Dans leurs propres mots : le magazine des détenus du pénitencier de la Colombie-Britannique

Par Olivia Cocking

En mars 1951, les détenus du pénitencier de la Colombie-Britannique (situé à New Westminster) publient le tout premier numéro de Transition, leur magazine bimestriel. Transition est également offert au grand public pour un dollar par année.

L’équipe de rédaction veut tenir les détenus au courant du quotidien entre les murs du pénitencier, en plus d’établir « un sentiment de compréhension et de foi » [traduction] entre les prisonniers et la société en général. Les années 1950 et 1960 voient en effet une vaste refonte du système correctionnel, axée sur la réhabilitation plutôt que la punition. Dans ce contexte, les publications de ce genre sont encouragées par les administrateurs de prison.

Illustration de couverture représentant une locomotive et un fourgon d’époque, une gare sur laquelle un écriteau indique « Agassiz », et un chariot rempli de sacs de courrier portant les lettres « BCP » (pour British Columbia Penitentiary, ou pénitencier de la Colombie-Britannique).

Couverture du numéro de mai-juin 1961 du magazine Transition (e011311001)

Dirigé par un groupe de détenus et publié par l’atelier d’imprimerie du pénitencier, Transition offre à la population carcérale la chance de s’exprimer sur des sujets forts variés. Les éditoriaux, les articles de fiction et les commentaires critiques y côtoient les reportages sur les sports et les divertissements de l’établissement. On peut aussi y lire des chroniques, comme « What’s Your Beef » (« Quel est votre problème? »), où un certain Dr Larrup Loogan présente ses conseils, et « The Inmate Speaks » (« Un détenu vous parle »), qui porte sur les affaires du pénitencier et s’adresse principalement à ses résidents.

Les numéros des Fêtes sont particulièrement touchants : les détenus y publient leurs vœux à l’intention de leurs parents et amis, ainsi que leurs réflexions sur la façon dont ils vivent cette période de l’année derrière les barreaux. En témoigne la plume émouvante d’un contributeur du numéro de novembre-décembre 1959 : « Les hauts murs ont cette façon de jeter une ombre épaisse sur les rires d’un Noël censé être gai. » [Traduction]

Illustration de couverture portant le titre « Merry Xmas » [« Joyeux Noël »] et montrant deux enfants en pyjama, debout devant une cheminée où sont accrochés des bas de Noël.

Couverture du numéro de novembre-décembre 1960 du magazine Transition (e011311002)

Cela dit, les publications comme Transition peinent souvent à réaliser leur objectif : offrir une tribune authentique aux détenus tout en respectant les contraintes de la censure administrative. Dans ce contexte, la fréquence et la profondeur des analyses critiques parues dans Transition sur les questions de justice pénale sont d’autant plus impressionnantes.

Les chroniqueurs y participent aux débats sur les politiques et présentent leur opinion sur l’efficacité des stratégies canadiennes visant la réhabilitation des prisonniers. Dans le numéro de janvier-février 1959, l’un d’eux avance que les efforts du Canada en la matière ont raté leur cible, car les pénitenciers « ne font pas grand-chose, hormis insuffler chez la majorité des détenus un désir conscient ou inconscient de prendre leur revanche sur la société ». [Traduction]

Mais tous les articles ne sont pas aussi acerbes. Par exemple, un texte du numéro de mai-juin 1961 fait l’éloge de la forge du pénitencier : « Les détenus qui travaillent à la forge rendent un service public qui ne pourrait être rendu d’aucune autre façon et par personne d’autre. Voilà un fait dont ces hommes peuvent s’enorgueillir à juste titre. » [Traduction]

Illustration de couverture montrant un homme assis à un bureau, en train d’écrire une lettre, la tête appuyée sur une de ses mains qui tient une cigarette.

Couverture du numéro de septembre-octobre 1957 du magazine Transition (e011311003)

La consommation de drogues et son traitement par le système de justice pénale font aussi souvent l’objet de débats dans les pages de Transition. C’est notamment le cas dans le numéro de janvier-février 1959, qui présente deux opinions divergentes sur la criminalisation des stupéfiants.

Un chroniqueur affirme que « le toxicomane est une personne mentalement et moralement incompétente » [traduction] qui ne saurait se défaire de ses tendances criminelles grâce à la légalisation des drogues. À l’opposé, un autre soutient que les problèmes sociaux causés par la consommation de drogues sont attribuables à la criminalisation, et non aux toxicomanes eux-mêmes. Il préconise donc la légalisation comme mesure d’économie pour le gouvernement et comme remède à la criminalité entourant les drogues.

Les commentaires des détenus ne se limitent pas aux enjeux de justice pénale. Par exemple, le numéro des Fêtes de 1961 s’ouvre avec une critique incisive de l’apathie des électeurs canadiens. L’analyse éditoriale des auteurs est particulièrement efficace lorsqu’ils soulignent l’empressement avec lequel leurs codétenus, autrement privés de droit de vote, participent néanmoins aux élections de leur conseil de représentants. Les collaborateurs suggèrent : « Ils pourraient peut-être servir d’exemple pour les citoyens et envoyer des émissaires pour les réadapter un peu. » [Traduction]

Illustration de quatrième de couverture montrant une main qui tient un verre dans lequel est placé un panneau indicateur aux messages variés, dont « What Is A Convict? », « Inside Looking Out », « Rehabilitation? » et « 100 Year Failure! » (qu’on pourrait traduire par « Qu’est-ce qu’un détenu? », « Regard sur le monde extérieur », « La réhabilitation? » et « Cent ans d’échec! »). Un coupon d’abonnement se trouve sous l’illustration.

Quatrième de couverture du numéro de janvier-février 1959 du magazine Transition (e011311004)

La discussion animée autour des questions de justice pénale dans les pages de Transition fait écho au vaste débat qui a lieu à l’époque entre les décideurs politiques, relativement à la création d’un milieu propice à la réhabilitation des condamnés. Cette atmosphère de polémique exacerbe les tensions entre l’administration et la presse des établissements de détention.

Au milieu des années 1960, le soutien administratif, le financement et la distribution des publications sont en baisse, et la censure, en hausse : l’heure du déclin a sonné pour une presse pénitentiaire canadienne attirant un lectorat externe appréciable. C’est pourquoi les numéros de Transition parus au plus fort de la circulation du magazine, dans les années 1950 et 1960, forment aujourd’hui une ressource inestimable, nous offrant une incursion sans pareille dans la vie intellectuelle des détenus et une perspective originale sur les enjeux de justice pénale.


Olivia Cocking travaille au bureau régional de Bibliothèque et Archives Canada à Vancouver, où elle est stagiaire dans le cadre du Programme fédéral d’expérience de travail étudiant.

Pénitencier de la Colombie-Britannique sur l’île Goose : séparé par 20 km de toute aide ou par 9 à 17 heures à vol de pigeon

Par Caitlin Webster

Deux brèves notes dans les ressources documentaires de Bibliothèque et Archives Canada rattachées au pénitencier de la Colombie-Britannique illustrent bien les dangers liés à la supervision de groupes de travail en milieu carcéral dans des régions éloignées. À divers moments durant les 102 ans de présence à l’établissement de New Westminster, le pénitencier a exploité une prison agricole, ainsi qu’un atelier de menuiserie, de transformation des métaux et de maçonnerie. Mais, au début du 20e siècle, on a tenté de mener des opérations forestières et d’exploiter des carrières, hors site, à environ 20 km de l’administration centrale.

En 1903, le pénitencier a acquis l’île Goose par acte de cession à la suite d’un décret du Conseil. Aussi connue sous le nom de l’île Wright, de l’île du Pen et même de l’île des Convict (condamnés), cette propriété de 140 acres est située au centre du lac Pitt, du côté est de la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique.

Page rédigée à la main en anglais : « On a Memorandum, dated 21st January, 1903, from the Minister of the Interior, stating that application has been made by the Minister of Justice for the transfer to his Department, for the purposes of the British Columbia Penitentiary of Goose Island, situated about the center of Pitt Lake, in Section 25, Township 5, Range 5, west of the Seventh Meridian, in the Railway Belt in British Columbia, the said island being required for the quarrying of stone thereon for use in connection with the penitentiary. The Minister recommends, as the land is vacant in the records of the Department of the Interior, that, under Clause 31 of the Dominion Lands Act, it be transferred to the Department of Justice for the purposes of the British Columbia Penitentiary as above mentioned. The Committee submit the same for approval. »

Décret du Conseil attribuant l’île Goose au pénitencier de la Colombie-Britannique, approuvé le 4 février 1903 (en anglais seulement). Texte imprimé dans la Gazette du Canada (volume 36, numéro 34, le 21 février 1903, page 4) [en anglais seulement].

On envisageait alors d’ériger un camp de travail sur l’île afin d’en extraire du bois d’œuvre et des ressources minérales et, en juin 1906, deux gardiens et sept condamnés partent de l’établissement de New Westminster pour se rendre sur l’île. Le groupe, auquel s’ajouteront par la suite sept autres détenus, dégage des routes, construit des cabanes en bois rond et un appontement, coupe 200 cordes de bois et extrait 96,5 verges de granite. Au printemps et à l’été de 1907 et de 1908, d’autres équipes sont dépêchées sur l’île.

L’île Goose étant tellement isolée à l’époque, on envoie chaque semaine aux gardiens de la prison douze pigeons voyageurs pour échanger des missives. Chaque jour, un pigeon part de l’île en direction de l’établissement de New Westminster afin de livrer régulièrement un rapport de la situation. En cas de demande urgente, les gardiens doivent envoyer deux pigeons, l’un après l’autre rapidement et, en cas d’urgence, telle qu’une évasion, il faut alors déployer trois ou quatre pigeons à de courts intervalles.

Une page dactylographiée et ronéotée décrivant les modes de communication réguliers et urgents à employer avec les pigeons voyageurs entre l’île Goose et le pénitencier de New Westminster.

Page 2 des instructions provisoires du pénitencier de la Colombie-Britannique destinées aux agents responsables du groupe sur l’île Goose (e011193305-v8)

Le 27 mai 1908, une de ces urgences survient au camp. À 15 h 55, des gardiens envoient le premier d’au moins deux pigeons voyageurs, celui-ci arrive au pénitencier à 9 h le lendemain matin avec le message « murderous assault » (« assaut meurtrier ») perpétré par deux détenus. Puis, un message de suivi indiquant que les prisonniers ont été menottés et qu’il n’y a aucun blessé envoyé à 8 h 10 le 28 mai est reçu l’après-midi même à 16 h 30.

Note manuscrite collée sur une page dactylographiée avec une description du contenu de la note et intitulée « Message from Wright Island to the Penitentiary via Pigeon – May 28th, 1908 » (« Message envoyé de l’île Wright au pénitencier par l’entremise d’un pigeon – le 28 mai 1908 »).

Le message confié à un pigeon voyageur de l’île Goose à 8 h 10 le 28 mai 1908, arrivé au pénitencier de la Colombie-Britannique à 16 h 30 la même journée (e011193305-v8)

 

Outre cette attaque, d’autres évasions et tentatives d’évasion sont survenues au camp. Comme il fallait s’y attendre, les difficultés à surmonter pour superviser un groupe de travail composé de détenus dans un lieu aussi isolé étant tellement grandes, on en vient à cesser les activités sur l’île. En 1919, les cabanes en bois rond sont en piteux état, et le personnel du pénitencier installe des affiches interdisant l’accès à la propriété afin d’éviter le vandalisme. Malgré un certain intérêt occasionnel pour les pierres, le bois et le potentiel récréatif de l’île au cours des années qui suivent, il y aura peu d’activités sur le site jusqu’au moment de sa vente, en 1953.

Un article de journal intitulé « Pitt Lake’s ‘Pen’ Island Re-discovered » (« Redécouverte de l’île du Pen sur le lac Pitt ») accompagné de quatre photographies en noir et blanc du camp de travail en piteux état.

Des photographies prises par Charles Jennings accompagnant un article daté du 14 juin 1955, rédigé par Jimmie McPhee et publié dans le journal The British Columbian. (e011193303-v8)

Ressources connexes