Cinquante ans après l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie : écouter les voix (partie 2)

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Par Elizabeth Kawenaa Montour

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

L’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie (EPVM), également appelée commission Berger, est ouverte il y a cinquante ans, en 1974, par le gouvernement du Canada. Elle consiste à faire enquête sur les répercussions possibles du pipeline et à présenter des conclusions, pour orienter la prise de mesures appropriées. Le rapport final (volume un et volume deux) est publié en 1977. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) conserve la collection des documents originaux de l’enquête, qui sont gérés par la Division des archives gouvernementales.

Voici le deuxième de trois billets de blogue sur l’EPVM. Il met en lumière deux personnes qui ont joué un rôle central dans l’exécution rigoureuse du processus d’enquête, et propose des méthodes supplémentaires pour trouver des documents sur l’enquête.

La première partie décrivait les populations et les terres du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest touchées par le projet de pipeline de la vallée du Mackenzie, et les événements qui ont conduit le gouvernement du Canada à réclamer une enquête. La troisième et dernière partie présentera des techniques de recherche approfondies permettant de trouver des documents sur l’EPVM.

Le commissaire Thomas R. Berger et l’interprète et animateur inuit Abraham Okpik

L’enquête chargée d’étudier les incidences environnementales et socioéconomiques potentielles du projet de pipeline est menée par le juge Thomas R. Berger. Ancien juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, il possède une expérience juridique des questions relatives aux Premières Nations. Il vient de représenter les Nisga’a dans Calder et al. c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313. Cette affaire conduit à l’arrêt Calder de 1973 de la Cour suprême du Canada, qui reconnaît que les titres ancestraux sur des terres existaient avant la colonisation et que ceux des Nisga’a n’ont jamais été abolis.

Abraham « Abe » Okpik, né dans le delta du fleuve Mackenzie, sert d’interprète pendant l’enquête, en 1974. Il agit également à titre de représentant linguistique auprès de la CBC (le pendant anglophone de la Société Radio-Canada) pour qu’elle puisse rendre compte des audiences de l’enquête. Grâce aux compétences linguistiques et à l’expérience de vie de M. Okpik, la commission d’enquête arrive à établir une communication avec les différentes communautés de l’Arctique et à favoriser la compréhension.

En 1965, M. Okpik est le premier Inuit à siéger au Conseil des Territoires du Nord-Ouest. À l’époque, son nom de famille légal est « W3-554 », car le gouvernement du Canada identifie les résidents du Nord par des numéros de disque. M. Okpik finit par choisir son nouveau nom de famille et est chargé de diriger le projet « Noms de famille » en 1970. Il se rend alors dans des campements et des communautés inuit du nord du Québec et des Territoires du Nord-Ouest pour enregistrer les noms de famille qui remplaceront les numéros d’identification. En 1976, M. Okpik est nommé membre de l’Ordre du Canada en reconnaissance de sa contribution à la préservation du mode de vie inuit et de son travail dans le cadre de la commission Berger.

Photographie en couleur d’Abe Okpik, debout à l’intérieur, et vêtu d’un parka inuit noir avec broderie florale rouge, jaune et vert sur un empiècement blanc avec frange rouge. Il porte des gants noirs en fourrure.

Abe Okpik, 1962 (e011212361).

Conclusions de la commission Berger

Le commissaire Berger résume ses réflexions dans son article de novembre 1978 sur l’EPVM (en anglais), qui inclut des commentaires sur l’industrialisation, le gaspillage énergétique, la création de parcs naturels et de sanctuaires pour les baleines, et la nécessité pour l’humanité de réfléchir à l’exploitation des ressources. Il reconnaît que le Nord constitue la dernière frontière et que ses territoires vierges et inhabités constituent un habitat essentiel pour de nombreuses créatures et leur survie. Il explique que son rapport sur l’EPVM fait état de deux ensembles d’attitudes et de valeurs contradictoires : « le pouvoir croissant des innovations techniques, l’exploitation des ressources naturelles et les répercussions des transformations rapides », opposés à « l’intensification de la conscience écologique et une préoccupation grandissante pour la nature sauvage, les ressources fauniques et la législation environnementale » (traduction).

L’enquête conclut qu’un pipeline longeant la vallée du Mackenzie jusqu’à l’Alberta est réalisable, mais qu’il faut d’abord mener une étude plus approfondie et régler les revendications territoriales autochtones. Par conséquent, un moratoire de dix ans est décrété sur la construction.

Des voix s’élèvent pour défendre la terre et la vie

La commission Berger adopte une approche des plus avant-gardistes en consultant directement la population, notamment en invitant les communautés touchées par le projet à participer à des audiences. Elles comprennent que le pipeline apportera des changements et perturbera leur relation avec les animaux et la terre. Elles parlent de leur mode de vie et des connaissances qui leur ont été transmises. Les enregistrements audio de ces témoignages oraux ont une valeur culturelle inestimable. Les connaissances de l’époque sont préservées et mises à la disposition des générations futures.

Photographie en noir et blanc d’un troupeau de caribous se déplaçant sur une rivière gelée dans un paysage enneigé.

Des caribous visés par le projet canadien sur les caribous traversent le fleuve Mackenzie, 1936 (a135777).

Fred Betsina, un Déné de 35 ans du village de Detah, dans les Territoires du Nord-Ouest, explique lors de l’audience tenue dans la communauté de Detah pourquoi il s’oppose à la construction d’un pipeline. Il sait, pour avoir piégé et chassé le caribou, que ce dernier est incapable de sauter par-dessus un conduit de 48 pouces, car il ne peut sauter plus haut que 12 pouces, et qu’il doit donc contourner tout obstacle lui barrant la route. Il dit souhaiter que les revendications territoriales soient réglées avant la construction d’un pipeline. En conclusion, il dit ceci : « … nous, les Indiens. Nous n’avons pas d’argent à la banque… Notre argent à la banque, c’est ce qu’on tire de la nature… C’est là que nous trouvons notre viande, et le poisson, c’est notre argent… c’est ce qu’on appelle une banque ici… » Il défend la faune, son peuple et les besoins de sa famille.

Le rassemblement de personnes issues de communautés éloignées les unes des autres permet également de nouer de nouvelles amitiés et de renforcer les alliances. La commission Berger offre un espace de discussion informelle sur des sujets économiques et politiques.

Découvrir le matériel de la collection de l’EPVM

Les documents de l’EPVM ont été transférés aux archives publiques du Canada en février 1978. Tous les documents de l’EPVM sont accessibles au public à des fins de recherche, mais ils ne sont pas tous disponibles sous forme numérique.

Capture d’écran de la page d’information sur les documents – Recherche dans la collection montrant trois barres horizontales foncées contenant du texte : Notice descriptive – Brève, Notice descriptive – Détails et Pour réserver ou commander des documents.

Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie (supports multiples) R216-165-X-F, RG126. Date : 1970-1977 (MIKAN 799).

Autres sources et conseils pour la recherche de documents

Voici des conseils pratiques pour trouver des documents sur l’EPVM avec l’outil Recherche dans la collection.

La page d’information sur les documents Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie (référence : R216-165-X-F, RG126) comporte trois sections : Note descriptive – Brève, Note descriptive – Détails et Pour réserver ou commander des documents.

Si vous ouvrez la deuxième section (Note descriptive – Détails), vous trouverez un lien intitulé « Voir description(s) de niveau inférieur ». En cliquant sur ce lien, vous ouvrirez les trois principales séries de documents : Transcriptions des séances et des témoignages, Pièces justificatives présentées lors de l’enquête et Dossiers de travail et d’administration

En ouvrant l’une des trois séries de documents ci-dessus, vous accéderez à la page d’information sur les documents de la série en question. Pour consulter les notices de niveau inférieur de chaque série, ouvrez la section « Notice descriptive – Détails » et cliquez sur le lien « Voir description(s) de niveau inférieur ».

Dans le document Transcriptions des séances et des témoignages (R216-3841-6-F, RG126), vous trouverez deux descriptions de niveau inférieur :

Dans le document Pièces justificatives présentées lors de l’enquête (R216-3840-4-F, RG126), vous trouverez quatre descriptions de niveau inférieur :

Dans le document Dossiers de travail et d’administration (R216-174-0-F, RG126), vous trouverez six descriptions de niveau inférieur :

* Veuillez noter que certains documents de l’EPVM ne sont pas disponibles en ligne sous forme numérique. Les dossiers de l’EPVM qui ne sont pas accessibles numériquement en ligne doivent être demandés et consultés sur place à BAC. Dans le cas d’un document accessible numériquement, l’image numérisée du document s’affiche en haut de la page d’information connexe.

La troisième partie de cette série proposera des stratégies précises sur la recherche de documents.


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste à la Division des archives gouvernementales de la Direction générale des documents gouvernementaux de Bibliothèque et Archives Canada.

Cinquante ans après l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie : répercussions environnementales dans le nord-ouest (partie 1)

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Par Elizabeth Kawenaa Montour

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

L’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie (EPVM), également appelée commission Berger, est ouverte il y a cinquante ans, en 1974, par le gouvernement du Canada. Elle consiste à faire enquête et à présenter des conclusions, pour orienter la prise de mesures appropriées. Le rapport final (volume un et volume deux) est publié en 1977. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) conserve la collection des documents originaux de l’enquête, qui sont gérés par la Division des archives gouvernementales.

Voici le premier de trois billets de blogue. Il porte sur les événements qui ont précédé l’enquête et sur les secteurs touchés par le projet proposé. La deuxième partie sera consacrée aux personnes qui ont participé à l’enquête. La troisième précisera comment faire des recherches dans les documents de l’EPVM.

Machine Caterpillar avec système de levage et grappin soulevant un pipeline directement au-dessus du fossé où il sera déposé. Le fossé est bordé de neige. Plusieurs ouvriers se tiennent dans la neige et un autre est debout sur le grappin. Deux grands arbres, du côté gauche de l’image, ont des branches courtes sans feuilles.

Machine à enduire ou machine rubaneuse utilisée pour la pose d’un pipeline de 24 po dans un fossé, dans le cadre d’un projet de construction. Photographie présentée comme élément de preuve pendant l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie par G. L. Williams, les 21 et 22 avril 1975 (MIKAN 3238077).

Le fleuve Mackenzie est appelé « Dehcho » (grande rivière) par les Slavey (Dénés), « Kuukpak » (grand fleuve) par les Inuvialuit et « Nagwichoonjik » (fleuve traversant un grand pays) par les Gwich’in (Dénés). Le nom colonial « Mackenzie » a été donné au fleuve à la suite de la visite de l’explorateur Alexander Mackenzie dans la région en 1789.

Le fleuve Mackenzie serpente à travers les Territoires du Nord-Ouest vers le nord-ouest, jusqu’au delta du Mackenzie. À mi-chemin, d’immenses falaises de calcaire, connues sous le nom de Fee Yee (The Ramparts ou « les remparts »), se dressent sur le bord du fleuve Mackenzie. Le cours d’eau poursuit sa course jusqu’à la baie Mackenzie, la mer de Beaufort et l’océan Arctique. La chaîne des monts Mackenzie, prolongement septentrional des montagnes Rocheuses, s’étend de l’ouest du fleuve, dans les Territoires du Nord-Ouest, jusqu’au Yukon.

Photographie en noir et blanc de falaises aux parois verticales abruptes sur la rive droite d’un fleuve. La couche supérieure des falaises abrite des arbres et de la végétation. Sur le côté gauche et plus loin à l’horizon se trouve un élément géologique similaire. Le fleuve coule entre les deux.

Fee Yee (les remparts), fleuve Mackenzie. Titre original : The Ramparts, Mackenzie River (e011368927).

Traité no 11

Bien avant l’arrivée des visiteurs coloniaux, les Dénés avaient déjà donné le nom « Le Gohlini » (là où se trouve le pétrole) à l’endroit où se dresserait la ville de Norman Wells. On utilisait d’ailleurs du goudron fabriqué à partir de petites quantités de pétrole provenant de suintements pour imperméabiliser les canots. S’appuyant sur les connaissances des Dénés concernant les suintements de pétrole, la société Imperial Oil a mené un programme de forage en 1919 et 1920. En 1920, du pétrole a été découvert dans la région de Tutil’a (là où les rivières se rencontrent, en déné du Sahtu; Fort Norman, en anglais), et la construction d’une petite raffinerie de pétrole a suivi. Ces activités ont conduit à la signature du Traité no 11 en 1921 et 1922 par la Couronne et les représentants des peuples Tłı̨chǫ, Gwich’in, du Dehcho et du Sahtu. La zone visée couvre 950 000 km2 dans le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut d’aujourd’hui. L’interprétation du Traité no 11 par le gouvernement du Canada a permis à la Couronne d’obtenir la propriété de ces terres, alors que les Dénés considéraient le traité comme un accord de paix et d’amitié.

Quatre photographies gélatino-argentiques en noir et blanc montées sur une feuille de papier, dont trois montrent des bateaux sur une rivière et des scènes de rivage, et une montre des réservoirs de stockage de pétrole brut sur la rive.

Le navire à vapeur Mackenzie River à Norman Wells, le navire à vapeur Distributor en voie d’être chargé de barils d’essence, le cargo à moteur Radium King à Norman Wells, et les réservoirs de la société Imperial Oil Ltd. à Norman Wells, Territoires du Nord-Ouest. Date : 1938 (e010864522).

En 1968, une grève massive des travailleurs du pétrole à Prudhoe Bay, en Alaska, incite les investisseurs du secteur de l’énergie à élaborer des propositions pour acheminer le pétrole et le gaz naturel vers les marchés du sud, aux États-Unis et au Canada. La même année, le groupe de travail sur l’exploitation du pétrole dans le Nord est créé. Viennent ensuite les lignes directrices sur les pipelines dans le Nord, la politique officielle du gouvernement fédéral, élaborées en 1970 et élargies en 1972.

Une proposition d’Arctic Gas prévoit la construction d’un pipeline qui partirait de Prudhoe Bay, en Alaska, sur la mer de Beaufort, traverserait le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et l’Alberta, et permettrait le transport de ressources gazières supplémentaires rajoutées en chemin jusqu’aux États-Unis.

Carte en couleurs des caractéristiques physiques des terres et des eaux comportant les noms des provinces, des territoires et des États américains. Les noms des compagnies pipelinières sont inscrits et les sections de pipeline qui leur sont affiliées sont indiquées par des lignes pleines ou des lignes noires discontinues.

Tracé proposé du pipeline de la vallée du Mackenzie. Carte incluse dans le document suivant : Le Nord : terre lointaine, terre ancestrale : rapport de l’Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie : vol. I / M. le juge Thomas R. Berger, 1977. Publication avec carte.
Bibliothèque et Archives Canada/OCLC 1032858257, p. 6

La planification et la construction de l’infrastructure nécessaire pour soutenir et construire le pipeline constituent une entreprise complexe, tout comme la détermination des effets du pipeline sur l’environnement, la faune et la flore et les habitants de la région. On prévoit également que le pipeline entraînera un développement industriel d’une ampleur inconnue. En conséquence, le pipeline de la vallée du Mackenzie ne sera jamais construit, même si de nouveaux projets auront été proposés en lieu et place.

Découvrir les documents numérisés de la collection sur l’EPVM

Les documents sur l’EPVM ont été transférés aux archives publiques du Canada en février 1978. Ils sont tous accessibles au public à des fins de recherche, mais certains ne sont pas numérisés. La recherche peut aussi s’effectuer à partir des mots-clés « commission Berger » ou « enquête Berger ».

Pour vous familiariser avec l’outil Recherche dans la collection et chercher des documents sur l’EPVM, suivez le lien suivant :

La collection sur l’EPVM comprend les transcriptions numérisées suivantes :


Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste à la Division des archives gouvernementales de la Direction générale des documents gouvernementaux de Bibliothèque et Archives Canada.