagnostics en sont des exemples. Les documents contiennent parfois d’autres termes et contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants ou qui pourraient causer un préjudice, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Les éléments qui composent les collections, leurs contenus et leurs descriptions sont le reflet des époques au cours desquelles ils ont été créés et des points de vue de leurs créateurs.

Parmi les documents se trouvent des dossiers sur les voyages des navires hospitaliers, sur le personnel ramené au pays, ainsi que sur la planification et le fonctionnement des trains hospitaliers et d’autres moyens de transport qui ont amené les patients à divers endroits au Canada et à Terre-Neuve. Certains voyages vont même plus loin, par exemple, pour rapatrier des Américains qui ont servi dans l’Armée canadienne ou des membres d’armées alliées qui doivent traverser l’Amérique du Nord pour retrouver leur pays.

Selon les notes de catalogage, la photo a été prise le 20 août 1944. Il pourrait donc y avoir un lien avec l’arrivée du Lady Nelson quelques jours plus tôt. Une recherche dans le catalogue de BAC mène à un dossier de la Direction des mouvements [RG24-C-24-a, numéro de bobine de microfilm : C-5714, numéro de dossier : HQS 63-303-713] qui décrit l’événement survenu le 18 août, bien que le navire ait peut-être amarré juste avant minuit le 17. La photo donne donc une idée du contenu des documents sur ce voyage particulier. Elle nous amène également à réfléchir à l’utilité potentielle et aux limites de ces sources, surtout en ce qui concerne les expériences des porteurs de voitures-lits à bord des trains hospitaliers.

Un navire hospitalier à une seule cheminée dont la coque et la superstructure sont blanches. Les bâtiments gris du port apparaissent à l’arrière-plan. Une bande verte horizontale interrompue par trois croix rouges orne la coque. Le numéro 46 est peint dans des rectangles noirs sous la bande verte.

Le navire hospitalier canadien Lady Nelson à Halifax, Nouvelle-Écosse. (e010778743)

Les centaines de pages conservées dans ce dossier (des messages, des lettres, des notes de service et des listes de militaires rapatriés) décrivent l’ensemble des événements. À son départ de Liverpool, peu avant minuit le 8 août 1944, le Lady Nelson transporte 507 militaires vers Halifax pour des raisons médicales. Presque tous sont membres des forces canadiennes, et 90 % font partie de l’armée de terre. Se trouvent également à bord deux Terre-Neuviens qui ont servi dans la Royal Navy britannique ainsi qu’un officier de la force aérienne royale néo-zélandaise qui amorce son long voyage de retour via le Canada. Deux patients décédés pendant le voyage reçoivent une sépulture en mer : le soldat George Alfred Maguire, le 11 août, et le capitaine Theodore Albert Miller, le 15. Le catalogue de BAC permet de consulter leurs dossiers de service numérisés, qui fournissent des détails sur leur dernier voyage ici-bas.

Des histoires plus générales ressortent aussi du dossier sur ce voyage, dont la façon dont les militaires blessés et malades sont rapatriés jusqu’au Canada. À la mi-août 1944, le Lady Nelson peut accueillir environ 500 passagers. Le mois suivant, un deuxième navire hospitalier pouvant transporter autour de 750 patients, le Letitia, entre en service. À partir de ce moment, plus de 1 000 blessés ou malades peuvent traverser l’Atlantique Nord chaque mois pour revenir au Canada.

L’augmentation de la capacité témoigne également de l’intensité croissante des combats outre-mer à partir du débarquement du jour J, le 6 juin 1944, et de la campagne de Normandie. Les pertes subies sur ce théâtre de guerre s’ajoutent au coût de la campagne terrestre en Italie, de la guerre navale et des conflits aériens. À la mi-août, une note de service parle d’un « arriéré » de pertes au Royaume-Uni en attente d’un rapatriement au Canada. Les documents montrent aussi qu’il n’y a pas seulement des militaires blessés au combat, que ce soit physiquement ou psychologiquement : d’autres patients retournent au Canada en raison de blessures et de maladies découlant de causes variées.

Lorsqu’elle organise le transport hospitalier, la Direction des mouvements s’intéresse principalement au personnel qui retourne au pays. Elle doit entre autres connaître leurs besoins médicaux pendant le voyage et leur destination. On retrouve par conséquent des détails sur les individus transportés vers divers lieux au Canada, comme l’état de santé, les soins requis et le plus proche parent.

La plupart des documents donnent des détails sur les services nécessaires à l’organisation des voyages, mais ils mentionnent rarement les personnes qui participent à ce travail. L’équipage des trains hospitaliers et les employés des compagnies de chemin de fer, dont les porteurs, ne sont pas mentionnés individuellement. Chaque voiture hospitalière comprend du personnel médical, mais aussi un porteur. Des porteurs sont également affectés dans les autres voitures de passagers et voitures-lits du train.

Pourtant, leurs expériences ne sont pas décrites. Les dossiers les mentionnent brièvement, sans donner leur nom, pour demander qu’ils soient présents dans les trains hospitaliers. Il y a aussi des références indirectes à l’équipage du train. La présence des porteurs fait partie des services exigés de la part des compagnies de chemin de fer. Les militaires parlent d’eux comme du reste du personnel à bord des trains.

Dans les quelque 400 pages de documents sur ce voyage du Lady Nelson et du train hospitalier au Canada, il n’y a qu’une mention explicite des porteurs. Dans une lettre adressée au Canadien Pacifique au début d’août 1944, la Direction des mouvements prévient que le Lady Nelson devrait arriver aux alentours du 16 août. En plus de mentionner que des voitures hospitalières seraient nécessaires pour les patients, la lettre demande que des porteurs soient présents. Quatre voitures hospitalières du Canadien Pacifique, exigeant chacune un porteur, sont mentionnées. Comme la compagnie a choisi des porteurs qui avaient été blessés pendant leur service militaire, on déduit qu’il s’agit de Jean-Napoléon Maurice et de ses trois collègues.

Lettre dactylographiée.

Lettre de la Direction des mouvements au Canadien Pacifique mentionnant explicitement les porteurs. C’est le seul document à le faire dans le dossier de la Direction des mouvements concernant l’arrivée du Lady Nelson à la mi-août 1944. (MIKAN 5210694, oocihm.lac_reel_c5714.1878)

Voici une traduction de la lettre ci-dessus :

M.C. 303-713

7 août 1944

Monsieur A. L. Sauvé,
Agent général,
Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,
OTTAWA (ONT.)

Arrivée du navire W-713 :
Voitures hospitalières du Canadien Pacifique no 96-97-98-99

Le navire susmentionné devrait arriver à Halifax (Nouvelle-Écosse) autour du 16 août 1944 avec à son bord des invalides de l’Armée canadienne. Pour les héberger pendant leur déplacement du port vers des destinations dans l’ensemble du Canada, toutes les voitures hospitalières seront nécessaires, dont les voitures du Canadien Pacifique no 96, 97, 98 et 99.

2. Pourriez-vous prendre les dispositions nécessaires pour que des porteurs du Canadien Pacifique soient disponibles à Halifax en prévision de ce déplacement? Ils devraient arriver au plus tard le matin du 16 août.

[Signature]
Directeur des mouvements

La Direction des mouvements est plus loquace au sujet de Clarence Towne. Membre des North Nova Scotia Highlanders, il a été blessé au coude et au bras gauche par une mitrailleuse allemande. Il occupe un lit dans la voiture hospitalière 98 pour aller retrouver son épouse Jane à St. Catharines (Ontario).

Towne a peut-être été choisi comme exemple de patient parce que ses blessures ne l’ont pas défiguré et ne risquent pas de traumatiser le front intérieur. On ne peut en dire autant d’autres blessés. Le plâtre sur le bras gauche de Towne révèle doucement et indirectement la nature de ses blessures. Contrairement à d’autres patients à bord du train, ce militaire a subi des blessures physiques au combat et ne souffre pas de troubles psychologiques ou de blessures causées par un accident ou une maladie. C’est un autre facteur qui a pu jouer un rôle dans le choix de la photo.

En plus d’être le premier fil qui permet de dérouler l’histoire de certaines personnes à l’aide d’une pluralité de sources, cette photo fait connaître le grand dossier des porteurs et des services essentiels qu’ils ont rendus dans les trains hospitaliers pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale. Elle remplissait sans doute d’autres rôles au moment où elle a été prise. Jean-Napoléon Maurice est peut-être photographié en train d’allumer la cigarette de Clarence Towne pour confirmer les idées de la population sur les porteurs de chemin de fer noirs, la nature de leur travail et leur statut racial et social, le tout se manifestant par leur rôle au service des voyageurs.

La photo rappelle aussi l’omniprésence du tabac dans les années 1940. Dans les voitures hospitalières, les lits de chaque patient sont munis d’un cendrier, ce qui paraît inimaginable de nos jours. L’interaction personnelle que représente l’allumage d’une cigarette avait probablement pour but de montrer l’attention portée aux militaires blessés. C’était l’occasion pour l’armée et le gouvernement du Canada de montrer qu’ils se préoccupaient du sort des militaires rapatriés, ce qui n’était pas à dédaigner à une époque où les trains hospitaliers et leurs passagers ne rappelaient que trop, sur le front intérieur, les coûts humains croissants de la Deuxième Guerre mondiale.

Autres ressources


Jeff Noakes est un historien spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale au Musée canadien de la guerre.

Perspectives des porteurs noirs : sur les traces de Thomas Nash, porteur de voitures-lits pour les Chemins de fer nationaux du Canada

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Par Andrew Elliott

Dans le premier article de la série Perspectives des porteurs noirs, Rebecca Murray mettait en lumière une photographie datant de la guerre sur laquelle figurait le nom du porteur Jim Jones, originaire de Calgary. Soulignons que, dans le fonds du Canadien National (CN), que je consulte dans le cadre de mon travail, il est plutôt rare de trouver le nom d’un porteur. Cette collection (RG30/R231), l’une des plus importantes acquisitions privées de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), devrait en principe regorger de documents relatifs aux porteurs, compte tenu du rôle essentiel qu’ils occupaient dans le service ferroviaire. Malheureusement, jusqu’à tout récemment, c’était loin d’être le cas. Une recherche simple avec le mot-clé « porteur » produisait généralement peu de résultats, voire aucun. Je m’efforce maintenant de remédier à cette lacune.

Ces derniers mois, j’ai minutieusement procédé à l’examen des documents accumulés concernant la division des services aux voyageurs du CN (en anglais). Je suis tombé sur un ensemble de dossiers datant de la fin des années 1960 et portant sur le personnel des services des voitures-lits, des voitures-restaurants et des voitures de passagers (en anglais) du CN. Ces archives couvrent un éventail de sujets, incluant les accidents, les demandes d’assurance, les vols de biens de l’entreprise et les départs à la retraite. Elles offrent aussi un aperçu précieux des conditions de travail des cuisiniers, des serveurs, des garçons de service et des porteurs. Parmi ces documents, un dossier personnel particulièrement intéressant a retenu mon attention : celui de Thomas Nash. M. Nash était un porteur noir dont la carrière exceptionnelle s’est étendue sur 42 ans, depuis son entrée en fonction le 23 juin 1927 jusqu’à sa retraite en août 1969. Son dossier, d’une richesse remarquable, met non seulement en lumière le parcours singulier de M. Nash, mais contribue également à mieux comprendre le quotidien des porteurs noirs à cette époque.

Qui était Thomas Nash?

Le dossier détaillé de M. Nash nous permet de reconstituer progressivement sa biographie. Élevé par ses parents adoptifs à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, il s’installe plus tard à Montréal, où il travaille comme porteur pour le CN. Le processus ayant mené à la collecte de cette information s’avère aussi particulièrement intéressant.

À la fin des années 1940, le bureau des dossiers du personnel du CN entame des démarches pour déterminer la date de naissance de M. Nash, une information essentielle pour établir son admissibilité à la retraite. À l’instar de nombreux dossiers de citoyens noirs au Canada et aux États-Unis, ceux de M. Nash présentent des lacunes administratives, une situation d’autant plus complexe en raison de son adoption. Il indique donc plusieurs années de naissance possibles, notamment 1899, 1900, 1902, 1904, 1905 et 1907, ce qui complique davantage le processus.

Page indiquant les dates de naissance possibles d’un porteur du CN.

Document du bureau des dossiers du personnel du CN fournissant diverses dates de naissance possibles pour Thomas Nash, daté du 10 juin 1952. (MIKAN 6480775)

M. Nash n’étant pas en mesure de fournir des renseignements précis au sujet de sa naissance, le bureau des dossiers du personnel du CN entreprend ses propres recherches. En 1952, le bureau sollicite l’aide du directeur de l’école St. Ninian d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, où M. Nash aurait étudié durant sa jeunesse. Ces démarches demeurent cependant infructueuses. L’année suivante, le bureau des dossiers du personnel du CN communique avec le Bureau fédéral de la statistique, qui confirme enfin que M. Nash est né le 26 août 1904. Le recensement de 1911 révèle également que M. Nash vivait avec ses parents adoptifs à Antigonish, un détail qui figure par ailleurs dans son dossier personnel. Fait intéressant : le nom de famille de M. Nash semble avoir changé au fil du temps (bien que son dossier personnel n’aborde pas explicitement la question). Durant son enfance, il portait le nom de famille « Ash », qui est ensuite devenu « Nash » dans les environs de son déménagement à Montréal, avant qu’il ne commence à travailler pour le CN. S’agit-il d’une erreur d’enregistrement? Le fait de fournir l’année exacte de sa naissance a permis à M. Nash d’être admissible au régime de pension du CN, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1935.

Après en avoir appris un peu plus sur l’enfance de M. Nash, nous découvrons certains détails sur sa vie après son déménagement à Montréal. Il s’intègre à la communauté noire de la ville, une communauté tissée serrée, et s’installe dans ce qui est alors connu comme le quartier Saint-Antoine. Cela n’a rien de bien étonnant, compte tenu de la ségrégation raciale dans le domaine du logement à l’époque et de la proximité de la gare.

Bien que le dossier personnel de M. Nash ne contienne pas beaucoup d’informations sur ses premières années à Montréal, nous savons qu’il résidait au 729, rue des Seigneurs dans les années 1950 et au début des années 1960. Une lettre qu’il adresse au bureau des dossiers du personnel du CN en 1968 révèle qu’il s’est marié et qu’il a ensuite habité avec son épouse au 2458, rue Coursol, à quelques minutes à peine de son ancienne résidence.

Dans le quartier Saint-Antoine, presque tous les ménages avaient un lien avec la profession de porteur, un métier hautement respecté au sein de la communauté. L’estime qu’on leur vouait se manifestait notamment par une tradition bien ancrée : lors de la retraite d’un porteur, famille, amis, collègues et employeurs se réunissaient à la gare pour l’accueillir au retour de son dernier parcours. Le Black Worker, le bulletin syndical de la Fraternité des porteurs de wagons-lits, évoque fréquemment ces moments privilégiés. On peut donc présumer que M. Nash aurait lui aussi reçu une reconnaissance similaire au moment de prendre sa retraite en 1969.

Lettre des Ressources humaines du CN fournissant des détails sur le départ à la retraite d’un porteur du CN en août 1969.

Lettre annonçant le départ à la retraite de Thomas Nash en août 1969. (MIKAN 6480775)

Les droits et les conditions de travail des porteurs

La carrière de M. Nash a débuté en 1927, une année charnière pour le CN et son personnel. En effet, le CN et son syndicat, la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, mettent en place un système ségrégué qui divise le personnel en deux groupes. Le premier groupe, composé des employés des voitures-restaurants et des chefs de train des voitures-lits, était réservé aux hommes blancs, tandis que le second regroupait les porteurs, majoritairement noirs. Ces conventions collectives distinctes ont pour effet de limiter les possibilités liées à l’ancienneté et aux promotions au sein de chaque groupe, et confinent les travailleurs noirs au travail de porteur, les empêchant essentiellement de progresser dans les échelons du CN.

M. Nash aurait rapidement compris que ses possibilités d’avancement étaient inexistantes. Steven High nous aide à remettre l’expérience de M. Nash en contexte, en notant que les porteurs des années 1920 et 1930 travaillaient de très longues heures et empochaient un salaire mensuel fixe, quel que soit le nombre réel d’heures travaillées. En transit, les porteurs n’avaient droit qu’à trois heures de sommeil par jour. Il va sans dire que leurs conditions de travail étaient éprouvantes et abusives. Il est regrettable que les premières années de carrière de M. Nash, y compris ses contributions durant la Deuxième Guerre mondiale, ne soient pas documentées dans son dossier personnel. Cette omission est d’autant plus troublante compte tenu de l’importance de son travail.

Même si les archives en font peu état, les porteurs noirs se sont battus pour améliorer leurs conditions de travail. En 1945, la Fraternité des porteurs de wagons-lits et le Chemin de fer du Canadien Pacifique négocient avec succès une nouvelle convention collective qui prévoit de meilleurs salaires, des congés payés et une réduction des heures de travail. Ces gains syndicaux ne s’étendent toutefois pas aux employés du CN, qui restent liés par la convention plus restrictive de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer. L’extrait de la convention ci-dessous, datée de 1948, montre que les porteurs restent parmi les employés les moins bien payés, juste derrière les employés de cuisine, avec des salaires mensuels variant entre 174 $ et 209 $. De surcroît, contrairement à d’autres professions mentionnées, les porteurs ne voyaient aucune augmentation salariale après deux ou trois années d’expérience. En réalité, les conditions de travail de ces hommes restèrent pratiquement inchangées jusqu’en 1964, année où la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers voit le jour. Celle-ci met fin aux barrières raciales dans le domaine et crée une liste d’ancienneté commune.

(Pour plus de détails sur la longue lutte pour les droits des porteurs, écoutez le 4e épisode de « Confidences de porteurs » : La longue lutte pour les droits des porteurs.)

Page de couverture de la convention collective de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, ainsi que les renseignements concernant les salaires des employés.

Pages de la convention collective de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, datée de 1948, faisant état des conditions de travail et des taux de rémunération des employés des services de voitures-lits, de voitures-restaurants et de voitures-salons. (MIKAN 1559408)

On pourrait aisément passer outre l’importante contribution des porteurs en faisant un survol rapide du fonds du CN, mais le dossier personnel de Thomas Nash fournit des informations précieuses sur la nature de leur travail. Sa carte d’évaluation de la qualité du travail de l’employé met notamment en évidence les pressions exercées sur les porteurs. Cette carte a été conçue pour documenter et classer la qualité du service offert, ce qui rappelle que M. Nash et ses confrères étaient constamment surveillés, que ce soit par le personnel du CN ou par les passagers. Il est important de souligner que même les infractions mineures pouvaient entraîner l’attribution de points d’inaptitude, familièrement appelés « brownies ». L’accumulation de 60 points d’inaptitude entraînait le licenciement automatique de l’employé, sans possibilité d’appel. Et, ce qui rend le cas de M. Nash d’autant plus remarquable, c’est qu’en 42 ans de carrière, il n’a jamais reçu un seul point d’inaptitude. La carte de commentaires ci-dessous, laissée par un passager en 1958, offre à la fois une anecdote concrète et un témoignage du service exceptionnel de M. Nash : « Excellent porteur, mais parle trop ». Bien que contradictoire en apparence, cette remarque reflète la personnalité attachante de M. Nash et son grand dévouement à l’égard de son métier.

Cartes comportant les notes données à Thomas Nash et des commentaires sur la qualité de son travail.

Recto et verso de la carte d’évaluation de la qualité du travail de Thomas Nash. (MIKAN 6480775)

En 1961, un autre passager a même félicité M. Nash pour son travail :

Lettre dactylographiée d’un passager décrivant l’excellent service que lui a fourni le porteur du CN, Thomas Nash.

Lettre d’un passager félicitant le porteur du CN Thomas Nash pour l’excellence de son service, 1961. (MIKAN 6480775)

Faire connaître le travail des porteurs

Mon équipe reste déterminée à en apprendre davantage sur la vie des porteurs et sur les expériences qu’ils ont vécues sur les voies ferrées. Depuis l’an dernier, nous avons téléversé plus de 21 000 dossiers de service appartenant à des employés qui ont travaillé pour le CN et les sociétés qui l’ont précédé. Ceci comprend les dossiers de 1 066 porteurs dans la sous-sous-série intitulée Employees’ provident fund service record cards. Petit à petit, nous découvrons dans le fonds du CN des documents qui révèlent l’inestimable contribution des porteurs, permettant de mettre en lumière l’importance de leur service. À bien des égards, ceci nous permet de célébrer leur héritage et de redonner vie à leurs histoires. Ces efforts contribuent aussi à une nouvelle compréhension de la profonde influence des porteurs dans l’édification du Canada d’aujourd’hui.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de BAC.

Perspectives des porteurs noirs : l’éclairage des documents militaires

English version

Par Rebecca Murray

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède plus de 30 millions d’images sur divers supports, comme des images numériques, des négatifs et des photographies. Une seule photo d’archives peut en dire long sur la mode, le climat, la technologie, les coutumes et la culture d’une époque! Pourtant, ces thèmes importants sont souvent négligés dans les descriptions archivistiques, la priorité étant accordée aux principaux sujets photographiés.

Chaque fois que je vois une image dans les collections, je constate qu’elle vaut effectivement 1000 mots. Prenons l’exemple de cette photo relativement simple montrant deux personnes sur un fond pratiquement noir. On y trouve néanmoins une foule de détails et de renseignements historiques qui portent à réfléchir. Que nous révèlent les uniformes des deux hommes? Un bâtiment ou un paysage à l’arrière-plan nous aurait-il permis de déterminer où la photo a été prise?

Un porteur de voitures-lits (à gauche) serre la main d’un soldat.

1967-052, pièce Z-6244-4 : Arrivée des membres du Royal Canadian Regiment au fort Lewis : des unités de la Force spéciale de l’Armée canadienne équivalant à une brigade viennent de déménager au fort Lewis (Washington) et commenceront bientôt leur instruction. Parmi les nouveaux arrivants se trouve un des nombreux membres de la Force spéciale venant de Halifax. Ci-dessus, le porteur Jim Jones de Calgary souhaite bonne chance au soldat Harry Adams. (e011871942)

J’ai vu cette image pour la première fois en parcourant l’acquisition 1967-052 du ministère de la Défense nationale à la recherche de femmes militaires, qui sont très peu représentées dans les photos de l’armée (il n’y en a d’ailleurs aucune ici). Les documents visuels, en effet, ne nous renseignent pas seulement sur leur sujet principal : ils peuvent apporter un éclairage sur de nombreux éléments secondaires ou moins connus, comme l’histoire des porteurs de voitures-lits. Malgré mon diplôme en histoire canadienne, c’est dans des livres comme Bluebird, de Genevieve Graham, et Le porteur de nuit, de Suzette Mayr, que j’ai récemment découvert l’existence des porteurs et leurs réalités.

Pour trouver des images de porteurs de voitures-lits à BAC, vous ne commenceriez probablement pas par les fonds du ministère de la Défense nationale, mais par ceux du ministère des Transports (RG12) ou de la Compagnie des chemins de fer nationaux (RG30). Dans le cas qui nous occupe, ni les porteurs ni le chemin de fer (ni même la guerre de Corée) ne sont mentionnés dans la description de la sous-sous-série « préfixe Z – CA ». Ce n’est pas étonnant, car on y trouve environ 7 500 images documentant des événements au fil de plusieurs décennies, dont la Deuxième Guerre mondiale. Moins de 15 % des images de cette sous-sous-série sont décrites au niveau de la pièce (ou photographie) dans la base de données. La plupart sont cependant décrites en détail dans les instruments de recherche (c’est-à-dire des listes de pièces) joints à la description en format numérisé au niveau de la sous-sous-série.

La description complète de l’image Z-6244-4 n’existe que sur l’enveloppe originale; elle doit être commandée et consultée en personne. Elle fait état de la présence du porteur et, à ma grande surprise, donne même son nom : il s’agit de Jim Jones, de Calgary. J’ai rarement vu ce type de renseignements au sujet des images consultées au cours de ma recherche. Je me demande d’ailleurs pourquoi cette photo est beaucoup mieux décrite que les autres. N’ayant pas de liste complète des légendes et des notes des photographes, nous ne pouvons pas tirer de grandes conclusions.

Il ne faut pas hésiter à s’éloigner temporairement de nos intentions de recherche quand on peut jumeler des images à leurs descriptions complètes, surtout si elles comprennent les noms et d’autres renseignements sur les personnes photographiées. Les histoires méconnues que cachent ces photos méritent bien plus qu’une courte description de base.

Ce processus s’appelle la description réparatrice. Il consiste à rectifier les pratiques et à corriger les données qui ont pour effet d’exclure, de réduire au silence ou de mal décrire des personnes ou des récits dans les archives. Il peut être mené à grande échelle ou sur une seule photographie à la fois et se poursuivra indéfiniment. Quand j’ai découvert des images de porteurs et d’autres employés noirs des chemins de fer de l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, j’ai transmis mes notes à mes collègues du balado de Bibliothèque et Archives Canada Voix dévoilées : Confidences de porteurs. Nous avons ensuite pu compter sur la collaboration d’autres collègues s’intéressant à cette période, à la présence de porteurs sur des photos du ministère de la Défense nationale et à la façon dont ils sont représentés dans la collection.

Ne manquez pas la suite de cette série de blogues!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Confidences de porteurs

Par Stacey Zembrzycki

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Stanley Grizzle est né à Toronto en 1918, de parents jamaïcains ayant immigré séparément en 1911. Sa mère était une domestique tandis que son père travaillait comme chef à la Compagnie du Grand Tronc de chemin de fer (Grizzle, My Name’s Not George, p. 31). L’aîné d’une fratrie de sept enfants, Grizzle devient porteur au Chemin de fer Canadien Pacifique à 22 ans, contraint de quitter l’école pour aider ses parents à faire face à leurs obligations financières. Comme il le mentionne dans ses mémoires intitulées My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada (p. 37) : « En raison de leur emploi stable, les porteurs étaient respectés et même parfois admirés au sein de la communauté. Ils formaient en quelque sorte l’aristocratie des communautés noires au Canada. Ils étaient les célibataires les plus recherchés, et les parents encourageaient souvent leurs filles à marier un porteur. » [Traduction]

Un homme en uniforme devant un train. Sous l’image principale se trouve une photo d’un groupe d’hommes en uniforme, debout en rangée.

Page couverture du livre My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada: Personal Reminiscences of Stanley G. Grizzle (OCLC 1036052571). Image courtoisie de l’auteure, Stacey Zembrzycki.

Au début de sa vie, Grizzle suit cette trajectoire typique. Il faut dire que le métier de porteur est une des rares avenues ouvertes aux hommes noirs au milieu du 20e siècle. La Deuxième Guerre mondiale vient toutefois bouleverser les choses. Conscrit dans l’Armée canadienne en 1942 (une mesure à laquelle il s’est vigoureusement opposé toute sa vie), Grizzle passe beaucoup de temps loin de la famille qu’il vient de fonder. Son premier enfant, Patricia, naît le jour de son départ pour l’Europe. La petite fille verra son père pour la première fois lorsqu’il reviendra au pays, soit seulement trois ans plus tard. (Grizzle, My Name’s Not George, p. 57)

Grizzle est confronté à la pauvreté pendant son enfance et au racisme en tant que porteur et soldat. Ces expériences influenceront son cheminement professionnel : syndicaliste actif à la section torontoise de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, il devient ensuite le premier Canadien noir engagé comme commis à la Commission des relations de travail de l’Ontario, puis le premier Canadien noir nommé juge à la Cour de la citoyenneté canadienne. Elles orienteront certainement aussi les entrevues qu’il réalisera en 1986 et 1987, lesquelles sont maintenant conservées à Bibliothèque et Archives Canada (BAC).

Comme je l’expliquais dans un blogue précédent, ces 53 conversations amicales sont des « histoires de porteurs » (porter talk), pour reprendre les mots de Melvin Crump et de bien d’autres. Lors d’une rencontre dans le salon de Crump à Calgary, le 1er novembre 1987, les deux hommes passent l’après-midi à discuter de la situation complexe des porteurs. En plus d’analyser le sens de ce travail pour eux en tant qu’hommes noirs, ils expliquent comment leur métier a façonné leur identité et l’ensemble de la communauté noire qui les appuyait.

Crump provient d’un milieu très différent de celui de Grizzle. Il est né à Edmonton en 1916. Avant d’immigrer en 1911, ses parents étaient des homesteaders à Clearview, en Oklahoma. Les deux hommes ont vécu l’intense racisme auquel étaient confrontés les Noirs au Canada, qui les a tous deux menés à une carrière au Canadien Pacifique. Tout comme Grizzle, Crump préfère un emploi permanent dans cette compagnie à l’instabilité et aux salaires de misère offerts dans les abattoirs et les fermes de la région. Voyant là la seule manière d’améliorer son sort, il ment au sujet de son âge afin de pouvoir travailler même s’il lui manque deux ans pour atteindre les 21 ans requis.

À l’instar de Grizzle, Crump travaille 20 ans pour le Canadien Pacifique avant de quitter l’industrie ferroviaire. L’automatisation et la transition des locomotives à vapeur aux locomotives diesel modifient radicalement la taille, la nature et l’apparence de la main-d’œuvre, ainsi que l’expérience des passagers. Fidèles à leurs habitudes, les deux hommes recherchent un avenir plus sûr. Malgré leurs parcours plus ou moins divergents, ils sont fiers d’avoir bien travaillé et continuent d’insister sur l’importance de la syndicalisation, malgré les risques que cela comporte, près de 39 ans après avoir quitté le métier de porteur.

Un homme portant un complet et un chapeau marche sur le trottoir dans une rue bordée de bâtiments et de voitures stationnées.

Melvin Crump sur la 8e Avenue à Calgary (Alberta) vers 1940 (CU1117465).
Photo : Collections numériques de ressources culturelles et de bibliothèques, Université de Calgary.

La conversation se déroule dans une sorte de langage codé; tout y est implicite et naturel. Elle est presque impossible à comprendre pour qui n’a pas connu le racisme institutionnel et les politiques de ségrégation systémique, omniprésents dans la vie de ces hommes tant à proximité qu’à l’écart des chemins de fer (Mathieu, North of the Color Line). Les deux interlocuteurs sont chaleureux et rient de bon cœur. Leurs expériences se rejoignent de manières parfois complexes, mais ils n’ont pas besoin de donner beaucoup de détails pour se comprendre.

Les entrevues avaient pour but d’aider Grizzle à écrire ses mémoires. Celui-ci était bien décidé à documenter et à préserver l’histoire des porteurs au Canada, mais on peut se demander si ces conversations étaient faites pour être écoutées. Et pourtant, près de 40 ans plus tard, nous les écoutons dans le but d’en déchiffrer les codes.

Grizzle invite Crump à décrire son expérience à Calgary : les amitiés formées, entretenues et rompues; les efforts pour y établir une section du syndicat; et le rôle de l’ensemble de la communauté, qui réclame des changements pour aider les porteurs et leurs familles. Ce faisant, il démontre qu’il existe une correspondance entre les expériences des porteurs de tout le pays, qui pratiquent un métier exigeant et souvent dégradant.

On remarque de telles ressemblances dans toutes les entrevues de la collection, mais des divergences apparaissent quand Grizzle demande à Crump, comme il le fait avec tous ses interviewés, de raconter des anecdotes mémorables vécues sur les chemins de fer. On découvre alors comment chaque homme va de l’avant et tente de bâtir sa vie en tant que porteur. Ces aperçus extrêmement utiles nous aident à comprendre qui étaient ces hommes, comment ils percevaient le monde et pourquoi ils toléraient et surmontaient quotidiennement les abus.

Cette compréhension de la personnalité de chaque homme, quoique superficielle, nous renseigne sur leur résilience. On passe naturellement d’anecdotes sur certains passagers inoubliables à des discussions sur les autres hommes noirs qui avaient les mêmes responsabilités à bord des voitures de train. Les enregistrements prennent une valeur très particulière en raison de l’esprit de corps qui unit les porteurs et de ces conversations qui ont commencé à bord des trains et qui se poursuivent dans le cadre des entrevues. Les rires renforcés par le passage du temps, la réflexion et la reconnaissance du travail bien fait donnent lieu à de joyeux échanges qui constituent l’essence même des histoires de porteurs.

Quand Grizzle demande à Crump de lui parler des surnoms que se donnaient les porteurs, ce dernier rit à gorge déployée et déclare :

Les surnoms des porteurs? Oh oui, je sais de quoi tu parles. Entre eux, les porteurs se donnaient des noms que je ne voudrais pas répéter sur un enregistrement. Si je le faisais, les lecteurs et les auditeurs seraient probablement choqués. Je peux te dire que les porteurs avaient un langage bien particulier. Et les conversations qu’ils avaient entre eux… Je n’oserais jamais raconter ça. (Traduction de l’entrevue 417403, partie 2 [22:33])

Et pourtant, presque toutes les entrevues de Grizzle donnent une idée de ce type de conversations entre porteurs. C’est le cas de celle avec Crump : ce dernier dit qu’il n’ose pas parler, mais il finit quand même par le faire. Grâce à ces entrevues, nous entrons dans un monde aujourd’hui disparu, mais qui fait partie intégrante de l’identité canadienne.

Cette allusion au langage des porteurs a inspiré la création d’une série de courts balados sur Découvrez Bibliothèque et Archives Canada. Intitulée Voix dévoilées, cette série plongera dans la riche histoire orale conservée dans les collections de BAC. Confidences de porteurs sera le premier épisode.

Depuis quelques années, les porteurs occupent une place importante dans la culture populaire. Ce sera cependant la première fois que la parole sera donnée à ces hommes et à leurs épouses et leurs enfants. Parler de leurs expériences exceptionnelles n’est pas assez : il faut aussi les écouter raconter leurs propres histoires; distinguer leurs accents; rire et se mettre en colère avec eux; s’interroger sur les défis du métier de porteur et sur la résilience des communautés noires au Canada; s’imprégner de la puissance dans la voix de ces hommes; et comprendre leurs histoires.

Grizzle, Crump et toutes les personnes qui ont généreusement accordé une entrevue nous offrent une véritable visite guidée, dans leurs propres mots. Les entrevues montrent pourquoi nous devons absolument continuer d’écouter les porteurs et de perpétuer leur mémoire, surtout à une époque où nous devons relever les défis causés par le racisme et la discrimination systémiques et institutionnels, tant au Canada qu’à l’étranger. Les structures que ces hommes et leurs familles ont abattues au prix de tant d’efforts conservent leur importance aujourd’hui. Les voix des porteurs rappellent qu’il reste encore du travail à accomplir.

Pour écouter les épisodes de cette série, abonnez-vous gratuitement à Découvrez Bibliothèque et Archives Canada, sur le site de votre fournisseur de balados habituel.

Autres ressources


Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés et des minorités ethniques. Elle travaille actuellement comme spécialiste en création de balados à la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Les auxiliaires féminines de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs

Par Stacey Zembrzycki

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certaines personnes pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Porteur de voitures-lits pendant 20 ans, Stanley Grizzle a aussi été juge de la citoyenneté, politicien, fonctionnaire et syndicaliste. À la fin des années 1980, il parcourt le pays afin de documenter l’expérience des porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique et leur combat pour se syndiquer. Il se penche non seulement sur la création de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, mais aussi sur le rôle primordial des femmes noires qui ont appuyé le syndicat.

Dix membres de la section torontoise des auxiliaires féminines prennent la pose.

Section torontoise des auxiliaires féminines de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs (e011181016)

Dans ses entrevues, Grizzle documente avant tout la vie exigeante des porteurs. Cela dit, il prend toujours soin de poser des questions sur les mères, les sœurs, les épouses et les filles qui soutiennent en coulisse le mouvement syndical – et qui restent aussi à l’arrière-scène pendant l’enregistrement des entrevues. La collection d’entrevues Stanley Grizzle fait ainsi connaître les points de vue d’hommes et de femmes de diverses générations qui ont rendu possible la syndicalisation des communautés noires au Canada. Elle montre aussi comment la Fraternité et ses auxiliaires féminines ont inspiré d’autres personnes à se mobiliser dans divers domaines, et comment elles ont aidé à former des leaders communautaires.

Au pays, les dirigeants syndicaux s’inspirent d’A. Philip Randolph, un Américain célèbre pour son travail dans la mouvance syndicale, la défense des droits civils et l’organisation de la Fraternité aux États-Unis. Ils réalisent très vite que les femmes sont essentielles à la création et à la durabilité du syndicat. Comme le mentionne Essex Silas Richard « Dick » Bellamy :

« Je n’oublierai jamais les paroles de frère Randolph, quand il est venu à Calgary, et de frère Benny Smith. Ils ont dit qu’aucune organisation ne peut réussir sans les femmes. Je ne l’ai jamais oublié. Vous aurez du mal à trouver des organisations qui n’ont pas l’appui des femmes. Elles ont l’air de motiver les hommes, de leur donner le coup de pouce dont ils ont besoin. » (Traduction de l’entrevue 417401)

Frank Collins est du même avis : « Vous avez besoin de femmes pour avoir un syndicat solide. Sans elles, vous n’allez nulle part. » (Traduction de l’entrevue 417402)

La contribution des femmes se fait sentir d’abord et avant tout dans la vie quotidienne des porteurs. Ceux-ci font souvent de longs voyages pouvant durer jusqu’à un mois. En leur absence, leurs épouses, leurs mères, leurs sœurs et leurs filles jouent des rôles essentiels. Elles communiquent avec les hommes et les femmes des communautés noires pour encourager la création de la Fraternité. Elles recrutent activement les porteurs dans les gares locales, les églises et les organismes communautaires. Et une fois le syndicat mis sur pied, elles collectent les frais d’adhésion et les cotisations.

Velma Coward King est membre des auxiliaires féminines à Montréal. Elle fait partie de ces femmes qui réalisent à quel point la création du syndicat est parsemée d’embûches. Les longs voyages empêchent les hommes d’assister régulièrement aux réunions syndicales. Comme les femmes « sont le pilier de leur foyer, elles doivent absolument s’impliquer ». C’est la seule manière d’aller de l’avant : « Quand il y a un syndicat pour te défendre, les patrons savent qu’ils ne peuvent plus te traiter comme un moins que rien. » (Traduction de l’entrevue 417383)

La collection d’entrevues Stanley Grizzle montre comment le mouvement syndical (et les efforts des femmes à leur base) a rendu possibles les avancées sociales. Les conventions collectives, obtenues grâce à la solidarité communautaire, améliorent les conditions de travail et les salaires. Ces gains permettent aux familles de s’acheter des maisons en banlieue et d’offrir des études universitaires à leurs enfants. Helen Bailey, présidente des auxiliaires féminines à Winnipeg, note un élément encore plus important : « Je pense que ça a rehaussé l’estime de soi des hommes, car ils arrivaient à bien gagner leur vie et celle de leurs familles. » (Traduction de l’entrevue 417400)

Affiche annonçant une soirée dansante pour le 10e anniversaire de la section torontoise de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et de leurs auxiliaires féminines.

Affiche annonçant une danse pour souligner le 10e anniversaire de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs et de leurs auxiliaires féminines (e011536972)

Les entrevues décrivent aussi les liens qui se créent entre générations grâce aux auxiliaires féminines. Partout au pays, des femmes de tout âge se réunissent pour organiser et financer le syndicat au moyen de salons de thé, d’activités sociales et de bals. Les fonds recueillis remboursent les frais de déplacement, ce qui permet aux dirigeants syndicaux de parcourir le pays pour se faire entendre lors d’assemblées nationales et internationales. Enfin, des bourses d’études sont versées.

Affiche annonçant un congrès spécial de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs à Los Angeles, en Californie.

Affiche annonçant un congrès spécial de la Fraternité internationale des porteurs de wagons-dortoirs à Los Angeles, en Californie (e011536973)

Les auxiliaires féminines ont aussi pour objectif de donner des occasions d’emploi à leurs fils, afin que ceux-ci n’aient pas à devenir porteurs comme leurs pères. Certaines, comme Ivy Lawrence Mayniar, voient de leurs propres yeux le racisme systémique et la discrimination subis chaque jour par les ouvriers noirs au Canada. Constatant ce que son père vivait comme porteur, Mme Mayniar a voulu faire des études supérieures. Elle raconte un souvenir qui l’a marquée lorsqu’elle étudiait à l’Université McGill :

« Je suis allée à la bibliothèque pour étudier un peu. Puis je suis allée à la gare, et là, j’ai cherché la voiture de mon père. La nuit était très froide. Je n’étais vraiment pas bien. Mais je voulais y aller, car je savais que mon père travaillait et qu’il était sur appel. Je suis allée à la gare, et j’ai cherché mon père le long de la voie. Il était là, debout, à l’extérieur. C’était un tout petit homme. Je suis allée le voir. Il était là, debout, la casquette couverte de neige. Ses épaules étaient voûtées, comme ça. Et il ventait très fort sur la voie. C’était terrible. Il restait planté debout, et la neige s’accumulait sur lui. Je suis allée m’asseoir près de l’endroit où les trains partaient. Je me suis assise sur un banc et j’ai pleuré. Je n’oublierai jamais ce moment. » (Traduction de l’entrevue 417387)

Mme Mayniar devient la première femme noire diplômée en droit à l’Université de Toronto. Consciente des limites imposées aux personnes de couleur au Canada, elle part étudier en Angleterre, où elle s’inscrit à un Inn of Court pour préparer son accession au barreau. Elle exerce ensuite le droit à Trinité-et-Tobago. Elle y passe le reste de sa carrière, luttant contre le racisme et la discrimination dont son père a été victime lors de cette rigoureuse soirée d’hiver à la gare de Windsor.

De manière indirecte, les entrevues menées par Stanley Grizzle brossent ainsi l’histoire de l’ascension des familles et des communautés noires au Canada. Et cette ascension n’aurait pas pu avoir lieu sans le syndicat. Ce qui est frappant, quand on écoute toutes ces voix, c’est l’importance de tous les gestes –petits et grands – posés collectivement par les femmes, et la fierté qu’éprouvent ces épouses, ces mères, ces sœurs et ces filles à l’idée d’avoir changé les choses, non seulement pour les porteurs, mais aussi pour leurs enfants et pour elles-mêmes. Quand Stanley Grizzle demande à Evelyn Braxton si les auxiliaires féminines ont réussi à donner aux porteurs l’appui qu’ils espéraient, elle répond avec conviction : « Absolument! Les auxiliaires féminines étaient le pilier des hommes de la Fraternité. » (Traduction de l’entrevue 417386) Ces femmes n’étaient pas seulement le cœur de leur foyer : elles ont aussi été un roc pour leur communauté et les générations suivantes.

Autres ressources

  • My Name’s Not George: The Story of the Brotherhood of Sleeping Car Porters in Canada: Personal Reminiscences of Stanley G. Grizzle, Stanley G. Grizzle, avec la collaboration de John Cooper (noOCLC 883975589)
  • Deindustrializing Montreal: Entangled Histories of Race, Residence, and Class, chapitre 3 : The Black City below the Hill, Steven High (noOCLC 1274199219)
  • North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, 1870–1955, Sarah-Jane Mathieu (noOCLC 607975641)

Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés et des minorités ethniques. Elle mène actuellement des recherches pour le compte de Bibliothèque et Archives Canada.