Encore de nos jours, le tikinagan est une partie intégrante des pratiques culturelles des peuples des Premières Nations. J’ai moi-même utilisé ce type de porte-bébé après en avoir reçu un en cadeau de ma belle-mère. Il n’était pas neuf : la peinture s’écaillait et le repose-pieds était brisé. Je l’ai apporté chez un restaurateur d’antiquités pour qu’il retouche la peinture et répare le repose-pieds. J’ai ensuite choisi un tissu fleuri pour confectionner un coussin et brodé de multiples couleurs sur une longue écharpe de denim. J’ai emmitouflé ma petite fille dans une mince couverture en flanelle, je l’ai installée dans le tikinagan et j’ai bien enroulé l’écharpe autour d’elle. Ravie de se promener dans le porte-bébé, elle s’endormait d’habitude en quelques minutes. J’utilisais le tikinagan pour l’emmener aux différents événements culturels de notre région. Mais malheureusement, il est devenu trop petit pour elle en un mois environ.
Aujourd’hui, ce tikinagan me sert de décoration; il me rappelle les premiers mois de la vie de ma fille, de précieux souvenirs. Ce n’est que plus tard, en lisant un livre sur les biens culturels des Premières Nations, que j’ai découvert sa signification culturelle et historique. Notre tikinagan ressemblait à l’un de ceux qui y étaient représentés, qui avait plus de cent ans. Les plus vieux tikinagans des Premières Nations sont exposés dans des musées ou font partie de collections privées, puisque les anthropologues et les antiquaires visitaient les communautés et abordaient directement les familles pour les acheter et les ajouter à leur collection.

Réserve Caughnawaga [Kahnawake], près de Montréal, vers 1910 [de gauche à droite : Kahentinetha Horn (née Delisle), Joseph Assenaienton Horn, Peter Ronaiakarakete Horn (père) portant Peter Horn (fils) couché dans un tikinagan, Theresa Deer (née Horn), Lilie Meloche (née Horn), anonyme, Andrew Horn, anonyme]. (e010859891)

Deux jeunes filles debout sur une galerie de bois tout près d’un petit garçon dans un tikinagan, Première Nation Temagami, probablement dans la région du lac Temagami (Ontario), date inconnue. (e011156793)
La base du tikinagan est constituée d’une planche de bois à laquelle on ajoute différentes composantes. À son extrémité supérieure se trouve la poignée ou l’auvent. Cette pièce, fabriquée d’un arceau de bois ou d’écorce voûtée, sert à protéger la tête de l’enfant. Une petite planche d’écorce ou une pièce de bois plat est fixée à l’extrémité inférieure et sert de repose-pieds. C’est aussi ce qui maintient l’enfant en place quand le tikinagan est à la verticale. On utilise divers matériaux pour fabriquer un tikinagan : bois, cuir, écorce, corde, fibres de plantes, fibres tissées, ou toute combinaison de ces matériaux. On peut le personnaliser en y ajoutant de la gravure, de la sculpture, de la peinture ou des décorations. Puisque les nouveau-nés grandissent vite, on utilise parfois une deuxième planche, plus grande, pour suivre les poussées de croissance. Certaines familles se partagent une même planche qu’elles prêtent aux nouvelles mamans qui en ont besoin. Dans certains cas, les femmes enceintes demandent expressément la fabrication d’un tikinagan, qui peut être un objet simplement utilitaire ou une véritable œuvre d’art.

Une femme atikamekw, un bébé dans un tikinagan et une petite fille, tous à bord d’un canot, Sanmaur (Québec), vers 1928. (a044224)
Grâce au tikinagan, une mère peut reprendre ses activités quotidiennes plus facilement après l’accouchement, tout en gardant son nouveau-né à proximité. Il s’agit d’une méthode sécuritaire et rassurante pour transporter l’enfant, qui y est emmailloté, c’est-à-dire emmitouflé dans une couverture mince qui retient juste assez fermement ses bras. On considère que cette position est bénéfique pour la posture du bébé, dont la colonne vertébrale est maintenue droite par la planche. Quand le porte-bébé est à l’horizontale, une barre sous la planche élève la tête de l’enfant légèrement plus haut que ses pieds, ce qui, grâce à la gravité, favorise la circulation sanguine. Bien sûr, les bébés ne sont pas toujours dans un tikinagan; c’est la situation qui justifie son utilisation.

Une famille de Premières Nations au portage d’Ishkaugua [île Newton, Ontario], 1905. (a059502)
On fabrique aussi de petits tikinagans pour les enfants. Ainsi, les jeunes filles peuvent se préparer à prendre soin d’un bébé et développer leur instinct maternel tout en jouant. Habituellement, c’est un bout de tissu, une poupée de feuilles de maïs ou un bouquet de sauge ou d’une autre plante séchée qui sert de bébé.

Des femmes et des enfants cris, Little Grand Rapids (Manitoba), 1925. (a019995)
Zone de l’est
Les tikinagans des nations haudenosaunee (Six Nations/Iroquois) et algonquine ont comme base une planche de bois. À l’arrière des tikinagans des Haudenosaunee, on trouve généralement des gravures peu profondes représentant des animaux, des fleurs et des feuilles peintes dans des couleurs de base comme le rouge, le noir, le vert, le jaune et le bleu. Le haut de la planche, la poignée, le repose-pieds et la barre de bois peuvent aussi comporter d’autres gravures. En de rares occasions, on a également déjà vu de l’argent et d’autres métaux incrustés dans la barre.

Kenneth Atsenienton (« la flamme brûle toujours ») Deer et son petit-fils Shakowennenhawi (« il porte le message ») Deer à la Commission royale sur les peuples autochtones, Kahnawake (Québec), mai 1993. (e011207022)
Dans certains cas, des éléments de la structure sont fixés au moyen de chevilles de bois. Les poignées sont renforcées de lanières de cuir, d’intestin ou de corde; la courbe des poignées est réalisée à partir de bois dur passé à la vapeur, puis plié. Chez les Haudenosaunee, les poignées de bois sont droites; chez les Algonquins, elles sont courbées. Dans tous les cas, on peut poser une couverture sur la poignée pour protéger l’enfant des éléments ou lui offrir un endroit calme. On peut aussi y accrocher des objets à regarder comme des guirlandes de perles, des breloques ou encore des hochets. Le repose-pieds de certains porte-bébés algonquins consiste en une seule pièce de bois courbée, remontant de chaque côté de la planche.
Le tikinagan peut être porté sur le dos au moyen d’une ceinture ou de courroies attachées à la planche, puis enroulées autour de la poitrine ou du front pour libérer les mains.

Aquarelle montrant une femme qui porte un bébé dans un tikinagan, vers 1825-1826. (e008299398)
Zone de l’ouest
Les membres des Premières Nations de la région des plaines recouvrent le cuir ou le tissu du tikinagan de leurs parures perlées traditionnelles; les nourrissons sont installés dans une sorte d’enveloppe fixée à la planche.
Sur la côte nord-ouest, on utilise plusieurs types de tikinagans ainsi que des berceaux sculptés dans le bois. Les porte-bébés y sont faits de fibres végétales tissées, de planches de cèdre et de bûches de bois évidées.
De nos jours, les graveurs et les sculpteurs des Premières Nations perpétuent la tradition des tikinagans. Pour célébrer la naissance de nouvelles générations, ils allient les savoirs d’autrefois à des conceptions plus modernes, comprenant des éléments personnalisés et des représentations stylistiques de la culture d’aujourd’hui.
Visitez l’album Flickr sur les tikinagans pour plus d’images.
Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.
Elizabeth Kawenaa Montour est archiviste de projet à la Division du contenu en ligne de la Direction générale des services au public, à Bibliothèque et Archives Canada.