Tourner la page de la censure : la liberté de lire

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Par Rebecca Murray

De la littérature fantastique à la fiction historique, plusieurs ouvrages contemporains abordent la question des livres bannis et contestés. Par exemple, dans son œuvre à succès Fourth Wing, Rebecca Yarros raconte l’histoire d’une archiviste en herbe plongée dans le monde périlleux des dresseurs de dragons. Pendant son périple (alerte au divulgâchage), l’héroïne découvre la vérité sur un ouvrage « rare » (c’est-à-dire banni), que sa famille se transmet précieusement depuis des générations. De son côté, Kate Thompson, dans The Wartime Book Club, dépeint l’histoire d’une courageuse bibliothécaire sur l’île de Jersey, alors sous occupation allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui donne des livres interdits à ses voisins. Chacune à leur façon, ces deux auteures placent la question de la censure à l’avant-scène, mettant en vedette des héroïnes déterminées à défendre le droit de lire, même des histoires interdites.

Or, il n’est pas nécessaire de lire des œuvres fictives ou historiques pour mesurer l’importance de cet enjeu. La Semaine de la liberté d’expression est une campagne annuelle créée en 1984 dans le but même de sensibiliser les lecteurs aux effets insidieux de la censure. Elle vise à faire connaître les obstacles que doivent franchir les publications et les défis que doivent relever les bibliothèques près de chez vous.

Saviez-vous que des œuvres en apparence inoffensives comme Les contes des frères Grimm et Bambi ont été contestées dans divers pays? L’histoire de la censure et de la contestation des livres ou d’autres publications, tant au Canada qu’à l’étranger, est à la fois longue et complexe. Bibliothèque et Archives Canada (BAC) joue un rôle capital dans le milieu des bibliothèques au Canada, car il préserve pour les générations futures des exemplaires de tous les livres publiés au pays (y compris des livres audio et électroniques).

Les sections suivantes présentent des thèmes essentiels dans l’histoire de la Semaine de la liberté d’expression. Elles établissent un lien avec le mandat de BAC et expliquent comment l’institution participe à cette campagne.

Des rayons remplis de livres.

Exemplaires de consultation de livres et d’autres publications préservés à Bibliothèque et Archives Canada. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

Bibliothèques scolaires

Les salles de classe et les bibliothèques scolaires sont souvent visées par des plaintes sur un livre particulier ou des contestations motivées par des politiques générales. Depuis la création de la Semaine de la liberté d’expression, de nombreuses contestations ont mené à des réactions variées. Parmi celles-ci figurent la mise en place de formations pour aider les enseignants à aborder des enjeux sensibles dans la littérature, la suspension de retraits d’ouvrages des collections, des réunions de conseils scolaires rassemblant des centaines de participants, et, dans des cas extrêmes, des autodafés d’ouvrages contestés.

Les collections des bibliothèques nationales comme BAC sont différentes de celles des bibliothèques publiques et scolaires, car les publications ne sortent pas de nos salles de lecture. Elles ne sont donc pas à la merci des exigences du public ou des changements de politiques. Les retraits de livres dans d’autres bibliothèques ou des écoles n’ont donc aucun effet sur les collections de BAC.

Œuvres sur la censure

Depuis les débuts de la Semaine de la liberté d’expression, des auteurs et des penseurs étudient la censure au Canada et son incidence sur la littérature, les bibliothèques, le cinéma et d’autres formes d’expression culturelle. Leurs ouvrages sont importants pour reconstituer l’histoire de la censure au Canada, car ils donnent des renseignements précieux sur l’évolution du phénomène au fil du temps.

Voici quelques exemples provenant des collections d’œuvres publiées de BAC :

Trois livres sur une table.

Les livres Dictionnaire de la censure au Québec, Fear of Words et Women Against Censorship. Photo : Rebecca Murray, Bibliothèque et Archives Canada.

De nouvelles tendances

Il peut sembler surprenant que des contes de fées classiques ou des histoires comme Bambi puissent soulever la controverse. Mais la société évolue, et ce qui est jugé offensant ou non change aussi. Les politiques et les débats fort variés à ce sujet le démontrent. Prenons-en pour preuves les questionnements sur l’inclusion des bandes dessinées dans les bibliothèques publiques, les pétitions visant à retirer des prix littéraires d’anciens lauréats et les règlements sur l’importation et la vente de certaines publications au Canada. Ces changements s’inscrivent dans une tendance historique qui se poursuivra sans l’ombre d’un doute. Les données sur les contestations signalées par des bibliothécaires donnent de précieux renseignements sur l’évolution des comportements sociétaux.

Le site Web de la Semaine de la liberté d’expression propose une ligne du temps qui remonte aux origines de la campagne au Canada (1984) et propose une liste d’ouvrages contestés.

La 41e Semaine de la liberté d’expression aura lieu du 23 février au 1er mars 2025. Plusieurs activités seront organisées dans le cadre de la campagne. Restez à l’affût pour ne rien manquer!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

Lire, en toute liberté

Par Liane Belway

[Janvier 2024] Ce billet de blogue a été mis à jour pour refléter les changements apportés à la campagne de la Semaine de la liberté d’expression.

Photographie couleur montrant le dos de livres empilés sur fond noir.

Échantillon de livres variés provenant de la collection de Bibliothèque et Archives Canada qui ont été contestés. Photo : Tom Thompson

Au Canada, nous sommes libres de lire ce qui nous plaît – à un point tel que nous oublions parfois l’importance de ce droit. L’idée que celui-ci pourrait être bafoué dans un pays comme le nôtre ne nous vient même pas à l’esprit. Après tout, notre liberté intellectuelle est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, la liberté de lire ne peut jamais être tenue pour acquise. Même au Canada, des livres et des magazines sont fréquemment contestés dans les bibliothèques et les écoles.

La Semaine de la liberté d’expression encourage la population canadienne à parler de sa liberté intellectuelle et à la célébrer. Tous les ans, le Book and Periodical Council se sert de cette période pour lever le voile sur l’histoire souvent méconnue de la censure et de la mise à l’index au Canada, et sur les luttes menées pour maintenir certains ouvrages sur les tablettes des écoles et des bibliothèques. Partout au pays, pendant une semaine, des événements (en anglais seulement) sensibilisent le public à l’importance de protéger son droit à la lecture.

Le droit à la liberté intellectuelle signifie que chaque personne est libre de choisir ce qu’elle lit, dans les limites permises par la loi canadienne. En contestant la présence d’un titre sur les tablettes, on fait plus qu’exprimer ses propres goûts ou son refus de prendre part au dialogue sur une question controversée : on tente carrément, souvent pour des raisons politiques ou morales, d’empêcher le public de lire des ouvrages offerts dans les écoles, les bibliothèques ou les librairies. Les bibliothèques ont le devoir de protéger la liberté de lire et doivent refléter ce devoir dans leurs politiques.

Chaque cas est particulier, et les bibliothèques réagissent différemment en fonction de leur mandat et de leurs responsabilités envers les usagers. Dans la plupart des bibliothèques publiques, des politiques sur la liberté intellectuelle sont en place pour orienter le traitement des préoccupations individuelles tout en protégeant le droit collectif à la lecture. Par exemple, les ouvrages peuvent être classés selon l’âge du lectorat auquel ils s’adressent. Quant aux bibliothèques scolaires, elles sont généralement chargées d’appliquer le programme scolaire pour les élèves de l’école. Enfin, Bibliothèque et Archives Canada a le mandat d’acquérir, de décrire et de rendre accessibles toutes les publications canadiennes pour les lecteurs et les chercheurs d’ici et d’ailleurs dans le monde.

Ce ne sont pas tous les livres contestés qui finissent frappés d’interdit. Quand une auteure de la trempe de Margaret Atwood voit un roman comme La servante écarlate remis en question, on assiste souvent, au contraire, à une augmentation de l’attention médiatique, des ventes et du lectorat. L’œuvre Lives of Girls and Women d’Alice Munro, par exemple, a fait l’objet de contestations, et l’auteure a remporté quelques décennies plus tard le prix Nobel de la littérature.

Néanmoins, la tentative de faire bannir un ouvrage peut avoir un effet plus insidieux, surtout dans les écoles et les bibliothèques publiques. Un livre pour enfants controversé peut tout simplement être retiré des listes de lecture et des programmes scolaires pour éviter la confrontation. Mais il arrive aussi qu’une réclamation d’interdiction soit refusée, notamment pour des ouvrages à thème comme L’arbre de Maxine. Grâce à une décision prise en 1992, ce livre illustré au message écologiste a continué d’être lu dans les écoles primaires. Aujourd’hui, on tient pour acquise la possibilité de présenter aux enfants des livres sur l’environnement, les familles homoparentales, les croyances religieuses et toutes sortes d’autres sujets, mais la réalité n’a pas toujours été ainsi.

Qui sait combien d’ouvrages n’ont pas été achetés (ou même écrits) au fil des décennies en raison d’une culture de l’interdiction? Nous aimons à penser que, de nos jours, nous sommes plus ouverts au point de vue des autres. En tant que Canadiens, nous devons demeurer conscients de la grande valeur de notre droit à la lecture, et protéger ce droit pour nous-mêmes et pour les autres.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site Web de la Semaine de la liberté d’expression.


Liane Belway est bibliothécaire à la Division des acquisitions de la Direction générale du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.