Par Ariane Gauthier
Les plaines LeBreton constituent l’un des plus anciens quartiers d’Ottawa. À l’origine, elles accueillent de nombreuses scieries. Grâce au fort courant de la chute des Chaudières, les premiers colons acheminent d’énormes quantités de bois depuis une région densément boisée. Cette industrie attire une horde de travailleurs qui choisissent d’établir leur famille à proximité de leur lieu de travail. Tout cela contribue à façonner l’aménagement des plaines LeBreton.

Plan d’assurance-incendie de la ville d’Ottawa, Ontario, juin 1878 – feuille 3. (e010695480)
Malgré l’ambiance animée de ce quartier industriel et l’agitation des gares ferroviaires de marchandises, les plaines LeBreton sont un quartier pauvre, peuplé essentiellement de francophones, d’Irlandais et, plus tard, d’Italiens. Pourtant, les plaines perdurent. Même après le grand feu d’Ottawa-Hull, un gigantesque incendie qui éclate à Hull, du côté québécois, le 26 avril 1900 et traverse la rivière des Outaouais pour réduire en cendres certains secteurs d’Ottawa, dont les plaines LeBreton. Rapidement, le quartier est reconstruit et la vie reprend son cours.

Grand feu d’Ottawa-Hull. (a009286)
La situation change toutefois le 18 avril 1962, lorsque la Commission de la capitale nationale envoie aux résidents des plaines une lettre les informant de leur abrupte expropriation. Les habitants et les commerçants ont jusqu’au 1er mai 1964 – date plus tard repoussée au 31 décembre 1964 – pour quitter leur maison ou entreprise en prévision de la démolition totale du secteur. Sur les restes de l’ancien quartier, on projette d’ériger un bâtiment massif pour loger le quartier général du ministère de la Défense nationale.
Or, cet ambitieux projet est bientôt abandonné. En 1965, après la démolition du dernier bâtiment, les habitants d’Ottawa attendent de voir ce qu’il adviendra des plaines LeBreton désertées. Personne n’aurait deviné alors que tout projet de reconstruction serait mis en veilleuse pendant une quarantaine d’années.
En cherchant à comprendre cet épisode de l’histoire d’Ottawa, je me suis souvent interrogée sur tous ceux qui ont dû quitter leur demeure : les familles héritières de maisons familiales qu’elles avaient connues toute leur vie, les nouveaux immigrants installés depuis peu dans la ville, les propriétaires d’entreprises qui avaient été la force vitale des plaines LeBreton. Quelle tristesse de penser à leurs rêves, à leurs ambitions et à leurs souvenirs perdus!
En fouillant dans notre vaste collection d’archives dans le but de mettre la main sur des récits personnels de l’expropriation, je suis tombée sur la sous-série suivante du fonds de la Commission de la capitale nationale (RG34/R1181) :
Dossiers du système de classification central
Référence : R1181-18-X-F, RG34-C-1-b
http://central.bac-lac.gc.ca/.redirect?app=fonandcol&id=161945&lang=fra
Les dossiers du système de classification central portent principalement sur la gestion des propriétés de la Commission de la capitale nationale, par le biais de négociations et de transactions visant à acquérir des propriétés et à procéder à leur expropriation. Ils comportent entre autres de nombreux dossiers sur les résidences et les entreprises expropriées des plaines LeBreton en 1962. Ce qu’il y a de singulier, c’est que beaucoup de ces dossiers contiennent des photos de maisons, d’ensembles d’habitations collectives, de magasins, etc. C’est ce qui m’a motivée à écrire ce billet de blogue, en particulier les photos de bâtiments et de rues qui n’existent plus.

Un homme marche devant un logement. La photographie est datée de juin 1962. (Photo prise par Ariane Gauthier – tirée de R1181-18-X-F, volume 77.)

Un dépanneur en libre-service. (Photo prise par Ariane Gauthier – tirée de R1181-18-X-F, volume 77.)

Trois photos du même logement : vue de face, de l’arrière et du côté de la propriété. (Photo prise par Ariane Gauthier – tirée de R1181-18-X-F, volume 77.)

Vues avant et arrière du bâtiment de l’entreprise Ottawa Feather & Mattress. (Photo prise par Ariane Gauthier – tirée de R1181-18-X-F, volume 77.)
Il ne s’agit là que d’un échantillon de ce que l’on peut trouver en parcourant ces dossiers. L’examen attentif des documents textuels qui accompagnent ces photos permet d’en apprendre beaucoup plus, mais je laisse ce travail aux historiens de la ville.
Après le nivellement du quartier en 1965, remplacé par des étendues de pelouse et d’arbustes, le secteur des plaines LeBreton demeure à l’abandon pendant près de quarante ans, jusqu’à l’ouverture du Musée canadien de la guerre en 2005. Cinq ans plus tard, on y construit des immeubles à condos et on y aménage des parcs. En 2019 a lieu l’inauguration de la Ligne de la Confédération de l’O-Train de la Ville d’Ottawa comprenant la station Pimisi, qui dessert le quartier des plaines LeBreton. Divers projets redonnent vie au quartier, y compris de nouveaux immeubles résidentiels, un éventuel aréna et, bien sûr, Ādisōke. Cela nous montre que l’expropriation de 1962 n’a pas donné le coup de grâce aux plaines LeBreton. Tout comme après le grand feu d’Ottawa-Hull, les plaines renaissent de leurs cendres et reprennent leur histoire là où elle s’était arrêtée.
Ressources supplémentaires
- William Topley : Pleins feux sur Ottawa, balado de Bibliothèque et Archives Canada
- La Haute-Ville d’Ottawa : redécouverte d’un quartier oublié, par Andrew Elliott, blogue de Bibliothèque et Archives Canada
- Site Web d’Ādisōke, installation partagée de la Bibliothèque publique d’Ottawa et de Bibliothèque et Archives Canada
Ariane Gauthier est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.