Par Théo Martin
Il faudra à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) plus de vingt ans pour acquérir les archives de l’homme de théâtre et du créateur canadien Gratien Gélinas. En effet, entre 1973 et 1997, plusieurs archivistes nationaux et archivistes des Archives publiques du Canada travailleront avec énergie pour convaincre Gélinas d’offrir ses documents. Ce dernier, demeurant actif jusqu’à la fin de sa vie, n’avait simplement pas le temps de se consacrer pleinement au don de ses archives.
Les documents du fonds Gratien Gélinas ont finalement été acquis en 1997 par les Archives nationales du Canada, soit deux ans avant le décès de l’artiste, par l’intermédiaire d’un de ses fils, Michel Gélinas. Il faut mentionner que c’est aussi un des membres de la famille de Gratien Gélinas qui a assuré un premier classement de ses archives. On les a donc reçues à BAC dans un ordre et une organisation qui étaient à la fois logiques et qui permettaient un accès rapide pour les chercheurs. Le travail final de traitement, de description et de l’établissement des conditions d’accès s’est effectué entre les années 1999 et 2004 par les archivistes de BAC.

Portrait de Gratien Gélinas par Yousuf Karsh, 1942. Crédit: Yousuf Karsh (MIKAN 3591652)

Gratien Gélinas par Yousuf Karsh, 29 mars 1945. Crédit: Yousuf Karsh (MIKAN 3916385)
Dans le fonds Gélinas, on retrouve seize séries à consulter en lien avec divers aspects de la carrière de Gratien Gélinas, mais aussi de sa vie personnelle.
On y trouve par exemple la série qui concerne ses œuvres littéraires, contenant plusieurs mètres de textes manuscrits ou tapuscrits. Il y a les textes des émissions radiophoniques écrites par Gélinas qui vont divertir toute une génération de Canadiens français durant les années trente telles que le Carrousel de la gaieté, le Train de plaisir sur les ondes de CKAC et de Radio-Canada, desquels émergera son personnage mythique de Fridolin. Ce même Fridolin sera au cœur des Fridolinons, revues de fin d’année produites par Gélinas et son équipe entre 1938 et 1946 (puis reprises en 1956) au Monument National, à Montréal.

Gratien Gélinas jouant Fridolin dans une scène des « Fridolinons », mars 1945. Photo : Ronny Jacques pour l’Office national du film (MIKAN 4318078)
Le fonds contient les manuscrits des œuvres phares de théâtre de Gratien Gélinas : Tit-Coq, Bousille et les justes, Hier, les enfants dansaient, La passion de Narcisse Mondoux, sa dernière création dramatique, écrite en 1985, essentiellement pour lui et la comédienne Huguette Oligny (dont le fonds se trouve aussi à BAC).
À cela s’ajoutent des dossiers complets de carnets de notes, d’ébauches annotées qui illustrent parfaitement la manière dont Gélinas concevait et écrivait ses pièces. On y lit tous les ajouts, ratures, impressions, gribouillages d’un artiste sans cesse en création et qui se remet constamment en question.

« Tit-Coq » – Notes personnelles pendant la rédaction, vers 1946-1947 (MIKAN 2402016)
Comme Gratien Gélinas assurait le plus souvent lui-même la production et la mise en scène de ses pièces, il a aussi accumulé plusieurs écrits qui documentent son processus créatif. En plus de retrouver ses carnets de production, les chercheurs peuvent aussi découvrir plusieurs versions de textes d’adaptation de ses pièces pour le cinéma, la radio et la télévision et traduites en anglais aussi.
Le fonds comporte une quantité considérable de documents multisupports dont des films très rares, des premiers courts-métrages de production canadienne tels que La dame aux camélias, la vraie (réalisée par Gélinas en 1942) et le long métrage Tit-Coq (réalisé en 1953). BAC a d’ailleurs réussi à transférer la plupart des films de ce fonds sur support numérique. On retrouve aussi plusieurs enregistrements sonores datant d’aussi loin que les années trente, des revues et des émissions radiophoniques ainsi que les spectacles produits par Gratien Gélinas. C’est une véritable mine d’informations pour n’importe quel chercheur qui s’intéresse au théâtre et au cinéma au Canada.

Tournage du film Tit-Coq vers 1952-1953 (MIKAN 3919038)
À ce corpus s’ajoutent plus de 4000 photographies dont certaines documentent les débuts de Gélinas à la radio et sur la scène ainsi que des photos de presque toutes les productions théâtrales dans lesquelles il a participé en plus de soixante ans de carrière. Il y a notamment des photos exceptionnelles de Gratien dans le rôle de Fridolin prises par l’Office national du film en 1945, de belles photos de lui lors de sa participation au Festival de Stratford au courant des années cinquante ainsi que de multiples photographies de sa vie privée et de son univers personnel.
Ce qui est aussi remarquable dans le fonds Gélinas, ce sont les documents d’art visuel : les dessins et les aquarelles de costumes, de maquettes de décors, les dessins publicitaires et les collages qui ajoutent un élément vibrant et visuel à l’ensemble du fonds. On réalise à quel point Gélinas s’est entouré de plusieurs artistes pour produire et promouvoir ses spectacles tout au long de sa carrière. Nous n’avons qu’à penser, par exemple, au dessin très coloré et imagé de Robert LaPalme qui a servi de maquette de décor pour Fridolinons ‘45.

« Bon voyage » (Robert LaPalme), pour Fridolinons ’45 (MIKAN 3926980)

« Tit-Coq » dessin-maquette de Robert LaPalme – Dessin original qui a servi pour l’affiche et le programme de la pièce (MIKAN 3010586)
Il y a par ailleurs bien des documents qui illustrent sa carrière dans les arts et la culture au Canada. On peut de plus retrouver des contrats d’engagement, de la correspondance, plusieurs documents promotionnels. D’autres documents portent sur son travail d’activiste du monde des arts et de la culture, notamment son implication au niveau de l’Union des artistes ou sa carrière d’administrateur d’institutions culturelles telles que la Comédie Canadienne qu’il a fondée en 1957 ou la Société du développement de l’industrie cinématographique canadienne dont il est nommé le président en 1969.
Ce qui ajoute beaucoup de richesse à ce fonds ce sont les documents en lien avec sa vie personnelle. On découvre un côté plus intime de l’artiste multidisciplinaire : carnets de notes, journaux de voyage, correspondance diverse, photographies, œuvres d’art qui permettent de mieux saisir davantage l’être humain et ses liens avec sa famille et ses amis. En plus de sa correspondance avec sa famille, on retrouve plusieurs lettres envoyées ou reçues de personnalités du monde des arts et de la politique telles que Jean-Louis Roux, Lionel Daunais, Émile Legault, Jean Despréz, Robert LaPalme, Jean Drapeau et bien d’autres encore.
Enfin, il faut souligner le fait que BAC possède le fonds de la petite-fille de Gratien Gélinas, la romancière Anne-Marie Sicotte, qui a écrit plusieurs biographies sur Gratien Gélinas (La ferveur et le doute – Éditions Québec/Amérique 1995-1996; Gratien Gélinas, du naïf Fridolin à l’ombrageux Tit-Coq – XYZ éditeur, 2001; Un p’tit comique à la stature de géant – VLB éditeur, 2009) en se servant notamment des archives trouvées à BAC. Lors de ses recherches, Anne-Marie Sicotte a non seulement transcrit plusieurs documents d’archives, mais a produit plusieurs enregistrements sonores et transcriptions d’entrevues avec son grand-père.
Le fonds Gratien Gélinas et les fonds connexes conservés à BAC témoignent de la vie et de l’œuvre d’un des pionniers du théâtre canadien et de la radio-télédiffusion au Canada. C’est un véritable trésor de documents riches et variés, accumulés tout au long de la vie d’un artiste et créateur hors pair. Ce joyau documentaire conservé à BAC appelle à être découvert et redécouvert par les chercheurs et les passionnés des arts de la scène et du spectacle d’ici et d’ailleurs.
Ressources connexes
- Fonds Gratien Gélinas
- Fonds Anne-Marie Sicotte
- Fonds Huguette Oligny
- Sicotte, Anne-Marie. Gratien Gélinas – La ferveur et le doute. Typo Essai, 2009.
- Sicotte, Anne-Marie. Gratien Gélinas en Images : Un p’tit comique à la stature de géant. VLB éditeur, 2009.
- Album Flickr sur Gratien Gélinas
- Balado – « Gratien Gélinas : de chez nous »
- Prenez place! Gratien Gélinas (Site archivé)
Théo Martin est archiviste dans la Section de la littérature, de la musique et des arts de la scène [des archives privées] de Bibliothèque et Archives Canada.