« On ressentait une immense fierté de le voir là » : comment le Mémorial de Vimy a survécu à la Seconde Guerre mondiale

Andrew Horrall

Le film d’actualités de l’Armée canadienne no 42 devait être captivant pour ses premiers spectateurs, en septembre 1944. À cette époque sans télévision, le public suivait les actualités de la Seconde Guerre mondiale en regardant de courts métrages au cinéma.

Dans ce film, les scènes de villes libérées indiquent que la guerre en Europe tire à sa fin. Dans un plan particulièrement émouvant, on voit le lieutenant-général Harry Crerar, commandant de l’Armée canadienne, en visite au Monument commémoratif du Canada à Vimy, érigé en mémoire de la bataille de la crête de Vimy livrée durant la Première Guerre mondiale.

Photographie noir et blanc montrant un petit avion volant près d’un mémorial de guerre en maçonnerie caractérisé par deux hautes colonnes.

L’avion du lieutenant-général Harry Crerar approchant le Mémorial de Vimy, le 11 septembre 1944 (e011166203)

Le Mémorial de Vimy, inauguré en 1936 devant des milliers d’anciens combattants canadiens et leurs familles, domine le champ de bataille; c’est le plus émouvant monument érigé en mémoire des sacrifices de guerre du Canada. Des photos d’Adolf Hitler le visitant peu après sa capture par les Allemands en 1940 étaient les dernières images que les Canadiens avaient vues du monument, et nombreux sont ceux qui le pensaient détruit. Le 1er septembre 1944, pendant sa visite du Mémorial récemment libéré, le correspondant de guerre canadien Ross Munro est émerveillé : « On a presque l’impression qu’il a été nettoyé et poli pour l’occasion, alors qu’il a traversé quatre années de guerre dans cet état. On ressent une immense fierté de le voir là, symbole de la bravoure et du sacrifice des nôtres durant le dernier conflit, et qui pourrait fort bien le devenir pour la présente guerre. »

Photographie en couleurs d’un militaire en uniforme debout devant un monument commémoratif de guerre en maçonnerie. Juste à gauche, un homme portant un veston en tweed et un béret est partiellement visible.

Le lieutenant-général Harry Crerar avec Paul Piroson (à gauche) à la crête de Vimy, le 11 septembre 1944 (e010786293)

Dans le film d’actualités, les images de membres de l’entourage du général Crerar marchant sur le terrain impeccable du Mémorial, baigné par le soleil de fin d’été, appuient les propos de Munro. Le groupe d’officiers est suivi d’un homme en veston de tweed coiffé d’un béret, qu’on voit par la suite discuter avec le général Crerar. Le narrateur précise que « même pendant l’occupation, le jardinier a eu soin de bien entretenir le terrain du Mémorial de Vimy ».

L’homme au veston de tweed se nomme Paul Piroson. Les photos de la visite montrent également le général en conversation avec George Stubbs, étrangement vieux pour son uniforme de simple soldat. Les deux hommes expliquent au général Crerar comment, avec l’aide de leurs épouses, ils ont entretenu le Mémorial pendant l’occupation.

Un groupe d’hommes en uniforme militaire discutent, sous les yeux d’un civil se tenant au loin. À l’arrière-plan se dressent les deux hautes colonnes d’un mémorial de guerre en maçonnerie.

: Le lieutenant-général Harry Crerar discute avec George Stubbs, Paul Piroson étant visible au loin. Crête de Vimy, le 11 septembre 1944 (e011166202)

George Stubbs, un Anglais boucher de son état, s’enrôle dans le Corps expéditionnaire canadien à Winnipeg en 1914. Il combat sur la crête de Vimy, puis, en 1919, il épouse une certaine Blanche et s’installe en Angleterre.

À l’instar de nombreux anciens combattants, Stubbs est bouleversé par son expérience à la guerre. Au début des années 1920, il retourne à Vimy pour rendre hommage à ses frères d’armes et aide l’État canadien à préserver le champ de bataille. Piroson, un homme de la région, est embauché à la même époque.

Stubbs devient alors connu à Vimy, travaillant à la construction du Mémorial et expliquant la valeur et le sacrifice des Canadiens à des milliers de visiteurs chaque année. À l’inauguration du monument, il devient officiellement responsable de son entretien.

George et Blanche Stubbs demeurent toujours à Vimy avec leurs quatre enfants lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939. Au printemps suivant, la France n’est pas encore occupée, et George envoie 25 $ à la Légion canadienne, voulant aider « des camarades moins chanceux que moi ». Ces mots semblent chargés d’ironie quand on connaît la suite : les Allemands envahiront la France en quelques semaines seulement. La famille Stubbs s’enfuit au port de Bordeaux dans l’espoir de s’échapper, mais il est trop tard et ils doivent vivre dans la clandestinité, avant d’être arrêtés en octobre 1940.

George Stubbs passera le reste de l’occupation dans un camp d’internement près de Paris, tandis que Blanche et les enfants retournent à la maison familiale de Vimy, où ils retrouvent Paul Piroson et sa femme Alice.

Les trois adultes veillent à ce que le Mémorial soit traité avec respect, même aux mains de l’ennemi, expliquant sa signification aux militaires allemands et le protégeant des vandales. S’ils sont courtois et respectueux aux yeux de tous, dans le plus grand secret, Paul cache des armes pour la Résistance dans les tunnels du champ de bataille.

Lorsque George Stubbs est libéré en août 1944, l’Armée canadienne lui fournit l’uniforme qu’il portera lors de sa rencontre avec le général Crerar, bien qu’il soit un civil. Ce sont probablement ses premiers vêtements neufs depuis des années. George rejoint alors Blanche et la famille Piroson à Vimy, où ils accueillent les soldats alliés, livrent leur témoignage aux journalistes et engagent des travailleurs locaux pour le nettoyage et les réparations à faire sur le site.

Photographie en couleur d’une jeune femme portant une blouse blanche et une jupe foncée, assise devant une grande statue représentant une femme en deuil.

Simone Stubbs, fille de George et Blanche Stubbs, assise sur le parapet du Mémorial de Vimy, vers 1944-1948 (e010786286-v8)

George et Blanche Stubbs resteront à Vimy jusqu’à leur retour au Canada en 1948. Après avoir traversé deux guerres mondiales, George, on peut le comprendre, annonce qu’il ne retournera plus jamais en Europe.

Paul Piroson succède à George Stubbs comme gardien et guide du Mémorial de Vimy. Les Piroson sont dévoués au Canada, même s’ils n’ont encore jamais visité le pays. Ils nomment leur maison « La feuille d’érable », symbole qu’ils portent toujours sur leur veston. Seul Paul est rémunéré, mais les deux membres du couple guident les visiteurs et font respecter un code strict à l’ancienne, par respect pour le Mémorial : interdiction pour les femmes de porter la culotte courte, digne conduite des enfants et interdiction de consommer de la nourriture. Chaque année au jour du Souvenir, Paul dépose une couronne de fleurs au nom du gouvernement canadien.

Quand Paul prend sa retraite en 1965, les anciens combattants convainquent le premier ministre canadien, Lester B. Pearson, d’accueillir les Piroson au Canada en tant qu’invités officiels à l’occasion du 50e anniversaire de la bataille de la crête de Vimy. Alors que le travail des femmes est souvent passé sous silence à l’époque, le premier ministre remercie les deux époux pour leur collaboration étroite et personnelle avec un si grand nombre de militaires canadiens pendant les deux grandes guerres, soulignant leur grande bonté, leur hospitalité et l’aide qu’ils ont prodiguée aux Canadiens qui sont retournés sur la crête de Vimy.

C’est ainsi que les Piroson participent aux cérémonies commémoratives de la bataille de la crête de Vimy au Canada, en 1967. À un reporter voulant recueillir leurs impressions sur le pays qu’ils représentent depuis si longtemps, Alice répond : « Nous tenons tous deux les Canadiens en très haute estime. » Ces simples paroles expriment la profonde gratitude pour les sacrifices des Canadiens en temps de guerre, sacrifices qui amènent les familles Stubbs et Piroson à se dévouer corps et âme pour le Mémorial de Vimy.

Visitez l’album Flickr sur les images de Mémorial national du Canada à Vimy.


Andrew Horrall est archiviste à Bibliothèque et Archives Canada.

La bataille de la crête de Vimy – la commémoration

Bannière avec deux photos: une montrant une photo de la bataille de la crête de Vimy qui transitione vers une image plus contemporaine montrant le mémorial de VimyPar Andrew Horrall

Dans les jours suivant la bataille de la crête de Vimy, les journaux des pays alliés annoncent en manchettes que les soldats canadiens se sont emparés d’un objectif qui semblait pourtant inatteignable. Les familles de militaires qui apprennent la nouvelle sont aussi soulagées qu’inquiètes; comme l’écrit un père à son fils qui a combattu à Vimy : « La presse louange les Canadiens. Ils méritent sans l’ombre d’un doute cet honneur, mais si l’on se fie aux pertes, ils en ont payé le prix. » [Traduction] En effet, plus de 10 000 Canadiens ont perdu la vie ou ont été blessés à Vimy.

Cette victoire des forces canadiennes suscite un immense sentiment de fierté chez les combattants, les membres de leur famille et les civils. Presque instantanément, la bataille de la crête de Vimy devient le symbole d’un nouveau nationalisme canadien. On en souligne le premier anniversaire en lançant des collectes de fonds. Plusieurs Canadiens croient aussi que la France léguera la crête de Vimy au Canada en signe de reconnaissance. Au fil des ans, banquets, concerts et offices religieux commémorent ce qu’on appelle « le dimanche de la crête de Vimy ». Pour que le souvenir des exploits accomplis par les Canadiens demeure gravé à jamais, le nom de Vimy est aussi donné à des villes, des rues, des parcs, des entreprises et des lacs partout au pays, ainsi qu’à une montagne et même à quelques nouveau-nés!

Photographie couleur d’un groupe de personnes à cheval, près d’une rivière. L’un des cavaliers, habillé en cow-boy, semble guider une famille sur un sentier. On voit un pic montagneux en arrière-plan.

Le pic Vimy, en Alberta, 1961. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 4314396)

Carte intitulée « Canadian Battle Exploit, Memorial Site. Hill 145 » (Site du mémorial soulignant les exploits militaires canadiens. Colline 145)

Carte du site proposé pour le Mémorial de Vimy, sans date (The Nationals Archives, WO 32-5861)

Dans la foulée de ces commémorations, le gouvernement fédéral retient en octobre 1921 les services du sculpteur torontois Walter Allward pour concevoir le Mémorial national du Canada à Vimy, sur le terrain que la France a bel et bien cédé au Canada. Pendant les 15 années suivantes, le terrain est aménagé après avoir été nettoyé des bombes, des grenades et des obus non explosés. Un réseau de tranchées est préservé et, bien sûr, on y érige finalement le Mémorial, qui trône au sommet de la crête.

Photographie noir et blanc d’une imposante sculpture du Mémorial de Vimy, représentant un homme endeuillé dont le pied repose sur une épée. En arrière-plan, on voit des panneaux où sont inscrits les noms des Canadiens morts au champ d’honneur.

Une des statues du Mémorial de Vimy. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 3329415)

Lettre dactylographiée se lisant comme suit [traduction] :

Lettre confirmant la cession de la crête de Vimy au gouvernement canadien par la France, 30 juin 1927 (The National Archives, FO 371/12638)

Dès la fin des années 1920, des regroupements d’anciens combattants avaient commencé à planifier un pèlerinage à Vimy en vue du dévoilement du Mémorial. Le grand jour arrive finalement : l’inauguration est fixée au 23 juillet 1936. C’est ainsi qu’à Montréal, plus de 6000 militaires et leurs proches montent à bord de cinq navires de ligne affrétés pour l’occasion. On leur remet des bérets et des insignes, et on leur annonce qu’ils seront des ambassadeurs du Canada pendant leur séjour en Europe. Plusieurs militaires étant nés en Grande-Bretagne, ce voyage leur permet de visiter leurs familles. Ce sont d’ailleurs leurs racines britanniques qui avaient incité certains d’entre eux à se joindre au Corps expéditionnaire canadien, 20 ans plus tôt.

Parmi les personnes ayant fait la traversée, on trouve Charlotte Wood, qui avait quitté Chatham (dans le Kent, en Angleterre) pour immigrer en Alberta en 1904. Onze de ses fils et de ses gendres ont servi lors de la Première Guerre mondiale. Cinq d’entre eux y ont trouvé la mort, dont Peter Percy Wood, décédé non loin de la crête de Vimy, peu de temps après la bataille. Il fait partie des 11 000 Canadiens portés disparus et présumés morts en France, et dont les noms sont inscrits sur le Mémorial. Mme Wood est la première Mère de la Croix d’argent, un titre décerné chaque année à une femme qui représente toutes les mères canadiennes ayant perdu un enfant enrôlé dans l’armée. Deux représentants de la communauté des Canadiens d’origine japonaise assistent aussi à l’inauguration, au nom de leurs semblables ayant servi durant la guerre.

Photographie en noir et blanc d’une femme faisant le salut militaire. Elle est vêtue d’un béret et d’un manteau sur lequel sont épinglées de nombreuses médailles.

Charlotte Wood au Mémorial de la crête de Vimy, 26 juillet 1936. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 3224323)

Les voyageurs avaient d’abord débarqué à Anvers, en Belgique, d’où des autobus les mènent sur la crête de Vimy, en passant par les champs de bataille et les cimetières de la Première Guerre mondiale. Le Mémorial est dévoilé par le roi Édouard VIII le 26 juillet 1936, devant une immense foule composée d’anciens combattants de différentes nations, de personnel militaire, de dignitaires et de nombreuses personnes s’étant déplacées pour l’occasion. Édouard VIII était très populaire au Canada à l’époque; il possédait même un ranch en Alberta. Les anciens combattants canadiens se rendent ensuite à Londres pour déposer des couronnes de fleurs au Cénotaphe de Whitehall. Ils séjournent dans la capitale britannique à titre d’ambassadeurs du Canada, fiers représentants d’un pays qui, depuis la guerre, a acquis une grande autonomie. Leur pèlerinage prend fin à Paris, où ils déposent des couronnes sur la tombe du Soldat inconnu.

Photographie noir et blanc d’une grande foule sur un trottoir, lors d’une cérémonie. Elle entoure des soldats placés en formation devant un imposant cénotaphe blanc.

La délégation canadienne arrivant de Vimy, devant le Cénotaphe de Whitehall, Londres, 29 juillet 1936. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 4939444)

Les années passent. Au début de la Première Guerre mondiale, en 1940, le préposé canadien chargé de veiller à l’entretien du Mémorial de Vimy est capturé par les forces allemandes alors qu’elles envahissent le nord-est de la France. Tout au long de la guerre, les rumeurs laissent entendre que le Mémorial a été endommagé, voire détruit. Le 11 septembre 1944, le lieutenant-général Harry Crerar, alors aux commandes de la Première armée canadienne, se rend sur le site récemment libéré. Crerar avait lui-même pris part à la bataille de la crête de Vimy, et sa visite sur la crête est largement médiatisée. Les photos permettent de constater qu’étonnamment, le Mémorial est en bon état, en grande partie grâce aux bons soins de Paul et Alice Piroson, un couple belge qui a vu à son entretien
pendant la guerre.

Photographie couleur d’un homme en uniforme, debout devant une imposante structure de pierres. À gauche, on voit deux personnes; la première, en uniforme, est à peine visible, alors que la deuxième, en arrière-plan, porte une veste, un chandail et un béret.

Le lieutenant-général H. D. G. Crerar et Paul Piroson au Mémorial de Vimy, 11 septembre 1944. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 4233251)

Paul Piroson continue de travailler à Vimy après la guerre. Lorsqu’il prend sa retraite en 1965, le premier ministre Lester B. Pearson l’invite personnellement au Canada avec sa femme. En 1967, le couple foule pour la première fois le sol canadien et parcourt le pays. Il sera honoré lors d’événements soulignant le 50e anniversaire de la bataille.

Photographie couleur d’un clairon vêtu d’un uniforme écossais, posant devant le monument sur la crête de Vimy.

Vue du Mémorial de Vimy, sans date. (Bibliothèque et Archives Canada, MIKAN 4234839)

Les hommes qui se sont battus sur la crête de Vimy croyaient qu’ils étaient devenus de véritables Canadiens à ce moment précis, et que la bataille avait marqué la naissance de notre pays. Cette vision est demeurée au fil des ans; aujourd’hui, la bataille de la crête de Vimy symbolise l’engagement et le sacrifice des militaires canadiens, peu importe le conflit auquel ils ont pris part. Le terme « Vimy » apparaît d’ailleurs dans plusieurs projets commémoratifs militaires. Et chaque année, des milliers de visiteurs du Canada et d’ailleurs vont se recueillir devant le Mémorial, en souvenir du sacrifice accompli par les Canadiens en 1917.

Notice biographique

Andrew Horrall est archiviste responsable des documents militaires et historien spécialisé dans le music-hall britannique. Il détient un doctorat en histoire de l’Université de Cambridge.

Ce blogue a été créé dans le cadre d’une entente de collaboration entre The National Archives et Bibliothèque et Archives Canada.