De modestes débuts

Par Forrest Pass

Bibliothèque et Archives Canada conserve de nombreux traités, chartes et proclamations, mais son propre document fondateur est bien modeste! Il y a 150 ans, le cabinet fédéral faisait de Douglas Brymner le commis principal des nouvelles archives publiques, gérées par le ministère de l’Agriculture. Le décret manuscrit du 20 juin 1872 annonçant la nomination de M. Brymner n’a pas l’air de grand-chose. Pourtant, il marque le point de départ d’un siècle et demi de collecte et de préservation du patrimoine documentaire canadien.

La décision d’établir un service national d’archives résulte d’une pétition lancée en 1871 par la Société littéraire et historique de Québec. Soulignant la situation très désavantageuse dans laquelle se trouvaient les historiens canadiens qui voulaient accéder aux documents historiques, les signataires réclamaient la création d’un répertoire national. Le gouvernement fédéral, bien qu’en accord avec le principe, ne pouvait débloquer de fonds dans l’immédiat; le projet dut donc attendre l’année suivante.

Page rédigée à la main en anglais, avec le texte suivant [traduction] : « Dans une note de service datée du 18 juin 1872, l’honorable ministre de l’Agriculture recommande que M. Douglas Brymner, 42 ans, soit inscrit sur le rôle du personnel du ministère de l’Agriculture en qualité de commis principal aux documents, au salaire de 1 200 $ par année. Il recommande aussi que, durant la présente année, le salaire de M. Brymner soit prélevé en partie par des crédits du Parlement pour la collecte d’archives publiques, au montant de 600 $, car il propose d’employer M. Brymner pour… »

Copie certifiée du décret no 1872-0712, fait le 20 juin 1872, autorisant la nomination de Douglas Brymner au poste de commis principal de deuxième classe, responsable des archives publiques et de la collecte d’informations au sujet de l’agriculture. (e011408984-001)

Journaliste montréalais, Douglas Brymner n’était pas le candidat tout désigné pour devenir le premier archiviste du pays. Certes, il s’intéressait à l’histoire, mais il ne fréquentait pas les cercles d’historiens. Or, il ne fut pas seulement engagé comme archiviste :  il devait aussi réaliser une enquête préliminaire sur l’agriculture. (Les recherches sur l’état des cultures et du bétail au pays n’étaient pas moins pressantes que la création d’un service d’archives.) Ancien agriculteur, M. Brymner semblait tout désigné pour remplir ces fonctions.

Portrait d’un homme barbu vêtu d’une chemise blanche et d’un veston noir.

Portrait à l’huile de Douglas Brymner, premier archiviste du Canada, réalisé par son fils William en 1886 (e008299814-v6)

Quelle que fût l’intention de départ, M. Brymner réalisa bien vite que la mise sur pied des archives nationales était un travail à temps plein. Comme il le dit plus tard : « Tout était à faire ab ovo [à partir du début]; il n’y avait rien, pas un seul document dans la salle de conservation des archives. » En quelques semaines, il prit la route et écuma les palais de justice et les édifices gouvernementaux de la cave au grenier, sans oublier de recueillir les archives privées d’illustres pionniers.

Cette stratégie témoigne du mandat limité des Archives et de la façon dont M. Brymner concevait l’histoire canadienne. Avant 1903, il ne recueillit pas les documents récents du gouvernement. Il s’intéressa plutôt aux archives d’avant la Confédération, en particulier aux documents politiques et militaires sur l’histoire coloniale. Et bien que ses écrits témoignent parfois d’un certain intérêt pour ce qu’on appelait alors les « affaires indiennes » dans la politique coloniale, il ne fit que peu de place, voire pas du tout, aux voix et aux expériences autochtones.

Brymner consacra plutôt ses efforts à transcrire les documents canadiens conservés aux archives britanniques et françaises. Il reprit en cela le travail que la Société littéraire et historique de Québec avait accompli en coulisse pendant quelques décennies. Ses recherches le menèrent jusqu’à Londres, tandis que l’historien Hospice-Anthelme Verreau se rendit à Paris.

C’étaient d’ambitieux projets, vu les ressources limitées des Archives fédérales. Pour sa première année, l’institution reçut un maigre budget de 4 000 $ (environ 94 000 $ en dollars de 2022). Le sous-ministre de l’Agriculture dut argumenter avec le ministère des Postes pour que M. Brymner obtienne trois salles dans le sous-sol de l’édifice de l’Ouest, sur la Colline du Parlement, afin d’y installer ses bureaux et d’entreposer les archives.

Photo d’un imposant édifice de pierre surmonté de tours. Devant, on voit un chemin de terre, bordé d’un muret en pierre et en fer forgé.

L’édifice de l’Ouest, sur la Colline du Parlement, vu de la rue Wellington, tel qu’il était vers 1872 lorsque les Archives fédérales emménagèrent dans son sous-sol. L’aile nord-ouest de l’édifice, ainsi que son imposante tour, n’ont été achevées qu’en 1879. Photo : Studio William Topley (a012386-v6)

Le sous-financement des Archives causa parfois des embarras. En 1880, le député néo-brunswickois Gilbert-Anselme Girouard suggéra à M. Brymner d’engager Pascal Poirier, un historien acadien, pour retranscrire les registres paroissiaux de l’Acadie. La réponse de M. Brymner le força à décliner, car il ne pouvait recommander les services de M. Poirier (ni d’aucun autre copiste compétent) en raison du salaire dérisoire offert par les Archives.

Plus choquant encore, les Archives voulurent embaucher des mineurs pour économiser. En 1878, Frederic J. Dore, agent général du Canada à Londres, demanda au British Museum (au nom de M. Brymner) l’autorisation de transcrire les documents de sir Frederick Haldimand, gouverneur du Québec pendant la Révolution américaine. À regret, il dut informer M. Brymner qu’il fallait avoir 21 ans ou plus pour travailler dans le musée. « Sans cela, écrivit-il, nous aurions pu engager de très jeunes copistes pour faire le travail à un tarif très inférieur à celui demandé. » À l’époque, l’embauche de copistes adolescents était pratique courante en Angleterre comme au Canada. Néanmoins, cette idée d’employer de jeunes personnes inexpérimentées en dit long sur la disette budgétaire des Archives naissantes.

Malgré toutes ces difficultés, M. Brymner enchaîna les réalisations pendant les dix premières années de son mandat. Les transcriptions faites en Angleterre commencèrent à arriver au Canada dès le début des années 1880. En 1884, les fonds documentaires catalogués remplissaient quelque 1 300 volumes, et des milliers de pages attendaient d’être indexées et reliées. La transcription d’archives européennes, quant à elle, perdura longtemps au 20e siècle.

Bon dactylographié avec notes manuscrites, signé par William Blackwood. On voit une estampe dans le coin supérieur droit. Sur le côté gauche, on peut lire des notes écrites à la main à l’encre rouge.

Reçu de livraison pour une caisse d’archives qui faisait probablement partie des premiers arrivages des transcriptions de Haldimand (1881). (e011408984-001)

Brymner acquit également des originaux. Sa première acquisition importante à cet égard concerne des documents de la citadelle d’Halifax. Ces archives, principalement de nature militaire, traitaient de nombreux aspects des débuts de l’époque coloniale. M. Brymner en fit l’acquisition en 1873, à l’issue de négociations avec le British War Office.

Toutefois, avant même l’arrivée des archives d’Halifax, un don modeste présagea du futur rôle des Archives fédérales, à la fois comme bibliothèque et centre d’archives. À l’été 1872, M. Brymner s’était rendu au Séminaire de Québec, un établissement d’enseignement religieux fondé plus de deux siècles auparavant et dirigé par une congrégation de prêtres catholiques. Le Séminaire refusait alors de transférer son riche fonds d’archives à Ottawa. Mais M. Brymner ne repartit pas les mains vides : il revint avec un lot de numéros de L’Abeille, le journal étudiant du Séminaire, dont certains comportaient des transcriptions de documents historiques.

Reliés en cuir et en toile rouges, ces numéros de L’Abeille figurent toujours dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Plusieurs portent l’estampille embossée « Dominion Archives – Library », qui remonte au temps de M. Brymner. Un volume d’une nouvelle édition de L’Abeille, paru entre 1877 et 1881, porte l’inscription « Archives du Canada » apposée par un directeur du Séminaire, preuve de la relation suivie entre M. Brymner et l’établissement.

Dans un chariot en bois se trouvent cinq livres reliés en cuir rouge, avec des signets blancs qui dépassent en haut.

Lot de numéros de L’Abeille donné aux Archives fédérales. Les trois volumes de gauche, plus minces, furent remis à M. Brymner en 1872; c’est sa toute première acquisition attestée. Le volume à l’extrême droite fut donné en 1885. (No OCLC 300305563) Crédit : Forrest Pass

Page dactylographiée de L’Abeille, Petit Séminaire de Québec, vol. 1, no 12, 11 décembre 1848.

Première page d’un numéro de L’Abeille paru en 1848, qui contient la transcription d’une lettre rédigée en 1690 par François de Laval, premier évêque de Québec. (No OCLC 300305563) Crédit : Forrest Pass

Douglas Brymner ne pouvait qu’imaginer l’ampleur que la collection naissante allait prendre pendant les 150 ans qui suivirent. Sous la direction de son successeur, sir Arthur Doughty, les Archives fédérales devinrent les Archives publiques du Canada. Le mandat de l’institution s’élargit : recueillir des documents gouvernementaux, des archives privées, des cartes, des œuvres d’art et des photographies. En outre, avant la création du premier musée d’histoire nationale, les Archives publiques recueillirent aussi des artefacts, qu’elles conservaient dans un musée.

La Bibliothèque nationale du Canada, fondée en 1953, vint compléter le travail des Archives en recueillant et en préservant notre patrimoine publié. Puis, en 2004, les deux institutions fusionnèrent pour devenir Bibliothèque et Archives Canada.

Aujourd’hui, la collection de Bibliothèque et Archives Canada comprend plus de 20 millions de livres, 250 kilomètres de documents textuels, plus de 30 millions de photographies et près d’un demi-million d’œuvres d’art. Nous sommes loin de l’archiviste à temps partiel qui travaillait dans un sous-sol de la Colline du Parlement, faisant de son mieux avec son budget famélique!


Forrest Pass est conservateur au sein de l’équipe des expositions de Bibliothèque et Archives Canada.

Les femmes à la guerre : le Service féminin de l’Armée canadienne dans les archives du ministère de la Défense nationale

Par Rebecca Murray

Mars 2022 marquait le 80e anniversaire de l’incorporation du Service féminin de l’Armée canadienne dans l’Armée de terre. Ce service fut constitué pendant l’été 1941 comme corps auxiliaire. Comme leurs compatriotes du Service féminin de la Marine royale du Canada, ses membres ont servi au Canada et à l’étranger pendant la Seconde Guerre mondiale. Vous pouvez lire le billet de ma collègue pour en savoir plus sur sa formation et son histoire.

J’avais déjà indexé des photos de la Marine à partir de listes de légendes (voir Les femmes à la guerre : Le Service féminin de la Marine royale du Canada). Tirant profit de cette expérience, je me suis donné pour mission de compiler une liste de photographies de femmes dans l’Armée de terre.

J’ai commencé par la collection de photographies de l’Armée classée par ordre numérique (1941-1946), qui renferme 110 albums de photos et des négatifs. Ces derniers sont classés selon la date à laquelle les photos ont été enregistrées par le personnel de l’Unité de film et de photographie de l’Armée canadienne. Cette sous-sous-série est sans doute la meilleure ressource de Bibliothèque et Archives Canada pour consulter des documents iconographiques de sources primaires concernant la Force active de l’Armée canadienne (l’élément outre-mer de l’Armée canadienne) pour cette période.

Les 110 albums et la plupart des listes de légendes correspondantes ont été numérisés et mis à la disposition du public dans l’outil Recherche dans la collection. Vous trouverez pour chaque album des liens vers les listes de légendes consultables. Consultez le champ « Instrument de recherche » sous l’onglet « Notice descriptive – Détails ».

Capture d’écran d’une notice dans l’outil Recherche dans la collection

Le champ « Instrument de recherche » dans une notice trouvée avec l’outil Recherche dans la collection. Les détails du champ sont affichés.

Ces albums et listes de légendes numérisés m’ont permis de poursuivre le projet d’indexation pendant le confinement. Indexer les illustrations en travaillant seulement à partir de ces listes s’est avéré difficile, car les personnes photographiées ne sont pas toujours décrites ou identifiées dans la légende. Toutefois, il est habituellement facile de repérer les femmes militaires sur les photos. Des recherches plus poussées, notamment la consultation de listes de légendes ou d’autres ressources, facilitent l’identification des sujets photographiés ou permettent de préciser le contexte.

Voici un exemple du projet d’indexage en cours. Il est tiré de l’album numérisé R112, volume 42827 : Photos numérotées de l’Armée 22542 à 23813 – Sicile – Album 62 de 110 (du 6 au 20 août 1943).

Page d’un album contenant 11 photographies noir et blanc avec des notes manuscrites.

Page 14 de l’album 62, où l’on voit des infirmières militaires canadiennes et d’autres membres du personnel médical en Sicile, en août 1943 (e011213504)

Dans l’album, j’ai relevé 13 illustrations montrant des femmes militaires. Je les ai consignées dans un tableau classé par numéro de négatif. La légende figurant sur la page, la date de la photo et le nom du photographe sont également inscrits.

Ensuite, j’ai consulté la liste des légendes dans l’instrument de recherche 24-513P-ARMY pour trouver de l’information sur les femmes photographiées. Les noms sont indiqués pour neuf des treize illustrations.

Numéros de négatif dactylographiés à gauche, avec les légendes correspondantes à droite, qui comprennent les noms des infirmières militaires.

Légendes pour les photographies 22807 à 22813, à la page 8 de l’instrument de recherche 24-513P-ARMY

Au total, 2 723 photographies de femmes militaires ont été relevées dans cette sous-sous-série.

Comme le travail se poursuit, je vous invite pour l’instant à consulter les albums numériques par vous-mêmes. Vous pouvez filtrer la liste des 110 albums par date, ou entrer un mot-clé en anglais (ex. : United Kingdom ou Northwest Europe) pour faire une recherche par lieu géographique et ainsi voir des milliers d’illustrations numérisées dans le confort de votre foyer. Si vous voulez nous aider à identifier les femmes militaires figurant sur les photos des collections de Bibliothèque et Archives Canada, renseignez-vous sur notre défi Co-Lab.


Rebecca Murray est archiviste de référence principale à la Division des services de référence de Bibliothèque et Archives Canada.

Vos ancêtres étaient-ils des Loyalistes de l’Empire-Uni?

Plusieurs personnes avec des tentes et des animaux, près d’un plan d’eau.

Campement de Loyalistes sur les rives du fleuve Saint-Laurent. (c002001k)

À mes débuts aux Services de généalogie de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), j’ai vite compris qu’il y avait beaucoup à apprendre. Pour bien faire son travail, il faut en savoir long sur l’histoire canadienne et mondiale. En un seul après-midi, des chercheurs peuvent nous demander de l’aide sur des sujets aussi variés que le Régiment de Terre-Neuve à Beaumont-Hamel, la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, l’exploitation forestière dans la vallée de l’Outaouais ou les recensements de la Nouvelle-France.

L’une des premières questions qu’on m’a posées venait d’un chercheur anglophone : « Mes ancêtres étaient-ils des UEL? » Sur le coup, je n’ai pas reconnu ce que voulaient dire ces trois lettres. Je m’en souviens comme si c’était hier : l’angoisse totale! J’ai fixé le chercheur comme un chevreuil aveuglé par les phares d’une voiture. Puis ma formation et mon expérience ont débouché sur un déclic : je me suis souvenu des Loyalistes de l’Empire-Uni. (En anglais, on les appelle aussi « UEL », pour United Empire Loyalists.)

Je n’ai pas revécu ce genre d’hésitation depuis; et c’est tant mieux, parce que les Loyalistes de l’Empire-Uni sont un sujet de recherche très populaire à BAC! Nous conservons d’ailleurs divers documents à leur sujet.

Le terme « Loyalistes de l’Empire-Uni » fait référence aux colons américains qui sont restés fidèles à la Couronne britannique pendant la Révolution américaine de 1775-1783, y compris à ceux qui ont combattu aux côtés de la Grande-Bretagne durant le conflit. Après la création des États-Unis, les Loyalistes sont venus s’installer dans les territoires qui forment aujourd’hui la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, le Québec et l’Ontario. Les archives de ces provinces contiennent des documents sur les Loyalistes, dont certains sont accessibles en ligne.

Deux personnes avancent côte à côte sur un chemin de terre, devant un chariot où une autre personne est assise.

Loyalistes noirs dans le bassin de Bedford, près de Halifax. (c115424k)

Le sujet des Loyalistes est devenu encore plus populaire après la publication d’Aminata, un roman de Lawrence Hill paru en 2007. Cet ouvrage remarquable a remporté de nombreux prix, dont le Prix des écrivains du Commonwealth en 2008, le prix Canada Reads de CBC en 2009 et le prix du Combat des livres de Radio-Canada en 2013. Il a également inspiré une minisérie diffusée en 2015.

Le titre original du roman, The Book of Negroes, tire son nom d’un registre conservé aux Archives nationales d’Angleterre. On y trouve les noms de quelque 5 000 passagers ayant quitté New York à bord de 219 navires entre avril et novembre 1783. Parmi eux : 2 831 hommes, femmes et enfants noirs, personnes libres, esclaves ou domestiques de Loyalistes blancs de l’Empire-Uni. Ce registre fait partie d’une vaste collection : les British Headquarter Papers, également connus sous le nom de Carleton Papers. BAC en conserve des copies sur microfilms, dont il a fait une base de données.

Pour trouver plus d’informations sur les Loyalistes noirs, y compris leurs noms, consultez également les collections suivantes (accessibles à partir des pages Recherche dans la collection et Recherche d’ancêtres) :

BAC conserve un éventail de sources sur les Loyalistes de l’Empire-Uni qui se sont établis au Canada après la Révolution américaine. Pour les découvrir, visitez la section de notre site Web consacrée aux Loyalistes.

Autres ressources


Sara Chatfield est chef de projet à la Division des expositions et du contenu en ligne à Bibliothèque et Archives Canada.

Anne Heggtveit : rien comme une bonne nuit de sommeil pour remporter une médaille d’or olympique!

Par Dalton Campbell

Remontons le temps jusqu’en 1960 : Anne Heggtveit remporte la toute première médaille d’or olympique du Canada en ski alpin.

Elle participe alors aux VIIIe Jeux olympiques d’hiver à l’endroit nommé aujourd’hui Palisades Tahoe, en Californie. Elle termine 12e lors des deux premières épreuves, le slalom géant et la descente chez les femmes. La veille de la troisième épreuve, le slalom, les autres participantes tentent de se familiariser avec le parcours, mais Anne choisit plutôt de retourner dans sa chambre pour dormir. Elle dévoilera plus tard avoir eu l’impression que si elle avait étudié le parcours ce soir-là, elle se serait sentie nerveuse et n’aurait pas bien dormi. Sa décision est la bonne : elle termine au premier rang et remporte la médaille d’or au slalom, avec une avance de plus de trois secondes sur la médaillée d’argent.

Une jeune femme portant un manteau d’hiver tient une médaille dans sa main gauche.

Anne Heggtveit montrant fièrement sa médaille d’or olympique en ski alpin, remportée en 1960. Avec un diamètre de 55 mm, la médaille est l’une des plus petites ayant été décernées aux Jeux d’hiver. En comparaison, la plus petite médaille attribuée à ces jeux depuis 2000 avait un diamètre de 85 mm. (a209759)

À la suite d’une éclatante victoire aux Jeux olympiques, Anne Heggtveit surprend le monde du sport en annonçant sa retraite du ski en mars 1960. Lors d’une entrevue accordée au Globe and Mail plus tard la même année, elle mentionne que le sport et ses amitiés lui manqueront, mais précise que les années de préparation en vue de la participation aux Jeux olympiques de 1964 seraient pour elle une source de tension émotionnelle excessive. Elle parle aussi de l’importance de trouver un juste équilibre entre la confiance et l’imprudence en faisant du ski. Elle explique également que lorsqu’on se trouve au départ d’un parcours au sommet, on peut éprouver une peur bleue, avoir un sentiment d’indifférence à l’égard de ce qui peut arriver ou, encore, soudainement sentir le mélange parfait d’émotions qui peut mener à une descente de championnat.

Bien que surprenante, l’annonce de sa retraite n’est pas sans rappeler la situation similaire vécue par sa coéquipière Lucile Wheeler en 1958; cette dernière avait pris sa retraite la même année, après avoir remporté les titres mondiaux en slalom et en descente. Lors d’une entrevue accordée à L’Encyclopédie canadienne en 2019, Anne Heggtveit décrit le rôle de pionnière qu’a joué Lucile Wheeler en figurant parmi les premiers athlètes canadiens à s’entraîner en Europe. Anne s’est grandement inspirée de Lucile et a beaucoup appris de cette dernière aux Jeux olympiques d’hiver de 1956 à Cortina d’Ampezzo, en Italie. Lucile Wheeler avait remporté une médaille de bronze en descente; de son côté, Anne avait terminé parmi les 30 meilleures dans trois descentes.

Grâce à ses résultats aux Jeux olympiques de 1960, Anne Heggtveit remporte la médaille d’or de la Fédération internationale de ski (FIS) et la médaille d’or au combiné en ski alpin. À l’époque, la FIS ne tient pas de championnats distincts pendant une année olympique; elle remet plutôt des médailles selon les résultats obtenus aux Jeux olympiques. Il s’agit alors du deuxième titre d’Anne au combiné en ski alpin de la FIS, ayant également gagné en 1959.

En 1960, Anne reçoit le trophée Lou Marsh à titre d’athlète canadienne par excellence de l’année et est intronisée au Panthéon des sports canadiens. Sa victoire est aussi considérée comme l’histoire sportive de l’année au Canada. Sa médaille est l’une des quatre remportées par l’équipe canadienne.

Le père d’Anne Heggtveit immigre au Canada de la Norvège alors qu’il est encore jeune. Champion canadien de ski de fond en 1934, il n’est cependant pas en mesure de recueillir de l’argent pour participer aux Jeux olympiques de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, en Allemagne. Anne commence à skier à l’âge de deux ans et participe à sa première course à cinq ans. Dès l’âge de huit ans, elle se fixe un but précis : remporter une médaille d’or olympique.

Au cours de sa carrière, Anne Heggtveit a reçu à deux reprises le prix Bobbie Rosenfeld remis à l’athlète féminine canadienne de l’année (1959 et 1960). Elle a été intronisée au Temple de la renommée olympique du Canada en 1971, puis décorée de l’Ordre du Canada en 1976. Après son départ à la retraite, elle s’est mariée, a fondé une famille et enseigné le ski, entre autres activités. En 1988, elle a été porte-drapeau du Canada aux Jeux olympiques de Calgary.

Recherches complémentaires


Dalton Campbell est archiviste à la section Sciences, environnement et économie dans la Division des archives privées.

Qu’a-t-on réellement signé sur la Colline parlementaire il y a 40 ans, le 17 avril 1982?

Par Natasha Dubois

Il existe plusieurs termes pour souligner ce moment précis de l’histoire du Canada : rapatriement de la Constitution, signature de la Constitution, signature de la Charte, etc. Toutes ces expressions sont à la fois correctes et incomplètes.

Oui, la Constitution canadienne a bel et bien été rapatriée il y a 40 ans (au sens où dorénavant, seul le Canada a le pouvoir de la modifier, et non plus le Royaume-Uni). Elle n’a cependant pas été signée, car il s’agit d’une loi édictée par le Parlement britannique. Les lois britanniques et canadiennes sont promulguées et non signées par le chef de l’État. Pour ce qui est de la Charte canadienne des droits et libertés, soulignons qu’il ne s’agit même pas d’un document; on ne peut donc le signer de manière officielle.

Donc, quel document a-t-on réellement signé le 17 avril 1982?

À cette date, la reine Elizabeth II a signé la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 (l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada promulguée par le Royaume-Uni quelques semaines auparavant), qui donne au Canada le pouvoir de modifier sa propre constitution et inclut, entre autres, le libellé de la Charte canadienne des droits et libertés.

Une page calligraphiée en couleur. On y voit les armoiries du Canada et des signatures, au centre en haut, ainsi que d’autres signatures, au centre en bas.

Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982. Légèrement endommagée par la pluie pendant la cérémonie liée à la Proclamation, cette version est connue, d’une manière informelle, comme la copie « goutte de pluie ». (e008125379)

Mais, alors, qu’est-ce que la Charte?

 On voit souvent des affiches de la Charte canadienne des droits et libertés, comportant les armoiries du Canada et la signature du premier ministre. Mais s’il ne s’agit pas d’un document officiel, alors qu’en est-il au juste?

Une page dactylographiée en couleur. On y voit les armoiries du Canada, au centre en haut, et un dessin de l’édifice du Parlement, au centre en bas. Une signature figure dans le coin inférieur droit.

Affiche publiée par le gouvernement du Canada pour promouvoir la Charte canadienne des droits et libertés. (e010758222_s1-v8)

Contrairement à la croyance populaire, la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas un document en soi. Il s’agit en fait de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, mise en page sous la forme d’une affiche en 1985. Cette affiche n’a jamais été officiellement signée ni promulguée, n’étant pas une proclamation ou un texte de loi complet. Il lui manque également le grand sceau du Canada, qui doit être apposé sur toutes les proclamations et certains documents officiels du Canada.

En 1985, après l’entrée en vigueur de toutes les dispositions de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement souhaite en promouvoir le contenu (c.-à-d. la Charte canadienne des droits et libertés). Pour ce faire, il crée des affiches prenant l’allure d’un document officiel [en y apposant une signature estampillée du premier ministre de l’époque] et en distribue plus de 250 000 dans les écoles, bibliothèques et lieux publics du Canada. L’affiche de la Charte peut aujourd’hui être téléchargée (format PDF) ou commandée en version imprimée (certificat ou affiche) sur le site Web de Patrimoine canadien. Malheureusement, il n’existe pas de version originale officielle de cette affiche dans les collections préservées à Bibliothèque et Archives Canada (BAC).

La Charte canadienne des droits et libertés est disponible en 29 langues et semble avoir servi de modèle pour la formulation de nombreuses autres constitutions et chartes des droits partout dans le monde. Elle a aussi inspiré des centaines d’ouvrages dans la littérature canadienne, dont bon nombre ont été acquis par BAC au moyen du dépôt légal : traités de droit, thèses et mémoires, articles de revues professionnelles, ouvrages de vulgarisation et même littérature jeunesse.

Finalement, qu’a-t-on signé le 17 avril 1982?

Le 29 mars 1982, le Royaume-Uni promulgue la Loi de 1982 sur le Canada, dont l’annexe B est la Loi constitutionnelle de 1982 qui s’applique uniquement au Canada. Le 17 avril 1982, la reine Elizabeth II signe la proclamation qui officialise l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 pour le Canada.

Selon les règles britanniques et canadiennes, avant d’entrer en vigueur, un texte de loi doit franchir un certain nombre d’étapes. Il doit d’abord être présenté aux deux Chambres du Parlement, où il fait l’objet de discussions et de débats avant son adoption par ces dernières. La loi doit ensuite être promulguée par le chef de l’État, c’est-à-dire obtenir la sanction royale (la signature de la reine ou du gouverneur général). Après l’adoption de la Loi de 1982 sur le Canada, le gouvernement du Canada rédige lui-même le texte de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 que la reine accepte de signer à Ottawa, le 17 avril 1982. Comme pour toutes les proclamations canadiennes précédentes, les autres signataires sont le registraire général du Canada et le procureur général du Canada. Le premier ministre du Canada appose lui aussi sa signature sur la proclamation de 1982, même si elle n’est pas essentielle pour que le document soit considéré comme officiel.

En fait, la cérémonie de signature du 17 avril 1982 n’est que la façade publique de l’événement politique réel à l’époque : l’obtention, par le Canada, du dernier pouvoir politique qu’il lui manque pour devenir un pays réellement souverain. En effet, jusqu’à cette date, seul le Parlement britannique a le pouvoir de modifier la Constitution du Canada, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

Le Royaume-Uni édicte donc la Loi de 1982 sur le Canada, qui prévoit qu’aucune autre loi subséquente du Parlement du Royaume-Uni n’aura d’effet au Canada. De plus, cette loi est la seule loi britannique rédigée en anglais et en français depuis le Moyen-âge.

La Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada) affirme la primauté de la Constitution du Canada sur toute autre règle de droit et définit ce que compose la Constitution du Canada (partie VII). Cette loi détaille également les procédures de modification de la Constitution canadienne (partie IV), et contient des articles sur les droits des peuples autochtones (partie II) et la Charte canadienne des droits et libertés (partie I).

C’est pour cela qu’on dit que la Charte est enchâssée dans la Constitution. On ne peut modifier la Charte sans modifier la Constitution, car la Loi constitutionnelle de 1982 est partie intégrante de la Constitution du Canada (partie VII de la Loi). Pour cela, il faudrait utiliser les procédures de modification de la Constitution (partie V de la Loi). Cela explique également pourquoi la Charte a primauté sur tous les textes législatifs du pays, car elle est une des composantes de la Constitution.

En conclusion, il n’existe pas un document qui peut être désigné comme étant la « Charte ». De multiples reproductions du texte qui compose la Charte canadienne des droits et libertés sont disponibles gratuitement. Même si BAC ne détient pas l’affiche originale de la Charte, il préserve cependant dans ses collections des facsimilés sur parchemin des six documents constitutionnels du Canada : la Proclamation royale (1763), l’Acte de Québec (1774), l’Acte constitutionnel (1791), l’Acte d’Union (1840), l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) et la Loi de 1982 sur le Canada. Ce coffret et les copies sur parchemin des documents ont été offerts au Canada par le Royaume-Uni, après la signature de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982. Document d’une quarantaine de pages, la Loi de 1982 sur le Canada est ce qui se rapproche le plus d’une version originale de la Charte canadienne des droits et libertés. En quelque sorte, on peut considérer ce texte constitutionnel comme notre exemplaire national de la Charte.

Ressources connexes :


Natasha Dubois est archiviste au sein de la Division des archives gouvernementales à Bibliothèque et Archives Canada.

Affiches de voyage de la collection Marc Choko – un défi Co-Lab

Par Andrew Elliott

La collection Marc Choko offre un fantastique échantillon des affiches de voyage canadiennes entre 1900 et les années 1950. Comme l’a écrit Henry Miller pendant son voyage en Grèce dans les années 1930, une destination n’est jamais un lieu, mais une nouvelle façon de voir les choses. En fait, tout le mouvement moderniste de l’époque vise à voir les choses anciennes sous un nouveau jour. Les affiches aident les compagnies de chemin de fer, puis les compagnies aériennes, à se faire connaître au plus grand nombre. En plus de promouvoir des services rapides et efficaces, elles présentent aux voyageurs une vision raffinée et romantique des voyages à destination et à l’intérieur du Canada.

Entre 1900 et 1930, surtout dans les années 1920, les habitudes de voyage changent beaucoup. Les touristes de la classe moyenne et les voyageurs immigrants se disputent les places à bord des trains. Le tourisme devient une sorte d’expérience théâtrale de la culture de masse, ce qui engendre la commercialisation des loisirs.

Les services de publicité de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et du Chemin de fer Canadien Pacifique nouent des liens étroits avec des artistes canadiens et américains. Ceux-ci produisent des affiches ainsi que des œuvres d’art pour d’autres produits de marketing, comme des magazines et des guides horaires. Par exemple, en 1927, le CN fait appel à des membres du Groupe des Sept pour créer un guide panoramique de 33 pages. L’objectif est de promouvoir la beauté sauvage, naturelle et romantique du parc national de Jasper. Ce guide, comportant quelques pages numérisées, se trouve dans la série du train-musée du fonds du CN.

Les compagnies de chemin de fer et les artistes n’évoluent pas en vase clos. Ils sont influencés par l’expansion de l’industrie du voyage et par les mouvements artistiques qui se propagent partout dans le monde au début du 20e siècle. On observe une convergence remarquable : les voitures, les trains, les avions, les zeppelins et les paquebots se livrent concurrence pour attirer la clientèle. Pour vendre leurs services, les entreprises utilisent des affiches vantant notamment leur rapidité et leur expérience.

La collection Marc Choko de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) comprend des affiches de voyage commandées à divers artistes par des sociétés de transport. Marc Choko, professeur émérite à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a fait don de cette collection au début des années 1990. Il a donné des cours de design à l’UQAM de 1977 à 2018. Il est aussi l’auteur de nombreux livres sur le design, dont Destination Québec : Une histoire illustrée du tourisme (2013), Canadien Pacifique : Affiches 1883-1963 (2004) et Canadian Pacific: Creating a Brand, Building a Nation (2016).

Parmi les artistes connus ayant créé des affiches, on relève les noms de Peter Ewart et Roger Couillard. Peter Ewart (1918-2001) est né à Kisbey, en Saskatchewan, mais a grandi à Montréal. Au terme de sa formation scolaire, il étudie l’art à Montréal, puis à New York. Ses peintures sont exposées à l’Académie royale de Londres (Angleterre), à l’Académie royale des arts du Canada, à l’Exposition nationale canadienne et à l’exposition de peintures canadiennes au milieu du siècle. Pour tout savoir sur la vie et la carrière de Peter Ewart, consultez le site Web qui lui est consacré (en anglais).

À la fin des années 1940, Ewart aide à établir, puis à intensifier une campagne publicitaire mémorable du Canadien Pacifique, sur le thème du plus grand réseau de transport du monde. Il reçoit des commandes de nombreuses sociétés pour plusieurs événements, comme les Lignes aériennes Canadien Pacifique, la Banque de Montréal, l’Imperial Oil Company, la B.C. Telephone Company, les Jeux olympiques d’hiver de Calgary, Ocean Cement et bien d’autres.

La collection Marc Choko contient plusieurs magnifiques affiches créées par Peter Ewart pour le Canadien Pacifique.

Orignal dans l’eau avec des arbres au loin et un petit blason de la société.

Affiche du Canadien Pacifique : Chassez cet automne – voyagez avec Canadien Pacifique (e000983752-v8) Crédit : CRHA/Exporail, Canadian Pacific Railway Company Fonds

Gros poisson dans l’eau et un petit blason de la société.

Affiche du Canadien Pacifique : « Pour information s’adresser au Pacifique Canadien » (e000983750-v8) Crédit : CRHA/Exporail, Canadian Pacific Railway Company Fonds

Roger Couillard (1910-1999) est un autre artiste bien représenté dans la collection Marc Choko. Il est né à Montréal et a étudié à l’École des beaux-arts de Montréal. En 1935, l’Institute of Foreign Travel organise un concours d’affiches sur le thème « See Europe Next » (L’Europe est votre prochaine destination). Une affiche de Couillard est choisie pour être exposée dans le grand magasin montréalais Ogilvy. En 1937, Couillard ouvre un studio dans l’édifice Drummond, sur la rue Sainte-Catherine à Montréal. Il travaille ensuite comme inspecteur hôtelier pour le ministère du Tourisme du Québec de 1966 à 1975. (Il n’y a pas beaucoup d’information sur Roger Couillard sur Internet. Les renseignements présentés ici proviennent de la page Web d’un cours sur la théorie et l’histoire du design canadien offert à l’Université d’art et de design Emily Carr. On trouve aussi des exemples d’œuvres produites par Couillard sur le site artnet.)

Les saisissantes affiches ci-dessous montrent la polyvalence de Couillard. Celui-ci travaille pour une vaste gamme d’entreprises, dont le Canadien Pacifique, le CN, les Lignes aériennes Trans-Canada et l’ancêtre de la Société maritime CSL. Les affiches montrent très bien ce que les voyages peuvent représenter pour les touristes de l’époque.

« Télégraphe – Quand la vitesse est un facteur » (e010780461-v8)

Un avion vole au-dessus d’un message écrit en anglais disant : « Ne coûte que trois sous de plus, n’importe où au Canada »

Lignes aériennes Trans-Canada : Courrier aérien (e010780458-v8)

La collection Marc Choko comprend aussi des œuvres d’artistes moins célèbres :

On y trouve aussi des œuvres d’artistes inconnus. Par exemple, une affiche remarquable pour le CN a été reproduite sur de nombreuses cartes postales, mais l’artiste n’a jamais été identifié. Pouvez-vous nous donner un coup de main?

C’est ici que Co-Lab intervient. Un nouveau défi sur les affiches de voyage a été créé. Aidez-nous à identiqueter et décrire les affiches, mais aussi à identifier les artistes! C’est un excellent moyen d’admirer les affiches de la collection Marc Choko.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

Norman Kwong : Toujours en quête de victoires

Par Dalton Campbell

En 1948, Norman Kwong foule un terrain de la Ligue canadienne de football (LCF) pour la première fois, en tant que membre des Stampeders de Calgary. La recrue de 18 ans, qui sera intronisée au Temple de la renommée, est le premier joueur sino-canadien de la ligue.

Photo en couleurs, prise dans un studio photographique, d’un joueur de football en uniforme tenant son casque avec son bras gauche.

Norman Kwong (1929-2016), le 31 août 1957 (e002505702-v6)

Kwong (né Lim Kwong Yew) est né à Calgary en 1929. Il est le cinquième de six enfants. Ses parents, Charles Lim et Lily Lee, sont propriétaires d’une épicerie. Ils immigrent au Canada depuis Guangdong, en Chine, plusieurs années avant la naissance de Kwong.

Selon un article nécrologique paru dans l’Edmonton Journal, il y a moins de 5 000 Canadiens d’origine chinoise en Alberta en 1920. La grande majorité d’entre eux sont des hommes, principalement parce que la « taxe d’entrée » raciste et discriminatoire empêche la plupart des hommes de faire venir leur femme et leurs enfants au Canada. Ainsi, à cette époque, il n’y a que cinq femmes chinoises mariées à Calgary, dont la mère de Kwong. En 1923, le gouvernement adopte la Loi de l’immigration chinoise (communément appelée « Loi d’exclusion des Chinois ») pour mettre fin à l’immigration en provenance de Chine. En 1947, soit un an avant le début de la carrière de Kwong au football professionnel, la Loi est levée et les Canadiens d’origine chinoise obtiennent le droit de vote.

Photo noir et blanc du centre-ville de Calgary. Prise de vue en surplomb d’une intersection où l’on aperçoit des tramways, des voitures et des gens dans les rues et sur les trottoirs.

8e Avenue, Calgary (Alberta), 1937 (e010862070-v8)

En 1950, Kwong est échangé à Edmonton, où il passera le reste de sa carrière. Il domine la LCF pour les gains au sol à trois reprises (1951, 1955 et 1956), amasse plus de 1 000 verges par la course durant quatre saisons consécutives et établit de nombreux records d’équipe et de la ligue. Il est nommé au sein de l’équipe d’étoiles de la division Ouest à quatre reprises (1951, 1953, 1955 et 1956), mérite deux fois le prix du meilleur joueur canadien (1955 et 1956) et reçoit le trophée Lionel-Conacher à titre de meilleur athlète masculin au Canada (1955). En 13 saisons, il participe à sept matchs de la Coupe Grey, remportant quatre championnats (1948, 1954, 1955 et 1956). Il est intronisé au Temple de la renommée de la LCF en 1969 et au Panthéon des sports canadiens en 1975. En 2006, le réseau TSN le place sur sa liste des 50 meilleurs joueurs de l’histoire de la LCF.

L’article nécrologique de l’Edmonton Journal donne une citation de Kwong : « Le sport, c’est comme une vie qui se déroule sur une courte période. Il n’y a pas de zones grises. Tout est vu au grand jour; c’est impossible de se cacher. Il y a toujours un gagnant et un perdant. J’imagine que ça a séduit ma nature compétitive. Évidemment, je veux toujours être le vainqueur. » [Traduction]

Norman Kwong prend sa retraite à 30 ans. Il épouse Mary Lee et commence une nouvelle vie, travaillant principalement dans l’immobilier commercial. Dans les années 1980, il retourne dans le monde du sport, occupant un poste de direction avec les Stampeders de Calgary. Il fait aussi partie du premier groupe de propriétaires des Flames de Calgary (dans la Ligue nationale de hockey). Lorsque les Flames remportent la Coupe Stanley en 1989, Kwong devient l’une des cinq personnes à avoir gagné à la fois la Coupe Grey et la Coupe Stanley en tant que joueur, entraîneur ou membre de la direction.

Image en couleur montrant des armoiries. L’écu au centre comporte trois ballons de football en diagonale, du coin supérieur gauche au coin inférieur droit. Deux dragons sont situés de part et d’autre de l’écu. La devise « Strive to Excel », ou S’efforcer d’exceller, est inscrite dans le bas.

Armoiries de Norman Lim Kwong, gracieuseté de l’Autorité héraldique du Canada (Bureau du secrétaire du gouverneur général). Le vert et l’or sont les couleurs de l’équipe de football d’Edmonton. Les bandes horizontales représentent les lignes de 10 verges d’un terrain de football. Le cheval évoque la première équipe de Kwong, les Stampeders. La rose représente sa femme, Mary, une passionnée de jardinage. Les dragons évoquent ses origines chinoises, et leurs arrière-trains, le dinosaure albertosaurus.

Norman Kwong est le président national du Conseil consultatif canadien sur le multiculturalisme (1979-1980), puis le président d’honneur de la campagne des Timbres de Pâques à Calgary (1982-1984). Il est investi de l’Ordre du Canada en 1988. De 2005 à 2010, il occupe le poste de lieutenant-gouverneur de l’Alberta. Les Flames de Calgary ont créé une bourse d’études pour les étudiants en médecine en son honneur. Kwong est décédé à Calgary en 2016.

Ressources de BAC sur Norman Kwong


Dalton Campbell est archiviste à la section Sciences, environnement et économie dans la Division des archives privées.

Patrimoine acadien : le Paysage de Grand-Pré

Par Valerie Casbourn

En 2022, la Journée du patrimoine de la Nouvelle-Écosse met à l’honneur le Paysage de Grand-Pré, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les colons acadiens y ont construit tout un réseau de digues afin de transformer les marais en terres agricoles, jetant ainsi les fondements d’une colonie qui a prospéré de 1682 à 1755. Fort de sa riche tradition agricole, le Paysage de Grand-Pré constitue un lieu historique important pour les Acadiens. Les collections de Bibliothèque et Archives Canada contiennent une grande variété d’archives et de documents publiés à son sujet.

Racines acadiennes en Nouvelle-Écosse

Les Français fondent une colonie à Mi’kma’ki, le territoire du peuple mi’kmaw, en 1604. Ils donnent à cette région le nom d’Acadie. Les Mi’kmaq accueillent les premiers colons et les aident à s’installer. Les deux peuples font du commerce et établissent une alliance renouvelée chaque année.

Un marais et une digue en bois à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse.

Une digue à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, avec le cap Blomidon au loin. Canada, ministère des Mines et des Relevés Techniques, 1926 (a020116)

En 1682, les Acadiens installés à Port-Royal, près de la baie de Fundy, se rendent vers les côtes du bassin Minas, aussi connu sous le nom de bassin des Mines. Ils y établissent Grand-Pré, une colonie bientôt prospère. Ils construisent des digues en bois appelées aboiteaux pour transformer les marais inondés par la marée en terres agricoles fertiles. Ils sèment du grain, plantent des vergers et élèvent du bétail. Le sieur de Dièreville se rend en Acadie en 1699 et publie ses observations :

« Il faut pour avoir des Bleds [du blé] dessecher les Marais que la Mer en pleine marée inonde de ses eaux, & qu’ils apellent les Terres Basses […] On n’arrête pas le cours de la Mer aisément; cependant les Acadiens en viennent à bout par de puissantes Digues qu’ils apellent des Aboteaux, & voicy comment ils font; ils plantent cinq ou six rangs de gros arbres tous entiers aux endroits par où la Mer entre dans les Marais, & entre chaque rang ils couchent d’autres arbres de long les uns sur les autres, & garnissent tous les vuides si bien avec de la terre glaise bien battuë, que l’eau n’y sçauroit plus passer. Ils ajustent au milieu de ces Ouvrages un Esseau de maniere qu’il permet à la marée basse, à l’eau des Marais de s’écouler par son impulsion, & défend à celle de la Mer d’y entrer. » (Sieur de Dièreville, Relation du voyage du Port Royal de l’Acadie ou de la Nouvelle France, numéro OCLC 422252036, 1708, p. 76-77, accessible en ligne sur le site de Canadiana)

 

Structure en bois d’une vieille digue au bord d’un champ.

Ancienne digue à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse. Canada, ministère des Mines et des Relevés Techniques, 1926 (a020117)

En signant le traité d’Utrecht en 1713, la France cède l’Acadie aux Britanniques. Ceux-ci donnent à la région le nom de colonie de la Nouvelle-Écosse. À cette époque, aucun traité n’unit les Britanniques aux Mi’kmaq. En 1755, l’administration coloniale de la Nouvelle-Écosse exige des Acadiens un serment d’allégeance inconditionnelle à la Couronne britannique. Désirant rester neutres, les Acadiens refusent. Les autorités britanniques décident alors de les déporter : c’est le début du Grand Dérangement.

Les Britanniques déportent plus de 2 000 Acadiens vivant dans la région de Grand-Pré pour les envoyer dans d’autres colonies anglaises. Beaucoup d’Acadiens succombent aux mauvaises conditions de vie à bord des navires. Certains évitent la déportation grâce à l’aide des Mi’kmaq. Un groupe surnommé les Planters de la Nouvelle-Angleterre s’installe ensuite dans les terres fertiles à Grand-Pré. Les Planters et d’autres immigrants venus plus tard apprennent à entretenir les digues et à cultiver les terres agricoles. Certains Acadiens reviendront vivre dans les provinces actuelles des Maritimes ou du Québec.

Archives acadiennes

Bibliothèque et Archives Canada conserve des documents sur l’Acadie dans le fonds des colonies (MG1), où l’on trouve des copies et des transcriptions de documents produits pendant la période coloniale française. La série C11D – Correspondance générale; Acadie (MG1-C11D) contient de la correspondance, des instructions et d’autres documents concernant l’Acadie.

Notre page Web Acadiens – Généalogie et histoire familiale décrit divers documents pouvant aider à trouver des ancêtres acadiens. À cet égard, les registres paroissiaux sont particulièrement utiles. Au 18e siècle, l’église paroissiale à Grand-Pré s’appelle Saint-Charles-des-Mines. Le fonds de la paroisse catholique Saint-Charles-des-Mines (MG9-B8-12) regroupe des transcriptions de registres de baptêmes, de mariages et de sépultures tenus entre 1707 et 1749. Vous pouvez consulter les versions numérisées sur le site Héritage de Canadiana (bobine de microfilm C-1869).

L’instrument de recherche 300 : recensements et documents connexes (de 1640 à 1945) est un guide exhaustif regroupant d’anciens recensements et des documents connexes. La partie sur l’Acadie (de 1671 à 1763) comprend une liste de recensements effectués dans diverses régions, ainsi que des liens vers des versions numérisées de nombreux documents.

Transcription manuscrite donnant des renseignements sur des familles et sur leurs biens : le nom et l’âge de chacun des membres, le nombre d’animaux de ferme et de fusils, et la superficie de la terre.

Recensement de l’Acadie de 1693 – début de la section sur les habitants des Mines (bobine C-2572, image 82; MG1-G1, volume 466, page 79)

Lieux de mémoire et commémorations

Grand-Pré demeure un lieu de mémoire important pour les Acadiens. Au début des années 1900, plusieurs livres et poèmes sur l’histoire et la culture acadiennes publiés par John Frederic Herbin mettent l’accent sur Grand-Pré. En 1907, l’auteur achète le terrain où se trouvait l’église de Saint-Charles-des-Mines afin d’y établir un parc à la mémoire du peuple acadien. Dix ans plus tard, la compagnie de chemin de fer Dominion Atlantic Railway achète le terrain et assure l’entretien du parc. La Société mutuelle de l’Assomption acquière officiellement le terrain en 1921 et elle y construit une église-souvenir l’année suivante.

Une église en construction autour de laquelle des dizaines de personnes sont rassemblées pour la cérémonie de la dédicace.

Cérémonie de dédicace de l’église construite à la mémoire du peuple acadien dans le parc de la Dominion Atlantic Railway à Grand-Pré, 16 août 1922. Canada, Bureau des brevets et du droit d’auteur (a031296)

Grand-Pré reçoit le titre de lieu historique national en 1955. En 1957, le gouvernement du Canada fait l’acquisition du parc commémoratif. Il s’engage alors à conserver à perpétuité la possession du parc et de la chapelle, et d’en préserver le caractère historique. (Conclusions du Cabinet, « National Historic Parks; acquisition of Grand Pre Memorial Park », 14 janvier 1957, RG2, volume 1892)

: Trois touristes debout près du puits d’Évangéline, devant l’église commémorative du peuple acadien.

Le puits d’Évangéline à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse. Office national du film du Canada, juillet 1953 (e010949154-v8)

Le fonds du Service canadien des parcs (RG84) contient des documents sur Grand-Pré. Pour obtenir les descriptions des dossiers, utilisez l’outil Recherche dans la collection de BAC et cherchez des mots-clés comme « RG84 Grand-Pré » dans Collections et fonds (recherche de fonds d’archives). Pour consulter les versions numérisées, notez le numéro de la bobine de microfilm dans la description du dossier (par exemple T-11310), puis cherchez ce numéro sur le site Héritage de Canadiana.

En 1995, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada rappelle le rôle historique de Grand-Pré en lui accordant un deuxième titre, soit celui d’arrondissement historique rural. L’importance culturelle du lieu est elle aussi soulignée en 2012, lorsque le Paysage de Grand-Pré devient un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Encore aujourd’hui, Grand-Pré est au cœur de la mémoire culturelle acadienne.


Valerie Casbourn est archiviste à la Division des services de référence, au bureau d’Halifax de Bibliothèque et Archives Canada.

Passez-vous à côté du plaisir d’écouter des balados?

Saisie d’écran du site web de BAC

Il y a des balados pour tout les goûts sur le site Web de BAC.

Les balados existent depuis de nombreuses années mais, au cas où vous ne le sauriez pas, voici quelques informations.  Les balados sont parfois décrits comme des émissions de radio sur l’internet que vous pouvez écouter quand vous voulez. Il s’agit en fait d’une série d’émissions diffusées en ligne sous forme de fichiers individuels de médias numériques. Une fois téléchargées, les émissions de baladodiffusion peuvent être écoutées en tout lieu et en tout temps. Les balados sont populaires en raison notamment de la variété qu’ils offrent aux auditeurs sur les plans du style, de la forme et du contenu. Ils peuvent devenir des groupes de réflexion informels, constituer un lieu de narration, nous tenir au courant de l’actualité, approfondir des sujets particuliers, ainsi que nous exposer à une myriade de nouvelles idées.

Photo noir et blanc d’une foule de personnes autour d’un aéronef blanc.

La sortie du premier Avro Canada CF-105 Arrow à Malton, en Ontario, le 4 octobre 1957. La foule donne une indication de la taille de l’aéronef. (e999912501)

Dans le cas de notre balado Découvrez Bibliothèque et Archives Canada, le média sert de passerelle vers la vaste et riche collection de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Qu’il s’agisse de discuter d’un pannotype ancien avec un conservateur de photos, de se plonger dans l’histoire controversée de l’Avro Arrow ou de souligner la vie remarquable de Tom Longboat, notre balado informe, surprend et divertit.

Notre équipe dévouée de baladodiffuseurs déploie des efforts considérables pour la préparation de chaque émission de baladodiffusion. Elle puise son inspiration dans les collections archivistiques et bibliographiques, si nombreuses que cela rend difficile le choix des sujets pour les émissions à venir. Toutefois, grâce aux séances de remue-méninges, aux travaux de recherche et aux rencontres avec des experts, l’équipe est en mesure de choisir des sujets qui fascineront les auditeurs.

Image couleur d’un coffret en papier tapissé de velours rouge. Sur le côté droit, une photo en noir et blanc encadrée par un passe-partout de cuivre représente un jeune homme vêtu d’un veston de couleur foncée.

Un pannotype d’un jeune homme inconnu, dans un coffret en papier (e011200812_s15-v8)

Ensuite, les discussions avec les experts sont enregistrées, et après quoi commence la magie du travail dans l’ombre. Nos spécialistes de la production multimédia consacrent des heures à étudier les enregistrements afin d’en choisir les meilleurs extraits, qu’ils rassemblent pour en faire un tout cohérent et simplifié. Ce résultat, multipliez-le par deux, car chaque balado est produit en français et en anglais afin que tous les Canadiens puissent y avoir accès.

À ce jour, nous avons diffusé 67 émissions complètes de baladodiffusion, et 5 émissions plus courtes dans notre série Trésors dévoilés et nos auditeurs semblent enchantés. La popularité des émissions place systématiquement le balado de BAC parmi les meilleurs dans sa catégorie sur iTunes. Par l’étendue des sujets traités et la profondeur du savoir communiqué par les experts que nous interrogeons, Découvrez Bibliothèque et Archives Canada contribue grandement au paysage international du balado.

Si vous ne l’avez pas encore écouté, le moment est venu de le faire. Écoutez les émissions dans la voiture, en lavant la vaisselle, seul ou avec des amis. Découvrez Bibliothèque et Archives Canada est le remède parfait contre l’ennui et vous plongera dans le monde fascinant du patrimoine culturel du Canada que contient notre fabuleuse collection.

Photo noir et blanc de deux militaires portant un uniforme de la Première Guerre mondiale. Assis, sourire aux lèvres, ils achètent un journal d’un jeune garçon. Le militaire à droite prend le journal d’une main et donne l’argent au garçon de l’autre.

Le soldat Tom Longboat, coureur de fond onondaga, achète un journal d’un garçon français, juin 1917. (a001479)

Ressources connexes

Insolite et fier de l’être : l’histoire méconnue du Musée des archives

Par Geneviève Morin

Par une journée ordinaire de juin 2011, un mystère improbable atterrit sur les bureaux des archivistes en art documentaire de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Il s’agit d’une petite statuette en bronze représentant le général James Wolfe. Cette œuvre du sculpteur Vernon March vient tout juste d’être trouvée à l’hôtel Lord Elgin, à Ottawa, soigneusement emballée et discrètement laissée sans surveillance. Le seul indice est une note dans laquelle l’auteur anonyme exprime son regret d’avoir volé la statuette « dans un acte de folie » lors d’une visite aux Archives dans les années 1950. Arrivant au crépuscule de sa vie, le voleur souhaite faire amende honorable…

Les archivistes qui connaissent l’histoire des collections non textuelles de BAC se mettent immédiatement au travail, entreprennent des recherches et dénichent des documents. La provenance est confirmée : la représentation en bronze du général Wolfe avait en effet été ajoutée aux collections des Archives en 1914! La statuette, récupérée avec gratitude, est finalement envoyée au lieu qui l’abrite actuellement, le Musée canadien de l’histoire.

Une question demeure toutefois : à l’époque, pourquoi les Archives décident-elles d’inclure ce type de sculpture dans la collection? Ne se limitent-elles pas généralement aux documents bidimensionnels, notamment les ressources textuelles, les photographies, les cartes et les dessins? Bien entendu, même si de nombreux Canadiens savent que BAC et les institutions qui l’ont précédé (les Archives nationales du Canada, la Bibliothèque nationale du Canada et les Archives publiques du Canada) acquièrent des ressources non textuelles depuis plus de 130 ans, peu connaissent la raison pour laquelle nos collections étaient – et, dans certains cas, sont encore – si éclectiques.

L’audacieuse ambition d’Arthur Doughty

Disons les choses simplement : à BAC, la diversité des fonds d’archives d’hier et d’aujourd’hui est attribuable en grande partie au deuxième archiviste fédéral du Canada, Arthur Doughty. Comme il l’explique dans le Catalogue of Pictures des Archives de 1925, son ambition n’est alors rien de moins que de faire de l’institution un ministère national d’histoire où sont préservées les sources de toute nature ayant une valeur pour l’étude de l’histoire du Canada. Il s’agit d’un mandat important, c’est le moins que l’on puisse dire…

Photo noir et blanc d’un homme moustachu portant un costume sombre et des bottes. Il est assis sur une chaise de bois et lit un livre, près d’un bureau de bois recouvert de papiers. À l’arrière-plan, on voit de grandes plantes, un mur présentant de nombreuses images encadrées et un manteau de cheminée. Le fauteuil de campagne en cuir du général Wolfe est appuyé contre le mur, à la droite de l’homme.

Arthur G. Doughty, archiviste fédéral, vers 1920, studio Pittaway. (c051653)

Après sa nomination en 1904, Arthur Doughty exprime sa vision en diversifiant beaucoup les types d’acquisitions que font les Archives. L’un des exemples les plus frappants de ce changement dans les pratiques d’acquisition est sans nul doute la gargantuesque maquette de la ville de Québec préparée par Duberger (voir ci-dessous) et transférée du ministère de la Guerre britannique en 1908.

Photo noir et blanc d’une grande salle présentant des tables d’exposition de part et d’autre et des luminaires suspendus au plafond. À l’arrière-plan, on aperçoit une grande maquette de ville.

Salle Grey, édifice des Archives publiques du Canada, rue Sussex, Ottawa (Ontario), après 1926. (a066642) (La maquette a été construite à Québec par le dessinateur Jean-Baptiste Duberger et le lieutenant-colonel John By, membre des Royal Engineers, entre 1806 et 1808. Aujourd’hui, la maquette est sous la garde de Parcs Canada.)

Au fil des ans, les Archives deviennent les gardiennes de milliers d’articles divers, dont les artéfacts suivants :

  • la tunique rouge que portait Isaac Brock au moment de son décès lors de la bataille des hauteurs de Queenston
  • le fauteuil de campagne de cuir de James Wolfe (photographié ci-dessus dans le bureau de Arthur Doughty, à gauche)
  • une massue casse-tête qui aurait été utilisée pendant la guerre de 1812, ainsi que plusieurs autres armes
  • des lunettes, des armes et des vêtements autochtones
  • des miroirs, des chandeliers et diverses pièces de mobilier
  • les plus vastes collections de pièces de monnaie, de jetons, de papier-monnaie, de médailles et de décorations du pays
  • des curiosités, comme un pilon à pommes de terre en bois qui aurait été utilisé dans la cuisine de sir John Johnson, et un ensemble élaboré de cloches de traîneau en laiton ayant appartenu à la princesse Louise et au marquis de Lorne

Bref, rien ne semble alors être exclu pour les Archives, tant que cela peut permettre aux Canadiens d’apprendre quelque chose sur leur histoire.

Photo noir et blanc d’une armoire en bois avec un miroir. Sur le dessus de l’armoire se trouve une horloge de cheminée ornementée. De chaque côté de l’armoire, on voit deux candélabres représentant des grues se tenant sur le dos de tortues.

Pendule de cheminée des Frères Raingo exposée dans l’édifice des Archives publiques, date inconnue. (a066643)

Un incontournable, tant pour les gens du coin que pour les visiteurs

Considérées comme une maison aux trésors pour l’historien canadien par le magazine Saturday Night en 1910, les Archives élaborent au fil du temps un programme muséal très réussi, offrant aux Canadiens l’occasion de s’immerger dans des expositions diversifiées combinant des publications, des ressources textuelles et des produits spécialisés de diverses formes, comme des cartes, des photographies, des peintures, des gravures et des artéfacts tridimensionnels. Ce n’est peut-être qu’une coïncidence, mais on peut apercevoir la tristement célèbre statuette de Wolfe dans la photo ci-dessous, prise vers 1926, sous le tableau de Benjamin West La mort du général Wolfe, dans la salle Northcliffe des Archives.

Photo noir et blanc d’une salle où se trouvent des bibliothèques et des vitrines d’exposition. À l’arrière-plan, on voit des fenêtres et des plantes.

Salle Northcliffe, édifice des Archives publiques du Canada, rue Sussex, Ottawa (Ontario), vers 1926-1930. (a137713). On peut voir la statuette de Wolfe, sculptée par Vernon March, sur le dessus de la vitrine d’exposition se trouvant sous le grand tableau, le long du mur à droite.

Installées dans diverses aires, dont trois salles conçues sur mesure au rez-de-chaussée de l’édifice des Archives, au 330, rue Sussex, les expositions permanentes sont régulièrement complétées par des expositions spéciales soulignant des événements commémoratifs, l’arrivée d’acquisitions importantes ou la visite d’invités de marque. L’espace est restreint, mais sous la direction d’Arthur Doughty et des conservateurs MM. Weber et A.E.H. Petrie, presque chaque espace utilisable est considéré comme un endroit où mettre en valeur la collection, même les corridors et le bureau de Arthur Doughty.

Photo noir et blanc d’une grande salle où se trouvent des vitrines d’exposition, une statue, des drapeaux, des plantes, des images encadrées, des chaises et un trône.

Salle Minto, édifice des Archives publiques du Canada, aménagée pour une réception à l’intention des délégués participant à la Conférence impériale, Ottawa, août 1932 (c000029). À l’époque, le trône du monarque (au centre, à droite) est conservé au Musée des archives lorsqu’il n’est pas utilisé au Sénat du Canada.

Photo noir et blanc d’une salle longue et étroite. Il y a deux luminaires suspendus au milieu de la salle, et les murs sont couverts d’affiches.

Salle des affiches de guerre, édifice des Archives publiques du Canada, rue Sussex, Ottawa (Ontario), vers 1944 (a066638). Nous trouvons encore des trous de punaises dans certaines affiches de guerre des collections préservées à BAC. Les pratiques de conservation et d’exposition ont beaucoup évolué depuis l’époque de la Salle des affiches de guerre!

C’est ainsi qu’au fil du temps, le Musée des archives accueille d’innombrables groupes d’écoliers, d’universitaires, de passionnés d’histoire et de dignitaires en visite. On compte même la visite de la princesse Elizabeth et du duc d’Édimbourg, en 1951. Le couple royal semble grandement apprécier l’expérience. En effet, comme le rapportent fièrement les responsables des Archives, au moment où le groupe signe le registre des visiteurs et part pour Rideau Hall, une période beaucoup plus longue que celle prévue dans le programme officiel s’est écoulée.

Photo noir et blanc de quatre hommes et d’une femme regardant des articles dans une vitrine d’exposition. Un homme pointe du doigt un document dans la vitrine.

Leurs Altesses Royales la princesse Elizabeth et le duc d’Édimbourg, accompagnés de l’honorable F. Gordon Bradley, secrétaire d’État (à gauche), aux Archives publiques. Rapport sur les Archives publiques pour l’année 1951.

Au milieu des années 1960, la popularité du musée connaît une hausse fulgurante. Malheureusement, comme l’observe M. Petrie en 1960, ce grand succès a des effets négatifs : un seul gardien ne semble pas suffire pour les trois salles, car on note que des larcins et des actes de vandalisme mineurs sont commis sur des objets de la collection. La sécurité a du mal à assurer une surveillance suffisante étant donné que les visiteurs sont de plus en plus nombreux. Peut-être est-ce dans ces conditions que la statuette de Wolfe disparaît, malheureusement…

L’inévitable non-durabilité

Au bout du compte, l’approche bien intentionnée d’Arthur Doughty ne peut visiblement plus fonctionner. En près de 60 années d’existence, le Musée des archives accumule une telle collection tridimensionnelle que l’édifice des Archives est plein à craquer. L’espace devient si restreint qu’en 1965, les salles d’exposition de l’édifice de la promenade Sussex [la rue est devenue promenade en 1953] doivent être déménagées dans des locaux temporaires à l’édifice Daly, près du Château Laurier. Il en est de même pour les artéfacts excédentaires, jusque-là entreposés dans l’édifice Loeb sur la rue Besserer.

Photo noir et blanc de deux édifices. À gauche, on aperçoit des personnes et des voitures floues. Au premier plan, on peut voir des lignes électriques.

Hôtel G.T.R. [Château Laurier] et édifice Ria [Daly]. Photo : William James Topley, après 1911 (a009116). En 1921, le gouvernement fédéral achète et commence à occuper l’édifice Daly, un immeuble commercial.

La question épineuse du Musée des archives est évaluée par la Commission Massey en 1951 et la Commission Glassco en 1963; elle vient ajouter le poids nécessaire à l’argument en faveur de la réduction des collections. Bien qu’à l’époque, les Archives ne se limitent pas à leur rôle traditionnel à un moment où « aucune autre solution n’est disponible », il devient évident qu’il est impossible et qu’il n’est plus nécessaire de tenir à la fois le rôle d’archives nationales et de musée. Vient alors le moment de partager le fardeau de la responsabilité avec d’autres institutions existantes.

Un nouvel édifice, mais des collections réduites

En 1967, la Bibliothèque nationale et les Archives nationales du Canada déménagent dans de nouveaux locaux au 395, rue Wellington, à Ottawa. Cet immeuble moderne, conçu sur mesure, comprend des aires d’exposition. Toutefois, il n’est pas prévu que les expositions d’antan y soient reproduites; l’accent sera plutôt mis sur la richesse des ressources qui garnissent les fonds et les collections d’archives et de bibliothèque.

Les années qui suivent le déménagement sont donc consacrées à la répartition de la collection du Musée des archives. La plupart des artéfacts tridimensionnels sont transférés au futur Musée de l’homme (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire), tandis que les trophées de guerre et les artéfacts militaires demeurent à l’édifice de la promenade Sussex pour continuer à faire partie de la collection du Musée canadien de la guerre. Environ 16 000 pièces de monnaie et autres objets liés à la numismatique sont envoyés à la Banque du Canada. Les fonds philatéliques des Archives sont pour leur part transférés au ministère des Postes. Les Archives conservent leurs collections de quelque 6 000 médailles et jetons militaires, commémoratifs et ecclésiastiques. Ces dernières, ainsi que l’importante collection de peintures, continueront à faire partie des collections d’art documentaire et d’objets des Archives publiques. M. Petrie reste en poste à titre de conservateur du musée et de la numismatique, guidant les groupes dans les expositions de tableaux et autres, ainsi que dans la découverte des impressionnants éléments décoratifs et architecturaux du nouvel immeuble.

Un héritage permanent

À mesure que BAC progresse dans le 21e siècle, l’esprit ambitieux d’Arthur Doughty et l’héritage du Musée des archives se perpétuent à travers une approche purement canadienne des archives. Des documents gouvernementaux, des archives privées et des ressources non textuelles de toutes sortes ont été recueillis et conservés pendant plus de 100 ans. Cette approche est à l’origine de l’ensemble éclectique de compétences que possèdent encore aujourd’hui les professionnels de BAC. Plus important encore, elle fait en sorte qu’un patrimoine documentaire diversifié continue d’intriguer, d’informer et d’impressionner les Canadiens et les visiteurs, même si les règles de sécurité et d’accès sont devenues un peu plus strictes après l’affaire de la statuette de Wolfe.


Geneviève Morin est archiviste principale pour l’art documentaire, les objets et la photographie à la Division des archives gouvernementales, à Bibliothèque et Archives Canada.