« Je vous laisse Éva Gauthier »

Par Isabel Larocque

Lors de la première performance professionnelle d’Éva Gauthier, à la cathédrale Notre-Dame d’Ottawa, personne n’aurait pu prédire que la jeune fille de 17 ans deviendrait l’une des plus grandes cantatrices de l’histoire du Canada.

Nièce de Zoé Lafontaine et de son époux sir Wilfrid Laurier, Éva Gauthier naît en 1885 dans un quartier francophone d’Ottawa. Elle démontre dès son plus jeune âge un talent inné pour la musique; d’ailleurs, son entourage constate très tôt son potentiel et l’encourage à poursuivre dans cette voie. En plus de suivre des cours de chant avec plusieurs enseignants renommés, Éva chante comme soliste à l’église Saint-Patrick d’Ottawa.

Elle a également le privilège de recevoir l’appui financier de son oncle, sir Wilfrid Laurier. C’est ainsi qu’à l’âge de 17 ans, elle part étudier le chant au Conservatoire de Paris avec l’un des professeurs les plus renommés de l’époque, Auguste-Jean Dubulle. Sa tante Zoé, qui croit énormément en son talent, l’accompagne pour ses premiers pas en Europe. Elle tient d’ailleurs le piano lors de l’audition d’Éva pour le Conservatoire.

Photo noir et blanc d’une jeune femme en robe de dentelle blanche, face à l’objectif.

Éva Gauthier, 1906. Photo : William James Topley (a193008)

Durant ses études et dès les débuts de sa carrière, Éva Gauthier a la chance de côtoyer les plus grands musiciens et professeurs de son temps, et ne tarde pas à se faire remarquer. En 1906, la grande interprète Emma Albani, sa mentore, la présente ainsi à son public lors de sa tournée d’adieu : « Comme legs artistique à mon pays, je vous laisse Éva Gauthier. » Avec une telle présentation, nul doute que l’avenir de la jeune Éva est très prometteur!

Photo noir et blanc d’une femme debout face à l’objectif, portant une robe de couleur sombre, un chapeau de fantaisie et une étole en fourrure.

Éva Gauthier, 1906. Photo : William James Topley (a193009)

Malgré sa petite taille, Éva Gauthier est dotée d’une puissance vocale qui fait tourner les têtes. En 1909, elle décroche le rôle de Micaela dans l’opéra Carmen, en Italie, où elle performe avec brio. Mais sa carrière dans ce domaine est très brève : alors qu’elle se prépare pour un deuxième rôle, cette fois au Covent Garden dans l’opéra Lakmé, le directeur la retire de la distribution, craignant que son talent ne vole la vedette à l’interprète principale. Dévastée, Éva Gauthier tourne le dos à l’opéra et décide de quitter l’Europe.

Elle part donc en Indonésie rejoindre Frans Knoot, qui deviendra éventuellement son époux. Elle demeurera quatre ans en Asie, une aventure qui donne un nouveau tournant à sa vie. Durant son séjour, elle étudie la musique javanaise avec des gamelans indonésiens et s’immerge dans une culture et un style musical exotiques qui lui étaient inconnus. Elle donne plusieurs concerts, notamment en Chine et au Japon, où elle reçoit des critiques élogieuses : « Malgré sa stature délicate, cette chanteuse canadienne possède une voix dont la souplesse et la puissance n’ont d’égal que la portée. Toute la soirée fut un véritable enchantement. Les applaudissements, longs et nourris, furent bien mérités. »

Cette expérience en Asie donnera au répertoire d’Éva une sonorité bien particulière ainsi qu’un style unique, qui lui permettront de se démarquer à son retour en Amérique du Nord, où la musique orientale est encore méconnue. Ce refus de s’en tenir aux traditions est d’ailleurs l’un des traits qui caractérisent Éva. Elle ne s’est jamais arrêtée aux conventions, apportant ainsi un renouveau à la culture musicale du 20e siècle.

Photo en noir et blanc d’une femme faisant face à l’appareil photo et portant une robe traditionnelle javanaise.

Éva Gauthier portant un des costumes javanais grâce auxquels elle s’est fait connaître. (ncl002461)

Après son retour en Amérique du Nord, Éva Gauthier, qui profite alors d’une certaine notoriété, donne plusieurs concerts par an. Les plus grands musiciens l’approchent pour qu’elle interprète leurs compositions. Igor Stravinsky ne jure que par elle, et exige qu’elle soit la première à donner vie à toutes ses œuvres. Éva côtoie plusieurs personnalités du milieu musical et se lie d’amitié avec un bon nombre, entre autres avec les pianistes et compositeurs Maurice Ravel et George Gerswhin.

C’est d’ailleurs avec ce dernier qu’elle donne un concert mémorable au Aeolian Hall de New York, en 1923, concert au cours duquel musiques classique et moderne se chevauchent. Gershwin accompagne la chanteuse au piano durant cette première plutôt audacieuse. Éva Gauthier va même jusqu’à intégrer de la musique jazz au programme, un style qu’elle apprécie grandement mais qui est encore mal perçu. Bien que la critique ne soit pas tendre, le public apprécie ce vent de fraîcheur, et l’événement restera ainsi gravé dans l’histoire.

Éva Gauthier donne des centaines de spectacles durant le reste de sa carrière, tant en Amérique qu’en Europe, intégrant plusieurs styles à ses performances toujours très divertissantes. Elle consacre les dernières années de sa vie à l’enseignement du chant, et, malgré son absence de la scène, demeure très active dans le milieu de la musique, agissant à titre de mentore pour une nouvelle génération d’artistes. Sa technique impeccable, son audace et son refus d’adhérer aux conventions ont ouvert la voie aux futurs interprètes et ont contribué à faire d’Éva Gauthier une véritable légende de la musique moderne.

Si vous souhaitez écouter quelques extraits musicaux interprétés par Éva Gauthier, visitez le Gramophone virtuel de Bibliothèque et Archives Canada. Vous y trouverez plusieurs classiques du folklore francophone canadien interprétés par la cantatrice.

Vous pouvez également écouter notre baladodiffusion et parcourir notre album Flickr consacrés à Éva Gauthier.


Isabel Larocque est agente de projet pour l’équipe du Contenu en ligne à Bibliothèque et Archives Canada.

Des images d’enregistrements pour enfants : disques 78 tours, 1918-1962 maintenant sur Flickr

Ces disques colorés et ludiques représentent quelques-uns des plus anciens enregistrements pour enfants au Canada. Certains sont tout simplement des enregistrements de comptines ou de chansons connues en anglais et en français.

Une image en couleur d’une étiquette de disque de la Canadian Music Corp., Ltd. La face 2 montre le contour du Canada avec en superposition le mot Dominion. Le titre de la chanson est « Ma mère m'envoit-au marché » suivi du nom des artistes Hélène Baillargeon, chant, et Gilbert Lacombe, guitare.

La mère Michel, Face 2 [Ma_Mere.jpg]

Certains de ces disques font partie d’un ensemble d’objets. Ainsi, la compagnie Dee & Cee qui a produit les disques « Pretty Baby » n’était pas une maison de disques, mais plutôt un fabricant de poupées. Dee & Cee a vraisemblablement ajouté des disques à certaines de ses poupées, sans doute dans le but d’augmenter les ventes.

Une image en couleur d’une étiquette de disque de la compagnie de jouets Dee & Cee. La face 1 montre une petite fille assise tenant un livre ouvert. Le nom de la compagnie et le titre de l’enregistrement « Pretty Baby » apparaissent sur la couverture du livre.

« Pretty Baby », face 1 [Pretty_Baby_1.jpg]

Ces magnifiques disques ont attiré l’attention et amusé de nombreux enfants au début du 20e siècle lorsqu’ils ont été lancés.

Visitez l’album Flickr maintenant!

Le carillon de la Tour de la Paix

Par Rebecca Murray

Entre les murs de grès d’un des bâtiments les plus emblématiques du Canada, l’édifice du Centre et sa célèbre Tour de la Paix sur la Colline du Parlement, reposent des joyaux culturels et architecturaux qui reflètent l’histoire de notre pays et de notre peuple. L’un de ces trésors est le carillon. Selon le site Web du Parlement canadien, le carillon est un instrument « qui comporte au moins 23 cloches actionnées à partir d’un clavier à mains et à pieds qui permet une multitude d’expressions par la simple variation du toucher ».

Au terme d’un long processus de commande et d’acquisition, le carillon de la Tour de la Paix a été installé et inauguré en 1927, pour marquer le 60e anniversaire de la Confédération. La cérémonie d’inauguration a donné lieu à la première émission radiophonique du genre diffusée d’un océan à l’autre au Canada, afin que tous puissent entendre le discours et les cloches.

Pour écouter à votre tour le discours et l’inauguration du carillon, consultez notre base de données Films, vidéos et enregistrements sonores : entrez-y le mot-clé « carillon », le support « enregistrement sonore » et la date « 1927-07-01 ». Vous trouverez parmi les résultats ISN 99534 [Diamond Jubilee of Canadian Confederation: Commemoration Ceremony]. Comme l’indique la description, l’enregistrement présente les hymnes O Canada et God Save the King interprétés par le carillonneur Percival Price sur le carillon de la Tour de la Victoire, à Ottawa, ainsi que le discours prononcé par le très honorable William Lyon Mackenzie King, premier ministre du Canada.

Photographie en noir et blanc du très honorable William Lyon Mackenzie King, premier ministre du Canada, prononçant un discours à l’inauguration du carillon de la Tour de la Paix.

Le très honorable William Lyon Mackenzie King prononçant un discours à l’inauguration du carillon de la Tour de la Paix. Référence : Bibliothèque et Archives Canada/PA-027555

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède une riche documentation sur le carillon, que ce soit la soumission présentée par l’entreprise Gillett et Johnson pour une tour d’horloge et un carillon [Tender for Tower Clock and Bells by Gillett & Johnson], datée du 27 novembre 1924 (RG11, vol. 2683, dossier no 1575-96D) ou les élégants programmes et cartons d’invitation imprimés pour l’inauguration (RG11,
vol. 2687, dossier no 1575-96, partie HA), que l’on peut voir ci-dessous.

Image tirée du programme d’inauguration du carillon de la Tour de la Paix, le 1er juillet 1927.

Programme d’inauguration du carillon de la Tour de la Paix, le 1er juillet 1927 (e011213394)

La collection de BAC compte aussi les programmes des célèbres concerts estivaux du carillon. Celui de l’été 1939, présenté ci-dessous, a été numérisé (RG11, vol. 2688, dossier 1575-96, partie K).

Collage de deux images montrant la page couverture d’un programme ainsi que l’intérieur du programme imprimé.

Page couverture d’un programme des concerts du carillon pour l’été, ainsi qu’un example d’un programme pour une journée, datée 1939 (e011213393)

Une grande variété de morceaux ont été interprétés au carillon pour les spectateurs massés sur la Colline du Parlement, dont des hymnes, des chansons folkloriques, de la musique moderne, des airs patriotiques et des chansons populaires. Vous pouvez consulter le programme en ligne des récitals qui sont donnés presque tous les jours en semaine. Pourquoi ne pas profiter du concert de midi pendant que vous êtes dans la région de la capitale nationale?

Si les programmes estivaux d’autrefois vous intéressent, vous pouvez consulter RG11, vol. 2688, dossier no 1575-K pour l’année 1938, et RG11, vol. 2688, dossier no 1575-L pour les années 1940, 1941 et 1942.

BAC possède également le fonds privé du premier carillonneur du Dominion, Percival Price (MUS 133). Il renferme des enregistrements sonores, des documents textuels et des photographies. Deux outils de recherche numériques des descriptions de niveau des fonds d’archives permettent d’accéder aux descriptions de niveau des dossiers; il n’y a aucune restriction d’accès sur le contenu de cette collection.

Le carillon est l’un des nombreux trésors que renferme la Colline Parlementaire. J’espère que vous aurez la chance d’en découvrir quelques-uns pendant vos excursions estivales. Si vous ne passez pas à Ottawa cet été, allez visiter votre assemblée législative locale pour en apprendre plus sur les traditions et les trésors de votre province!


Rebecca Murray est archiviste aux Services de référence.

Nouveaux ajouts au Gramophone virtuel – Roméo Beaudry

Par Margaret Ashburner

Photographie en noir et blanc d’un homme vêtu d’un veston gris qui fixe l’objectif.

Roméo Beaudry. Source : Canadian Music Trades Journal, Toronto, société Fullerton Pub., septembre 1931, ISSN 0383-0705.

Roméo Beaudry est un personnage important de la scène musicale canadienne dans le domaine de l’enregistrement sur gramophone alors en pleine émergence. Il fonde la Starr Phonograph of Quebec et se spécialise dans la production de disques pour gramophone destinés au marché francophone. C’est aussi un compositeur et un traducteur en demande. Il compose plusieurs chansons populaires qui sont inédites et réalise des adaptations en français de chansons américaines. Cette sélection de 78 tours récemment numérisés témoigne de l’important travail de Roméo Beaudry, à la fois comme traducteur et comme compositeur.


Margaret Ashburner est bibliothécaire des collections spéciales de musique à Bibiothèque et Archives Canada.

Nouveaux ajouts au Gramophone virtuel – Henry Burr

Par Margaret Ashburner

Photographie en noir et blanc d’un homme debout devant une automobile, coiffé d’un chapeau melon et tenant un petit chien dans ses bras.

Henry Burr. Source : Collection de musique de Bibliothèque et Archives Canada, domaine public.

Artiste prolifique, Henry Burr aurait réalisé plus de 12 000 enregistrements au cours de sa vie. Son véritable nom est Harry McClaskey, mais il a enregistré sous différents pseudonymes, le plus connu étant Henry Burr.

Henry Burr chante régulièrement des solos pour ténor, mais il chante aussi en duo, avec des quatuors et divers autres ensembles. Il chante souvent en duo avec Albert Campbell.


Margaret Ashburner est bibliothécaire des collections spéciales de musique à Bibiothèque et Archives Canada.

Nouveaux ajouts au Gramophone virtuel – Chansons anglaises

Margaret Ashburner

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a la chance de posséder une collection d’anciens enregistrements sonores qui témoignent de la musique populaire que les Canadiens écoutaient au début du 20e siècle. Cette collection d’enregistrements récemment numérisés constitue un large échantillon de chansons populaires enregistrées sur 78 tours.

Interprètes en vedette

Albert William Plunkett

Photo en noir et blanc d’un jeune homme souriant.

Albert Plunkett. Source : Canadian Music Trades Journal, Toronto, société Fullerton Pub., ISSN 0383-0705.

William Plunkett est surtout connu comme artiste divertissant les soldats avec la troupe The Dumbells. Fondée en 1917, cette troupe était dirigée par le frère aîné d’Albert, le capitaine Mert Plunkett. Elle demeura active jusqu’en 1932.

Harry Macdonough

Photo en noir et blanc d’un homme portant un veston.

Harry Macdonough. Source : Collection de musique de Bibliothèque et Archives Canada, domaine public.

Natif de Hamilton, en Ontario, Harry Macdonough, né John Scantlebury Macdonald, change de nom dans l’espoir que cela pourrait l’aider dans sa carrière de chanteur. Ce populaire interprète de balades est un artiste prolifique qui a réalisé de nombreux enregistrements, seul, en duo ou au sein d’un quatuor. Plusieurs de ses enregistrements font partie de la collection de BAC.


Margaret Ashburner est bibliothécaire des collections spéciales de musique à Bibliothèque et Archives Canada.

Nouveaux ajouts au Gramophone virtuel!

par Margaret Ashburner

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) est heureux de présenter la liste des nouveaux enregistrements numérisés tirés de notre collection de disques 78 tours. Ces enregistrements du début du XXe siècle regroupent le travail de divers musiciens, interprètes, compositeurs et éditeurs canadiens. Au cours des prochains mois, nous vous présenterons les nouveaux enregistrements en six volets.

Chansons francophones

Notre premier lot de chansons nouvellement numérisées inclut diverses chansons de langue française. Les dates de diffusion de ces chansons vont de 1918 à la fin des années 1930 et reflètent l’arrivée massive d’immigrants francophones au Québec, et à Montréal en particulier. L’explosion de la population francophone a amené d’importants développements artistiques pour le Canada, y compris la musique populaire francophone, dont voici un bref échantillon :

Photographie en couleur d’une étiquette circulaire noire au centre d’un disque 78 tours. En lettres dorées, on peut lire : « His Master’s Voice. Victor. Y-A des loups (Quentin-de Bexeuil). Georges Beauchemin. 263510-A ».

Étiquette du disque Y-A des loups de Georges Beauchemin; image de Bibliothèque et Archives Canada (AMICUS 31386448)

Photographie en couleur d’une étiquette circulaire noire au centre d’un disque 78 tours. En lettres dorées, on peut lire « Starr, Tenor, Avec piano, A SON CHEVET (Fyscher), LUDOVIC HUOT (Au piano : J. Allan McIver). 15929-A ».

Étiquette du disque À son chevet de Ludovic Huot; image de Bibliothèque et Archives Canada(AMICUS 31394570)

Interprètes en vedette

Georges Beauchemin, baryton

Georges Beauchemin est un des premiers exemples intéressants de ce que la technologie d’enregistrement pouvait apporter aux musiciens. Il possédait une voix de baryton léger qui ne lui aurait pas permis de présenter des spectacles solos ou d’interpréter des rôles d’opéra. Les nouvelles technologies d’enregistrement permettaient toutefois aux voix moins puissantes d’interprètes d’être enregistrées et amplifiées.

Hector Pellerin, baryton

Image en noir et blanc d’un jeune homme vêtu d’un smoking.

Hector Pellerin, photographie tirée du Gramophone virtuel(AMICUS 2653974)

Hector Pellerin était un musicien polyvalent qui a commencé sa formation au piano et à l’orgue, mais qui s’est rapidement tourné vers la musique populaire en devenant accompagnateur de films muets. Il a continué à occuper diverses fonctions dans le domaine de la musique avant de décrocher, à 29 ans, son premier contrat d’enregistrement. Il a enregistré plus de 140 cylindres gravés à la cire et disques 78 tours.


Margaret Ashburner est la bibliothécaire des collections spéciales de musique à Bibliothèque et Archives Canada.

Les cylindres : nos plus vieux enregistrements sonores

Par Margaret Ashburner

La collection d’enregistrements audio de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) est fascinante à bien des égards, notamment parce qu’elle témoigne à la fois de l’histoire de la musique canadienne et de l’évolution des techniques et supports d’enregistrement du son. Les technologies audio ont progressé rapidement au cours du siècle dernier, allant du cylindre de cire au numérique. Il y aurait beaucoup à raconter sur les techniques d’enregistrement, mais également sur les supports utilisés.

La collection audio de BAC remonte à la toute première technologie d’enregistrement mise au point à la fin du 19e siècle. Le plus ancien support conçu pour la production est le cylindre phonographique. Les cylindres étaient fabriqués en divers matériaux, mais ils avaient tous sensiblement la même forme.

Une photographie couleur de mains tenant un cylindre bleu foncé couvert de sillons. La boîte en carton du cylindre se trouve à l’arrière-plan.

Exemple d’un cylindre Blue Amberol de la marque Edison.

Les cylindres sont gravés de fins sillons à l’extérieur, exactement comme ceux d’un disque vinyle. L’enregistrement peut être lu par un appareil qui fait tourner le cylindre pendant qu’une aiguille trace les sillons. Les vibrations qui en résultent sont ensuite amplifiées. Cette vidéo sur YouTube montre un cylindre en action : notez bien que l’aiguille est fixe et que c’est le cylindre qui bouge, contrairement à un tourne-disque où c’est l’aiguille qui bouge alors que le disque reste fixe. Les premiers cylindres sont faits de cire. Ils produisent un son de bonne qualité, mais sont plutôt fragiles. Plus tard, les cylindres seront fabriqués en plastique, certains en couleurs pour leur donner une apparence distinctive (Roll Back the Years, p. 32).

Une photographie couleur d’un cylindre de cire que l’on retire de son contenant protecteur en carton, en le soulevant à l’aide d’une corde attachée à l’intérieur du cylindre. Le mot « Concert » est imprimé sur le contenant en lettres majuscules; au-dessus, en plus petits caractères, on peut lire « National Phonograph Co, New York, U.S.A. » et en dessous, « Made at the Edison Laboratory, Orange, N.J. » [Fabriqué au laboratoire Edison, Orange, N. J.].

Un exemple de cylindre de cire et son contenant cylindrique en carton.

Même si la qualité sonore produite par les cylindres ne peut rivaliser avec celle des enregistrements numériques d’aujourd’hui, il faut se rappeler qu’à l’époque il n’y avait pas d’autre moyen de reproduire le son. Les ménages qui achetaient un appareil et des cylindres Edison pour la première fois n’avaient jamais pu entendre de musique à la maison autrement que par une interprétation en personne. On imagine à quel point ce devait paraître magique d’avoir sous la main un appareil permettant d’écouter de la musique en tout temps, alors qu’auparavant on ne pouvait le faire qu’en assistant à un concert ou à un spectacle d’amateurs.

Les défis posés par le cylindre

En raison de la petite taille du cylindre et de sa surface restreinte, les enregistrements ne pouvaient pas être bien longs; en général, les pièces ne duraient pas plus que deux à quatre minutes. Cette contrainte limitait le choix des pièces pouvant être jouées et influençait souvent le tempo de l’interprétation. Ces deux versions de la ballade « The Holy City » sont interprétées par le ténor canadien Henry Burr : la première version dure deux minutes et la seconde quatre minutes. Dans les deux cas, Burr adopte un tempo très élastique, mais relativement constant d’un enregistrement à l’autre. Dans la première version, il s’ajuste au format du plus petit cylindre en abrégeant la chanson et en omettant plus que la moitié de la musique. Une bonne partie du récit poétique est perdu dans cette version, mais le format du cylindre impose ces coupures.

Une photographie couleur montrant un lecteur de cylindre avec un cylindre Blue Amberol passé sur un tube horizontal, ainsi qu’une aiguille oscillant au-dessus du cylindre.

Un lecteur de cylindre de cire moderne.

Ces contraintes de temps d’enregistrement ont influencé de manière importante les compositions de musique populaire à l’époque; elles sont à l’origine de la tendance encore très forte aujourd’hui de produire des « chansons à succès » de trois à cinq minutes.


Margaret Ashburner est bibliothécaire de collections spéciales (musique) à la Direction générale du patrimoine publié.

L’autre facette de Glenn Gould : réflexions sur l’éternelle renommée du pianiste canadien et l’héritage qu’il laisse à Bibliothèque et Archives Canada

Par Rachelle Chiasson-Taylor

Alors que le 85e anniversaire approche…

En 2017, ce sera le 150e anniversaire de la Confédération du Canada, celui-ci coïncidant avec le 85e anniversaire de naissance de Glenn Gould. Des artistes, des compositeurs, des historiens de la musique, des radiodiffuseurs, des philosophes et des mélomanes de toutes les couches de la société et de partout dans le monde célèbrent cette personnalité incomparable du monde de la musique tous les cinq ans, et 2017 ne fera pas exception. En fait, certaines activités de grande envergure sont prévues pour souligner à la fois l’anniversaire du Canada et celui de M. Gould :

Le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a déclaré que la Fondation Glenn Gould se proposait d’organiser une spectaculaire tournée mondiale d’un an intitulée « Canada 150 » qui atteindra son point culminant le jour de la fête du Canada avec un concert en hommage à M. Gould qui traduira en musique les « aspirations de tous les Canadiens ».

Le piano à queue symbolique de M. Gould, le Steinway CD-318, qui n’est plus exposé au Centre national des Arts (CNA) à Ottawa depuis février dernier, le temps que le CNA fasse l’objet de rénovations, sera de nouveau exposé, à sa place, le jour de la fête du Canada de 2017. En 2012, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) a fait don du piano et de la chaise de concert, tout aussi symbolique, au CNA, là où le piano a pu commencer une nouvelle vie, notamment sous le doigté de pianistes lors de prestations publiques.

Le lancement d’une nouvelle biographie est prévu en juin 2017, Glenn Gould: Remix (Dundurn Press).

La liste est longue…

Fonds d’archives Glenn Gould

Bibliothèque et Archives Canada est l’institution suprême pour assurer la garde et le contrôle de l’héritage documentaire de M. Gould. En 1984, BAC a acquis le contenu du Fonds d’archives Glenn Gould, qui renferme plus de 16 000 objets ayant trait à la vie personnelle et professionnelle du pianiste : des documents officiels, personnels et autobiographiques; de la correspondance personnelle et professionnelle; des prix et des certificats honorifiques; des compositions; des écrits de M. Gould publiés et non publiés; des écrits portant sur M. Gould parus dans des journaux et des revues; une collection de livres, des enregistrements et des trames sonores annotées par M. Gould; des photographies de Glenn Gould, de membres de sa famille et de personnalités de l’univers musical international; du matériel audiovisuel comprenant des prises refusées de séances d’enregistrement aujourd’hui légendaires. Le Fonds d’archives Glenn Gould à Bibliothèque et Archives Canada est une source précieuse pour les chercheurs et continue d’inspirer une foule de projets littéraires, de spectacles musicaux, d’émissions, de nouvelles compositions et de manifestations diverses.

À Bibliothèque et Archives Canada, les experts en collections de musique et en communications s’affairent actuellement à préparer un balado étoffé dans le but de faire connaître « l’autre facette de Glenn Gould », reconnaissant son image de pianiste solo, tout en explorant d’autres aspects du personnage. Prolifique, M. Gould a écrit abondamment sur la musique et sur des sujets extramusicaux : il a donné des spectacles avec d’autres instrumentistes et interprètes; composé de la musique; produit des documentaires, animé des émissions de télévision, accordé des entrevues et créé de nouvelles formes artistiques.

L’autre facette

Apparemment excentrique et reclus, il en étonnait plus d’un avec son mode de vie, mais cette attitude aura un effet amplificateur sur sa célébrité. L’annonce de son retrait de la scène en 1963 aura aussi un effet paradoxal : au lieu de tomber dans l’oubli du public, chaque enregistrement et chaque émission de M. Gould deviendront un happening culte. Sa vision de la technologie s’est avérée prophétique, et son opinion sur le pouvoir de l’artiste d’interpréter une œuvre musicale de Bach, de Beethoven, de Mozart, de Brahms ou d’autres compositeurs selon les règles de la musique occidentale, bien que controversée, a toujours éveillé de l’intérêt. Comme l’a écrit son ami, le compositeur et chef d’orchestre américain, Leonard Bernstein :

Glenn était […] quelque peu fantasque, ce qui lui conférait son style rafraîchissant. Esprit inquisiteur, il parvenait, en un éclair, à envisager que Schoenberg et Liszt fussent dans la même catégorie, ou Purcell et Brahms, ou encore Orlando Gibbons et Petula Clark. Sans crier gare, il jumelait, contre toute attente, une paire de musiciens dans un certain essai comparatif fort surprenant. […] Voilà un homme qui savait se faire aimer. Il avait environ quinze ans de moins que moi, je crois, mais je n’ai jamais pensé à lui comme mon cadet, à aucun égard. Il était un véritable pair, à tous les égards. Quand il est décédé, je n’ai pas pu le supporter.

Leonard Bernstein, traduction libre de The Truth About a Legend

En vue du 85e anniversaire de Glenn Gould en 2017, Bibliothèque et Archives Canada célèbre le génie éclectique de ce grand musicien, sa vision prophétique et sa quête impérieuse de la vérité par l’entremise de la musique et de l’art. Ce sont là les aspects qui composent l’autre facette de Glenn Gould.

Ressources connexes


Rachelle Chiasson-Taylor est archiviste de la musique au sein de la Direction générale des archives privées à Bibliothèque et Archives Canada.

Oscar Peterson

Par Dalton Campbell

Ces photographies d’Oscar Peterson et de sa famille ont été prises en 1944. À la fin de l’adolescence, il est déjà un musicien professionnel expérimenté. Depuis 1942, il joue régulièrement avec le Johnny Holmes Orchestra, un orchestre de danse populaire qui fait danser les gens à Montréal et aux alentours. Oscar quitte l’orchestre en 1947 et s’installe à demeure à l’Alberta Lounge, un cabaret près de la gare Windsor, où il dirige son propre trio pendant deux ans.

Une photographie en noir et blanc montrant Oscar Peterson jouant du piano dans un cabaret.

Oscar Peterson, photographié par DC Langford [1944] (e010752610)

Étant donné la scène jazz dynamique de la ville, ce ne sont pas les possibilités de jouer qui manquent pour Oscar : il joue professionnellement, joue en direct pour des émissions radiophoniques de la CBC et rencontre des musiciens en visite dans la ville pour donner des concerts avec qui il fait des séances musicales improvisées. Il s’est gagné l’admiration de Count Basie, Woody Herman, Ella Fitzgerald, Coleman Hawkins, Dizzy Gillespie et d’autres. Oscar demeure au Canada jusqu’en 1949, lorsque Norman Granz le convainc de se joindre à la série de concerts « Jazz at the Philharmonic » à Los Angeles. Cela marque le début de sa carrière internationale.

Les parents d’Oscar sont des immigrants au Canada. Daniel Peterson, le père d’Oscar, vient des îles Vierges britanniques et travaille comme manœuvrier sur un navire marchand. Sa mère, Kathleen Olivia John, est originaire de Saint-Kitts dans les Antilles britanniques, et travaille comme cuisinière et aide ménagère. Ils se rencontrent et se marient à Montréal, puis s’installent dans la Petite-Bourgogne/St-Henri, quartier majoritairement habité par des Noirs. Comme beaucoup d’hommes qui demeurent dans ce quartier, Daniel obtient un emploi à la gare Windsor comme porteur sur les trains de passagers pour le Chemin de fer Canadien Pacifique.

Une photographie en noir et blanc montrant Oscar Peterson avec son père Daniel. Les deux hommes sont assis au piano, leurs mains sur le clavier, souriant et regardant le photographe vers le haut.

Oscar Peterson et son père Daniel, au piano [1944] (e011073129)

Grâce à l’enseignement et aux encouragements de leurs parents, les enfants Peterson deviennent des musiciens accomplis.

Fred, l’aîné des enfants, initie Oscar au ragtime et au jazz quand il en joue sur le piano familial. Fred meurt dans les années 1930, alors qu’il est encore adolescent. Oscar a déjà dit de Fred qu’il était le musicien le plus talentueux de la famille.

Une photographie en noir et blanc montrant Oscar Peterson assis, jouant du piano. Son frère Charles, vêtu de l'uniforme de l'Armée canadienne, est debout à côté de lui et joue de la trompette.

Oscar Peterson au piano, avec son frère Chuck, l’accompagnant à la trompette [1944] (e011073128)

Un autre frère, Charles, qui sert dans une batterie d’artillerie de l’Armée canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale, joue dans la fanfare du régiment. Après la guerre, il continue comme trompettiste professionnel, travaillant en studio et se produisant dans plusieurs boîtes de nuit de Montréal dans les années 1950 et 1960. Comme ses frères et sœurs, il joue également du piano, mais est contraint d’y renoncer après avoir subi un accident de travail dans une usine à Montréal après la guerre.

Une photographie en noir et blanc d'Oscar Peterson et de sa sœur Daisy, assis au piano avec leurs mains sur le clavier. Ils regardent vers le photographe et sourient.

Oscar Peterson et sa sœur Daisy, au piano [1944] (e011073127)

Daisy, la sœur aînée d’Oscar, est aussi une pianiste virtuose. Elle obtient un diplôme en musique de l’Université McGill et a une carrière longue et influente comme professeure de musique à Montréal. Elle est la première professeure de piano de ses frères et sœurs et présente Oscar à son propre professeur de piano, Paul de Marky, un pianiste de concert qui joue dans la tradition de Franz Liszt. Daisy enseigne à Montréal pendant plusieurs années; ses élèves comprennent les futurs musiciens de jazz Milton Sealey, Oliver Jones, Reg Wilson et Joe Sealy.

Ressources connexes :


Dalton Campbell est archiviste à la section Science, environnement et économie dans la division des Archives privées.