L’art des jeux de mains dénés / Jeu de bâtonnets / ᐅᐨᘛ / oodzi

Par Angela Code

Les Dénés, aussi appelés Athabascans ou Athapascans, forment un groupe autochtone appartenant à la famille de langues na-déné. C’est l’un des plus importants groupes autochtones en Amérique du Nord. Son territoire couvre plus de quatre millions de kilomètres carrés, s’étendant du nord du Canada jusqu’au sud-ouest des États-Unis.
Les Dénés se divisent en trois groupes distincts : le groupe du Nord, le groupe de la côte Pacifique et le groupe du Sud et de l’apache. Quant à la famille de langues na-déné, elle compte une cinquantaine de langues différentes, ainsi que divers dialectes.
Depuis longtemps, les Dénés du Nord jouent à des jeux de mains, une activité aussi connue sous le nom de jeu de bâtonnets. En dialecte Sayisi Dënesųłiné, les jeux de mains dénés sont appelés ᐅᐨᘛ (oodzi). (La langue dënesųłiné yatiyé, aussi appelée chipewyan déné, est l’une des plus parlées dans la famille de langues na-déné.)
Selon la région du Nord où l’on se trouve, les règles du jeu et les signes de la main diffèrent; cependant, le but du jeu et son déroulement sont essentiellement les mêmes. Les jeux de mains dénés sont en fait des jeux complexes de devinettes : un passe-temps amusant où l’on doit être doué à la fois pour la dissimulation et pour « lire les gens ». Le plaisir est rehaussé d’un cran lorsque les participants font preuve de dynamisme, d’humour et d’esprit sportif – et d’habileté, bien entendu!

Comment jouer

Les jeux de mains dénés se jouent entre équipes, chacune comptant le même nombre de joueurs. (Ce nombre est précisé à chaque tournoi, et varie d’une région à l’autre : 4, 6, 8, 10 ou 12, le plus souvent.) Chaque joueur apporte un objet qui se cache bien dans la main : une petite pierre, une pièce de monnaie, un bouton, une cartouche de calibre .22, etc.
Deux équipes à la fois s’affrontent. Les joueurs qui attendent leur tour frappent des tambours en peau de caribou sur une cadence rapide et rythmée, en utilisant des baguettes de bois faites à la main; des spectateurs peuvent les accompagner. Le son des tambours, les cris, les acclamations et les chants dynamisent le jeu. Souvent, les joueurs de tambours se placent derrière l’équipe qu’ils soutiennent. Ils jouent de leur instrument quand celle-ci cache ses objets, à la fois pour l’encourager et pour empêcher les autres de deviner leurs gestes.

Photo noir et blanc d’une vingtaine d’hommes et de garçons, certains debout, d’autres agenouillés au sol. Au centre, un homme frappe un tambour en peau de caribou avec une baguette de bois. Il porte une chemise blanche et un pantalon sombre, et tient une pipe en bois à la bouche. À l’arrière-plan, on voit une tente rectangulaire en toile blanche, et de la viande qui sèche sur un poteau de bois.

Hommes et garçons gwichya gwich’in jouant à des jeux de mains dénés, accompagnés par un homme au tambour, Tsiigehtchic (Tsiigehtshik, anciennement la rivière Arctic Red), Territoires du Nord-Ouest. (a102486)

Chaque équipe a son capitaine ; ce sont eux qui ouvrent le jeu. Ils cachent d’abord un objet dans une de leurs mains. Puis, en même temps, ils pointent la main où, selon eux, leur adversaire a caché son objet.

Photo couleur de huit hommes et d’un bambin. Les hommes jouent à des jeux de mains dénés. Trois d’entre eux frappent des tambours en peau de caribou avec des baguettes de bois. Deux autres font des signes propres aux jeux de mains dénés.

Hommes jouant à des jeux de mains dénés. Photo prise lors de la visite de la Commission royale sur les peuples autochtones à Tadoule Lake (Manitoba), dans la collectivité des Dénés sayisi (Dénésulines), 1992-1993. Au fond (de gauche à droite) : Brandon Cheekie, Peter Cheekie, Jimmy Clipping, Fred Duck, Ernie Bussidor et Tony Duck. Devant (de gauche à droite) : Personne inconnue, Evan Yassie, Thomas Cutlip et Ray Ellis. (e011300424)

Dès que l’un des capitaines a bien deviné, les autres joueurs se joignent à la partie. L’équipe du capitaine gagnant est la première à pouvoir marquer des points.

Les membres de l’équipe se mettent en ligne côte à côte, à genoux au sol, face à l’équipe adverse. Comme les jeux de mains peuvent durer longtemps, ils s’agenouillent sur une surface molle (un tapis ou un lit de branches d’épinette, par exemple).

Souvent, un ou deux marqueurs ou arbitres gardent un œil sur les joueurs et veillent à ce que les points soient bien comptés, à ce que personne ne triche et à ce que toute contestation soit réglée de manière équitable; mais ce n’est pas obligatoire. Ils s’assoient alors sur les côtés, entre les deux équipes, pour bien voir les joueurs et pouvoir distribuer les bâtonnets aux gagnants.

Ces bâtonnets servent à compter les points. On les place entre les équipes. Leur nombre varie en fonction du nombre de joueurs : ainsi, il faut 12 bâtonnets si on joue avec des équipes de 4 personnes; 14 bâtonnets avec des équipes de 6; 21 avec des équipes de 8; 24 ou 25 avec des équipes de 10; et 28 ou 29 avec des équipes de 12.

Photo couleur d’un homme âgé vu de dos, regardant une partie de jeux de mains dénés. Il porte une veste avec l’inscription « Sayisi Dene Traditional Handgame Club » (Club de jeux de mains traditionnels des Dénés sayisi).

L’aîné Charlie Learjaw regarde une partie de jeux de mains dénés, Tadoule Lake (Manitoba), 1992-1993. (e011300421)

L’équipe qui commence cache ses objets sous un tissu quelconque (comme une couverture ou des manteaux). Chaque joueur passe alors son objet d’une main à l’autre, jusqu’à ce qu’il décide dans quelle main le cacher. Ensuite, les joueurs sortent leurs poings de la couverture et les montrent à leurs adversaires. Souvent, ils gardent les bras droits devant eux ou les croisent sur leur poitrine, mais ils sont libres de positionner leurs mains à leur guise. Ils font aussi des mimiques, des gestes et des sons pour tenter d’induire en erreur le capitaine de l’équipe adverse, qui devra deviner où sont cachés les objets.

Photo couleur de six hommes et d’un bambin. Les hommes jouent aux jeux de mains dénés. Trois d’entre eux chantent en frappant des tambours en peau de caribou avec des baguettes de bois.

Hommes jouant du tambour pendant des jeux de mains dénés, Tadoule Lake (Manitoba), 1992-1993. De gauche à droite : Brandon Cheekie, Peter Cheekie, Fred Duck, Jimmy Clipping, Ernie Bussidor, Tony Duck et Ray Ellis. (e011300426)

Quand le capitaine pense avoir deviné où sont cachés les objets, il fait d’abord un grand bruit (par exemple, en tapant fort dans ses mains ou sur le sol) pour avertir tout le monde qu’il est prêt. Puis il fait un signe particulier de la main pour désigner son choix. Plusieurs signes existent, mais les Jeux d’hiver de l’Arctique en emploient quatre (source en anglais).

Les joueurs adverses doivent alors ouvrir la main désignée par le capitaine, pour que tout le monde puisse voir si l’objet est là. Si le capitaine s’est trompé, les joueurs de l’équipe adverse doivent alors montrer l’autre main qui contient l’objet.

Chaque fois que le capitaine se trompe, on donne un bâtonnet à l’équipe adverse. Supposons par exemple que le capitaine fait face à quatre joueurs. S’il devine une fois et se trompe trois fois, l’équipe adverse reçoit trois bâtonnets; le joueur dont le capitaine a deviné la main est éliminé, et le jeu se poursuit avec les autres joueurs, jusqu’à ce que le capitaine ait réussi à trouver tous les objets restants, ou jusqu’à ce que l’équipe adverse remporte tous les bâtonnets. Si le capitaine trouve tous les objets restants, on inverse les rôles : c’est au tour de son équipe de cacher ses objets, et à l’autre capitaine d’essayer de deviner. L’équipe qui remporte tous les bâtonnets gagne la partie.

Photo composite noir et blanc montrant une quinzaine de garçons jouant aux jeux de mains dénés, debout ou agenouillés au sol. Un jeune homme debout frappe un tambour en peau de caribou avec une baguette de bois.

Hommes et garçons gwichya gwich’in jouant aux jeux de mains dénés, Tsiigehtchic (Tsiigehtshik, anciennement la rivière Arctic Red), Territoires du Nord-Ouest, vers 1930. (a102488)

Tournois de jeux de mains

Dans le Nord, on organise souvent de petits tournois de jeux de mains dénés. Ma collectivité d’origine, Tadoule Lake, au Manitoba, essaie d’en faire tous les vendredis soir. De très grands tournois se tiennent aussi quelques fois par an dans différentes régions. On peut parfois y remporter des prix valant des milliers de dollars!

On raconte que dans le passé, certains joueurs pariaient différents objets comme des armes à feu, des balles, des haches, etc. J’ai même entendu parler d’hommes qui perdaient leur femme à un jeu et devaient la regagner à un autre!

Controverse entourant le genre

Les enfants – filles et garçons – apprennent à jouer aux jeux de mains dénés, tant à la maison que pendant des tournois. Dans certaines régions, ces jeux sont enseignés à l’école, durant les cours d’éducation physique.

Photo couleur d’un homme, d’un adolescent et d’un bambin regardant une partie de jeux de mains dénés. L’homme frappe un tambour en peau de caribou avec une baguette de bois. Le bambin tient son propre petit tambour.

Peter Cheekie frappe un tambour en peau de caribou avec une baguette de bois pendant qu’un adolescent (Christopher Yassie) et un bambin (Brandon Cheekie) regardent une partie de jeux de mains dénés, Tadoule Lake (Manitoba), 1992-1993. (e011300429)

Cependant, chez les adultes, ce jeu est surtout pratiqué par les hommes, certaines régions (notamment dans les Territoires du Nord-Ouest) ne permettant pas aux femmes de jouer. Néanmoins, au Yukon et dans certaines régions du nord des Prairies, les femmes ne sont pas seulement autorisées à jouer : elles y sont encouragées et largement soutenues. Leur participation accroît l’envergure des jeux et les rend plus amusants, tant pour les participants que pour les spectateurs.

Ce sont les organisateurs des tournois qui précisent si les équipes mixtes sont permises ou non. À ma connaissance, il n’y a eu qu’un seul tournoi entièrement féminin, qui s’est tenu à Whitehorse, au Yukon, en 2016.

La participation des femmes aux jeux de mains est un sujet délicat dans le Nord. Certains disent qu’il n’est pas dans la tradition de permettre aux femmes de jouer, et qu’elles gagneraient tout le temps parce qu’elles sont « trop puissantes ». Dans certaines collectivités, on n’autorise même pas les femmes à jouer du tambour.

D’autres soutiennent plutôt que les femmes jouaient aux jeux de mains dénés autrefois, mais que cela a changé depuis l’imposition du christianisme. Des missionnaires chrétiens ont déjà complètement interdit le tambour et les jeux de mains dénés; dans certaines collectivités, ils ont même brûlé des tambours, considérés comme païens (donc inacceptables). Or, cet instrument occupe une place très importante dans la culture et la spiritualité dénées.

Si certains Dénés ont toujours continué à jouer en secret, dans d’autres collectivités, les jeux de mains refont surface depuis quelques années seulement. Dans une collectivité en particulier, j’ai entendu dire que les jeux de mains avaient disparu depuis longtemps, mais que les femmes les faisaient renaître et encourageaient les hommes et les autres à y jouer de nouveau.

Je crois qu’à notre époque, exclure les femmes des jeux de mains dénés est injuste, tout comme les empêcher de jouer du tambour, d’ailleurs. La dynamique entre les sexes évolue dans toutes les cultures. Inclure davantage les femmes dans ce passe-temps amusant n’apporte que du positif pour tout le monde.

Pour ma part, j’adore regarder les jeux de mains dénés, mais je préfère de loin y participer, et j’aimerais voir plus de femmes le faire et en tirer du plaisir.

Visitez l’album Flickr sur les images des Dénés.


Angela Code est archiviste dans le cadre du projet Écoutez pour entendre nos voix de Bibliothèque et Archives Canada.