Qu’a-t-on réellement signé sur la Colline parlementaire il y a 40 ans, le 17 avril 1982?

Par Natasha Dubois

Il existe plusieurs termes pour souligner ce moment précis de l’histoire du Canada : rapatriement de la Constitution, signature de la Constitution, signature de la Charte, etc. Toutes ces expressions sont à la fois correctes et incomplètes.

Oui, la Constitution canadienne a bel et bien été rapatriée il y a 40 ans (au sens où dorénavant, seul le Canada a le pouvoir de la modifier, et non plus le Royaume-Uni). Elle n’a cependant pas été signée, car il s’agit d’une loi édictée par le Parlement britannique. Les lois britanniques et canadiennes sont promulguées et non signées par le chef de l’État. Pour ce qui est de la Charte canadienne des droits et libertés, soulignons qu’il ne s’agit même pas d’un document; on ne peut donc le signer de manière officielle.

Donc, quel document a-t-on réellement signé le 17 avril 1982?

À cette date, la reine Elizabeth II a signé la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 (l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada promulguée par le Royaume-Uni quelques semaines auparavant), qui donne au Canada le pouvoir de modifier sa propre constitution et inclut, entre autres, le libellé de la Charte canadienne des droits et libertés.

Une page calligraphiée en couleur. On y voit les armoiries du Canada et des signatures, au centre en haut, ainsi que d’autres signatures, au centre en bas.

Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982. Légèrement endommagée par la pluie pendant la cérémonie liée à la Proclamation, cette version est connue, d’une manière informelle, comme la copie « goutte de pluie ». (e008125379)

Mais, alors, qu’est-ce que la Charte?

 On voit souvent des affiches de la Charte canadienne des droits et libertés, comportant les armoiries du Canada et la signature du premier ministre. Mais s’il ne s’agit pas d’un document officiel, alors qu’en est-il au juste?

Une page dactylographiée en couleur. On y voit les armoiries du Canada, au centre en haut, et un dessin de l’édifice du Parlement, au centre en bas. Une signature figure dans le coin inférieur droit.

Affiche publiée par le gouvernement du Canada pour promouvoir la Charte canadienne des droits et libertés. (e010758222_s1-v8)

Contrairement à la croyance populaire, la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas un document en soi. Il s’agit en fait de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, mise en page sous la forme d’une affiche en 1985. Cette affiche n’a jamais été officiellement signée ni promulguée, n’étant pas une proclamation ou un texte de loi complet. Il lui manque également le grand sceau du Canada, qui doit être apposé sur toutes les proclamations et certains documents officiels du Canada.

En 1985, après l’entrée en vigueur de toutes les dispositions de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement souhaite en promouvoir le contenu (c.-à-d. la Charte canadienne des droits et libertés). Pour ce faire, il crée des affiches prenant l’allure d’un document officiel [en y apposant une signature estampillée du premier ministre de l’époque] et en distribue plus de 250 000 dans les écoles, bibliothèques et lieux publics du Canada. L’affiche de la Charte peut aujourd’hui être téléchargée (format PDF) ou commandée en version imprimée (certificat ou affiche) sur le site Web de Patrimoine canadien. Malheureusement, il n’existe pas de version originale officielle de cette affiche dans les collections préservées à Bibliothèque et Archives Canada (BAC).

La Charte canadienne des droits et libertés est disponible en 29 langues et semble avoir servi de modèle pour la formulation de nombreuses autres constitutions et chartes des droits partout dans le monde. Elle a aussi inspiré des centaines d’ouvrages dans la littérature canadienne, dont bon nombre ont été acquis par BAC au moyen du dépôt légal : traités de droit, thèses et mémoires, articles de revues professionnelles, ouvrages de vulgarisation et même littérature jeunesse.

Finalement, qu’a-t-on signé le 17 avril 1982?

Le 29 mars 1982, le Royaume-Uni promulgue la Loi de 1982 sur le Canada, dont l’annexe B est la Loi constitutionnelle de 1982 qui s’applique uniquement au Canada. Le 17 avril 1982, la reine Elizabeth II signe la proclamation qui officialise l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 pour le Canada.

Selon les règles britanniques et canadiennes, avant d’entrer en vigueur, un texte de loi doit franchir un certain nombre d’étapes. Il doit d’abord être présenté aux deux Chambres du Parlement, où il fait l’objet de discussions et de débats avant son adoption par ces dernières. La loi doit ensuite être promulguée par le chef de l’État, c’est-à-dire obtenir la sanction royale (la signature de la reine ou du gouverneur général). Après l’adoption de la Loi de 1982 sur le Canada, le gouvernement du Canada rédige lui-même le texte de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 que la reine accepte de signer à Ottawa, le 17 avril 1982. Comme pour toutes les proclamations canadiennes précédentes, les autres signataires sont le registraire général du Canada et le procureur général du Canada. Le premier ministre du Canada appose lui aussi sa signature sur la proclamation de 1982, même si elle n’est pas essentielle pour que le document soit considéré comme officiel.

En fait, la cérémonie de signature du 17 avril 1982 n’est que la façade publique de l’événement politique réel à l’époque : l’obtention, par le Canada, du dernier pouvoir politique qu’il lui manque pour devenir un pays réellement souverain. En effet, jusqu’à cette date, seul le Parlement britannique a le pouvoir de modifier la Constitution du Canada, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

Le Royaume-Uni édicte donc la Loi de 1982 sur le Canada, qui prévoit qu’aucune autre loi subséquente du Parlement du Royaume-Uni n’aura d’effet au Canada. De plus, cette loi est la seule loi britannique rédigée en anglais et en français depuis le Moyen-âge.

La Loi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada) affirme la primauté de la Constitution du Canada sur toute autre règle de droit et définit ce que compose la Constitution du Canada (partie VII). Cette loi détaille également les procédures de modification de la Constitution canadienne (partie IV), et contient des articles sur les droits des peuples autochtones (partie II) et la Charte canadienne des droits et libertés (partie I).

C’est pour cela qu’on dit que la Charte est enchâssée dans la Constitution. On ne peut modifier la Charte sans modifier la Constitution, car la Loi constitutionnelle de 1982 est partie intégrante de la Constitution du Canada (partie VII de la Loi). Pour cela, il faudrait utiliser les procédures de modification de la Constitution (partie V de la Loi). Cela explique également pourquoi la Charte a primauté sur tous les textes législatifs du pays, car elle est une des composantes de la Constitution.

En conclusion, il n’existe pas un document qui peut être désigné comme étant la « Charte ». De multiples reproductions du texte qui compose la Charte canadienne des droits et libertés sont disponibles gratuitement. Même si BAC ne détient pas l’affiche originale de la Charte, il préserve cependant dans ses collections des facsimilés sur parchemin des six documents constitutionnels du Canada : la Proclamation royale (1763), l’Acte de Québec (1774), l’Acte constitutionnel (1791), l’Acte d’Union (1840), l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) et la Loi de 1982 sur le Canada. Ce coffret et les copies sur parchemin des documents ont été offerts au Canada par le Royaume-Uni, après la signature de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982. Document d’une quarantaine de pages, la Loi de 1982 sur le Canada est ce qui se rapproche le plus d’une version originale de la Charte canadienne des droits et libertés. En quelque sorte, on peut considérer ce texte constitutionnel comme notre exemplaire national de la Charte.

Ressources connexes :


Natasha Dubois est archiviste au sein de la Division des archives gouvernementales à Bibliothèque et Archives Canada.

Lire, en toute liberté

Par Liane Belway

Photographie couleur montrant le dos de livres empilés sur fond noir.

Échantillon de livres variés provenant de la collection de Bibliothèque et Archives Canada qui ont été contestés. Photo : Tom Thompson

Au Canada, nous sommes libres de lire ce qui nous plaît – à un point tel que nous oublions parfois l’importance de ce droit. L’idée que celui-ci pourrait être bafoué dans un pays comme le nôtre ne nous vient même pas à l’esprit. Après tout, notre liberté intellectuelle est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, la liberté de lire ne peut jamais être tenue pour acquise. Même au Canada, des livres et des magazines sont fréquemment contestés dans les bibliothèques et les écoles, comme l’expliquent de nombreux ouvrages sur la liberté d’expression et la censure au Canada. Ces pressions portent atteinte au droit des Canadiens de décider eux-mêmes ce qu’ils lisent.

La Semaine de la liberté d’expression encourage la population canadienne à parler de sa liberté intellectuelle et à la célébrer. Tous les ans, le Book and Periodical Council se sert de cette période pour lever le voile sur l’histoire souvent méconnue de la censure et de la mise à l’index au Canada, et sur les luttes menées pour maintenir certains ouvrages sur les tablettes des écoles et des bibliothèques. Partout au pays, pendant une semaine, des événements sensibilisent le public à l’importance de protéger son droit à la lecture.

Le droit à la liberté intellectuelle signifie que chaque personne est libre de choisir ce qu’elle lit, dans les limites permises par la loi canadienne. En contestant la présence d’un titre sur les tablettes, on fait plus qu’exprimer ses propres goûts ou son refus de prendre part au dialogue sur une question controversée : on tente carrément, souvent pour des raisons politiques ou morales, d’empêcher le public de lire des ouvrages offerts dans les écoles, les bibliothèques ou les librairies. Les bibliothèques ont le devoir de protéger la liberté de lire et doivent refléter ce devoir dans leurs politiques.

Chaque cas est particulier, et les bibliothèques réagissent différemment en fonction de leur mandat et de leurs responsabilités envers les usagers. Dans la plupart des bibliothèques publiques, des politiques sur la liberté intellectuelle sont en place pour orienter le traitement des préoccupations individuelles tout en protégeant le droit collectif à la lecture. Par exemple, les ouvrages peuvent être classés selon l’âge du lectorat auquel ils s’adressent. Quant aux bibliothèques scolaires, elles sont généralement chargées d’appliquer le programme scolaire pour les élèves de l’école. Enfin, Bibliothèque et Archives Canada a le mandat d’acquérir, de décrire et de rendre accessibles toutes les publications canadiennes pour les lecteurs et les chercheurs d’ici et d’ailleurs dans le monde.

Ce ne sont pas tous les livres contestés qui finissent frappés d’interdit. Quand une auteure de la trempe de Margaret Atwood voit un roman comme La servante écarlate remis en question, on assiste souvent, au contraire, à une augmentation de l’attention médiatique, des ventes et du lectorat. L’œuvre Lives of Girls and Women d’Alice Munro, par exemple, a fait l’objet de contestations, et l’auteure a remporté quelques décennies plus tard le prix Nobel de la littérature.

Néanmoins, la tentative de faire bannir un ouvrage peut avoir un effet plus insidieux, surtout dans les écoles et les bibliothèques publiques. Un livre pour enfants controversé peut tout simplement être retiré des listes de lecture et des programmes scolaires pour éviter la confrontation. Mais il arrive aussi qu’une réclamation d’interdiction soit refusée, notamment pour des ouvrages à thème comme L’arbre de Maxine. Grâce à une décision prise en 1992, ce livre illustré au message écologiste a continué d’être lu dans les écoles primaires. Aujourd’hui, on tient pour acquise la possibilité de présenter aux enfants des livres sur l’environnement, les familles homoparentales, les croyances religieuses et toutes sortes d’autres sujets, mais la réalité n’a pas toujours été ainsi.

Qui sait combien d’ouvrages n’ont pas été achetés (ou même écrits) au fil des décennies en raison d’une culture de l’interdiction? Nous aimons à penser que, de nos jours, nous sommes plus ouverts au point de vue des autres. En tant que Canadiens, nous devons demeurer conscients de la grande valeur de notre droit à la lecture, et protéger ce droit pour nous-mêmes et pour les autres.


Liane Belway est bibliothécaire à la Division des acquisitions de la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site Web de la Semaine de la liberté d’expression.