Par Catherine Butler
La Pologne à la veille de la guerre
À l’aube de la Première Guerre mondiale, la Pologne, en tant que pays indépendant, est absente de la carte de l’Europe depuis près de 120 ans. La Russie, l’Empire austro-hongrois et la Prusse (plus tard intégrée à l’Allemagne unifiée) se sont en effet partagé son territoire à la fin du XVIIIe siècle. Les terres de la Pologne sont morcelées et absorbées par ces trois puissants empires, dans lesquels son peuple se trouve éparpillé.
Lors du siècle qui suit cette partition, laquelle transforme en profondeur la réalité sociopolitique, des millions de Polonais immigrent en Amérique du Nord. Au début de la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de ressortissants polonais vivent au Canada, et près de quatre millions sont aux États-Unis. Parmi cette vaste diaspora, d’innombrables Américains et Canadiens d’origine polonaise brûlent d’envie de combattre au sein des forces alliées afin de libérer leur patrie.
Après une série de rencontres entre les représentants du gouvernement de sir Robert Borden et des délégations polonaises provenant des États-Unis, le Canada, avec l’accord du Royaume-Uni, accepte de former des Polonais vivant en Amérique du Nord pour en faire des officiers. Recrutés au Canada et aux États-Unis, ces officiers seront envoyés en France pour se joindre à l’armée polonaise, qui finance leur entraînement. Celui-ci débute tôt en 1917, mais le camp officiellement assigné à l’Armée polonaise à Niagara-on-the-Lake (Ontario) n’ouvre qu’en septembre de la même année. C’est le colonel Arthur D’Orr LePan qui est nommé commandant de ce qui finira par être appelé le camp Kosciuszko.

Recrues au camp militaire polonais à Niagara, en Ontario, le 8 novembre 1917 (a071288)
Les journaux du colonel LePan
Le colonel A. D. LePan est né à Owen Sound, en Ontario, en 1885 et a étudié à l’Université de Toronto. Il sert dans l’Armée canadienne de 1915 à 1919, notamment comme commandant du camp jusqu’à sa fermeture en mars 1919. Sa participation à la formation des officiers polonais commence en janvier 1917, avec l’arrivée de 23 volontaires américains à l’École d’infanterie de Toronto. En tant que commandant du camp Kosciuszko, le colonel LePan supervise la formation de plus de 20 000 recrues des États-Unis et du Canada avant qu’elles ne soient déployées en France entre septembre 1917 et mars 1919.
Le quotidien du colonel LePan au camp Kosciuszko est décrit en grande partie dans les journaux personnels qu’il a tenus pendant son mandat. Ces journaux ont été donnés à Bibliothèque et Archives Canada par son fils, Douglas V. LePan, en 1977. Les écrits du colonel LePan offrent une perspective intéressante sur ce pan fascinant de l’histoire canadienne.
En plus des listes du personnel du camp, on trouve dans ses journaux des renseignements sur l’entraînement et les mouvements des troupes, des répertoires de soldats décédés en France, y compris le lieu et la cause de leur mort, ainsi qu’un plan des lots de soldats polonais au cimetière de l’église St. Vincent de Paul à Niagara-on-the-Lake. Le colonel a également conservé une copie du télégramme autorisant l’établissement du camp polonais.
On y trouve aussi les notes d’une allocution prononcée en mars 1919 par le colonel LePan lors d’un banquet à Buffalo, dans l’État de New York, sur la fermeture du camp. Il y démontre à quel point la coopération entre la France, le Canada, les États-Unis et la Commission militaire polonaise a été essentielle non seulement au succès du camp, mais surtout à la renaissance d’un État polonais indépendant.
« On imagine facilement les riches associations internationales qu’il pouvait y avoir au camp […] Il n’était pas rare que dans un rassemblement d’officiers, on trouve des Polonais, des Français, des Américains et des Canadiens. Dans tous les cas, ces officiers avaient tiré de leur environnement et de leur éducation des idées et des idéaux différents. Ils n’en collaboraient pas moins, mus par ce désir suprême de faire de ce nouveau camp un facteur aussi influent que possible, à la fois pour rétablir l’État polonais et pour libérer le monde d’une oppression dont les Polonais avaient entendu parler comme nous, mais qu’ils avaient aussi éprouvée dans leur âme et dans leur chair. » [traduction]
Catherine Butler est une archiviste de référence aux Services au public de Bibliothèque et Archives Canada.