L’adoption du syllabaire cri

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À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Pour lire ce billet de blogue en syllabique crie et orthographe romaine normalisée, visitez le livrel.

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Par Samara mîkiwin Harp

Photo montrant les touches d’une machine à écrire manuelle. Les touches sont noires, et sur chacune sont inscrits deux caractères syllabiques blancs.

Machine à écrire utilisant le syllabaire cri, créée par des érudits cris, des experts en linguistique de l’ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord, et Olivetti Canada Limited.
Source : Olivetti Canada Limited, Olivetti News Magazine, juin-juillet 1973, p. 2. (e011303083)

L’origine du syllabaire cri fait toujours l’objet de débats. Une chose est sûre, cependant : ce système d’écriture syllabique s’est rapidement répandu chez les nêhiyawak (membres de la Nation crie). En effet, il offrait une représentation fidèle des phonèmes du nêhiyawêwin (la langue crie), et les nêhiyawak s’en sont approprié l’enseignement de base.

À l’hiver 1841, des chasseurs et trappeurs nêhiyaw partant de Norway House (dans l’actuel Manitoba) pour faire du commerce apportent avec eux des hymnes imprimés en écriture syllabique crie. Par la suite, il faut moins de dix ans pour que ce système d’écriture se répande tant à l’ouest qu’à l’est, et que des milliers de nêhiyawak maîtrisent ce syllabaire. La plupart des nêhiyawak apprennent à lire et à écrire le syllabique cri sans l’aide de missionnaires, en se fiant au tableau du syllabaire qui se transmet alors entre partenaires de négoce, parents et amis. Selon certains chercheurs, le taux d’alphabétisme des nêhiyawak surpasse à l’époque celui des colons français et anglais. De toute évidence, le syllabaire réussit bien à représenter les phonèmes du nêhiyawêwin.

Dessin à la plume et à l’encre montrant un homme en blouson et en pantalons, debout près d’un bouleau. L’homme donne des explications en tenant un petit livre à la main gauche et en pointant de la main droite plusieurs rangées de symboles gravés sur le tronc de l’arbre. Un groupe d’hommes lui fait face, assis par terre avec les jambes croisées. Certains sont vêtus de chapeaux, de couvertures à motifs, de manteaux en peau de daim ou de chemises avec un bandana autour du cou. Un autre homme, vêtu d’une veste et tenant son chapeau à la main, se tient debout de l’autre côté de l’arbre et regarde l’homme donnant des explications.

Le révérend James Evans présente le tableau du syllabaire cri et l’hymnaire en langue crie qu’il a mis au point avec la collaboration d’Autochtones. (MIKAN 2899009)

Il est bien établi que James Evans a créé les caractères d’imprimerie de l’écriture syllabique crie et qu’il a contribué à les faire connaître en imprimant un tableau du syllabaire cri et des hymnaires l’utilisant. James Evans, avec l’aide de son équipe de traducteurs, a publié en 1841 un livre intitulé Cree Syllabic Hymn Book (hymnaire en langue syllabique crie).

Malheureusement, ni James Evans ni les chercheurs contemporains n’ont reconnu à leur juste valeur la contribution des Autochtones qui ont collaboré avec le révérend Evans, une omission qui a été corrigée cent cinquante ans plus tard par Lorena Sekwan Fontaine :

« Une grande part du succès de cette édition indépendante revient à l’équipe de traducteurs de James Evans. Ces traducteurs étaient pour la plupart d’ascendance autochtone et étaient généralement bilingues ou même multilingues. Par exemple, Thomas Hassell (un Chippewa) parlait couramment le cri, le français et l’anglais; Henry Bird Steinhauer (un Ojibwa) avait fréquenté une école de missionnaires du Haut-Canada et connaissait le grec, l’hébreu et l’anglais, en plus du cri; John Sinclair, fils d’un agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson et d’une mère crie, parlait couramment le cri. » (1) [Traduction]

Image d’une page de livre dont la moitié supérieure contient une image rectangulaire verticale gris pâle contenant des caractères syllabiques de couleur noire. La moitié inférieure de la page contient un tableau comptant huit colonnes et douze rangées de mots, pour la plupart cris, imprimés à l’encre noire. Deux phrases en anglais sont imprimées au bas de la page.

Copie publiée en 1841 tirée de l’original du Cree Syllabic Hymn Book de James Evans, Norway House (dans l’actuel Manitoba), p. 23. (OCLC 1152061)

Page de livre sur laquelle sont reproduites 11 lignes de caractères syllabiques écrits à la main à l’encre noire. Deux traits horizontaux séparent les sept premières lignes des quatre dernières. Le tiers inférieur de la page contient dix lignes de texte en anglais, en caractères noirs. Deux traits horizontaux séparent les six premières lignes des quatre dernières.

Copie d’un hymne tiré de l’ouvrage original de James Evans intitulé Cree Syllabic Hymn Book, Norway House (dans l’actuel Manitoba), 1841. Publié par la Société bibliographique du Canada, Toronto, 1954. (OCLC 1152061)

Pour accéder à une version entièrement numérisée du Cree Syllabic Hymn Book publié par James Evans en 1841, visiter la collection Peel’s Prairie Provinces des bibliothèques de l’Université de l’Alberta.

Quatre lettres individuelles écrites au crayon sur des feuilles de papier. Elles contiennent des lignes d’écriture syllabique. La signature des auteurs figure sous ces lignes, en alphabet latin, de même qu’une phrase en anglais.

Ensemble de lettres écrites en cri, avec des passages en anglais, par le chef William Charles et les conseillers Isaac Bird et Benjamin Bird au sujet du Traité no 6, en février 1889. Avant de recevoir le premier versement prévu par le Traité, les dirigeants cris de Montreal Lake (dans l’actuelle Saskatchewan) ont écrit à la reine Victoria pour lui demander de faire preuve de compassion à l’égard de leur peuple et lui transmettre leurs demandes, à savoir de l’argent, de la nourriture, des vêtements, des outils, des ustensiles ménagers, du bétail, des semences et des médicaments. (MIKAN 2058802)

Pour en savoir davantage sur ces lettres et leur traduction en anglais, consulter la publication de Merle Massie « An 1889 Cree Syllabic Letter » (en anglais).

L’usage de l’écriture syllabique a continué de se répandre au fil du temps, p. ex. dans les organes gouvernementaux, sur des panneaux de circulation et dans la correspondance privée. Une machine à écrire utilisant le syllabaire cri a même été produite, comme le montre l’image figurant en tête de cet essai. Elle a été conçue par Olivetti, en collaboration avec des représentants de différentes organisations de l’Ouest du Canada et du Québec. Selon le recensement de 2016, le nêhiyawêwin figure parmi les langues autochtones comptant le plus de locuteurs au Canada.

En plus de se répandre largement chez les nêhiyawak et dans le nêhiyânâhk (pays des Cris), le syllabaire cri a aussi été adopté, avec quelques adaptations, par les locuteurs d’autres langues, comme l’anishinaabemowin, l’inuktitut et certaines langues dénées (voir l’essai Publications en inuktut dans le livrel De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada).

Photo d’un panneau rectangulaire blanc cloué à un mur en bois. Le nom d’une entreprise de construction est imprimé en noir sur le panneau, en anglais, en écriture syllabique et en français. On voit le logo de l’entreprise à la gauche du panneau. Le numéro 355 est écrit sous le panneau, à droite, en gros caractères noirs.

Panneau de la Compagnie de construction Cris (Québec) Ltée, lieu inconnu, vers 1978-1988. Crédit : George Mully. (e011218399)

Photo en plan rapproché d’un mur de briques gris pâle. Deux panneaux blancs rectangulaires sont fixés au mur. On voit quatre lignes d’écriture syllabique sur le panneau supérieur et cinq lignes d’écriture syllabique sur le panneau inférieur. Les deux panneaux sont écrits à l’encre noire. Une échelle est déposée à l’horizontale au pied du mur.

Panneau de la Direction générale de la foresterie, ministère de l’Intérieur, rédigé en cri. Lieu et date inconnus. (e010752312)

Il est pour le moins douteux que le révérend méthodiste James Evans ait créé le syllabaire. Selon plusieurs indices, il ne connaissait pas bien le nêhiyawêwin. Il est donc difficile de croire qu’il aurait créé un syllabaire qui soit aussi bien adapté à cette langue. L’histoire établie admet généralement la théorie selon laquelle James Evans est l’inventeur du syllabaire cri, mais je n’ai pas été en mesure de trouver d’indices concrets pour étayer cette idée. Le seul fait solide que j’ai pu confirmer est qu’il a créé les caractères physiques permettant d’imprimer en écriture syllabique. L’archidiacre Horsefield, qui a traduit l’hymnaire cri de 1841, commente ainsi les aptitudes en langue crie de James Evans :

« Le vocabulaire de l’auteur est relativement riche, mais sa syntaxe est déficiente : il associe des noms pluriels à des verbes singuliers et vice-versa, fait des erreurs dans l’ordre des mots et ne maîtrise pas certaines des conjugaisons les plus complexes des verbes cris, ce qui est quelque peu excusable étant donné leur exceptionnelle et formidable étrangeté. » (2) [Traduction]

Un chercheur du nom de Louis (Buff) Parry, qui a lu les journaux et lettres de James Evans, n’y a trouvé aucun indice sur le processus par lequel il aurait inventé « son » syllabaire, ni sur la période où il l’aurait fait (3). Par ailleurs, les églises chrétiennes avaient tout intérêt à s’approprier l’invention du syllabaire, qui leur permettait de répandre l’évangile en prétextant avoir fait un don précieux aux nêhiyawak.

Au fil du temps, l’Église et l’État se sont ligués pour créer le système de pensionnats indiens. Dès 1894, les enfants âgés de 6 à 16 ans étaient contraints de fréquenter ces pensionnats. Une partie de ces efforts de colonisation comprenait des règles restreignant l’utilisation des langues autochtones. Bon nombre des enfants issus de survivants des pensionnats indiens ont été privés de leur langue en raison des violences physiques et émotionnelles que leurs parents ont subies dans le système scolaire colonial.

Les nêhiyawak ont prouvé leur résilience en adoptant en un tournemain de nouvelles façons d’écrire, de lire et d’enseigner leur langue. Nous sommes un peuple habile et ingénieux, qui possédait déjà des méthodes d’enregistrer le savoir avant l’arrivée des Européens. Ces méthodes ne cadraient pas nécessairement avec les modèles eurocentriques, mais existaient néanmoins, et je ne doute pas qu’ils ont joué un bien plus grand rôle dans la création du syllabaire cri que ne le rapportent les livres d’histoire. J’ai bon espoir que nous puissions continuer à redynamiser notre langue et parvenir à réparer les préjudices causés par les pensionnats, les dossiers historiques inexacts et la colonisation.

Références

  1. Lorena Sekwan Fontaine, « Our Languages are Sacred: Finding Constitutional Space for Aboriginal Language Rights », thèse de doctorat, Université du Manitoba (Winnipeg), 2018, p. 62.
  2. James Evans, Cree Syllabic Hymn Book, Norway House, Territoires du Nord-Ouest : Rossville Mission Press, 1841, p. 9.
  3. Lesley Crossingham, « Cultural director says missionaries didn’t invent syllabics, Indians did », Windspeaker, vol. 5, no 42, 1987, p. 2.

Numéros numérisés de Windspeaker à Bibliothèque et Archives Canada

Ressources additionnelles sur l’écriture et les caractères syllabiques cris


Samara mîkiwin Harp était archiviste avec l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires à Bibliothèque et Archives Canada. Elle travaille maintenant à la revitalisation de la langue crie de Woods et poursuit des études en archivistique. Samara a grandi à Winnipeg, au Manitoba, et a des racines cries dans les régions de Southend et de Pelican Narrows du Traité 6, dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers membres de la famille de son père sont arrivés en Ontario dans les années 1800 en provenance d’Irlande et d’Angleterre.

Origines de l’écriture syllabique crie

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À gauche, Tatânga Mânî [chef Walking Buffalo] [George McLean] monte à cheval et porte son costume traditionnel des Premières Nations. Au centre, Iggi et une fille échangent un « kunik », un baiser traditionnel dans la culture inuit. À droite, le guide métis Maxime Marion tient un fusil. À l’arrière-plan, il y a une carte du Haut et du Bas-Canada, ainsi qu’un texte de la collection Red River Settlement [colonie de la rivière Rouge].

Ce blogue fait partie de notre programme De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada. Pour lire ce billet de blogue en syllabique crie et orthographe romaine normalisée, visitez le livrel.

De Nations à Nations : voix autochtones à Bibliothèque et Archives Canada est gratuit et peut être téléchargé sur Apple Books (format iBooks) ou sur le site Web de BAC (format EPUB). On peut aussi consulter une version en ligne au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un navigateur Web mobile; aucun module d’extension n’est requis.

Par Samara mîkiwin Harp

Œuvre de techniques mixtes. Au centre se trouve une photo noir et blanc rectangulaire montrant deux rangées d’enfants autochtones se tenant assis et debout devant un immeuble en briques. La photo est superposée sur un fond agencé en bandes verticales de part et d’autre, et en bandes horizontales qui traversent le haut et le bas. Les bandes sont principalement dans des teintes de violet, de rouge et de bleu. Dans la partie supérieure, chaque bande présente des tracés curvilignes multicolores et angulaires qui ressemblent à des crayons de couleur. Une bande noire avec de l’écriture syllabique en blanc figure en haut de la photo. Dans le coin inférieur droit, une petite forme rectangulaire blanche comporte une inscription en anglais de couleur noire.

If Only We Could Have Our Stories Told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées], par Jane Ash Poitras, 2004 (e010675581)

Cette œuvre de techniques mixtes de l’artiste crie Jane Ash Poitras illustre un groupe d’enfants dans un pensionnat autochtone en attente des enseignements des missionnaires. L’Église et la Couronne ont intentionnellement fait abstraction de nos enseignements et de nos récits en vue de notre assimilation. If only we could have our stories told [si seulement nos histoires pouvaient être racontées] témoigne de notre désir, en tant que peuple, de nous réapproprier la langue et la culture que l’on nous a enlevées.

« Dans tous les récits oraux sur les origines du syllabaire cri, on dit que les missionnaires ont appris l’écriture syllabique crie des Cris eux-mêmes. Dans le récit de [Wes] Fineday, un Cri du nom de Badger Call s’est fait dire par les esprits que les missionnaires changeraient la version des choses et diraient que l’écriture leur appartenait1. » [Traduction] [À noter que Badger Call est aussi connu sous les noms « Calling Badger » et « Badger Voice » dans la littérature sur le sujet.]

Selon des recherches préliminaires, il est généralement admis que c’est vers le début du 19e siècle que le révérend James Evans (1801-1846) crée le syllabaire cri. En 1828, alors qu’il enseigne dans le territoire des Anishinaabe (Ojibwa), l’immersion dans la culture ojibwa lui permet d’apprendre à parler couramment la langue. En août 1840, il est envoyé comme missionnaire dans la collectivité de langue crie de Norway House (qui se trouve aujourd’hui au Manitoba). L’anishinaabemowin (langue anishinaabe) et le nêhiyawêwin (langue crie) font partie de la famille des langues algonquiennes et sont semblables au niveau des sons.

Illustration noir et blanc d’un groupe de personnes assises au sol autour d’un homme agenouillé qui écrit des caractères syllabiques sur un morceau d’écorce posé à plat sur une grosse roche. Plusieurs personnes tiennent dans leurs mains un morceau d’écorce sur lequel figurent des caractères syllabiques. Au premier plan à droite, une femme debout observe le groupe. Elle transporte sur son dos un nourrisson installé dans un tikinagan. On voit trois tipis derrière le groupe et une forêt à l’arrière-plan.

James Evans, en compagnie d’un groupe de nêhiyawak (membres de la Nation crie), consigne des caractères syllabiques sur de l’écorce de bouleau, date inconnue. Illustration tirée de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899]; planche insérée entre les pages 190 et 191 (OCLC 3832900)

Pendant plusieurs années, James Evans travaille à l’élaboration d’un système d’écriture de l’ojibwa. De nos jours, on estime que c’est ce travail qui a jeté les bases de l’élaboration réussie d’un syllabaire cri (un ensemble de caractères écrits représentant les sons de la langue crie). En octobre 1840, Evans avait déjà produit un tableau du syllabaire cri; en novembre de la même année, il imprimait 300 exemplaires du court hymne Jesus, My All, to Heaven Is Gone, rédigé en écriture syllabique.

Page de livre de couleur crème comportant des caractères noirs. On y voit un tableau comprenant une large colonne centrale flanquée de part et d’autre de deux étroites colonnes latérales. La première ligne de la colonne centrale contient des sons de la langue; suivent ensuite neuf lignes de caractères syllabiques. La colonne de gauche contient neuf groupes de lettres en alphabet latin correspondant aux caractères syllabiques, alors que celle de droite contient neuf groupes de caractères syllabiques et romains. Deux en-têtes en anglais se trouvent en haut de la page au-dessus du tableau, et trois lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques suivent le tableau. Le numéro de page apparaît au centre du pied de page.

Réplique du syllabaire cri mis au point vers 1840, publié dans l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 187. (OCLC 3832900)

Page de livre de couleur crème comportant du texte en anglais et des caractères syllabiques noirs. On y voit cinq paragraphes numérotés comptant chacun quatre lignes de caractères syllabiques. Le titre de la page se trouve dans l’en-tête. Le premier paragraphe de caractères syllabiques est précédé de deux lignes de texte en anglais et en caractères syllabiques.

Le premier hymne écrit et imprimé en caractères syllabiques cris, vers 1840. Tiré de l’ouvrage d’Egerton R. Young, The Apostle of the North, Rev. James Evans, New York, Chicago : Fleming H. Revell Co. [1899], p. 193. (OCLC 3832900)

À l’époque, même si James Evans semble posséder une maîtrise exceptionnelle du nêhiyawêwin, il a besoin de l’aide d’un interprète, Thomas Hassall, pendant son séjour sur le territoire des Cris. Hassall, un Déné qui maîtrise le déné, le cri, le français et l’anglais, connaîtra une fin tragique lorsqu’Evans le tuera accidentellement lors d’une expédition de chasse au canard. Selon la rumeur, Evans ne s’est jamais complètement remis de la mort de son interprète. Plus tard, en 1845, le révérend est accusé d’inconduite sexuelle envers trois femmes autochtones et est rapatrié en Angleterre pour rendre compte de ses crimes. Son frère écrira plus tard qu’avant de quitter Norway House pour l’Angleterre, James Evans a brûlé presque tous ses manuscrits. À en croire ce témoignage, il est tout à fait possible que les preuves matérielles permettant d’identifier l’auteur de l’écriture syllabique crie aient été perdues à jamais.

Des recherches plus poussées laissent penser qu’Evans a conçu ses idées pour le syllabaire à partir d’autres sources qu’il n’a jamais citées. Selon le rapport annuel de la Société biblique britannique et étrangère publié en 1859, « l’idée lui serait venue d’un chef indien. » [Traduction]

Des preuves additionnelles laissent entendre que les nêhiyawak (membres de la Nation crie) ont influencé la création de l’écriture syllabique. Par exemple, la conception quadridirectionnelle que l’on trouve dans l’écriture syllabique fait allusion à l’influence des Cris, étant donné que le savoir cri est transmis par les enseignements des quatre directions. De plus, à l’époque, les missionnaires rapportent que des hiéroglyphes ont été peints sur des morceaux d’écorce de bouleau avant leur arrivée [traduction] : « Ce n’est qu’à partir du moment où les missionnaires ont été envoyés parmi les Indiens cris qu’un moyen de communiquer des idées, sauf oralement, a vu le jour; si l’on exclut ces hiéroglyphes grossiers peints sur de grands morceaux d’écorce de bouleau. » Par ailleurs, les nêhiyawak sont alors connus pour le mordillage de motifs sur l’écorce de bouleau. À l’aide de ses canines, l’artiste mordille de minces feuilles d’écorce de bouleau pour créer des motifs, qui forment des dessins parfaitement symétriques lorsque le morceau d’écorce est déplié. Cette ancienne forme d’art peut être réalisée en pliant l’écorce de différentes manières. Une technique caractéristique consiste à plier soigneusement un morceau carré d’écorce en angle droit, puis en angle complémentaire. Le travail terminé donne lieu à une œuvre que les mathématiciens qualifient de symétrie parfaite. Avant l’arrivée des Européens, les Autochtones pratiquent cet art en utilisant la réflexion spatiale et le raisonnement pour consigner les cérémonies, les récits et les événements. Plus tard, ils utilisent des motifs de broderies perlées. Dans le même ordre d’idées, on peut organiser l’écriture syllabique crie en symétrie parfaite. D’après la tradition orale des Cris, l’écriture syllabique, offerte en cadeau au peuple par le monde des esprits, figurait sur un morceau d’écorce de bouleau.

Pour ma part, je crois que l’écriture syllabique d’aujourd’hui est le résultat d’une collaboration entre de nombreux Autochtones et James Evans. Cependant, pour en savoir plus sur les origines de cette écriture, les apprenants doivent plonger dans l’univers de la tradition orale crie. Accessibles en ligne, mes recherches sur les récits oraux m’ont permis de découvrir l’histoire de mistanâkôwêw (Calling Badger), un homme spirituel de l’Ouest, dans la région appelée aujourd’hui Stanley Mission, en Saskatchewan. Dans ces narratifs, on apprend que mistanâkôwêw est entré en communication avec le monde des esprits et en est ressorti avec la connaissance de l’écriture syllabique crie. Un autre récit semblable concerne un homme nommé mâcîminâhtik (Hunting Rod) qui vivait dans l’Est. Heureusement, des enregistrements de Winona Wheeler et de Wes Fineday sont accessibles en ligne sur le site Web de la CBC, dans lesquels ils discutent des histoires sur l’origine crie de l’écriture syllabique.

Autres ressources


Samara mîkiwin Harp était archiviste avec l’initiative Nous sommes là : Voici nos histoires à Bibliothèque et Archives Canada. Elle travaille maintenant à la revitalisation de la langue crie de Woods et poursuit des études en archivistique. Samara a grandi à Winnipeg, au Manitoba, et a des racines cries dans les régions de Southend et de Pelican Narrows du Traité 6, dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers membres de la famille de son père sont arrivés en Ontario dans les années 1800 en provenance d’Irlande et d’Angleterre.