Le camp d’internement de Kapuskasing

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Par Ariane Gauthier

Nous établissons des liens surprenants tout le long de notre vie. Des choses que nous pensions confinées à notre travail ou à nos cercles sociaux surviennent de manière inattendue dans d’autres sphères. De mon côté, plusieurs longs voyages en voiture avec mon mari en direction du nord de l’Ontario m’ont menée à en apprendre plus sur le camp d’internement de Kapuskasing. Peu de personnes savent qu’il y avait des camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales. Et peu encore savent que ces camps n’étaient pas tous destinés aux prisonniers de guerre : plusieurs d’entre eux séquestraient des civils canadiens de nationalité dite « ennemie ».

Le camp de Kapuskasing a été actif du début de la Première Guerre mondiale, en 1914, jusqu’en 1920. On y confinait surtout des civils de nationalité ukrainienne. Ceux-ci étaient condamnés aux travaux forcés, construisant entre autres des bâtiments et rasant plusieurs hectares de forêts environnantes afin que le gouvernement puisse y établir une ferme expérimentale.

Photographie en noir et blanc du camp d’internement de Kapuskasing en juillet 1916. On y voit une enfilade de cabanes en bois devant lesquelles se tiennent des rangées de prisonniers et les gardes du camp.

Le camp d’internement de Kapuskasing. (e011196906)

Mon travail comme archiviste de référence m’a permis de creuser un peu plus dans les ressources de Bibliothèque et Archives Canada afin d’en apprendre davantage sur cette période sordide de l’histoire canadienne. J’ai ainsi retrouvé les documents de William Doskoch, né le 5 avril 1893 à Laza, en Galicie, un territoire de l’empire austro-hongrois qui appartient aujourd’hui à l’Ukraine.

En 1910, à l’âge de 17 ans, William Doskoch rejoint son frère au Canada pour travailler dans les mines de charbon de Nanaimo, en Colombie-Britannique. Alors qu’il est de passage à Vancouver en 1915, il se fait arrêter, étant considéré comme un ennemi de la nation. Il sera enfermé dans plusieurs camps d’internement : d’abord au camp de Morrissey, puis à celui de Mara Lake, et ensuite au camp de Vernon, avant d’être finalement transféré à Kapuskasing. C’est de là qu’il fut libéré cinq ans plus tard, le 9 janvier 1920.

Le fonds d’archives de William Doskoch est riche en ressources qui nous permettent de comprendre les camps d’internement selon la perspective d’une personne internée. Bien qu’on y trouve de l’information sur plusieurs camps, je m’intéressais surtout à ses notes sur Kapuskasing. Selon ces écrits, les conditions y étaient similaires à celles du camp de Vernon : maltraitance des prisonniers, exécutions aléatoires, plusieurs cas de tuberculose, et conditions d’internement inadéquates pour les températures froides.

Portrait studio d’un homme assis. Il tient dans sa main un journal.

Portrait de William Doskoch. (No MIKAN 107187)

J’ai aussi retrouvé une lettre écrite par George Macoun, garde au camp de Kapuskasing, qui relatait des événements survenus au camp entre novembre 1917 et l’été 1919. Bien que de moindre ampleur que le fonds William Doskoch, elle nous offre un aperçu assez rare de l’expérience d’un garde dans un camp d’internement.

Première page d’une lettre écrite à la main.

Lettre de George Macoun, garde au camp d’internement de Kapuskasing. (No MIKAN 102082)

Originaire d’Irlande, George Macoun immigre au Canada, où il se joint à la milice en février 1915. C’est ainsi qu’il en vient à prendre part aux opérations au camp d’internement de Kapuskasing. Il rédige cette lettre quelque temps après la fin de la guerre, après avoir été démis de ses fonctions comme garde. Un peu comme il le ferait dans des mémoires, il se remémore les expériences marquantes de son temps à Kapuskasing, entre autres les conflits et les tensions qui régnaient parmi les gardes en raison d’abus de pouvoir. Il raconte :

« Un petit incident est survenu en mars 1918 qui a soulevé la colère de l’ensemble du bataillon contre ce commandant, en raison de la manière absolument irrégulière, selon les procédures militaires, dont un cas fut géré. Lors d’une soirée dans la salle de loisirs, quelque temps pendant la dernière semaine de février 1918, un certain caporal, un des hommes les plus populaires de la garde, a eu le malheur de se saouler et de faire du tapage pendant la nuit, non seulement dans sa chambre, mais aussi dans une autre chambre. Cette information a été transmise par un mouchard à l’O.C. [officier commandant] bien connu, à peu près deux semaines plus tard, quand des accusations ont été portées contre le caporal. »

Le fonds du Secrétariat d’État du Canada regorge également d’information. On y trouve notamment une sous-série intitulée Documents touchant le Bureau du séquestre des biens ennemis et les opérations d’internement, couvrant la période de 1914 à 1951 (R174-59-6-F, RG6-H-1). Pendant les deux guerres mondiales, le Secrétariat d’État s’occupait entre autres des affaires découlant des opérations d’internement. Toutefois, certaines activités, comme celles touchant la gestion des propriétés des internés confisquées par l’État, ont éventuellement été transférées à d’autres ministères au fil des années. On y retrouve quand même de la documentation sur les certificats de libération des camps d’internement, ainsi que sur l’administration des camps. Les boîtes 760 à 765 inclusivement contiennent des documents relatifs aux opérations du camp de Kapuskasing.

Puisque l’information abonde, je m’attarderai seulement à quelques éléments intéressants pour Kapuskasing. Par exemple :

  • Selon la correspondance du directeur des opérations d’internement, la ferme expérimentale construite par les prisonniers de Kapuskasing a été achevée au début décembre 1917.
  • Selon les statistiques de décembre 1918, le camp détenait les prisonniers suivants : 607 Allemands, 371 Autrichiens, 7 Turcs, 5 Bulgares et 6 prisonniers « autres ». Une note suggère que la classification « autres » servait à désigner des prisonniers de guerre, mais ce n’est pas clair.
  • Plusieurs lettres écrites par des prisonniers à des membres de leur famille étaient censurées. C’est le cas des missives qu’Adolf Hundt envoyait à sa femme. Découragé par l’ampleur de la censure, il a renoncé à lui écrire, menant son épouse à s’inquiéter pour sa santé.

Ce billet de blogue vous a présenté un aperçu des renseignements qu’on peut dénicher sur le camp de Kapuskasing dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Celle-ci offre un immense potentiel pour mieux comprendre ce moment sordide de l’histoire canadienne. Nous avons donc créé un guide de recherche sur les camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales, qui m’a beaucoup servi dans la rédaction de ce billet de blogue.

Pour consulter le guide, suivez ce lien :


Ariane Gauthier est archiviste de référence au sein de la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

Tourner la page de la censure : la liberté de lire

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Par Rebecca Murray

De la littérature fantastique à la fiction historique, plusieurs ouvrages contemporains abordent la question des livres bannis et contestés. Par exemple, dans son œuvre à succès Fourth Wing, Rebecca Yarros raconte l’histoire d’une archiviste en herbe plongée dans le monde périlleux des dresseurs de dragons. Pendant son périple (alerte au divulgâchage), l’héroïne découvre la vérité sur un ouvrage « rare » (c’est-à-dire banni), que sa famille se transmet précieusement depuis des générations. De son côté, Kate Thompson, dans The Wartime Book Club, dépeint l’histoire d’une courageuse bibliothécaire sur l’île de Jersey, alors sous occupation allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui donne des livres interdits à ses voisins. Chacune à leur façon, ces deux auteures placent la question de la censure à l’avant-scène, mettant en vedette des héroïnes déterminées à défendre le droit de lire, même des histoires interdites.

Or, il n’est pas nécessaire de lire des œuvres fictives ou historiques pour mesurer l’importance de cet enjeu. La Semaine de la liberté d’expression est une campagne annuelle créée en 1984 dans le but même de sensibiliser les lecteurs aux effets insidieux de la censure. Elle vise à faire connaître les obstacles que doivent franchir les publications et les défis que doivent relever les bibliothèques près de chez vous.

Saviez-vous que des œuvres en apparence inoffensives comme Les contes des frères Grimm et Bambi ont été contestées dans divers pays? L’histoire de la censure et de la contestation des livres ou d’autres publications, tant au Canada qu’à l’étranger, est à la fois longue et complexe. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) joue un rôle capital dans le milieu des bibliothèques au Canada, car il préserve pour les générations futures des exemplaires de tous les livres publiés au pays (y compris des livres audio et électroniques).

Les sections suivantes présentent des thèmes essentiels dans l’histoire de la Semaine de la liberté d’expression. Elles établissent un lien avec le mandat de BAC et expliquent comment l’institution participe à cette campagne.

Des rayons remplis de livres.

Exemplaires de consultation de livres et d’autres publications préservés à Bibliothèque et Archives Canada. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

Bibliothèques scolaires

Les salles de classe et les bibliothèques scolaires sont souvent visées par des plaintes sur un livre particulier ou des contestations motivées par des politiques générales. Depuis la création de la Semaine de la liberté d’expression, de nombreuses contestations ont mené à des réactions variées. Parmi celles-ci figurent la mise en place de formations pour aider les enseignants à aborder des enjeux sensibles dans la littérature, la suspension de retraits d’ouvrages des collections, des réunions de conseils scolaires rassemblant des centaines de participants, et, dans des cas extrêmes, des autodafés d’ouvrages contestés.

Les collections des bibliothèques nationales comme BAC sont différentes de celles des bibliothèques publiques et scolaires, car les publications ne sortent pas de nos salles de lecture. Elles ne sont donc pas à la merci des exigences du public ou des changements de politiques. Les retraits de livres dans d’autres bibliothèques ou des écoles n’ont donc aucun effet sur les collections de BAC.

Œuvres sur la censure

Depuis les débuts de la Semaine de la liberté d’expression, des auteurs et des penseurs étudient la censure au Canada et son incidence sur la littérature, les bibliothèques, le cinéma et d’autres formes d’expression culturelle. Leurs ouvrages sont importants pour reconstituer l’histoire de la censure au Canada, car ils donnent des renseignements précieux sur l’évolution du phénomène au fil du temps.

Voici quelques exemples provenant des collections d’œuvres publiées de BAC :

Trois livres sur une table.

Les livres Dictionnaire de la censure au Québec, Fear of Words et Women Against Censorship. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

De nouvelles tendances

Il peut sembler surprenant que des contes de fées classiques ou des histoires comme Bambi puissent soulever la controverse. Mais la société évolue, et ce qui est jugé offensant ou non change aussi. Les politiques et les débats fort variés à ce sujet le démontrent. Prenons-en pour preuves les questionnements sur l’inclusion des bandes dessinées dans les bibliothèques publiques, les pétitions visant à retirer des prix littéraires d’anciens lauréats et les règlements sur l’importation et la vente de certaines publications au Canada. Ces changements s’inscrivent dans une tendance historique qui se poursuivra sans l’ombre d’un doute. Les données sur les contestations signalées par des bibliothécaires donnent de précieux renseignements sur l’évolution des comportements sociétaux.

Le site Web de la Semaine de la liberté d’expression propose une ligne du temps qui remonte aux origines de la campagne au Canada (1984) et propose une liste d’ouvrages contestés.

La 41e Semaine de la liberté d’expression aura lieu du 23 février au 1er mars 2025. Plusieurs activités seront organisées dans le cadre de la campagne. Restez à l’affût pour ne rien manquer!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Valentins censurés : les services gouvernementaux surveillent Cupidon de près

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Par Rebecca Murray

Il y a quelques mois, j’ai découvert des archives très étonnantes dans la base de données du Bureau du censeur en chef de la presse. Celui-ci fut établi par un décret du 10 juin 1915, dans lequel le secrétaire d’État autorisait la nomination d’une personne chargée de censurer les écrits, les copies, les impressions et les publications de toutes les maisons d’édition. Le Bureau avait ainsi les pleins pouvoirs pour superviser la censure des documents imprimés en temps de guerre. Vous vous en doutez bien, je n’ai pas pu m’empêcher d’approfondir la question.

J’ai commencé par examiner une série de documents rédigés entre 1915 et 1920, conservés dans le fonds du secrétaire d’État (RG6/R174). Ces documents portent principalement sur la censure pendant la Première Guerre mondiale. Ils couvrent divers sujets comme les éléments subversifs au Canada et la propagande de guerre.

Avec plus de 1 500 descriptions au niveau du dossier, la série mentionne diverses publications signalées par le censeur de la presse. Sans surprise, la plupart sont liées à la guerre : publications en allemand, textes progermaniques et autres renseignements sensibles. Mais qu’est-ce qui pouvait justifier la présence d’un dossier sur les cartes de Saint-Valentin dans la série? Étaient-elles trop osées?

Curieuse, j’ai ouvert le dossier (consultable sur microfilm numérisé sur le site Canadiana du Réseau canadien de documentation pour la recherche). À la mi-janvier 1916, une correspondance commence entre le sous-ministre des Postes (R. M. Coulter), le censeur en chef de la presse (le lieutenant-colonel E. J. Chambers) et le ministère de la Justice. L’article fautif est une carte de Saint-Valentin et son enveloppe, produites par la Volland Company, à Chicago.

Carte de Saint-Valentin avec l’image d’une femme portant un chapeau à large bord. Le texte sous l’image est partiellement caviardé et caché par un timbre disant « CENSURÉ (PAYS ENNEMI) ».

La carte de Saint-Valentin en question, avec les marques de caviardage. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 655.

R. M. Coulter signale la carte au lieutenant-colonel Chambers le 18 janvier 1916. La raison? L’étiquette sur l’enveloppe et le fac-similé d’un timbre en caoutchouc sur la carte laissent croire à une censure officielle, et Coulter craint que ces éléments ne créent de la confusion pour les représentants du gouvernement. Malheureusement, le dossier ne comprend aucun exemplaire de l’enveloppe.

Chambers donne son accord dès le lendemain : « Ce serait sans aucun doute une grave erreur d’autoriser la circulation de ces enveloppes au Canada, car elles attireraient une attention indésirable sur la censure et risqueraient de constituer un obstacle si l’on décide un jour de censurer l’ensemble du courrier. » [Traduction]

La question ne s’arrête pas là : un mémoire est transmis au sous-ministre de la Justice le 20 janvier. Une lettre envoyée le lendemain mentionne qu’il ne serait pas judicieux de laisser circuler au Canada des cartes de Saint-Valentin et des enveloppes comme celles-ci.

La même lettre décrit le rôle général du Bureau du censeur en chef de la presse : « Je peux vous dire en toute confidentialité que l’un des principaux objectifs de la censure au Canada, en ce moment, consiste à intercepter la correspondance ennemie que les agents et sympathisants teutons [allemands] au Canada entretiennent avec les agents du renseignement des gouvernements ennemis dans les pays ennemis ou neutres. La censure reste donc aussi discrète que possible, car si le système de censure actif au Canada était connu, l’objectif ne pourrait être atteint. » [Traduction]

Bien que la carte de Saint-Valentin en question ne soit pas considérée comme une « correspondance ennemie », la ressemblance avec des marques de censure véritables préoccupe sérieusement le sous-ministre des Postes et le censeur en chef de la presse. Ceux-ci craignent tout ce qui peut faire connaître ou ridiculiser leur travail, car la censure, fort courante à l’époque, restait volontairement discrète.

Vers la fin du dossier, j’ai été étonnée de trouver de la correspondance des censeurs régionaux avec des libraires et d’autres fournisseurs qui avaient commandé ou acheté la carte. Plusieurs fournisseurs ont rapidement répondu au gouvernement et assuré qu’ils retourneraient les cartes à l’éditeur américain. Il est cependant difficile de déterminer combien de cartes circulaient déjà ou avaient été vendues avant le rappel.

Page couverte de caractères tapuscrits et manuscrits et d’un timbre.

Lettre adressée au lieutenant-colonel Chambers, censeur en chef de la presse, de la part du bureau régional de la censure de la presse dans l’Ouest du Canada. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 674.

En plus de la correspondance intergouvernementale, le censeur en chef de la presse écrit à l’éditeur le 25 janvier : « Les autorités canadiennes tiennent sincèrement à éviter, dans la mesure du possible, que la guerre nuise au commerce et aux bonnes relations entre le Canada et ses bons voisins du sud. » [Traduction] Ces paroles diplomates montrent que le censeur en chef tient à gérer la situation avec tact.

Page blanche avec du texte manuscrit et tapuscrit.

Lettre de P.F. Volland & Co. au censeur en chef de la presse au Canada. Source : RG6, volume 538, dossier 254, bobine de microfilm T-76, page 669.

La réponse du 24 janvier montre comment l’éditeur réagit au retrait de son produit du marché canadien. Sans mentionner pourquoi la carte portait des marques de censure, l’éditeur assure que « l’objectif n’était pas d’attirer une attention indésirée sur la censure en vigueur dans le Dominion. » [Traduction]

Le travail du censeur en chef de la presse pendant la Première Guerre mondiale montre comment le gouvernement gérait la circulation de l’information au cours du conflit. Cette affaire peut sembler banale, et même plus amusante qu’inquiétante de nos jours. Elle rappelle cependant que la censure sous toutes ses formes est toujours d’actualité. Pour approfondir cette question, prenez connaissance du rôle de Bibliothèque et Archives Canada dans le cadre de la Semaine de la liberté d’expression, une campagne annuelle de sensibilisation à la censure qui fait connaître les livres contestés partout au Canada.


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

La liberté d’expression

Par Mary-Francis Turk

À Bibliothèque et Archives Canada (BAC), nous ne jugeons jamais un livre d’après sa couverture… ni son contenu! Nous tenons à ce que les lecteurs et les chercheurs aient accès à toutes les publications canadiennes. D’ailleurs, notre mandat établi dans le préambule de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada met l’accent sur la préservation et la mise en accessibilité du patrimoine documentaire.

Les bibliothèques canadiennes sont chargées d’élaborer des politiques pour défendre la liberté de lire et de penser. En tant que bibliothèque nationale, BAC maintient une collection permanente de livres publiés, d’éditions anciennes et rares, et d’autres documents imprimés fort variés. Toute publication canadienne a sa place dans la collection nationale.

Grâce à son programme de dépôt légal, BAC se fait discrètement le champion de la lutte contre la censure. Ce programme vise à recueillir « tous les documents créés au Canada qui sont destinés à la vente ou à la distribution publique ». C’est un outil essentiel à notre disposition pour constituer une collection nationale inclusive, exhaustive et accessible. En collaborant avec les éditeurs, nous pouvons préserver les documents et les rendre accessibles aux générations futures.

Documents acceptés dans le cadre du dépôt légal

Les éditeurs et producteurs canadiens soumettent les documents suivants :

  • Livres (monographies)
  • Publications en série (revues, journaux, bulletins d’information, etc.)
  • Enregistrements de musique et vidéos
  • Livres audio
  • Partitions
  • Cartes
Affiche pour la Semaine de la liberté d’expression du 19 au 26 octobre 1986. Trois livres sont fermés par des étaux.

Affiche faisant la promotion de la lecture, produite par le Book and Periodical Development Council pour la Semaine de la liberté d’expression, en 1986. Bibliothèque et Archives Canada/Fonds Robert Stacey/e010758305. Crédit : Michael Hale / Susan Reynolds.

On pourrait penser que la censure est chose du passé. Pourtant, de nombreuses publications (site en anglais), dont certaines se trouvent dans la collection de BAC, ont été contestées au cours des dernières années :

  • En 2018, le livre Betty : The Helen Betty Osborne Story de David Alexander Robertson n’était pas recommandé pour les salles de classe en Alberta.
  • En 2016, le livre Pride : Celebrating Diversity and Community de Robin Stevenson a soulevé l’opposition lorsque l’auteure a visité des écoles au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique.
  • En 2011, une commission scolaire de l’Ontario a inclus le livre de Timothy Findley intitulé The Wars dans les cours d’anglais de 12e année. Cette décision a été remise en cause par des parents, mais la commission scolaire a finalement décidé de maintenir le livre dans le programme d’études secondaires.

Comme le démontre la liste d’ouvrages contestés (site en anglais) compilée par le Book and Periodical Council du Canada, la censure existe depuis toujours au pays. La Semaine de la liberté d’expression rappelle que l’accès aux publications ne doit pas être tenu pour acquis.

Il est essentiel de rendre les publications canadiennes accessibles au public et aux générations futures pour protéger leur liberté de pensée. C’est exactement ce que l’équipe du dépôt légal de BAC tâche de faire.

En cette période de réflexion sur la liberté d’expression et de pensée, il apparaît de plus en plus important de donner accès à toutes les publications canadiennes, partout au pays.

Pour en savoir plus sur la liberté d’expression et la censure au Canada, consultez les listes d’ouvrages en français et en anglais colligées par le Book and Periodical Council.

Autres ressources


Mary-Francis Turk est superviseure du dépôt légal à la Direction générale des archives privées et du patrimoine publié à Bibliothèque et Archives Canada.

Lire, en toute liberté

Par Liane Belway

[Janvier 2024] Ce billet de blogue a été mis à jour pour refléter les changements apportés à la campagne de la Semaine de la liberté d’expression.

Photographie couleur montrant le dos de livres empilés sur fond noir.

Échantillon de livres variés provenant de la collection de Bibliothèque et Archives Canada qui ont été contestés. Photo : Tom Thompson

Au Canada, nous sommes libres de lire ce qui nous plaît – à un point tel que nous oublions parfois l’importance de ce droit. L’idée que celui-ci pourrait être bafoué dans un pays comme le nôtre ne nous vient même pas à l’esprit. Après tout, notre liberté intellectuelle est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, la liberté de lire ne peut jamais être tenue pour acquise. Même au Canada, des livres et des magazines sont fréquemment contestés dans les bibliothèques et les écoles.

La Semaine de la liberté d’expression encourage la population canadienne à parler de sa liberté intellectuelle et à la célébrer. Tous les ans, le Book and Periodical Council se sert de cette période pour lever le voile sur l’histoire souvent méconnue de la censure et de la mise à l’index au Canada, et sur les luttes menées pour maintenir certains ouvrages sur les tablettes des écoles et des bibliothèques. Partout au pays, pendant une semaine, des événements (en anglais seulement) sensibilisent le public à l’importance de protéger son droit à la lecture.

Le droit à la liberté intellectuelle signifie que chaque personne est libre de choisir ce qu’elle lit, dans les limites permises par la loi canadienne. En contestant la présence d’un titre sur les tablettes, on fait plus qu’exprimer ses propres goûts ou son refus de prendre part au dialogue sur une question controversée : on tente carrément, souvent pour des raisons politiques ou morales, d’empêcher le public de lire des ouvrages offerts dans les écoles, les bibliothèques ou les librairies. Les bibliothèques ont le devoir de protéger la liberté de lire et doivent refléter ce devoir dans leurs politiques.

Chaque cas est particulier, et les bibliothèques réagissent différemment en fonction de leur mandat et de leurs responsabilités envers les usagers. Dans la plupart des bibliothèques publiques, des politiques sur la liberté intellectuelle sont en place pour orienter le traitement des préoccupations individuelles tout en protégeant le droit collectif à la lecture. Par exemple, les ouvrages peuvent être classés selon l’âge du lectorat auquel ils s’adressent. Quant aux bibliothèques scolaires, elles sont généralement chargées d’appliquer le programme scolaire pour les élèves de l’école. Enfin, Bibliothèque et Archives Canada a le mandat d’acquérir, de décrire et de rendre accessibles toutes les publications canadiennes pour les lecteurs et les chercheurs d’ici et d’ailleurs dans le monde.

Ce ne sont pas tous les livres contestés qui finissent frappés d’interdit. Quand une auteure de la trempe de Margaret Atwood voit un roman comme La servante écarlate remis en question, on assiste souvent, au contraire, à une augmentation de l’attention médiatique, des ventes et du lectorat. L’œuvre Lives of Girls and Women d’Alice Munro, par exemple, a fait l’objet de contestations, et l’auteure a remporté quelques décennies plus tard le prix Nobel de la littérature.

Néanmoins, la tentative de faire bannir un ouvrage peut avoir un effet plus insidieux, surtout dans les écoles et les bibliothèques publiques. Un livre pour enfants controversé peut tout simplement être retiré des listes de lecture et des programmes scolaires pour éviter la confrontation. Mais il arrive aussi qu’une réclamation d’interdiction soit refusée, notamment pour des ouvrages à thème comme L’arbre de Maxine. Grâce à une décision prise en 1992, ce livre illustré au message écologiste a continué d’être lu dans les écoles primaires. Aujourd’hui, on tient pour acquise la possibilité de présenter aux enfants des livres sur l’environnement, les familles homoparentales, les croyances religieuses et toutes sortes d’autres sujets, mais la réalité n’a pas toujours été ainsi.

Qui sait combien d’ouvrages n’ont pas été achetés (ou même écrits) au fil des décennies en raison d’une culture de l’interdiction? Nous aimons à penser que, de nos jours, nous sommes plus ouverts au point de vue des autres. En tant que Canadiens, nous devons demeurer conscients de la grande valeur de notre droit à la lecture, et protéger ce droit pour nous-mêmes et pour les autres.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site Web de la Semaine de la liberté d’expression.


Liane Belway est bibliothécaire à la Division des acquisitions de la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.