Avant la création des systèmes d’écriture syllabiques, les peuples autochtones transmettaient leurs connaissances culturelles de diverses manières : oralement, par des ceintures wampum, des mâts totémiques, des gravures sur pierre, des peintures ou des hiéroglyphes (des symboles dessinés sur des morceaux d’écorces de bouleau ou des peaux d’animaux et représentant des mots ou des concepts). L’écriture syllabique est la première forme d’écriture autochtone grâce à laquelle tout ce qui était exprimé verbalement dans une langue autochtone pouvait l’être aussi par écrit.
Le révérend James Evans, un missionnaire méthodiste, a souvent été crédité de l’invention de la première forme d’écriture syllabique autochtone, vers 1839-1840, lors de son séjour à Norway House, dans ce qui est maintenant le Manitoba. Avant l’introduction d’un système d’écriture syllabique, les missionnaires et les linguistes traduisaient les textes religieux en diverses langues autochtones, en utilisant l’alphabet romain. Le révérend Evans souhaitait que ses paroissiens cris puissent apprendre à lire et à écrire, mais il trouvait que l’alphabet romain présentait des lacunes à cet égard. En conséquence, il entreprit de concevoir un système d’écriture qui serait plus représentatif des sons et des mots de la langue crie.

Portrait de James Evans, créateur de l’écriture syllabique crie, tiré du livre de 1890 « James Evans: Inventor of the Syllabic System of the Cree Language » (AMICUS 6941574)
Pour concevoir son écriture syllabique, Evans s’est inspiré des caractères sténographiques d’Isaac Pitman (un système phonétique utilisant des symboles pour représenter des sons) et du braille (une écriture tactile pour les malvoyants constituée de points en relief). Evans utilise neuf formes géométriques pour représenter les consonnes, les orientations de celles-ci suggérant les voyelles qui suivent. L’écriture syllabique créée par Evans constitue non seulement la première forme d’écriture autochtone, mais aussi le premier système canadien d’écriture et le premier caractère typographique inventé au Canada. Pour ses fontes de caractères, il a recyclé du métal garnissant l’intérieur des caisses de thé de la Compagnie de la Baie d’Hudson; il a aussi modifié des presses à fourrures, servant à aplatir les ballots de fourrures, afin de les transformer en presses à imprimer. Evans et ses paroissiens ont utilisé l’écriture syllabique pour imprimer des textes religieux sur des écorces de bouleau, sur des peaux de chevreuil et sur du papier.

Images du livre de 1890 « James Evans: Inventor of the Syllabic System of the Cree Language » (AMICUS 6941574). On y voit les formes géométriques syllabiques représentant des consonnes et leurs différentes orientations représentant les voyelles.
Conçue à l’origine pour diffuser des documents religieux, l’écriture syllabique a ensuite été largement utilisée par les Cris pour leurs propres besoins. Cette écriture est devenue partie intégrante de l’identité crie, même si elle a été créée par un missionnaire non autochtone; elle est encore en usage au Canada.
L’écriture syllabique de James Evans a été adaptée pour d’autres langues autochtones, notamment pour l’inuktitut. D’abord répandue par le missionnaire Edmund Peck, l’écriture syllabique est encore utilisée aujourd’hui par des milliers de personnes parlant l’inuktitut.
Lors de la création du Nunavut en 1999, le gouvernement territorial a mandaté William Ross Mills de la société Tiro Typeworks, pour concevoir des polices de caractères syllabiques numériques. Le produit final comprend notamment les polices Pigiarniq et Euphemia. La police Euphemia comprend tous les systèmes d’écriture syllabiques pour la plupart des langues autochtones parlées au Canada. Ceci explique pourquoi Microsoft et Apple ont obtenu les licences appropriées; ces polices sont aujourd’hui accessibles de manière standard sur tous les ordinateurs. Ceci permet donc aux locuteurs de l’inuktitut d’utiliser à peu près n’importe quel ordinateur partout dans le monde et de communiquer par écrit dans leur propre langue.

Le premier livre en inuktitut imprimé en caractères syllabiques, « Selections from the Gospels in the Dialect of the Inuit of Little Whale River », imprimé par John Horden entre 1855 et 1856, à Moose Factory, Ontario (AMICUS 13853827).
Pour plus d’informations concernant les systèmes d’écriture syllabiques autochtones canadiens, veuillez consulter les ouvrages suivants. La plupart sont disponibles en librairie ou en ligne.
- Banks, Joyce M. (2004), « And not hearers only: Books in Native Languages », History of the Book in Canada, volume 1, éd. Patricia Lockhart Fleming et coll., Toronto : University of Toronto Press. (AMICUS 29599541)
- Bringhurst, Robert (2008), « The Invisible Book », The Surface of Meaning: Books and Book Design in Canada, Vancouver, Canadian Centre for Studies in Publishing Press (AMICUS 33832941).
- « Écriture syllabique crie », Encyclopédie Canadienne (2015).
- Edwards, Brendan Frederick (2005), « To put the talk upon paper: Aboriginal Communities », History of the Book in Canada, volume 2, éd. Patricia Lockhart Fleming et coll., Toronto : University of Toronto Press. (AMICUS 29599541)
- McLean, John (1890), James Evans: Inventor of the Syllabic System of the Cree Language, Toronto : Methodist Mission Rooms. (AMICUS 6941574)
- Pirurvik Centre for Inuit Language, Culture, and Wellbeing (en anglais et Inuktitut seulement).