Par Kelly Ferguson
« J’ai toujours voulu me plonger dans l’ambiance du Nouveau Monde » [traduction], écrit lord Dufferin, le troisième gouverneur général du Canada, à ses amis proches, M. et Mme Sturgis. C’était en 1872 et lord Dufferin se préparait à déménager au Canada, où il allait passer presque la totalité des six années suivantes.
En général, quand nous pensons aux premiers gouverneurs généraux, nous imaginons qu’ils étaient des nobles austères venant au Canada pour s’acquitter de leur devoir envers la monarchie. Il est même parfois difficile de leur donner un visage humain. Grâce à ces douze lettres, acquises par Bibliothèque et Archives Canada lors d’un encan tenu au cours de l’été de 2016, les Canadiens auront une idée plus claire des motifs à l’origine des expériences vécues par un de ces aristocrates.

À Ottawa, lord et lady Dufferin, ainsi que leurs enfants, vêtus suivant le code vestimentaire de la cour du roi James V d’Écosse, en 1876 (MIKAN 3819711)
D’abord enthousiaste à l’idée de vivre l’aventure du « Nouveau Monde », lord Dufferin déchantera vite devant la dure réalité associée à la vie au Canada dans les années 1870. Loin d’être impressionné par les conditions de vie à Ottawa, il se plaindra que la résidence du gouverneur général manque d’espace pour les divertissements, que les routes sont des pistes boueuses et que la ville est inachevée. Il sera affligé par le froid et le manque d’activités. Rapidement, il comprendra que son passage au Canada ne sera pas l’aventure palpitante qu’il avait envisagé de vivre.

Vue du sommet de la glissade Dufferin à Rideau Hall. Ottawa, 1878. (MIKAN 3819407)
Même si les conditions de vie n’étaient pas toujours à la hauteur de ses attentes, lord Dufferin a assumé ses fonctions avec beaucoup de sérieux. Dans ses lettres, il explique les efforts qu’il déploie pour redonner au poste de gouverneur général tout son prestige. Il décrit également ses opinions et ses actions en tant qu’observateur neutre d’un scandale politique parmi les plus retentissants à cette époque. Le scandale du Pacifique a entraîné la démission de John A. Macdonald et l’ascension au pouvoir d’Alexander Mackenzie et du parti libéral. Dans ses lettres, lord Dufferin relate le scandale, exprimant de la sympathie pour M. Macdonald, mais aussi l’espoir que l’élection de l’ancien parti de l’opposition soit un atout pour le Canada. En lisant ses lettres, il est évident qu’il aimait et respectait les deux chefs.

Portrait de lord Dufferin, 1878. (MIKAN 3215134)
Les lettres de lord Dufferin permettent de lever quelque peu le voile, d’avoir un regard plus intimiste sur un de nos premiers gouverneurs généraux. Lord Dufferin est venu au Canada pour s’éloigner de la scène londonienne ennuyante et partir à la quête de nouveaux défis. Bien qu’il n’ait pas été parfaitement heureux ici, il travaillera avec acharnement pour conforter l’importance du poste. Il avait aussi le sens de la diplomatie, ayant ses propres opinions relativement au scandale du Pacifique, tout en maintenant néanmoins de bonnes relations de travail avec les deux chefs. Lord Dufferin a assumé la fonction de gouverneur général à un moment déterminant. Le Canada venait tout juste d’être formé en tant que pays, l’expansion vers l’Ouest en était à ses débuts et Ottawa ressemblait à une ville en devenir. En plus d’humaniser l’homme, les lettres de lord Dufferin permettent de mieux saisir le monde dans lequel il vivait; elles campent bien la conjoncture d’alors et lui confèrent, aux yeux des Canadiens d’aujourd’hui, un aspect plus concret.

Un bal costumé donné par lord Dufferin à Rideau Hall, 1876. (MIKAN 3260601)
Kelly Ferguson est étudiante de deuxième cycle à l’Université Carleton et travaille au sein de la Section des archives politiques et de gouvernance à Bibliothèque et Archives Canada.