Visite au Mémorial de Vimy : la boucle est bouclée (troisième partie)

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Par Rebecca Murray

En 2022, j’ai parlé de la recherche que j’ai faite pour déterminer si mon arrière-grand-père avait été présent à l’inauguration du Mémorial de Vimy, en 1936. L’année suivante, j’ai écrit la suite de l’histoire. Aujourd’hui, je conclus (probablement) cette trilogie sur mon histoire familiale.

Nous nous sommes laissés après avoir fait une formidable découverte : Thomas C. Phillips était effectivement tout près du Mémorial de Vimy en juillet 1936. Cependant, un point important demeurait à éclaircir : comment s’était-il rendu en France?

À l’époque, la traversée de l’Atlantique se faisait généralement par la mer. Selon un document familial, Thomas serait embarqué à bord du navire à vapeur Alaunia. Une recherche en ligne confirme que ce bateau a quitté Montréal le 20 juillet 1936. Thomas aurait donc pu arriver à temps (de justesse!) pour l’inauguration du 26 juillet. C’est donc ici que nous reprendrons notre recherche.

J’ai porté mon attention sur des listes de passagers et des documents semblables. Mon premier arrêt fut au comptoir de généalogie. J’ai en effet appris deux choses : un problème partagé est à moitié résolu, et mes collègues de la généalogie sont formidables! Je leur ai donc posé une question (vous le pouvez aussi) et j’ai appris que les listes de passagers ultérieures à 1935 sont conservées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Une demande d’accès à l’information est nécessaire pour les consulter. Quant aux documents antérieurs, ils font partie d’ensembles de données consultables sur le site de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Il faut utiliser des mots-clés comme « passager », « immigration » ou « frontière ».

J’ai longtemps tergiversé. Les passionnés de recherche parmi vous comprendront sans peine que je préférais ne pas céder les rênes de mon enquête. Pour éviter d’être entièrement dépendante, j’ai choisi une nouvelle approche toute simple : je suis allée voir de l’autre côté de l’océan et, plutôt que de chercher des documents sur les arrivées, j’ai cherché des départs (autrement dit, le voyage de retour de Thomas). Cette idée m’a menée aux Archives nationales du Royaume-Uni. Dans leurs archives numériques sur Findmypast, j’ai découvert non pas un, mais deux Thomas Phillips partis vers Montréal à l’été 1936. Je remercie de nouveau mes précieux collègues de la généalogie, dont l’expertise s’est avérée essentielle à cette étape de ma recherche.

Pour filtrer les résultats, j’ai cherché une date de départ à la fin de l’été et indiqué l’année de naissance de Thomas (1877). J’ai rapidement trouvé ce que je cherchais : une liste de passagers du navire à vapeur Antonia, de la compagnie Cunard, construit dans les années 1920. Quand j’y ai vu le nom de Thomas, j’ai eu envie de crier et de partager ma découverte avec quelqu’un, comme on le fait quand on est dans la salle de référence, mais quand on travaille de la maison, on obtient seulement les grommellements du chien dérangé pendant sa sieste.

La liste nous renseigne sur le voyage et sur Thomas. L’Antonia a quitté Liverpool le 28 août 1936 à destination de Québec et de Montréal. La plupart des données n’ont rien d’inhabituel, mais la colonne 8 (le dernier pays de résidence permanente) est particulièrement intéressante. On y trouve des régions du Royaume-Uni, d’autres parties de l’Empire britannique et des pays étrangers. Sans surprise, la plupart des passagers provenaient d’autres parties de l’Empire britannique. Peut-être que d’autres pèlerins canadiens étaient allés en France le mois précédent pour assister à l’inauguration du Mémorial de Vimy.

Page jaunie dressant la liste de quelques dizaines de passagers d’un paquebot.

Liste de passagers de l’Antonia, un navire de la compagnie de navigation Cunard White Star, qui a quitté Liverpool, en Angleterre, le 28 août 1936. L’information sur Thomas Phillips est encerclée en rouge. Source : Archives nationales du Royaume-Uni.

Nous y apprenons que la dernière adresse de Thomas au Royaume-Uni était « c/o 88 Leadenhall St, London ». Vous vous doutez bien que je me suis demandé ce qu’il y avait au 88, rue Leadenhall en 1936. Une petite recherche sur le Web a révélé qu’il s’agissait de la Cunard House, un édifice à huit étages où se trouvaient les bureaux de la compagnie de navigation Cunard et de ses succursales. J’ai aussi appris que les passagers donnaient souvent une adresse avec la mention « aux soins de » (care of, ou c/o), probablement pour faciliter la correspondance pendant leur voyage.

Armée de ces renseignements nouveaux, j’ai pu retourner dans les archives de BAC pour voir ce que je pourrais trouver au sujet de l’Antonia et du voyage de Thomas. Les collections d’archives à BAC donnent beaucoup d’information sur le navire, de ses origines en tant que paquebot de ligne à ses fonctions de transporteur de troupes pendant la Deuxième Guerre mondiale. Évidemment, je me suis surtout intéressée aux documents sur le pèlerinage à Vimy!

BAC possède aussi des images de l’Antonia, dont cette magnifique photo prise pendant sa traversée vers l’Europe plus tôt cet été-là.

Le paquebot bicolore Antonia en mer. Le pont Jacques-Cartier et plusieurs navires à quai se trouvent à l’arrière-plan.

Pèlerins pour Vimy à bord de l’Antonia en partance de Montréal (Québec), 1936. Source : Clifford M. Johnston/Bibliothèque et Archives Canada/PA-056952.

J’ai ensuite épluché les journaux montréalais du début septembre pour voir si le retour de Thomas était mentionné dans les nouvelles maritimes. L’arrivée de l’Antonia est bel et bien documentée, mais mon arrière-grand-père n’est pas nommé. J’ai alors une fois de plus constaté que le plus difficile, dans une recherche archivistique, est parfois de savoir quand s’arrêter.

Je voulais d’abord savoir si mon arrière-grand-père avait assisté à l’inauguration du Mémorial de Vimy, et j’ai fini par me renseigner sur son voyage à l’aller et au retour. La recherche a été ponctuée de grandes découvertes et d’amères déceptions, ce qui est courant lorsqu’on fouille dans les archives. En plus d’obtenir de l’information, j’ai acquis de précieuses aptitudes en recherche, ce qui n’est vraiment pas à dédaigner. Bien loin de me décourager, je suis déjà prête à m’attaquer au prochain mystère familial! Vive les défis!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Visite au mémorial de Vimy : mythe ou réalité? (la suite)

Par Rebecca Murray

Capture d’écran d’une conversation par messagerie instantanée entre une fille et son père.

L’auteure annonce à son père qu’elle n’a pas trouvé d’information sur son arrière-grand-père, M. Phillips, et sur le navire Skeena à Vimy. Son père, confus de l’erreur, annonce que le navire était plutôt le Saguenay. Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

Est-ce que ça vous est déjà arrivé? Vous vous donnez à fond dans une recherche, sans résultats. Puis, vous découvrez que vos renseignements de base étaient inexacts. C’est extrêmement frustrant, car vous avez l’impression d’avoir perdu du temps et de l’énergie. Les mésaventures de ce type arrivent plus souvent qu’on pense, y compris aux chercheurs chevronnés.

Heureusement, nous avons toujours droit à une deuxième chance, car les preuves historiques ne disparaissent pas comme ça. Accompagnez-nous pour savoir ce que nous avons trouvé cette fois!

Dans mon blogue précédent, je cherchais des traces de la présence de mon arrière-grand-père à la cérémonie de dévoilement du Mémorial national de Vimy, en juillet 1936.

Nous savions que Thomas Caleb Phillips s’était rendu en France en compagnie d’un ensemble musical à bord d’un navire canadien. Nous pensions que c’était le NCSM Skeena, alors qu’il s’agissait plutôt du NCSM Saguenay.

Cette nouvelle information change toute la donne!

Pour confirmer, à l’aide d’archives, que le NCSM Saguenay se trouvait bien dans les environs d’Arras (France) en été 1936, j’ai consulté le journal de bord du Saguenay de juillet 1935 à septembre 1937 : volume RG24, dossier 7812, « Ship’s log – SAGUENAY – Old », 1935/07 – 1937/09.

La première image ci-dessous m’a appris qu’au mois de juillet 1936, un groupe de l’équipage de ce navire a visité le mémorial, la veille de son dévoilement.

Journal de bord manuscrit du NCSM Saguenay, 25 juillet 1936.

Journal de bord du NCSM Saguenay, 25 juillet 1936 (MIKAN 1084556). L’extrait écrit en anglais dit « Garde royale constituée pour Vimy » et « Bordée de bâbord partie en excursion vers Vimy ». Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

L’information du lendemain est encore plus intéressante, car elle donne des détails sur les déplacements de l’équipage à destination du Mémorial.

Journal de bord manuscrit du NCSM Saguenay, 26 juillet 1936.

Journal de bord du NCSM Saguenay pour le 26 juillet 1936 (MIKAN 1084556). Le texte anglais dit : « Bordée de tribord partie en excursion vers Vimy – En congé ». Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

J’étais très excitée de trouver cette information. Ce sont des moments comme celui-là où vous avez envie de sauter et de crier votre joie, même si vous êtes dans une salle silencieuse, entouré de chercheurs et de membres du personnel qui font un travail important. Puis, j’ai tourné la page, car on ne sait jamais ce qui nous attend de l’autre côté. Et qu’est-ce que j’ai trouvé? Rien de moins qu’une mention totalement inattendue de mon arrière-grand-père! En plein l’homme que je cherchais!

Journal de bord manuscrit du NCSM Saguenay, 29 juillet 1936.

Journal de bord du NCSM Saguenay, 29 juillet 1936 (MIKAN 1084556). Le texte anglais dit : « Le commandant du génie T. C. Phillips est descendu à terre. » Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

Nous sommes maintenant le 29 juillet. Le navire se trouve à Douvres, en Angleterre. Regardez qui est allé faire une petite visite à terre!

Voilà le lien que je cherchais! *Vigoureux poing de la victoire*

Permettez-moi ici une petite digression. J’ai déjà mentionné que la recherche dans les archives, surtout gouvernementales, pouvait exiger beaucoup de temps et de patience. Dans le cas présent, je ne m’attendais pas à ce que T. C. Phillips soit nommé dans le journal de bord du navire. Je voulais seulement m’assurer que le NCSM Saguenay était près de la crête de Vimy (dans la mesure où un navire peut se rapprocher d’une région rurale du nord de la France). Cette « trouvaille » m’a presque convaincue d’arrêter mes recherches. Je dis bien presque.

Raconter ma recherche dans le blogue précédent m’a aussi rappelé une heureuse leçon : faire connaître son problème est un bon moyen de diviser le fardeau. Lorsque vous avez la chance de travailler avec des collègues d’une nature curieuse, vous recevez des suggestions qui vous mettent sur la bonne voie. Par exemple, un collègue m’a suggéré de consulter des listes de passagers liées au pèlerinage de Vimy.

En faisant part de ma recherche à ma famille élargie, j’ai non seulement reçu une information corrigée (sans commentaires!), mais aussi un article que je conserverai dans mes propres archives : une carte postale plutôt abîmée, datée du 27 juillet 1936, que T. C. Phillips a envoyée à son épouse, c’est-à-dire mon arrière-grand-mère, à Ottawa. Le message ne nous apprend rien sur la présence de son auteur au dévoilement du Mémorial, mais la carte elle-même comprend une foule de renseignements qui pourraient mener un chercheur sur de nombreuses pistes. Surtout si la chercheure en question est l’arrière-petite-fille de l’expéditeur! Par exemple, le timbre apposé sur la carte postale semble représenter une sculpture, Les défenseurs : Le brisement du sabre, qui apparaît aussi sur la carte postale elle-même.

Recto d’une carte postale montrant dans des tons sépia des sculptures en pierre du Mémorial de Vimy.

Carte postale expédiée de France à Ottawa par T. C. Phillips, le 27 juillet 1936. Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

Timbre vert représentant une sculpture en pierre du Mémorial de Vimy, avec une partie du cachet postal à la gauche.

La partie de la carte postale comprenant le timbre oblitéré. Image courtoisie de l’auteure, Rebecca Murray.

Je peux aussi tenter de retracer le parcours qu’a suivi T. C. Phillips pour se rendre en France. Une petite recherche dans un album de famille m’apprend qu’il s’est rendu en France à bord de l’Alaunia, un navire à vapeur qui a surtout assuré le service au Canada pour la compagnie maritime britannique Cunard. Des listes de passagers confirment que le navire a quitté Montréal le 20 juillet 1936 à destination de Londres, en Angleterre. Toutefois, le nom de T. C. Phillips ne se trouve pas parmi les personnes qui ont débarqué.

Mais nous avons parcouru assez de chemin pour aujourd’hui. C’est une autre leçon précieuse que nous pouvons tirer de cette recherche : il y a toujours une autre piste à suivre, une publication ou des archives pertinentes à consulter. Comme je le disais dans le billet précédent, il n’y a aucun plaisir à avoir terminé! Je vais donc garder ce petit mystère pour ma prochaine excursion sur les traces de cette aventure.

Ce n’est pas toujours facile d’établir des liens entre le folklore familial, hautement subjectif, et les sources primaires. Il faut procéder avec méthode, que vous travailliez avec les archives de votre propre famille ou celles d’une autre (comme c’est souvent le cas aux Services de référence). Je n’insisterai jamais assez sur l’importance d’effectuer une bonne recherche dans les sources secondaires pour mieux préparer une visite dans un centre d’archives, à la recherche de sources primaires.


Rebecca Murray est archiviste de référence principale à la Division des services de référence de Bibliothèque et Archives Canada.