Le logo du CN : du quai de départ à la destination – deuxième partie

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Par Andrew Elliott

Dans la première partie, nous avons mentionné qu’après l’adoption du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (CN), le travail d’Allan Fleming pour la compagnie consistait surtout à offrir des services-conseils. L’équipe de la refonte visuelle a commencé par choisir le design des différents objets du chemin de fer, puis Valkus a trouvé des moyens d’intégrer le logo sur ces objets. L’information était ensuite transmise à des agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel du CN.

McConnell Eastman était responsable de la publicité sur le marché canadien. La Canadian Advertising Agency s’occupait du marché francophone au Québec, et Maclaren Advertising, du marché international. Ces trois sociétés créent les slogans accrocheurs qui sont imprimés sur les affiches et dans les journaux.

Utilisation du logo

Le logo est appliqué sur divers produits : les locomotives, les voitures, les billets, les sous-verres, les emporte-restes, les signets, les enveloppes, les cartes professionnelles, les en-têtes, les calendriers, les publicités, etc.

Onze affiches, produits et publicités.

Produits ornés du nouveau logo du CN. (No MIKAN 6026153)

Uniformisations du logo : le manuel de l’affichage

L’équipe de la refonte visuelle devait établir des normes sur l’utilisation du logo pour l’ensemble du personnel. Elle a commencé par produire un livret bilingue (Voir c’est croire / Seeing is believing) facile à distribuer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la compagnie.

La couverture et trois pages de texte d’un livret.

Le livret Voir c’est croire. (No MIKAN 6026153)

De 1963 à 1967, le CN a aussi recours aux services de Jean Morin (par le biais de Valkus Inc.). Ce talentueux graphiste est né à Québec le 2 mars 1938. Il étudie les arts publicitaires à l’École des beaux-arts de Québec de 1956 à 1960. Il est l’un des premiers Canadiens français à étudier le design graphique, une discipline qui commence à s’implanter au début des années 1960. Pendant le semestre d’hiver 1960-1961, il est étudiant libre à la Kunstgewerbeschule à Zurich. Il a aussi la chance de visiter plusieurs ateliers en Suisse, à une époque où le design graphique est en plein essor en Europe.

À son retour au Canada, Jean Morin commence par travailler pour la Commission des expositions du gouvernement canadien en 1961 et 1962. Ses projets ultérieurs, dont celui pour le compte du CN, portent sur les images de marque. Dans le cadre de ses fonctions, il prépare le premier manuel de normalisation de l’affichage au Canada.

Ce manuel écrit en 1965 se trouve dans le fonds de Jean Morin, qui est conservé à BAC (MIKAN 160277, volume 1, R2725). Ce guide, d’une simplicité étonnante, est axé sur le design esthétique, notamment en ce qui a trait à la typographie et à l’harmonisation des couleurs.

Une page avec le logo du CN dans le coin inférieur gauche et les mots « Manuel d’affichage » écrits en anglais dans le coin inférieur droit. Dans le coin supérieur droit, le texte mentionne que le manuel est publié avec l’autorisation du vice-président à la direction.

Première page d’un manuel du CN sur l’affichage. (No MIKAN 162289)

Le manuel établit clairement son intention, décrivant en peu de mots le programme de refonte visuelle du CN. Un guide explique comment tracer convenablement les lettres C et N sur une grille pour qu’elles aient toujours la même forme, peu importe leur taille. Le manuel mentionne quelles sont les couleurs standards et explique comment les agencer. Le type de police et l’espacement entre les lettres optimisent l’effet visuel. Il y a aussi plusieurs exemples de maquettes pour des impressions sur de la papeterie, sur des bureaux ou sur les enveloppes extérieures des bâtiments. Des codes permettent au personnel de commander des gabarits pour des lettres ou des couleurs particulières auprès du service des fournitures du CN.

Cinq pages comprenant des instructions et des logos.

Extraits du manuel d’affichage du CN. (No MIKAN 162289)

Le manuel de Morin est remarquable, car il décrit les atouts esthétiques de l’image de marque créée par des designers graphiques professionnels, mais dans un langage à la portée de tous, notamment du personnel du CN.

Au printemps de 1968, la société de Valkus et le CN mettent fin à leur collaboration en raison d’un conflit sur les paiements pour les services rendus l’année précédente. Le CN embauche alors ARC Corporation, une autre société de design montréalaise. Heureusement, son personnel comprend d’anciens employés de Valkus, ce qui assure une certaine continuité. Les documents dans le fonds du CN montrent qu’une relation stable se poursuit jusqu’à la fin des années 1970.

À partir des années 1960, personne n’ose toucher au logo ou au manuel des normes. En 1996, soit quelques années après sa retraite, Lorne Perry se voit confier la révision du manuel. Il ne s’agit pas de tout revoir, mais d’épurer l’identité visuelle et d’éliminer tout élément superflu. « J’ai consulté des sociétés qui descendaient directement des créateurs. Tout a été mis à jour, simplifié, uniformisé et organisé de manière à prendre la forme d’un manuel. Le logo du CN demeure simple et marquant, exempt de toute fioriture. »

La version mise à jour est publiée en 2001. Elle explique entre autres comment utiliser les couleurs officielles :

La couleur constitue une caractéristique importante du logo. Tout comme les autres éléments de conception du logo, la couleur utilisée doit toujours être la même pour que le message soit clairement transmis.

La couleur officielle du CN est le rouge (Pantone 485). Lorsque la méthode d’utilisation ou le véhicule de communication le permettent, le logo CN doit apparaître en rouge sur une surface blanche, ou en blanc sur une surface rouge. Si le rouge n’est pas disponible, le logo doit alors apparaître en noir sur une surface en blanc, ou en blanc sur une surface en noir. Il doit toujours y avoir un contraste suffisant.

Il peut arriver que le logo soit utilisé dans un contexte plus commercial et que l’arrière-plan ne soit pas d’une seule couleur. Dans les cas où l’on doit s’éloigner de la combinaison de couleurs approuvées par le CN, l’utilisation d’autres couleurs devra être justifiée et approuvée par les Affaires publiques.

Évolution du programme de refonte visuelle

Lorne Perry contribue grandement à maintenir la cohérence du programme de refonte visuelle, car il occupe un poste influent pendant plusieurs décennies, en plus d’agir comme traducteur en chef. Il a le don de construire des ponts entre les designers graphiques et le reste de la compagnie.

Dans les années 1970, le programme de refonte visuelle devient le programme d’identification organisationnelle. Au milieu de la décennie, la division des services aux passagers du CN accuse un déficit annuel de 70 millions de dollars. Le CN cherche une stratégie pour que le gouvernement pallie le manque à gagner du service public, et conclut qu’une nouvelle image de marque est nécessaire afin que l’ampleur du besoin frappe les imaginations. Le CN retient les services de Corporation Arc dans ce but.

La société ne présente qu’un logo, une combinaison de couleurs (bleu et jaune) et un nom : VIA. Lorne Perry se rappelle que le tout fut présenté au comité de direction du CN, présidé par le président-directeur général Robert Bandeen. Il a eu l’agréable surprise d’apprendre que les couleurs choisies, le doré et le bleu saphir, étaient aussi celles de l’Université Duke, l’alma mater de Bandeen. Il a été d’autant plus facile de le convaincre.

Quelque 65 ans après son dévoilement, le logo du CN continue de faire partie intégrante de son image de marque.

Pour en savoir plus à son sujet, découvrez le projet Allan Fleming, piloté par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

 

Le logo du CN : du quai de départ à la destination – première partie

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Par Andrew Elliott

Rares sont les personnes qui ont étudié le processus de conception du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Pourtant, ce bouillonnement créatif a mené au dévoilement d’un véritable emblème en 1960. Comme nous l’avons mentionné dans un précédent blogue, Bibliothèque et Archives Canada conserve de nombreux documents concernant la création de ce logo d’entreprise.

Après la Première Guerre mondiale, la compagnie cherche son identité. Elle essaie un certain nombre de logos et de slogans, dont le mémorable « The National Way » (La voie nationale; voir l’image ci-dessous tirée d’un numéro de 1920 de la revue Canadian National Railways). Ce slogan est utilisé dans un logo de 1919 à 1921, et son usage se répand tout au long des années 1920.

Page d’une revue avec le slogan « The National Way ».

Le logo et le slogan du CN dans le numéro de janvier 1920 de Canadian National Railways. (No OCLC : 933318325)

De 1959 à 1969, le CN se réinvente. Il faut dire qu’une bonne partie du travail avait été fait dans les années 1950 : mise à niveau du matériel roulant, amélioration des services aux passagers et retrait progressif des locomotives à vapeur en faveur du diesel. Mais la création du nouveau logo, en 1960, n’est pas une mince affaire : il faut trouver un motif attrayant tant pour les voyageurs que pour le personnel du CN. Nous verrons ici comment le nouveau logo s’est implanté dans l’ensemble de la compagnie, puis au sein du grand public. Les répercussions à long terme de cet extraordinaire travail de graphisme sont particulièrement intéressantes.

La refonte de l’identité visuelle : l’implantation concrète du nouveau logo

Comment implanter un nouveau logo dans une grande compagnie? L’équipe de la refonte visuelle commence par mettre le logo du CN dans le rapport annuel de 1960. Peu après, des articles sur le logo et son importance dans le domaine du graphisme paraissent dans des numéros de la revue interne Keeping Track (Au fil du rail), qui a pris la place du Canadian National Railways Magazine.

Les honneurs reçus facilitent le processus. Un ancien employé du CN, Lorne Perry, rapporte que l’équipe de la refonte visuelle a reçu de nombreux prix prestigieux de la part d’organisations de design graphique au Canada, aux États-Unis et outremer. L’organisateur d’un séminaire sur le graphisme au Canada loue publiquement le CN pour avoir été l’une des premières grandes compagnies à faire parvenir le design des grandes villes dans « l’arrière-pays canadien ».

De plus, la compagnie déploie d’énormes efforts pour rajeunir son image. Par exemple, elle améliore le design intérieur des trains et modernise leur apparence extérieure. Pour le prix d’un billet, les passagers peuvent profiter de meubles et d’un design dernier cri. Les trains deviennent alors des salles d’exposition mobiles accessibles à tous. Ce n’est pourtant qu’une petite partie du chantier lancé par la compagnie.

Pour mener à bien ce projet colossal, l’équipe de la refonte visuelle collabore étroitement avec la société Valkus Incorporated. Rappelons que James Valkus était l’un de ces designers graphiques dans le vent à New York. Il avait déjà participé aux premiers efforts de conception du logo.

Un homme assis sur une chaise de bois.

James Valkus, vers 1963. (No MIKAN 162289)

De 1960 au début de l’année 1968, le CN a recours aux services de sa société de design pour obtenir des conseils généraux sur le déploiement des divers aspects du logo. Le contrat prévoit que, la première année, le CN paiera jusqu’à 60 000 $ à la société si son approche est choisie, puis 120 000 $ par année pour contribuer au déploiement. Ce sont des montants tout à fait substantiels pour l’époque, et le tarif a peu varié au fil des années.

Voyons comment Valkus s’y est pris. Il commence par diviser les divers types de matériel promotionnel en catégories : images dans les trains; objets dans les trains; images dans les hôtels; objets dans les hôtels; images dans les gares; et objets dans les gares. Puis, il subdivise le tout pour relever précisément ce qui doit changer. Le contrat conclu entre le CN et Valkus en 1962 énumère les éléments suivants :

  • Équipement des locomotives et des voitures
  • Véhicules à moteur
  • Équipement pour l’entretien des voies
  • Signalisation
  • Manuels
  • Formulaires et documents imprimés
  • Revue Keeping Track
  • Uniformes
  • Matériel promotionnel
  • Affichage publicitaire

Valkus et l’équipe de la refonte visuelle demandent aux services du CN de fournir une liste complète d’objets à modifier. Par exemple, le service des voitures-lits et des voitures-restaurants fournit une liste de quatre pages :

Quatre pages tapuscrites.

Quatre pages décrivant en détail les changements nécessaires dans le service des voitures-lits et des voitures-restaurants du CN. (No MIKAN 5891012)

La refonte visuelle touche aussi les filiales du CN. Central Vermont et le Grand Tronc adoptent à leur tour une image de marque épurée rappelant le logo du CN. À la fin des années 1960, même les hôtels du CN obtiennent leur propre logo : une clé rouge.

Pendant cette période, Allan Fleming ne participe pas vraiment au travail de terrain, offrant plutôt des services-conseils en coulisses. L’équipe de la refonte visuelle commence par dessiner les divers objets du chemin de fer, puis Valkus trouve des moyens d’y intégrer le logo. L’information est ensuite transmise aux agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel de la compagnie.

C’est à suivre dans la prochaine partie de ce billet!

Pour en savoir plus sur le logo du CN, découvrez le projet Allan Fleming, mené par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

Le logo du CN : le graphisme d’entreprise à son meilleur

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Par Andrew Elliott

« Notre troisième partenaire, c’est l’imagination. »
Allan Fleming, Cooper & Beatty Ltd., 1958

Introduction

Dans l’histoire du graphisme d’entreprise, un logo ressort du lot : celui de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ou CN. On reconnaît au premier coup d’œil sa forme unique aux contours arrondis, bien visible sur les trains, les immeubles et le matériel promotionnel de la compagnie. Mariant tradition et innovation, il témoigne de la relation complexe entre image de marque, fierté nationale et culture de consommation. Il nous relie instantanément au CN, semblant presque se suffire à lui-même tout en donnant l’impression d’avoir toujours été là. Mais quelle est donc son histoire?

Marqueurs visuels et identitaires, les logos de chemins de fer sont là pour positionner les entreprises qu’ils représentent. Au cours du 19e siècle et pendant une bonne partie du 20e siècle, les compagnies ferroviaires canadiennes subissent l’influence des typographies britannique et américaine, comme en témoigne le graphisme de l’époque. Certains logos sont plus traditionnels, tel celui du Chemin de fer Canadien Pacifique, composé de castors et d’un bouclier. D’autres sont plus originaux et novateurs, comme le logo du Chemin de fer Canadien du Nord : d’allure moderne, voire futuriste, il combine des lettres de différentes tailles à l’intérieur d’un motif en zigzag.

Logo en forme de cercle comprenant les mots « Canadian Northern » et un motif en zigzag.

Logo du Chemin de fer Canadien du Nord, dépliant sur le trajet dans la vallée de la Saskatchewan. (No MIKAN 5751636)

Quant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, elle voit le jour en 1919, et côté graphisme, tout un éventail de possibilités s’offre à elle.

Le logo du CN : un peu de contexte

Entre 1919 et le début des années 1920, la Compagnie des chemins de fer nationaux ne réinvente pas la roue : elle se contente de reprendre l’ancien logo du Chemin de fer Canadien du Nord, en remplaçant le mot « Northern » par « National ». Affaire classée!

Logo du CN avec le motif en zigzag.

Gros plan du premier logo du CN sur le devant d’un wagon, avec le motif en zigzag, vers 1920. (No MIKAN 3349475)

Du milieu des années 1920 au milieu des années 1950, le CN adopte d’autres logos à l’allure plus traditionnelle, comme on le voit ici :

Les mots « Canadian National Railways » apparaissent dans un encadré sur fond noir, superposés et soulignés.

Gros plan du logo de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada datant des années 1920. (No MIKAN 5750861)

Feuille d’érable verte avec l’inscription « Canadian National Railways » au centre. Les mots sont superposés et soulignés.

Gros plan du logo de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada datant des années 1940. (No MIKAN 5752559)

À la recherche d’une nouvelle image : un vent de changement au CN

La fin des années 1950 est marquée par l’avènement des nouvelles technologies et le passage des locomotives à vapeur aux locomotives au diesel. Le CN cherche alors à se réinventer et à reconquérir l’imaginaire des voyageurs. Et les dirigeants décident d’y aller à fond en optant pour l’audace!

Divers facteurs expliquent cette décision. Un sondage réalisé par le CN vient de révéler que la population perçoit l’entreprise comme étant vieille et désuète, malgré une décennie d’investissements pour la moderniser et la rendre plus efficace. Parallèlement, l’équipe des relations publiques comprend l’intérêt de disposer d’un logo comme outil de marketing. Et la direction est prête à miser sur la nouveauté.

On confie donc à Dick Wright, responsable des relations publiques du CN, la tâche colossale de rajeunir l’image de la compagnie; un travail que poursuivra son successeur, Charles A. Harris. Dans l’ouvrage Designs for the Times: The Story of the CN Design Program, Lorne Perry, ancien employé ayant participé à cette refonte visuelle, écrit :

« Ce n’est pas évident pour quelqu’un de changer d’allure ou de personnalité, et ce n’est pas plus facile pour une entreprise. Mais parfois, ça en vaut le temps, les efforts et l’argent, par exemple si : (a) la nature des produits et des services de l’entreprise a radicalement changé; (b) l’entreprise s’est modernisée, mais les clients ne l’ont pas remarqué; ou (c) l’image de marque de l’entreprise ne convient plus, en raison de facteurs indépendants de sa volonté. Dans le cas du CN, la réponse était (b). »

Pour mener à bien cette tâche, le CN fait appel à une entreprise américaine de graphisme dirigée par James Valkus. Celui-ci engage à son tour Allan Fleming, un jeune génie créatif de Toronto. Les deux hommes sont d’accord : le CN a besoin de bien plus qu’une nouvelle marque de commerce. C’est toute son identité visuelle qui doit être repensée.

L’apport de l’extérieur : Allan Fleming

Allan Robb Fleming (7 mai 1929-31 décembre 1977) est un jeune graphiste canadien. À l’époque, il est vice-président et directeur des services créatifs de Cooper & Beatty Ltd., une société de typographie basée à Toronto. La société fait la mise en page de divers documents avant d’acheminer le tout aux imprimeurs.

C’est à Fleming qu’on doit le nouveau logo du CN. Au fil des ans, il imaginera aussi les logos de nombreuses entreprises et institutions canadiennes, dont l’Université Trent (1964), Ontario Hydro, le Conseil national de l’esthétique industrielle du ministère de l’Industrie et du Commerce ainsi que l’Orchestre symphonique de Toronto (1965), la Compagnie de la Baie d’Hudson (1969), ETVO (aujourd’hui TVOntario, 1970) et Gray Coach Lines (1971). En 1973-1974, alors qu’il travaille pour Burton Kramer Associates, il participera au projet qui aboutira au changement d’image de la Canadian Broadcasting Corporation.

(La plupart des documents relatifs à la vie et à la carrière d’Allan Fleming se trouvent aujourd’hui aux archives de l’Université York, à Toronto. Vous pouvez consulter en ligne le fonds Allan Robb Fleming et ses documents numérisés, en anglais.)

L’auteur de ces lignes s’est récemment entretenu avec Martha Fleming, la fille d’Allan Fleming, qui soulignait la nature complexe du partenariat entre son père et Valkus. Ce dernier supervisait la refonte de l’image de marque, tandis que Fleming était responsable du « joyau de la couronne » : le logo.

Martha Fleming s’est aussi exprimée sur le travail de son père lors d’une entrevue donnée sur Biblio File le 24 octobre 2022 (en anglais). Elle y déclarait que ce dernier savait créer des logos alliant tradition et modernité. Il s’intéressait également à la façon dont les époques unissaient les gens, les objets et les idées, et à la façon dont la typographie permet de fusionner l’image et l’objet. Il possédait toute une collection de cahiers de référence, et avait aussi conçu divers catalogues. Le projet de logo du CN lui a été confié alors qu’il travaillait chez Cooper & Beatty Ltd. Outre le logo, d’autres projets de typographie ont suivi : télégrammes, papeterie, billets et même véhicules (dont les locomotives). Au total, cinq personnes ont contribué au projet du logo. Aux dires de Martha Fleming, il s’agissait d’un travail très stressant.

Le logo du CN au fil du temps : l’expression d’une créativité commune

Bibliothèque et Archives Canada possède une splendide collection d’esquisses et d’illustrations diverses qui témoignent de la créativité ayant entouré la refonte du logo du CN. Ces documents sont conservés dans le fonds de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, dans la série « Designs relating to the CN logo » (projets graphiques concernant le logo du CN).

Les dossiers artistiques semblent avoir été reconstitués pour illustrer la progression du logo; il est néanmoins très difficile de se prononcer sur les dates exactes de chaque document, et sur le moment précis où le logo a atteint sa version définitive.

Cela dit, le tout témoigne d’un processus créatif remarquable. On peut y voir différentes variantes du logo, avec Valkus, Fleming et d’autres graphistes de l’équipe reprenant les idées des uns et des autres pour les faire évoluer.

Même sans chronologie exacte, on peut quand même retracer (au moins en partie) la progression du logo. Voici quelques esquisses où les graphistes tentent de saisir l’essence de la compagnie ferroviaire : le mouvement.

Logos du CN esquissés à la main et répétés maintes fois.

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6305308)

Fleming ayant demandé à Valkus si l’un de ces logos l’intéressait (« Any of these interest you? »), un autre exemple reprend ce concept et le fait évoluer.

Des logos du CN couvrent une page où l’on peut lire « Any of these interest you? » (L’un d’entre eux vous intéresse-t-il?)

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6316316)

Dans un autre exemple, Valkus écrit à Fleming pour lui dire de ne rien jeter de ces gribouillis (« Allan, save all this junk »).

Des logos du CN couvrent la surface d’une page où l’on peut lire la note « Allan, save all this junk » (Allan, conservez tout ce bazar).

Esquisses du logo du CN. (No MIKAN 6316312)

Dans les exemples suivants, on voit que les esquisses se concentrent sur des éléments plus précis; on peut aussi lire des encouragements de Valkus.

Des logos du CN couvrent une page comportant aussi deux notes manuscrites.

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6316355)

Des logos du CN couvrent une page où l’on peut lire la note suivante : « Allan, this one fits things beautifully. » (Allan, celui-ci convient parfaitement.)

Esquisses du logo du CN. (No MIKAN 6316325)

Deux autres personnes composent l’équipe de graphistes travaillant au logo du CN : Carl Ramirez et Arthur King.

Eux aussi contribuent à l’effort collectif… même si, 60 ans plus tard, quelques tangentes inhabituelles (pour ne pas dire hypnotiques) nous font nous demander si quelque chose a pu influencer leur créativité!

Voici deux exemples de logo plutôt étourdissants :

L’un des logos proposés pour le CN. Les lettres forment une spirale carrée.

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 6327284)

L’un des logos proposés pour le CN. Le côté gauche du C est allongé pour évoquer le coin d’un œil.

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 6341857)

Dans la version presque finale du logo, l’enthousiasme de Valkus est palpable. Il note : « Allan, Make thinner and we’ve got it! » (Allan, faites-le un peu plus mince et le tour sera joué!)

Proposition presque finale pour le logo du CN, qui ressemble beaucoup au logo définitif, mais avec un lettrage plus épais. Une note signée Jim dit : « Allan, Make thinner and we’ve got it! » (Allan, faites-le un peu plus mince et le tour sera joué!)

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 2887712)

Le logo est maintenant trouvé. Prochaine étape : Fleming doit obtenir l’adhésion de tous les niveaux de l’organisation, de la direction générale jusqu’aux simples employés. Dans une série de présentations sur papier, il explique en termes simples la signification et l’objectif du logo. Il soulève aussi des questions pertinentes :

  • Le logo est-il facile à reproduire?
  • S’imprimera-t-il facilement dans la mémoire du public?
  • Est-il lisible?
  • Communique-t-il rapidement ce qu’il doit communiquer?
  • Pourra-t-il bien traverser les époques?

Voici l’une des idées de présentation transmise par Fleming à Valkus.

Présentation sur papier avec des notes manuscrites, des dessins et le logo du CN.

Projet de présentation d’Allan Fleming. (No MIKAN 6341859)

En outre, Fleming (secondé par Valkus) explique que la nouvelle image de marque permettra de réaliser des économies grâce à un graphisme simplifié, de relier visuellement les divisions de l’entreprise et d’exprimer en un clin d’œil la somme de ses parties. Il décortique le nouveau logo pour qu’on puisse voir de quoi il aura l’air sur différents composants du CN : qu’il s’agisse de la signalisation ou des tout petits articles (comme la vaisselle) en passant par les éléments architecturaux, la décoration intérieure, les présentoirs et les véhicules.

Vers la fin de 1960, la direction du CN approuve le nouveau logo, et on procède progressivement à son déploiement. Le public en est informé dans divers journaux et magazines, dont Keeping Track (Au fil du rail), la publication officielle du CN, qui publie un article intitulé « A new look for the CNR » (Une nouvelle image pour le CN).

Photo montrant trois hommes travaillant sur des esquisses.

Photographie tirée de l’article « A new look for the CNR » (Une nouvelle image pour le CN) publié dans la revue Keeping Track (Au fil du rail). (No MIKAN 6026153)

Selon une publication spécialisée de 1960-1961, la légende voudrait que Fleming ait présenté son logo définitif à peine 15 minutes avant la fin du délai imposé par le CN, une anecdote qui ne rend pas justice à la complexité du processus de création.

Bref, après une année de travail, la collaboration entre la direction, le service de conception visuelle et les graphistes du CN débouche sur une toute nouvelle image à la fois innovante et accrocheuse, tellement simple dans sa forme qu’elle semble se fondre naturellement dans le paysage. Le nouveau logo du CN fait son entrée en force au début de l’année 1961; rapidement, il donne l’impression d’avoir toujours été là. L’année précédente, Allan Fleming avait déclaré : « Je pense que ce symbole va durer au moins 50 ans; on n’aura pas besoin de le refaire, parce qu’il est conçu pour l’avenir. Sa simplicité est un gage de durabilité. »

La suite lui a donné raison : depuis plus de 60 ans, le logo – aussi connu au Canada qu’à l’étranger – est toujours utilisé par l’entreprise!


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.