Les cartes de la crête de Vimy (partie 2)

Par Ethan M. Coudenys

Nous sommes le 9 avril 1917. Une pluie froide s’abat sur la plaine de Douai, en France. Sur le front de l’Ouest, une opération militaire de grande envergure se prépare. De nombreux Canadiens sont réunis en prévision de l’attaque de la crête de Vimy, qui doit commencer à 5 h 30 précises. Environ le tiers des 30 000 hommes rassemblés pour l’attaque s’abritent dans des tunnels, à l’abri des regards des guetteurs allemands. À l’heure H, les troupes surgissent des tunnels et déclenchent un déluge de soufre et de feu sur l’ennemi qui tente de freiner leur avance.

Un tunnel éclairé par une ampoule électrique.

Le souterrain Grange sous la crête de Vimy, le 17 août 2022. Image courtoisie de l’auteur, Ethan M. Coudenys.

Les tunnels ont été aménagés en grande partie par les compagnies galloises des Royal Engineers. Les mineurs gallois sont généralement des professionnels. Ils creusent le sous-sol crayeux à 10 à 15 mètres de profondeur sous le champ de bataille, dans une obscurité presque complète. Une dizaine de kilomètres de tunnels relient la dernière tranchée canadienne à la ligne de front. En plus de cacher les forces rassemblées pour l’attaque, ce réseau facilite les communications et l’approvisionnement.

Si je me fie à mon expérience en tant que guide au Mémorial national du Canada à Vimy, il devait être extrêmement pénible de circuler dans ces tunnels pendant la Première Guerre mondiale. Souvent remplis d’eau, de chauves-souris et de rats, ils baignent dans une odeur pour le moins inhabituelle (et probablement bien pire à l’époque). Malgré les ampoules électriques disposées tous les 20 mètres environ, les sinueux tunnels sont sombres et bruyants. Comme la craie répercute très bien le son, les soldats entendaient distinctement les obus qui explosaient à la surface, les mineurs qui creusaient et les soldats et officiers qui passaient d’un tunnel à l’autre.

Pour éviter que les messagers et les officiers ne se perdent dans ce labyrinthe souterrain, des cartes ont été dessinées. Un seul tunnel, le souterrain Grange, est actuellement ouvert aux visiteurs au lieu historique national de la Crête-de-Vimy. Malgré les efforts du groupe Durand, une association de recherche qui explore les tunnels et les redoutes (ce qui n’est pas sans danger), aucun autre tunnel n’est ouvert au grand public pour l’instant. Le travail bénévole du groupe donne néanmoins des renseignements sur le réseau souterrain à cette époque de la guerre, car l’association cartographie les tunnels découverts en France et en Belgique et produit des rapports à ce sujet.

L’attaque sur la crête de Vimy se divise en deux étapes. La première, la mieux connue, est la prise de la crête par le Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur une ligne de front de 12 kilomètres. Le CEC avait quatre grands objectifs, dont le principal était la colline 145, la plus haute partie de la crête. La seconde visait à prendre le Bourgeon (aussi appelé colline 119), qui a fini par donner son nom à cette étape de la bataille. C’était un poste solidement fortifié équipé d’un canon d’artillerie lourde et d’autres pièces d’artillerie. La colline était très facile à défendre pour les nombreux hommes qui s’y trouvaient, et elle aurait été fort utile aux troupes allemandes qui auraient cherché à reprendre le terrain perdu pendant la première étape.

Carte du plan de bombardement indiquant notamment les écrans de fumée.

Plan du barrage d’artillerie pour la bataille de la colline 119, aussi appelée le Bourgeon (MIKAN 3946966). Photo : Ethan M. Coudenys.

Cartographier le bombardement d’artillerie

Les attaques de la crête de Vimy et du Bourgeon sont les contributions canadiennes à la bataille d’Arras, une vaste opération militaire qui se déroule sur un front de 30 kilomètres principalement tenu par les Britanniques. Les brigades d’artillerie jouent un rôle essentiel dans cette offensive, les unités canadiennes et britanniques unissant leurs forces pour faciliter la progression de l’infanterie. Une telle opération exige une préparation extrêmement minutieuse et une ténacité à toute épreuve. Les unités d’artillerie doivent absolument suivre le même horaire et faire avancer le barrage d’obus de 100 mètres toutes les trois minutes. Chaque unité se voit remettre des cartes établissant l’horaire précis des changements dans la portée et la vitesse des tirs. Cette tactique reçoit le nom de barrage roulant.

Pour développer ce que nous avons brièvement expliqué dans la première partie, un barrage roulant est une tactique militaire créée en grande partie par les généraux britanniques et canadiens, après l’échec de l’appui d’artillerie à la bataille de la Somme, en France, de juillet à la mi-novembre 1916. Cette tactique consiste à lancer un mur d’obus dans le no man’s land, et à faire avancer ce barrage progressivement pour empêcher les forces ennemies de sortir de leurs abris et d’organiser une défense efficace avant l’arrivée des attaquants dans leurs lignes. Elle s’avère efficace pour éliminer les tireurs d’élite et les mitrailleuses ennemis au début de la bataille de la crête de Vimy. Selon l’auteur canadien Pierre Berton, le bombardement est si intense qu’il retentit jusqu’à Londres. Les soldats qui avancent sur ce terrain hostile ont l’impression que le ciel est recouvert de plomb tellement les obus sont nombreux.

Examinons maintenant les divers types de cartes remises aux forces d’artillerie sur la crête de Vimy. Pour l’assaut de la colline 145, l’infanterie et l’artillerie doivent absolument se synchroniser. Les commandants d’artillerie reçoivent les mêmes cartes que les unités d’infanterie afin de pouvoir évaluer la progression des diverses divisions et brigades, qui se trouvent parfois à plusieurs kilomètres.

Les officiers d’artillerie disposent de cartes montrant les principaux dispositifs de défense à détruire dans des zones cibles avant que l’infanterie n’arrive à portée de tir. Il peut s’agir de nids de mitrailleuse, de tireurs d’élite, de pièces d’artillerie ou de mortiers. Le plan d’attaque prévoit une attente substantielle entre les deux premières avancées. Par exemple, l’écart entre une ligne rouge et une ligne noire représente un intervalle d’environ 30 minutes, pendant lequel la deuxième vague de soldats et les troupes d’appui peuvent s’avancer. Autrement dit, l’artillerie vise des objectifs précis pendant un certain temps, s’arrête une demi-heure pour laisser l’infanterie progresser, puis reprend le tir sur des cibles plus éloignées. L’infanterie peut ainsi se reposer et fortifier les positions conquises, pendant que l’artillerie pilonne des fortifications défensives potentiellement dangereuses plus loin sur le front.

Sur le Bourgeon, la stratégie est très différente. L’artillerie utilise toujours le barrage roulant, mais elle adopte aussi deux nouvelles tactiques apparues et développées pendant la Grande Guerre. La première consiste à créer une sorte de « champ de la mort » : un intense feu d’artillerie oblige les défenseurs à sortir de leur abri et à se rendre dans un endroit découvert, où ils sont pris pour cibles par des mitrailleuses et l’artillerie. La seconde tactique est la création d’écrans de fumée. Des barils de pétrole en feu sont lancés sur le champ de bataille afin de créer un épais rideau de fumée noire pour cacher la progression de l’infanterie. Ces deux tactiques deviendront des marques de commerce des forces canadiennes, notamment à la bataille de la colline 70 à Lens, en France, du 15 au 25 août 1917, et à la troisième bataille d’Ypres (Passchendaele), en Belgique, du 31 juillet au 10 novembre 1917.

Le barrage roulant démontre son efficacité lors des premières attaques sur la colline 145. Par contre, la prise du Bourgeon est l’une des batailles les plus coûteuses de l’histoire militaire canadienne : plus de 10 000 hommes sont tués, blessés ou portés disparus.

Conclusion

 Cartographier les champs de bataille n’a rien de nouveau. De l’Empire romain aux guerres napoléoniennes, les généraux et les seigneurs de guerre ont toujours utilisé des cartes pour planifier les attaques et s’orienter sur les champs de bataille. Par contre, les cartes étaient généralement réservées aux officiers hauts gradés et aux militaires du rang.

À Vimy, les cartes du champ de bataille sont distribuées à grande échelle pour bien préparer les troupes et réduire la confusion au sein de l’infanterie. Même les lieutenants subalternes et les caporaux suppléants ont accès au plan d’attaque. Cette innovation des forces alliées pendant la Première Guerre mondiale assure l’énorme succès de l’attaque contre les positions allemandes sur les collines 145 (la crête de Vimy) et 119 (le Bourgeon) dans le cadre de la bataille d’Arras. Les cartes donnent des objectifs clairs et précis à chaque unité et montrent aux soldats, à l’artillerie et aux services d’appui les tactiques qu’il faut adopter pour prendre la crête. Le fruit de mois de préparation, elles jouent un rôle considérable dans la prise de la colline 145 par le CEC.

Autres ressources

  • Les cartes de la crête de Vimy (partie 1), un article de blogue d’Ethan M. Coudenys, Bibliothèque et Archives Canada
  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.

Les cartes de la crête de Vimy (partie 1)

Par Ethan M. Coudenys

La cartographie est la technique permettant de dessiner des cartes. Elle a joué un rôle essentiel dans la planification et la préparation des offensives et des dispositifs de défense pendant la Première Guerre mondiale. Les officiers hauts gradés et les militaires du rang planifiaient les principales batailles de France (comme celles de la Marne, de la Somme et de Verdun) à l’aide de grandes cartes. La cartographie a aussi joué un rôle important lors de la préparation de l’assaut du Corps expéditionnaire canadien (CEC) sur la colline 145, mieux connue sous le nom de crête de Vimy.

Groupe d’hommes franchissant des réseaux de barbelés pendant que des obus explosent à l’arrière-plan.

Canadiens avançant dans le réseau de barbelés allemands sur la crête de Vimy, avril 1917 (a001087).

Commençons par planter le décor. Avant la bataille de Vimy, le CEC participe à de nombreuses batailles en France et en Belgique. Il se distingue notamment en août et novembre 1916 à Flers-Courcelette (France), à environ 50 kilomètres de Vimy. Sous les ordres du lieutenant-général sir Julian Byng (qui deviendra feld-maréchal et gouverneur général), le CEC devient une force de frappe très efficace. En novembre 1916, les Canadiens se dirigent vers l’est de la ville française d’Arras. De là, ils commencent à préparer l’assaut sur la colline 145, où les forces allemandes ont mis près de trois ans à construire des tranchées lourdement fortifiées.

La bataille de la crête de Vimy commence le 9 avril 1917. Ce n’est pas une opération isolée; elle s’inscrit dans le cadre de la bataille d’Arras. Les Canadiens sont responsables des deux principaux théâtres des combats : la crête elle-même (la colline 145) et le Bourgeon (la colline 119). L’attaque est préparée dans ses moindres détails.

Avant que les Canadiens ne prennent leurs positions, à la fin de novembre 1916, des divisions françaises et marocaines ont déjà tenté de s’emparer de la crête de Vimy. Sans obtenir un succès complet, elles ont tout de même réussi à rapprocher les lignes alliées de la crête. Pendant la bataille de Verdun, les Britanniques prennent le contrôle de ces positions, agrandissant et renforçant les fortifications relativement faibles. Quand le CEC arrive sur le front de Vimy en novembre 1916, il profite de solides fortifications.

Carte montrant un réseau de tunnels et de cratères.

Carte 1 – champ de bataille de Vimy : réseau de tunnels et cratères dans le secteur de la ferme La Folie. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Quand les Canadiens se rendent à Vimy, c’est la première fois que l’ensemble du CEC part au combat. C’est un moment extrêmement important pour les soldats, mais aussi pour la jeune nation. Beaucoup considèrent que c’est le début de la construction d’une identité culturelle et nationale canadienne.

Pour mieux comprendre l’importance de la cartographie dans le cadre des combats, commençons par examiner quelques cartes actuellement exposées au Centre d’accueil et d’éducation du Mémorial national du Canada à Vimy, en France. Des guides canadiens (tous des étudiants dans des universités ou des collèges) y renseignent le public sur la bataille de Vimy, notamment sur les tunnels construits pour soutenir la progression des troupes canadiennes en avril 1917. Les cartes 1 et 2 montrent les tunnels et tranchées creusés pendant la bataille pour le contrôle de la crête.

Carte du champ de bataille de la crête de Vimy.

Carte 2 – Carte moderne du champ de bataille de la crête de Vimy. Courtoisie d’Anciens Combattants Canada – Opérations européennes.

Comment les cartes ont-elles été dessinées?

Pour les soldats d’infanterie canadiens, les cartes jouent un rôle crucial : elles aident à se retrouver et à atténuer le chaos dans un environnement où règnent constamment la peur, la confusion et la possibilité d’une mort imminente. Voyons comment les militaires recueillent l’information nécessaire à la création de ces cartes.

Au cours des mois qui précèdent la bataille, le CEC envoie des groupes de soldats dans les tranchées allemandes pour qu’ils en mémorisent la disposition et donnent de l’information sur l’emplacement des fortifications et des armes ennemies. Tantôt restreints, tantôt très imposants (jusqu’à 5 000 hommes ou plus), les groupes d’éclaireurs mènent leurs raids de novembre 1916 jusqu’à la veille de la bataille, en avril 1917. Les raids dans les tranchées sont extraordinairement périlleux, tant pour les attaquants que pour les défenseurs. Ils sont souvent menés de nuit et entraînent parfois de lourdes pertes des deux côtés.

De son côté, le Royal Flying Corps (ancêtre de la Royal Air Force) prend des photos aériennes pour repérer les fortifications et les lieux d’intérêt en prévision de l’assaut.

L’information essentielle ainsi recueillie est consignée sur des cartes détaillées comme la carte 3 ci-dessous. Souvent, les soldats qui ont mené les raids dessinent les cartes à la main, de mémoire.

Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy.

Carte 3 – Carte manuscrite des tranchées allemandes dessinées après un raid mené avant la bataille de la crête de Vimy, en 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Quels étaient les types de cartes?

Carte d’un barrage d’artillerie dans la région de Vimy (France).

Barrage d’artillerie, 1re compagnie d’arpentage, Génie royal, près de Vimy, 1917 (e000000540).

Nous sommes très chanceux d’avoir accès à de nombreuses cartes de la Grande Guerre dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada. Les cartes des tranchées sur le front de l’Ouest comptent parmi les plus populaires auprès des chercheurs. C’est émouvant de penser qu’elles sont le fruit d’énormes efforts, et parfois même du sang versé par des soldats, des ingénieurs et des pilotes. Elles ont été remises à de nombreux officiers subalternes et militaires du rang pour les aider à mener l’attaque du 9 avril 1917.

La première d’entre elles, peut-être la plus importante pour la percée, est celle du barrage d’artillerie. Pendant l’attaque de la crête de Vimy, l’artillerie canadienne, appuyée par de nombreuses unités de campagne britanniques, utilise la tactique du barrage roulant dans le but de paralyser la résistance des forces allemandes pendant que l’infanterie progresse derrière un mur d’obus. Le synchronisme et la précision sont essentiels pour éviter les pertes causées par des tirs amis.

Les unités d’artillerie se servent donc de cartes pour pilonner les lignes allemandes. Les cibles y sont indiquées avec précision, tout comme les quatre principaux objectifs que le CEC doit atteindre entre le 9 et le 12 avril 1917. Les cartes montrent que le barrage roulant doit progresser de 100 mètres toutes les trois minutes pour que les unités d’infanterie puissent suivre le mur de feu. On y trouve aussi des objectifs particulièrement importants, comme des fortifications, des nids de mitrailleuses, des mortiers et des entrepôts de munitions.

Carte détaillée de la crête de Vimy, sur le front de l’Ouest.

Carte en carton de format poche pour soldat d’infanterie, crête de Vimy, 1917 (MIKAN 4289412). Photo : Ethan M. Coudenys.

Les cartes les plus utilisées au cours de l’attaque à Vimy étaient celles remises aux unités d’infanterie. Il s’agissait de copies réduites des grandes cartes employées par les officiers hauts gradés pour planifier l’assaut. Elles comprenaient les objectifs de chaque peloton et compagnie. C’était un outil essentiel pour la planification et l’exécution de l’offensive. Elles aidaient les soldats à rester sur le droit chemin malgré le chaos provoqué par les tirs des canons et des fusils.

La nouvelle politique permettant à chaque soldat de transporter sa propre carte du champ de bataille peut sembler banale à première vue, mais elle a substantiellement contribué à la réussite du CEC lors de la bataille de la crête de Vimy.

Autres ressources

  • The Underground War: Vimy Ridge to Arras, par Phillip Robinson et Nigel Cave (OCLC 752679022)
  • Vimy, par Pierre Berton (OCLC 15063735)
  • Vimy 1917 : la guerre souterraine des Canadiens, par Dominique Faivre (OCLC 1055811207)

Ethan M. Coudenys est conseiller en généalogie à Bibliothèque et Archives Canada.