Par Ariane Brun del Re et Stéphane Lang
Saviez-vous que la célèbre romancière Gabrielle Roy, connue pour Bonheur d’occasion (1945), La petite poule d’eau (1950) et Rue Deschambault (1955), a aussi publié des livres pour enfants?

L’écrivaine Gabrielle Roy en 1946 (e010957756).
En 1976, Gabrielle Roy fait paraître Ma vache Bossie, un album illustré par Louise Pomminville. Celui-ci raconte l’histoire d’une fillette qui reçoit un drôle de cadeau pour son anniversaire : son père lui offre une vache surnommée Bossie afin qu’elle puisse se nourrir d’un lait plus gras que celui du laitier. Mais le cadeau, très dispendieux et encombrant, ne plaît pas à sa mère. En plus de déranger les voisins, Bossie produit tellement de lait que la famille ne sait plus quoi en faire!
Dans la biographie intitulée Gabrielle Roy, une vie (1996), François Ricard explique que Gabrielle Roy a écrit Ma vache Bossie vers 1954, à la même époque que Rue Deschambault. Le texte paraît une première fois sous le titre « Ma vache » dans la revue Terre et Foyer à l’été 1963. Gabrielle Roy le retravaille ensuite vers 1974 pour l’inclure dans Fragiles Lumières de la terre, un ouvrage qui regroupe des textes déjà publiés ailleurs, mais devenus difficiles d’accès. En fin de compte, Ma vache Bossie est retranchée du manuscrit; l’histoire paraît plutôt sous forme d’album illustré aux Éditions Leméac. Elle est aussi reprise dans Contes pour enfants (1998), qui rassemble quatre histoires d’animaux écrites par Gabrielle Roy. Entretemps, l’album est traduit en anglais par Alan Brown et paraît sous le titre My Cow Bossie (1988), avec les mêmes illustrations que dans l’édition française.

Couverture de l’album Ma vache Bossie (1976) de Gabrielle Roy, illustré par Louise Pomminville (OCLC 299347564).
Pendant longtemps, nous avons cru que la première version de Ma vache Bossie, écrite dans les années 1950, avait été perdue. Jusqu’au jour où nous avons reçu un courriel d’Annik Charbonneau, professeure de mathématiques à la retraite, qui avait 9 ans lorsque Gabrielle Roy a écrit Ma vache Bossie. À cette époque, elle passait ses étés dans la région de Charlevoix, où Gabrielle Roy séjournait également. La grande écrivaine et la jeune fille se sont côtoyées à l’hôtel Belle Plage, où dînaient parfois Gabrielle Roy et son mari. Les propriétaires étaient des amis de Fernand Charbonneau et de Francine Grignon-Charbonneau, les parents d’Annik.
C’est à la suite de ces rencontres que Gabrielle Roy offre le tapuscrit de Ma vache Bossie à la jeune Annik. Dans la lettre écrite à la main qui l’accompagne, datée du 10 décembre 1954, l’écrivaine explique qu’elle lui remet cette histoire « tel que promis », « à la place des contes [qu’elle aurait] aimé [lui] raconter l’été dernier ». La lettre se conclut par une précieuse recommandation : « Reste surtout affectueuse, d’un cœur prêt à aimer si tu me permets un conseil; c’est là le plus beau chemin pour apprendre à vivre bien et richement. » Soixante-huit ans plus tard, Annik Charbonneau nous contactait pour que ces documents soient préservés à Bibliothèque et Archives Canada, où se trouve le fonds Gabrielle Roy.

Lettre manuscrite de Gabrielle Roy adressée à Annie (en réalité Annik) Charbonneau. Elle accompagnait le tapuscrit de Ma vache Bossie (e011414002).
Après avoir reçu les documents d’Annik Charbonneau, nous les avons comparés aux deux tapuscrits de Ma vache Bossie qui se trouvent dans le fonds Gabrielle Roy, acquis par Bibliothèque et Archives Canada en 1982. L’archiviste responsable du fonds à l’époque avait établi que les deux documents avaient vraisemblablement été écrits vers 1970. Nous avons cependant découvert que le premier des deux tapuscrits était identique à celui d’Annik Charbonneau : il s’agissait d’une copie carbone de celui qu’elle nous offrait (ou vice-versa)!

Deux tapuscrits de Ma vache Bossie. Celui de gauche a été offert à Annik Charbonneau tandis que l’écrivaine a conservé celui de droite. Le premier fait partie de la collection d’Annik Charbonneau sur Gabrielle Roy, et le second, du fonds Gabrielle Roy (e011414003 and e011414004).
Grâce à la lettre de Gabrielle Roy qui l’accompagnait, nous pouvions enfin dater correctement le tapuscrit en notre possession. Le don d’Annik Charbonneau nous a aussi permis d’apprendre que Gabrielle Roy dactylographiait parfois deux exemplaires d’un même texte en insérant une feuille de carbone entre deux feuilles de papier. Ce qui distingue les deux tapuscrits, ce sont les annotations écrites à la main par Gabrielle Roy, plus nombreuses dans la copie qu’elle a conservée que dans celle offerte à Annik Charbonneau, où elle se contente de corriger des coquilles ou d’ajouter un mot manquant. La dernière page du tapuscrit d’Annik Charbonneau porte la signature de Gabrielle Roy, ce qui montre son souci de l’authentifier avant de s’en départir. Ainsi, les nouvelles acquisitions nous offrent parfois des éléments contextuels pour mieux comprendre les documents qui se trouvent déjà dans notre collection!
Aujourd’hui, les deux tapuscrits sont enfin réunis à Bibliothèque et Archives Canada, mais pas dans le même fonds. Celui que nous avons acquis récemment fait partie de la collection d’Annik Charbonneau sur Gabrielle Roy. En plus du tapuscrit et de la lettre, cette collection comprend deux livres de Gabrielle Roy dédicacés à Francine G. Charbonneau, ainsi qu’une note manuscrite et des coupures de presse provenant de journaux et de revues comme Châtelaine et Madame, qui étaient autrefois rassemblées dans un album réalisé par Annik Charbonneau et sa mère. L’ensemble témoigne de l’impression que Gabrielle Roy a laissée sur les gens qu’elle côtoyait dans Charlevoix, comme la petite Annik à qui elle souhaitait raconter des histoires.
Autres ressources
- Gabrielle Roy, une vie : biographie, François Ricard (OCLC 35940894)
- Fonds Gabrielle Roy, Bibliothèque et Archives Canada (MIKAN 3672665)
Ariane Brun del Re et Stéphane Lang sont tous les deux archivistes de littérature de langue française au sein de la Division des archives culturelles à Bibliothèque et Archives Canada.