Par Stacey Zembrzycki
Cette série de billets de blogue en quatre parties est inspirée par un ensemble d’images saisissantes et obsédantes conservées dans les archives du ministère de la Défense nationale (MDN), numéro d’acquisition 1967-052. Ces photographies sont un témoignage du service à la nation pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Présentant différentes perspectives, elles révèlent les intersections de classes, de races et de fonctions.

La princesse Alexandra représente la Couronne britannique en sol canadien lors de sa tournée royale en 1954. (e011871943)
Les soldats volontaires et conscrits qui partent au combat et en reviennent nous révèlent les réalités de la préparation à la guerre, du déploiement sur des fronts lointains et du retour à la maison.

Image de gauche : Un porteur de voiture-lit et un soldat blessé dans le train-hôpital du Lady Nelson. Image de droite : Le porteur Jim Jones, de Calgary, serre la main du soldat Harry Adams, membre du Royal Canadian Regiment d’Halifax, tandis que les unités des forces spéciales de l’armée canadienne arrivent à Fort Lewis, dans l’État de Washington, pour l’entraînement des forces de la brigade. (e011871940 et e011871942)
Toutes les photographies montrent des hommes noirs, souvent identifiés comme des membres du personnel ferroviaire dans les descriptions des images. Ils sont le fil conducteur de ces moments historiques. Leur travail essentiel, comme cuisiniers ou porteurs de voitures-lits, a rendu les voyages en train possibles, voire luxueux, en temps de guerre comme en temps de paix. S’il a souvent été passé sous silence et négligé dans nos récits nationaux, leur service est indéniablement manifeste dans ces images.
Comment pouvons-nous commencer à reconstituer les expériences captées dans ces images? Nous pouvons entre autres nous tourner vers la collection de Stanley G. Grizzle, notamment les interviews qu’il a menées en 1986 et en 1987 avec d’anciens porteurs de voitures-lits des chemins de fer du Canadien National (CN) et du Canadien Pacifique (CP). Grizzle a cherché à documenter les conditions abusives imposées par ces compagnies ferroviaires aux hommes noirs jusqu’au milieu du vingtième siècle, ainsi que la lutte longue et complexe qui a abouti à leur syndicalisation. En même temps, il a laissé à ses narrateurs la possibilité de raconter des moments mémorables de leur vie sur les chemins de fer. En les écoutant attentivement, nous arrivons à construire un récit et à replacer les images du MDN en contexte. Comme le passé, cependant, ces souvenirs restent fugaces et fragmentaires, et de nombreux ont sombré dans l’oubli.
Cinq interviews tirées de la collection de Stanley Grizzle donnent un aperçu du travail des porteurs pendant la Seconde Guerre mondiale. Si ces échanges fournissent peu de détails sur les images ci-dessus, ils donnent une idée des conditions de travail des porteurs et des responsabilités supplémentaires qui leur incombaient en temps de guerre. Écoutons ce que ces bribes de conversations révèlent de leurs expériences :
Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417383, fichier 1, 34:30)
Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417397, fichier 2, 09:26)
Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 17:18)
Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417379, fichier 1, 05:56)
Vous pouvez lire la transcription de ce clip sonore ici. (ISN 417386, fichier 1, 32:12)
L’expérience de ces hommes, les personnes qu’ils ont servies et leurs sentiments à l’égard des tâches supplémentaires qui leur ont été confiées en raison de la Seconde Guerre mondiale offrent des informations précieuses qui contribuent à humaniser le rôle de porteur. Pour George Forray, le recours accru au service ferroviaire en temps de guerre lui a permis, comme à beaucoup d’autres, d’obtenir un emploi à temps plein et d’acquérir une sécurité financière pendant cette période turbulente. Bill Overton, tout en expliquant les gains syndicaux qu’il a contribué à obtenir, au prix de luttes acharnées, raconte avoir été submergé alors qu’il devait nourrir 83 cadets de l’armée de l’air affamés. Même s’il y avait dans le train des employés blancs qui n’étaient pas en service, il explique qu’il était difficile de leur demander de l’aide. Grâce à son récit, nous comprenons mieux les subtilités et les malentendus qui entourent le paiement des heures supplémentaires à cette époque, ainsi que les structures racialisées qui régissaient et divisaient les travailleurs du chemin de fer.
Dans l’un des récits de guerre les plus clairs et les plus concis de la collection de Grizzle, un narrateur inconnu raconte – malgré des coupures audibles dans l’enregistrement sonore – les détails du transport de prisonniers de guerre allemands. S’il décrit l’environnement physique des voitures-lits et les repas servis, il laisse le reste à l’imagination, ne parlant pas de la façon dont les porteurs percevaient ces responsabilités ni les dangers auxquels ils étaient confrontés. Ces perspectives se sont en grande partie perdues dans l’histoire. Eddie Green poursuit sur ce sujet en parlant de l’évolution de la technologie ferroviaire au début du vingtième siècle. La remise en service de voitures obsolètes pour répondre aux besoins en temps de guerre a amené son lot de défis importants et de dangers physiques pour les porteurs, qui ont dû faire face à ces risques tout en s’occupant d’un plus grand nombre de passagers. Le stress devait être énorme.
À bien des égards, le dernier extrait de l’interview boucle la boucle. Joseph Morris Sealy explique comment la forte demande à l’égard des services ferroviaires en temps de guerre a ouvert la voie à d’importantes avancées syndicales. Les augmentations salariales soutenues par le gouvernement ont servi de point de départ à la négociation de la première convention collective entre la Fraternité internationale des porteurs de wagons-lits et le CP en 1945. Il n’était plus question de revenir à la situation d’avant la guerre. La circulation ininterrompue des personnes et des marchandises par la voie ferrée s’est avérée essentielle au maintien d’une économie stable et fonctionnelle. Les porteurs, pleinement conscients du rôle essentiel qu’ils jouaient, se sont battus pour obtenir un traitement équitable et une juste rémunération.
S’il n’est pas possible de reconstituer les informations contextuelles des images ci-dessus, les récits qui les accompagnent contiennent suffisamment de renseignements pour révéler ce qui a pu se passer avant et après la prise des photographies. Ils donnent une voix aux porteurs, mettant en lumière leurs expériences et les complexités de leur travail pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, comme pour toutes les sources historiques, ces témoignages oraux et photographiques soulignent les défis que pose la reconstitution du passé : nous devons travailler avec les fragments dont nous disposons. Malgré leurs limites, ces sources nous obligent à repenser fondamentalement notre récit national et le rôle central qu’y joue la main-d’œuvre noire.
Autres ressources
- Black Canadian Veterans Stories (en anglais seulement)
- Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : « Confidences de porteurs »
Stacey Zembrzycki est une historienne primée, spécialiste de l’histoire orale et publique portant sur les expériences des immigrants, des réfugiés, des minorités ethniques et des personnes racialisées. Elle est membre du corps enseignant du Département d’histoire et de lettres classiques au Collège Dawson.
