Diversité et liberté d’expression : Qui manque à l’appel?

Par Liane Belway

Du 18 au 24 février, les lecteurs et les écrivains du Canada célébreront la Semaine de la liberté d’expression. Cet événement annuel est l’occasion de sensibiliser la population à l’accessibilité des livres pour tous les Canadiens et à la manière dont les ouvrages publiés peuvent être contestés, tout en soutenant le droit fondamental des Canadiens à la liberté d’expression. L’une des façons de prendre du recul par rapport au droit à la lecture est de se poser la question suivante : Qui manque à l’appel?

Les lecteurs ont la possibilité de lire des ouvrages qui sont le reflet de la diversité des auteurs, des lecteurs et des communautés du Canada, leur ouvrant du même coup la possibilité d’en découvrir plus encore. Aujourd’hui plus que jamais, nous célébrons et favorisons cette découverte. Saviez-vous, par exemple, que le Canada a son propre festival de la diversité littéraire (le Festival of Literary Diversity) qui célèbre les auteurs canadiens et internationaux? Ce festival propose même un défi mensuel qui incite les lecteurs à découvrir des auteurs et des livres de divers horizons. Attention : le défi de février consiste à lire un livre qui a été contesté dans les écoles canadiennes!

Les médias sociaux sont un autre endroit intéressant où constater la diversité des livres et de la lecture au Canada. Sur certaines plateformes, une recherche rapide à l’aide de mots-clés et de mots-clics qui se rapportent aux discussions sur tout ce qui touche aux livres permet d’obtenir une multitude de recommandations de lecture. Certaines vidéos et publications mettent en valeur des livres originaux et passionnants et soulèvent des discussions à leur égard, les faisant parfois connaître à un public plus large qui n’aurait peut-être pas eu l’occasion d’en entendre parler autrement. D’autres publications sur les médias sociaux présentent des discussions critiques et souvent animées sur les raisons pour lesquelles les gens aiment, ou n’aiment pas, certains livres. Tout cela dans le but de faire entendre les idées et les voix diverses et, bien sûr, d’encourager les gens à lire! La lecture d’ouvrages diversifiés est l’un des meilleurs moyens de se défendre contre la censure de certains livres, contre la désinformation, contre les malentendus. De façon plus générale, cela permet de profiter de nombreux livres intéressants, émouvants et souvent primés.

Des fauteuils disposés autour d’une table au centre d’une pièce bordée d’étagères garnies de livres.

Veiller à ce qu’il y ait suffisamment de places pour discuter de la diversité dans les livres canadiens (a064449).

Depuis toujours, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) joue un rôle particulier dans la protection de la liberté d’expression et dans la préservation des voix canadiennes. Cette diversité demande du travail, et BAC s’efforce de faire une place à toutes les voix et de les protéger, en veillant à conserver les réalités passées au profit du présent et de l’avenir. Un exemple de ce travail consiste à trouver ce qui aurait pu nous échapper ou ce qui n’est peut-être pas pleinement représenté historiquement, et à y remédier en améliorant au passage la collection et l’expérience des lecteurs et des chercheurs. En tant que bibliothèque nationale du Canada, BAC est appelé à jouer un rôle différent et élargi cette année puisqu’il devient un partenaire de la campagne de la Semaine de la liberté d’expression.

Depuis quarante ans, le Book and Periodical Council (BPC) se fait le porte-parole de la Semaine de la liberté d’expression. BAC, de concert avec le Conseil des bibliothèques urbaines du Canada et l’Ontario Library Association, se joint maintenant fièrement au BPC dans son important travail de soutien à la liberté de lire au Canada. De plus, BAC vise à faciliter la participation des communautés qui œuvrent à l’acquisition, la préservation et la diffusion du savoir au Canada.

BAC travaille également sans relâche à la préservation du patrimoine documentaire diversifié de tous les Canadiens. Nous recueillons et rendons accessibles les ouvrages publiés qui reflètent cette richesse et cette variété. Le mandat de BAC comprend la tâche monumentale d’acquérir des exemplaires des diverses publications canadiennes. Bien entendu, il y a une ou deux règles à respecter! La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada oblige BAC à recueillir les œuvres publiées au Canada. En vertu de cette loi, un éditeur qui met une publication à la disposition du public au Canada doit soumettre des exemplaires à BAC afin de rendre sa publication accessible à tous. Ce processus comprend des étapes comme la transmission à BAC de seconds exemplaires imprimés, au besoin, et de publications numériques dans des formats non exclusifs afin de veiller à leur préservation à long terme pour les générations futures. BAC tâche également de rassembler et de préserver les publications dans des formats qui sont accessibles à tous les lecteurs.

Saviez-vous que BAC recueille et conserve les livres qui ont été contestés au Canada? Il vous suffit de consulter la liste des Livres et auteurs contestés de notre collection pour le constater. Encore une fois, attention : certains des titres que vous y trouverez risquent de vous surprendre!

Il est plus important que jamais de lire des ouvrages diversifiés, à une époque où la contestation de publications peut venir entraver la liberté des lecteurs. Au Canada, fait souvent méconnu, on a tenté maintes fois au cours de l’histoire de contester des livres et de faire taire des voix. Partout au pays, des publications peuvent être contestées pour différentes raisons et par différents publics, y compris par les bibliothèques scolaires et les bibliothèques publiques, dont les mandats et les politiques diffèrent. La liberté d’expression demeure souvent difficile à protéger, en dépit d’être inscrite dans la Charte des droits et libertés. Les bibliothèques et les lecteurs se partagent la responsabilité de protéger et de soutenir la liberté d’expression et doivent toujours viser le même objectif : quand il est question d’auteurs que les Canadiens lisent, personne ne doit manquer à l’appel.

La Semaine de la liberté d’expression se déroulera du 18 au 24 février 2024. Pour en savoir plus au sujet de la campagne de cette année, consultez le site Web de la Semaine de la liberté d’expression.


Liane Belway est bibliothécaire chargée des acquisitions au sein de l’équipe de sensibilisation de l’industrie à la Direction des archives privées et du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Les premières presses du Canada

Par Meaghan Scanlon

En visitant l’exposition Première : Nouveautés à Bibliothèque et Archives Canada, vous aurez l’occasion de voir deux artefacts de la collection de livres rares de Bibliothèques et Archives Canada. Le premier est un court ouvrage médical publié à Québec en 1785 au sujet des symptômes et du traitement d’une maladie qui semble être une forme de syphilis. Le second est une proclamation sur les droits de pêche des Français émise par le gouverneur de Terre-Neuve en 1822.

Photo couleur d’un livre ouvert à la page titre, où on peut lire « Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul. A Quebec : Chez Guillaume Brown, au milieu de la grande côte. M, DCC, LXXXV. »

Page titre du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul, imprimé par Guillaume (William) Brown, Québec (Québec), 1785. (AMICUS 10851364)

De prime abord, ces publications ont peu en commun. Or, un lien historique intéressant les unit : toutes deux ont été produites par les pionniers de l’imprimerie dans leurs provinces respectives. Guillaume Brown, éditeur du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul, ainsi que son partenaire Thomas Gilmore deviennent en effet les premiers imprimeurs du Québec lorsqu’ils s’installent dans la ville du même nom, en 1764. John Ryan, à qui l’on doit l’affiche de Terre-Neuve, mérite quant à lui l’honneur d’être le premier imprimeur de deux provinces : il pratique déjà le métier à Saint John avec son partenaire William Lewis lorsqu’est fondé le Nouveau-Brunswick, en 1784. En 1806, il déménage à St. John’s (Terre-Neuve) et y ouvre la première imprimerie de l’île.

Document en noir et blanc proclamant le droit, pour les pêcheurs français, de pêcher au large de Terre-Neuve sans être gênés ou harcelés par les sujets britanniques (droit qui leur fut accordé en vertu du traité de Paris, qui entérinait lui-même celui d’Utrecht). La proclamation enjoint les officiers et les magistrats à faire respecter ce droit, et signale que des mesures pourraient être prises contre les pêcheurs britanniques qui ne s’y conforment pas.

By His Excellency Sir Charles Hamilton… a proclamation, imprimé par John Ryan, St. John’s (Terre-Neuve), vers 1822. (AMICUS 45262655)

Vers 1454, Johannes Gutenberg termine sa célèbre bible à Mayence, en Allemagne, faisant ainsi connaître l’imprimerie dans toute l’Europe. En 1500, son innovation est déjà largement répandue sur le continent. L’imprimerie suivra les colons européens jusqu’en Amérique, mais ce n’est qu’en 1751 qu’elle arrive au Canada, soit presque 300 ans après l’époque de Gutenberg. Si cela peut nous sembler incroyablement long – nous qui sommes habitués à de rapides évolutions technologiques –, l’imprimerie met presque 150 ans de plus à conquérir le reste du pays. Avec des artefacts comme ces documents imprimés par Guillaume Brown et John Ryan, la collection de livres rares de Bibliothèque et Archives Canada documente la longue et fascinante histoire de la naissance de l’imprimerie au Canada.

Reproduction couleur de la couverture d’un journal, aux teintes sépia, qui présente un pli dans sa partie supérieure.

Premier numéro du Halifax Gazette (23 mars 1752), imprimé par John Bushell. (AMICUS 7589124)

Tout commence avec John Bushell, le premier imprimeur du Canada. En 1751, il quitte Boston, au Massachusetts, pour s’établir à Halifax, en Nouvelle-Écosse. C’est là qu’il publie le premier journal du pays, The Halifax Gazette, le 23 mars 1752. Comme nous l’avons dit précédemment, le Québec et le Nouveau-Brunswick accueillent respectivement leur première presse en 1764 et en 1784. À la fin du 18e siècle, l’impression s’est frayé un chemin jusqu’à l’Île-du-Prince-Édouard et l’Ontario, dont la première imprimerie est ouverte par Louis Roy à Newark (aujourd’hui Niagara-on-the-Lake) en 1792. Après l’arrivée de John Ryan à Terre-Neuve, en 1806, on trouve des presses dans toutes les provinces de l’Est. Plusieurs pionniers de l’impression établis dans cette région (dont John Ryan et James Robertson, le premier imprimeur de l’Île-du-Prince-Édouard) sont des loyalistes, c’est-à-dire des Américains qui ont quitté les États-Unis pendant la guerre d’Indépendance américaine par loyauté envers la Couronne britannique.

Avant la fin du 19e siècle, l’imprimerie parvient dans l’Ouest et le Nord du Canada. En Alberta comme au Manitoba, les premiers imprimeurs sont des missionnaires qui traduisent en langues autochtones des textes chrétiens. En 1840, utilisant une presse et des caractères de sa propre confection, le pasteur méthodiste James Evans commence à imprimer des textes en écriture syllabique crie à Rossville, au Manitoba. L’Alberta accueille quant à elle sa première presse en 1876, quand le prêtre oblat Émile Grouard vient s’installer à Lac La Biche. En 1878, celui-ci publie le premier livre de la province, Histoire sainte en montagnais (le terme montagnais est alors employé par les non-Autochtones pour désigner la langue dénée). Cette même année, le premier imprimeur de la Saskatchewan, Patrick Gammie Laurie, lance à Battleford un journal intitulé Saskatchewan Herald (AMICUS 4970721). Cet Écossais d’origine avait marché de Winnipeg jusqu’à Battleford – soit environ 1 000 kilomètres – en faisant tirer sa presse par un bœuf!

En 1858, la ruée vers l’or au fleuve Fraser attire les prospecteurs sur la côte Ouest. Cet afflux de nouveaux arrivants provoque une demande pour des nouvelles imprimées, ce qui mène à la création des cinq premiers journaux de la Colombie-Britannique, tous à Victoria. L’un d’eux, The British Colonist (AMICUS 7670749), est fondé par le futur premier ministre de la province, Amor de Cosmos.

C’est aussi à l’or que l’on doit l’arrivée de l’imprimerie dans les territoires du Nord canadien. Pendant la ruée vers le Klondike, en 1898, l’imprimeur G. B. Swinehart quitte Juneau, en Alaska, dans l’intention de lancer un journal à Dawson, au Yukon. Forcé d’attendre à Caribou Crossing en raison du mauvais temps, il y publie, le 16 mai 1898, un journal à tirage unique intitulé Caribou Sun (AMICUS 7502915). Il s’agirait du premier document à avoir été imprimé dans le Nord canadien.

Photo noir et blanc d’un groupe d’hommes devant une cabane en bois rond dont l’enseigne indique « The Yukon Sun ».

Bureau du journal de G. B. Swinehart, renommé The Yukon Sun, Dawson (Yukon), 1899. (MIKAN 3299688)

La collection de publications de Bibliothèque et Archives Canada comprend de nombreux documents produits à l’aube de l’imprimerie au pays, dont plus de 500 datent d’avant 1800. C’est beaucoup, mais loin d’être complet. Les employés sont d’ailleurs très heureux quand ils découvrent de nouvelles publications qui ne figurent pas dans la collection, parce que les documents produits par les premiers imprimeurs du Canada sont généralement très rares. Les deux publications en vedette à l’exposition Première en sont de beaux exemples. Il ne reste aujourd’hui qu’environ cinq exemplaires du livre Direction pour la guerison du mal de la Baie St Paul. Pour ce qui est de l’affiche de John Ryan, elle n’avait jamais été répertoriée auparavant, ce qui laisse croire qu’il n’en resterait aucun autre exemplaire.

Si vous êtes dans la région d’Ottawa, nous vous invitons à visiter l’exposition Première : Nouveautés à Bibliothèque et Archives Canada pour voir en personne ces rares vestiges des débuts de l’imprimerie au Canada, ainsi que de nouvelles acquisitions d’autres secteurs de la collection de Bibliothèque et Archives Canada. L’exposition est présentée au 395, rue Wellington, à Ottawa, jusqu’au 3 décembre 2018. L’entrée est gratuite!

Autres ressources


Meaghan Scanlon est bibliothécaire principale des collections spéciales à la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.