Perspectives des porteurs noirs : sur les traces de Thomas Nash, porteur de voitures-lits pour les Chemins de fer nationaux du Canada

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Par Andrew Elliott

Dans le premier article de la série Perspectives des porteurs noirs, Rebecca Murray mettait en lumière une photographie datant de la guerre sur laquelle figurait le nom du porteur Jim Jones, originaire de Calgary. Soulignons que, dans le fonds du Canadien National (CN), que je consulte dans le cadre de mon travail, il est plutôt rare de trouver le nom d’un porteur. Cette collection (RG30/R231), l’une des plus importantes acquisitions privées de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), devrait en principe regorger de documents relatifs aux porteurs, compte tenu du rôle essentiel qu’ils occupaient dans le service ferroviaire. Malheureusement, jusqu’à tout récemment, c’était loin d’être le cas. Une recherche simple avec le mot-clé « porteur » produisait généralement peu de résultats, voire aucun. Je m’efforce maintenant de remédier à cette lacune.

Ces derniers mois, j’ai minutieusement procédé à l’examen des documents accumulés concernant la division des services aux voyageurs du CN (en anglais). Je suis tombé sur un ensemble de dossiers datant de la fin des années 1960 et portant sur le personnel des services des voitures-lits, des voitures-restaurants et des voitures de passagers (en anglais) du CN. Ces archives couvrent un éventail de sujets, incluant les accidents, les demandes d’assurance, les vols de biens de l’entreprise et les départs à la retraite. Elles offrent aussi un aperçu précieux des conditions de travail des cuisiniers, des serveurs, des garçons de service et des porteurs. Parmi ces documents, un dossier personnel particulièrement intéressant a retenu mon attention : celui de Thomas Nash. M. Nash était un porteur noir dont la carrière exceptionnelle s’est étendue sur 42 ans, depuis son entrée en fonction le 23 juin 1927 jusqu’à sa retraite en août 1969. Son dossier, d’une richesse remarquable, met non seulement en lumière le parcours singulier de M. Nash, mais contribue également à mieux comprendre le quotidien des porteurs noirs à cette époque.

Qui était Thomas Nash?

Le dossier détaillé de M. Nash nous permet de reconstituer progressivement sa biographie. Élevé par ses parents adoptifs à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, il s’installe plus tard à Montréal, où il travaille comme porteur pour le CN. Le processus ayant mené à la collecte de cette information s’avère aussi particulièrement intéressant.

À la fin des années 1940, le bureau des dossiers du personnel du CN entame des démarches pour déterminer la date de naissance de M. Nash, une information essentielle pour établir son admissibilité à la retraite. À l’instar de nombreux dossiers de citoyens noirs au Canada et aux États-Unis, ceux de M. Nash présentent des lacunes administratives, une situation d’autant plus complexe en raison de son adoption. Il indique donc plusieurs années de naissance possibles, notamment 1899, 1900, 1902, 1904, 1905 et 1907, ce qui complique davantage le processus.

Page indiquant les dates de naissance possibles d’un porteur du CN.

Document du bureau des dossiers du personnel du CN fournissant diverses dates de naissance possibles pour Thomas Nash, daté du 10 juin 1952. (MIKAN 6480775)

M. Nash n’étant pas en mesure de fournir des renseignements précis au sujet de sa naissance, le bureau des dossiers du personnel du CN entreprend ses propres recherches. En 1952, le bureau sollicite l’aide du directeur de l’école St. Ninian d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, où M. Nash aurait étudié durant sa jeunesse. Ces démarches demeurent cependant infructueuses. L’année suivante, le bureau des dossiers du personnel du CN communique avec le Bureau fédéral de la statistique, qui confirme enfin que M. Nash est né le 26 août 1904. Le recensement de 1911 révèle également que M. Nash vivait avec ses parents adoptifs à Antigonish, un détail qui figure par ailleurs dans son dossier personnel. Fait intéressant : le nom de famille de M. Nash semble avoir changé au fil du temps (bien que son dossier personnel n’aborde pas explicitement la question). Durant son enfance, il portait le nom de famille « Ash », qui est ensuite devenu « Nash » dans les environs de son déménagement à Montréal, avant qu’il ne commence à travailler pour le CN. S’agit-il d’une erreur d’enregistrement? Le fait de fournir l’année exacte de sa naissance a permis à M. Nash d’être admissible au régime de pension du CN, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1935.

Après en avoir appris un peu plus sur l’enfance de M. Nash, nous découvrons certains détails sur sa vie après son déménagement à Montréal. Il s’intègre à la communauté noire de la ville, une communauté tissée serrée, et s’installe dans ce qui est alors connu comme le quartier Saint-Antoine. Cela n’a rien de bien étonnant, compte tenu de la ségrégation raciale dans le domaine du logement à l’époque et de la proximité de la gare.

Bien que le dossier personnel de M. Nash ne contienne pas beaucoup d’informations sur ses premières années à Montréal, nous savons qu’il résidait au 729, rue des Seigneurs dans les années 1950 et au début des années 1960. Une lettre qu’il adresse au bureau des dossiers du personnel du CN en 1968 révèle qu’il s’est marié et qu’il a ensuite habité avec son épouse au 2458, rue Coursol, à quelques minutes à peine de son ancienne résidence.

Dans le quartier Saint-Antoine, presque tous les ménages avaient un lien avec la profession de porteur, un métier hautement respecté au sein de la communauté. L’estime qu’on leur vouait se manifestait notamment par une tradition bien ancrée : lors de la retraite d’un porteur, famille, amis, collègues et employeurs se réunissaient à la gare pour l’accueillir au retour de son dernier parcours. Le Black Worker, le bulletin syndical de la Fraternité des porteurs de wagons-lits, évoque fréquemment ces moments privilégiés. On peut donc présumer que M. Nash aurait lui aussi reçu une reconnaissance similaire au moment de prendre sa retraite en 1969.

Lettre des Ressources humaines du CN fournissant des détails sur le départ à la retraite d’un porteur du CN en août 1969.

Lettre annonçant le départ à la retraite de Thomas Nash en août 1969. (MIKAN 6480775)

Les droits et les conditions de travail des porteurs

La carrière de M. Nash a débuté en 1927, une année charnière pour le CN et son personnel. En effet, le CN et son syndicat, la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, mettent en place un système ségrégué qui divise le personnel en deux groupes. Le premier groupe, composé des employés des voitures-restaurants et des chefs de train des voitures-lits, était réservé aux hommes blancs, tandis que le second regroupait les porteurs, majoritairement noirs. Ces conventions collectives distinctes ont pour effet de limiter les possibilités liées à l’ancienneté et aux promotions au sein de chaque groupe, et confinent les travailleurs noirs au travail de porteur, les empêchant essentiellement de progresser dans les échelons du CN.

M. Nash aurait rapidement compris que ses possibilités d’avancement étaient inexistantes. Steven High nous aide à remettre l’expérience de M. Nash en contexte, en notant que les porteurs des années 1920 et 1930 travaillaient de très longues heures et empochaient un salaire mensuel fixe, quel que soit le nombre réel d’heures travaillées. En transit, les porteurs n’avaient droit qu’à trois heures de sommeil par jour. Il va sans dire que leurs conditions de travail étaient éprouvantes et abusives. Il est regrettable que les premières années de carrière de M. Nash, y compris ses contributions durant la Deuxième Guerre mondiale, ne soient pas documentées dans son dossier personnel. Cette omission est d’autant plus troublante compte tenu de l’importance de son travail.

Même si les archives en font peu état, les porteurs noirs se sont battus pour améliorer leurs conditions de travail. En 1945, la Fraternité des porteurs de wagons-lits et le Chemin de fer du Canadien Pacifique négocient avec succès une nouvelle convention collective qui prévoit de meilleurs salaires, des congés payés et une réduction des heures de travail. Ces gains syndicaux ne s’étendent toutefois pas aux employés du CN, qui restent liés par la convention plus restrictive de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer. L’extrait de la convention ci-dessous, datée de 1948, montre que les porteurs restent parmi les employés les moins bien payés, juste derrière les employés de cuisine, avec des salaires mensuels variant entre 174 $ et 209 $. De surcroît, contrairement à d’autres professions mentionnées, les porteurs ne voyaient aucune augmentation salariale après deux ou trois années d’expérience. En réalité, les conditions de travail de ces hommes restèrent pratiquement inchangées jusqu’en 1964, année où la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers voit le jour. Celle-ci met fin aux barrières raciales dans le domaine et crée une liste d’ancienneté commune.

(Pour plus de détails sur la longue lutte pour les droits des porteurs, écoutez le 4e épisode de « Confidences de porteurs » : La longue lutte pour les droits des porteurs.)

Page de couverture de la convention collective de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, ainsi que les renseignements concernant les salaires des employés.

Pages de la convention collective de la Fraternité canadienne des employés des chemins de fer, datée de 1948, faisant état des conditions de travail et des taux de rémunération des employés des services de voitures-lits, de voitures-restaurants et de voitures-salons. (MIKAN 1559408)

On pourrait aisément passer outre l’importante contribution des porteurs en faisant un survol rapide du fonds du CN, mais le dossier personnel de Thomas Nash fournit des informations précieuses sur la nature de leur travail. Sa carte d’évaluation de la qualité du travail de l’employé met notamment en évidence les pressions exercées sur les porteurs. Cette carte a été conçue pour documenter et classer la qualité du service offert, ce qui rappelle que M. Nash et ses confrères étaient constamment surveillés, que ce soit par le personnel du CN ou par les passagers. Il est important de souligner que même les infractions mineures pouvaient entraîner l’attribution de points d’inaptitude, familièrement appelés « brownies ». L’accumulation de 60 points d’inaptitude entraînait le licenciement automatique de l’employé, sans possibilité d’appel. Et, ce qui rend le cas de M. Nash d’autant plus remarquable, c’est qu’en 42 ans de carrière, il n’a jamais reçu un seul point d’inaptitude. La carte de commentaires ci-dessous, laissée par un passager en 1958, offre à la fois une anecdote concrète et un témoignage du service exceptionnel de M. Nash : « Excellent porteur, mais parle trop ». Bien que contradictoire en apparence, cette remarque reflète la personnalité attachante de M. Nash et son grand dévouement à l’égard de son métier.

Cartes comportant les notes données à Thomas Nash et des commentaires sur la qualité de son travail.

Recto et verso de la carte d’évaluation de la qualité du travail de Thomas Nash. (MIKAN 6480775)

En 1961, un autre passager a même félicité M. Nash pour son travail :

Lettre dactylographiée d’un passager décrivant l’excellent service que lui a fourni le porteur du CN, Thomas Nash.

Lettre d’un passager félicitant le porteur du CN Thomas Nash pour l’excellence de son service, 1961. (MIKAN 6480775)

Faire connaître le travail des porteurs

Mon équipe reste déterminée à en apprendre davantage sur la vie des porteurs et sur les expériences qu’ils ont vécues sur les voies ferrées. Depuis l’an dernier, nous avons téléversé plus de 21 000 dossiers de service appartenant à des employés qui ont travaillé pour le CN et les sociétés qui l’ont précédé. Ceci comprend les dossiers de 1 066 porteurs dans la sous-sous-série intitulée Employees’ provident fund service record cards. Petit à petit, nous découvrons dans le fonds du CN des documents qui révèlent l’inestimable contribution des porteurs, permettant de mettre en lumière l’importance de leur service. À bien des égards, ceci nous permet de célébrer leur héritage et de redonner vie à leurs histoires. Ces efforts contribuent aussi à une nouvelle compréhension de la profonde influence des porteurs dans l’édification du Canada d’aujourd’hui.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de BAC.

Le logo du CN : du quai de départ à la destination – deuxième partie

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Par Andrew Elliott

Dans la première partie, nous avons mentionné qu’après l’adoption du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (CN), le travail d’Allan Fleming pour la compagnie consistait surtout à offrir des services-conseils. L’équipe de la refonte visuelle a commencé par choisir le design des différents objets du chemin de fer, puis Valkus a trouvé des moyens d’intégrer le logo sur ces objets. L’information était ensuite transmise à des agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel du CN.

McConnell Eastman était responsable de la publicité sur le marché canadien. La Canadian Advertising Agency s’occupait du marché francophone au Québec, et Maclaren Advertising, du marché international. Ces trois sociétés créent les slogans accrocheurs qui sont imprimés sur les affiches et dans les journaux.

Utilisation du logo

Le logo est appliqué sur divers produits : les locomotives, les voitures, les billets, les sous-verres, les emporte-restes, les signets, les enveloppes, les cartes professionnelles, les en-têtes, les calendriers, les publicités, etc.

Onze affiches, produits et publicités.

Produits ornés du nouveau logo du CN. (No MIKAN 6026153)

Uniformisations du logo : le manuel de l’affichage

L’équipe de la refonte visuelle devait établir des normes sur l’utilisation du logo pour l’ensemble du personnel. Elle a commencé par produire un livret bilingue (Voir c’est croire / Seeing is believing) facile à distribuer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la compagnie.

La couverture et trois pages de texte d’un livret.

Le livret Voir c’est croire. (No MIKAN 6026153)

De 1963 à 1967, le CN a aussi recours aux services de Jean Morin (par le biais de Valkus Inc.). Ce talentueux graphiste est né à Québec le 2 mars 1938. Il étudie les arts publicitaires à l’École des beaux-arts de Québec de 1956 à 1960. Il est l’un des premiers Canadiens français à étudier le design graphique, une discipline qui commence à s’implanter au début des années 1960. Pendant le semestre d’hiver 1960-1961, il est étudiant libre à la Kunstgewerbeschule à Zurich. Il a aussi la chance de visiter plusieurs ateliers en Suisse, à une époque où le design graphique est en plein essor en Europe.

À son retour au Canada, Jean Morin commence par travailler pour la Commission des expositions du gouvernement canadien en 1961 et 1962. Ses projets ultérieurs, dont celui pour le compte du CN, portent sur les images de marque. Dans le cadre de ses fonctions, il prépare le premier manuel de normalisation de l’affichage au Canada.

Ce manuel écrit en 1965 se trouve dans le fonds de Jean Morin, qui est conservé à BAC (MIKAN 160277, volume 1, R2725). Ce guide, d’une simplicité étonnante, est axé sur le design esthétique, notamment en ce qui a trait à la typographie et à l’harmonisation des couleurs.

Une page avec le logo du CN dans le coin inférieur gauche et les mots « Manuel d’affichage » écrits en anglais dans le coin inférieur droit. Dans le coin supérieur droit, le texte mentionne que le manuel est publié avec l’autorisation du vice-président à la direction.

Première page d’un manuel du CN sur l’affichage. (No MIKAN 162289)

Le manuel établit clairement son intention, décrivant en peu de mots le programme de refonte visuelle du CN. Un guide explique comment tracer convenablement les lettres C et N sur une grille pour qu’elles aient toujours la même forme, peu importe leur taille. Le manuel mentionne quelles sont les couleurs standards et explique comment les agencer. Le type de police et l’espacement entre les lettres optimisent l’effet visuel. Il y a aussi plusieurs exemples de maquettes pour des impressions sur de la papeterie, sur des bureaux ou sur les enveloppes extérieures des bâtiments. Des codes permettent au personnel de commander des gabarits pour des lettres ou des couleurs particulières auprès du service des fournitures du CN.

Cinq pages comprenant des instructions et des logos.

Extraits du manuel d’affichage du CN. (No MIKAN 162289)

Le manuel de Morin est remarquable, car il décrit les atouts esthétiques de l’image de marque créée par des designers graphiques professionnels, mais dans un langage à la portée de tous, notamment du personnel du CN.

Au printemps de 1968, la société de Valkus et le CN mettent fin à leur collaboration en raison d’un conflit sur les paiements pour les services rendus l’année précédente. Le CN embauche alors ARC Corporation, une autre société de design montréalaise. Heureusement, son personnel comprend d’anciens employés de Valkus, ce qui assure une certaine continuité. Les documents dans le fonds du CN montrent qu’une relation stable se poursuit jusqu’à la fin des années 1970.

À partir des années 1960, personne n’ose toucher au logo ou au manuel des normes. En 1996, soit quelques années après sa retraite, Lorne Perry se voit confier la révision du manuel. Il ne s’agit pas de tout revoir, mais d’épurer l’identité visuelle et d’éliminer tout élément superflu. « J’ai consulté des sociétés qui descendaient directement des créateurs. Tout a été mis à jour, simplifié, uniformisé et organisé de manière à prendre la forme d’un manuel. Le logo du CN demeure simple et marquant, exempt de toute fioriture. »

La version mise à jour est publiée en 2001. Elle explique entre autres comment utiliser les couleurs officielles :

La couleur constitue une caractéristique importante du logo. Tout comme les autres éléments de conception du logo, la couleur utilisée doit toujours être la même pour que le message soit clairement transmis.

La couleur officielle du CN est le rouge (Pantone 485). Lorsque la méthode d’utilisation ou le véhicule de communication le permettent, le logo CN doit apparaître en rouge sur une surface blanche, ou en blanc sur une surface rouge. Si le rouge n’est pas disponible, le logo doit alors apparaître en noir sur une surface en blanc, ou en blanc sur une surface en noir. Il doit toujours y avoir un contraste suffisant.

Il peut arriver que le logo soit utilisé dans un contexte plus commercial et que l’arrière-plan ne soit pas d’une seule couleur. Dans les cas où l’on doit s’éloigner de la combinaison de couleurs approuvées par le CN, l’utilisation d’autres couleurs devra être justifiée et approuvée par les Affaires publiques.

Évolution du programme de refonte visuelle

Lorne Perry contribue grandement à maintenir la cohérence du programme de refonte visuelle, car il occupe un poste influent pendant plusieurs décennies, en plus d’agir comme traducteur en chef. Il a le don de construire des ponts entre les designers graphiques et le reste de la compagnie.

Dans les années 1970, le programme de refonte visuelle devient le programme d’identification organisationnelle. Au milieu de la décennie, la division des services aux passagers du CN accuse un déficit annuel de 70 millions de dollars. Le CN cherche une stratégie pour que le gouvernement pallie le manque à gagner du service public, et conclut qu’une nouvelle image de marque est nécessaire afin que l’ampleur du besoin frappe les imaginations. Le CN retient les services de Corporation Arc dans ce but.

La société ne présente qu’un logo, une combinaison de couleurs (bleu et jaune) et un nom : VIA. Lorne Perry se rappelle que le tout fut présenté au comité de direction du CN, présidé par le président-directeur général Robert Bandeen. Il a eu l’agréable surprise d’apprendre que les couleurs choisies, le doré et le bleu saphir, étaient aussi celles de l’Université Duke, l’alma mater de Bandeen. Il a été d’autant plus facile de le convaincre.

Quelque 65 ans après son dévoilement, le logo du CN continue de faire partie intégrante de son image de marque.

Pour en savoir plus à son sujet, découvrez le projet Allan Fleming, piloté par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

 

Le logo du CN : du quai de départ à la destination – première partie

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Par Andrew Elliott

Rares sont les personnes qui ont étudié le processus de conception du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Pourtant, ce bouillonnement créatif a mené au dévoilement d’un véritable emblème en 1960. Comme nous l’avons mentionné dans un précédent blogue, Bibliothèque et Archives Canada conserve de nombreux documents concernant la création de ce logo d’entreprise.

Après la Première Guerre mondiale, la compagnie cherche son identité. Elle essaie un certain nombre de logos et de slogans, dont le mémorable « The National Way » (La voie nationale; voir l’image ci-dessous tirée d’un numéro de 1920 de la revue Canadian National Railways). Ce slogan est utilisé dans un logo de 1919 à 1921, et son usage se répand tout au long des années 1920.

Page d’une revue avec le slogan « The National Way ».

Le logo et le slogan du CN dans le numéro de janvier 1920 de Canadian National Railways. (No OCLC : 933318325)

De 1959 à 1969, le CN se réinvente. Il faut dire qu’une bonne partie du travail avait été fait dans les années 1950 : mise à niveau du matériel roulant, amélioration des services aux passagers et retrait progressif des locomotives à vapeur en faveur du diesel. Mais la création du nouveau logo, en 1960, n’est pas une mince affaire : il faut trouver un motif attrayant tant pour les voyageurs que pour le personnel du CN. Nous verrons ici comment le nouveau logo s’est implanté dans l’ensemble de la compagnie, puis au sein du grand public. Les répercussions à long terme de cet extraordinaire travail de graphisme sont particulièrement intéressantes.

La refonte de l’identité visuelle : l’implantation concrète du nouveau logo

Comment implanter un nouveau logo dans une grande compagnie? L’équipe de la refonte visuelle commence par mettre le logo du CN dans le rapport annuel de 1960. Peu après, des articles sur le logo et son importance dans le domaine du graphisme paraissent dans des numéros de la revue interne Keeping Track (Au fil du rail), qui a pris la place du Canadian National Railways Magazine.

Les honneurs reçus facilitent le processus. Un ancien employé du CN, Lorne Perry, rapporte que l’équipe de la refonte visuelle a reçu de nombreux prix prestigieux de la part d’organisations de design graphique au Canada, aux États-Unis et outremer. L’organisateur d’un séminaire sur le graphisme au Canada loue publiquement le CN pour avoir été l’une des premières grandes compagnies à faire parvenir le design des grandes villes dans « l’arrière-pays canadien ».

De plus, la compagnie déploie d’énormes efforts pour rajeunir son image. Par exemple, elle améliore le design intérieur des trains et modernise leur apparence extérieure. Pour le prix d’un billet, les passagers peuvent profiter de meubles et d’un design dernier cri. Les trains deviennent alors des salles d’exposition mobiles accessibles à tous. Ce n’est pourtant qu’une petite partie du chantier lancé par la compagnie.

Pour mener à bien ce projet colossal, l’équipe de la refonte visuelle collabore étroitement avec la société Valkus Incorporated. Rappelons que James Valkus était l’un de ces designers graphiques dans le vent à New York. Il avait déjà participé aux premiers efforts de conception du logo.

Un homme assis sur une chaise de bois.

James Valkus, vers 1963. (No MIKAN 162289)

De 1960 au début de l’année 1968, le CN a recours aux services de sa société de design pour obtenir des conseils généraux sur le déploiement des divers aspects du logo. Le contrat prévoit que, la première année, le CN paiera jusqu’à 60 000 $ à la société si son approche est choisie, puis 120 000 $ par année pour contribuer au déploiement. Ce sont des montants tout à fait substantiels pour l’époque, et le tarif a peu varié au fil des années.

Voyons comment Valkus s’y est pris. Il commence par diviser les divers types de matériel promotionnel en catégories : images dans les trains; objets dans les trains; images dans les hôtels; objets dans les hôtels; images dans les gares; et objets dans les gares. Puis, il subdivise le tout pour relever précisément ce qui doit changer. Le contrat conclu entre le CN et Valkus en 1962 énumère les éléments suivants :

  • Équipement des locomotives et des voitures
  • Véhicules à moteur
  • Équipement pour l’entretien des voies
  • Signalisation
  • Manuels
  • Formulaires et documents imprimés
  • Revue Keeping Track
  • Uniformes
  • Matériel promotionnel
  • Affichage publicitaire

Valkus et l’équipe de la refonte visuelle demandent aux services du CN de fournir une liste complète d’objets à modifier. Par exemple, le service des voitures-lits et des voitures-restaurants fournit une liste de quatre pages :

Quatre pages tapuscrites.

Quatre pages décrivant en détail les changements nécessaires dans le service des voitures-lits et des voitures-restaurants du CN. (No MIKAN 5891012)

La refonte visuelle touche aussi les filiales du CN. Central Vermont et le Grand Tronc adoptent à leur tour une image de marque épurée rappelant le logo du CN. À la fin des années 1960, même les hôtels du CN obtiennent leur propre logo : une clé rouge.

Pendant cette période, Allan Fleming ne participe pas vraiment au travail de terrain, offrant plutôt des services-conseils en coulisses. L’équipe de la refonte visuelle commence par dessiner les divers objets du chemin de fer, puis Valkus trouve des moyens d’y intégrer le logo. L’information est ensuite transmise aux agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel de la compagnie.

C’est à suivre dans la prochaine partie de ce billet!

Pour en savoir plus sur le logo du CN, découvrez le projet Allan Fleming, mené par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

Le logo du CN : le graphisme d’entreprise à son meilleur

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Par Andrew Elliott

« Notre troisième partenaire, c’est l’imagination. »
Allan Fleming, Cooper & Beatty Ltd., 1958

Introduction

Dans l’histoire du graphisme d’entreprise, un logo ressort du lot : celui de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ou CN. On reconnaît au premier coup d’œil sa forme unique aux contours arrondis, bien visible sur les trains, les immeubles et le matériel promotionnel de la compagnie. Mariant tradition et innovation, il témoigne de la relation complexe entre image de marque, fierté nationale et culture de consommation. Il nous relie instantanément au CN, semblant presque se suffire à lui-même tout en donnant l’impression d’avoir toujours été là. Mais quelle est donc son histoire?

Marqueurs visuels et identitaires, les logos de chemins de fer sont là pour positionner les entreprises qu’ils représentent. Au cours du 19e siècle et pendant une bonne partie du 20e siècle, les compagnies ferroviaires canadiennes subissent l’influence des typographies britannique et américaine, comme en témoigne le graphisme de l’époque. Certains logos sont plus traditionnels, tel celui du Chemin de fer Canadien Pacifique, composé de castors et d’un bouclier. D’autres sont plus originaux et novateurs, comme le logo du Chemin de fer Canadien du Nord : d’allure moderne, voire futuriste, il combine des lettres de différentes tailles à l’intérieur d’un motif en zigzag.

Logo en forme de cercle comprenant les mots « Canadian Northern » et un motif en zigzag.

Logo du Chemin de fer Canadien du Nord, dépliant sur le trajet dans la vallée de la Saskatchewan. (No MIKAN 5751636)

Quant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, elle voit le jour en 1919, et côté graphisme, tout un éventail de possibilités s’offre à elle.

Le logo du CN : un peu de contexte

Entre 1919 et le début des années 1920, la Compagnie des chemins de fer nationaux ne réinvente pas la roue : elle se contente de reprendre l’ancien logo du Chemin de fer Canadien du Nord, en remplaçant le mot « Northern » par « National ». Affaire classée!

Logo du CN avec le motif en zigzag.

Gros plan du premier logo du CN sur le devant d’un wagon, avec le motif en zigzag, vers 1920. (No MIKAN 3349475)

Du milieu des années 1920 au milieu des années 1950, le CN adopte d’autres logos à l’allure plus traditionnelle, comme on le voit ici :

Les mots « Canadian National Railways » apparaissent dans un encadré sur fond noir, superposés et soulignés.

Gros plan du logo de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada datant des années 1920. (No MIKAN 5750861)

Feuille d’érable verte avec l’inscription « Canadian National Railways » au centre. Les mots sont superposés et soulignés.

Gros plan du logo de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada datant des années 1940. (No MIKAN 5752559)

À la recherche d’une nouvelle image : un vent de changement au CN

La fin des années 1950 est marquée par l’avènement des nouvelles technologies et le passage des locomotives à vapeur aux locomotives au diesel. Le CN cherche alors à se réinventer et à reconquérir l’imaginaire des voyageurs. Et les dirigeants décident d’y aller à fond en optant pour l’audace!

Divers facteurs expliquent cette décision. Un sondage réalisé par le CN vient de révéler que la population perçoit l’entreprise comme étant vieille et désuète, malgré une décennie d’investissements pour la moderniser et la rendre plus efficace. Parallèlement, l’équipe des relations publiques comprend l’intérêt de disposer d’un logo comme outil de marketing. Et la direction est prête à miser sur la nouveauté.

On confie donc à Dick Wright, responsable des relations publiques du CN, la tâche colossale de rajeunir l’image de la compagnie; un travail que poursuivra son successeur, Charles A. Harris. Dans l’ouvrage Designs for the Times: The Story of the CN Design Program, Lorne Perry, ancien employé ayant participé à cette refonte visuelle, écrit :

« Ce n’est pas évident pour quelqu’un de changer d’allure ou de personnalité, et ce n’est pas plus facile pour une entreprise. Mais parfois, ça en vaut le temps, les efforts et l’argent, par exemple si : (a) la nature des produits et des services de l’entreprise a radicalement changé; (b) l’entreprise s’est modernisée, mais les clients ne l’ont pas remarqué; ou (c) l’image de marque de l’entreprise ne convient plus, en raison de facteurs indépendants de sa volonté. Dans le cas du CN, la réponse était (b). »

Pour mener à bien cette tâche, le CN fait appel à une entreprise américaine de graphisme dirigée par James Valkus. Celui-ci engage à son tour Allan Fleming, un jeune génie créatif de Toronto. Les deux hommes sont d’accord : le CN a besoin de bien plus qu’une nouvelle marque de commerce. C’est toute son identité visuelle qui doit être repensée.

L’apport de l’extérieur : Allan Fleming

Allan Robb Fleming (7 mai 1929-31 décembre 1977) est un jeune graphiste canadien. À l’époque, il est vice-président et directeur des services créatifs de Cooper & Beatty Ltd., une société de typographie basée à Toronto. La société fait la mise en page de divers documents avant d’acheminer le tout aux imprimeurs.

C’est à Fleming qu’on doit le nouveau logo du CN. Au fil des ans, il imaginera aussi les logos de nombreuses entreprises et institutions canadiennes, dont l’Université Trent (1964), Ontario Hydro, le Conseil national de l’esthétique industrielle du ministère de l’Industrie et du Commerce ainsi que l’Orchestre symphonique de Toronto (1965), la Compagnie de la Baie d’Hudson (1969), ETVO (aujourd’hui TVOntario, 1970) et Gray Coach Lines (1971). En 1973-1974, alors qu’il travaille pour Burton Kramer Associates, il participera au projet qui aboutira au changement d’image de la Canadian Broadcasting Corporation.

(La plupart des documents relatifs à la vie et à la carrière d’Allan Fleming se trouvent aujourd’hui aux archives de l’Université York, à Toronto. Vous pouvez consulter en ligne le fonds Allan Robb Fleming et ses documents numérisés, en anglais.)

L’auteur de ces lignes s’est récemment entretenu avec Martha Fleming, la fille d’Allan Fleming, qui soulignait la nature complexe du partenariat entre son père et Valkus. Ce dernier supervisait la refonte de l’image de marque, tandis que Fleming était responsable du « joyau de la couronne » : le logo.

Martha Fleming s’est aussi exprimée sur le travail de son père lors d’une entrevue donnée sur Biblio File le 24 octobre 2022 (en anglais). Elle y déclarait que ce dernier savait créer des logos alliant tradition et modernité. Il s’intéressait également à la façon dont les époques unissaient les gens, les objets et les idées, et à la façon dont la typographie permet de fusionner l’image et l’objet. Il possédait toute une collection de cahiers de référence, et avait aussi conçu divers catalogues. Le projet de logo du CN lui a été confié alors qu’il travaillait chez Cooper & Beatty Ltd. Outre le logo, d’autres projets de typographie ont suivi : télégrammes, papeterie, billets et même véhicules (dont les locomotives). Au total, cinq personnes ont contribué au projet du logo. Aux dires de Martha Fleming, il s’agissait d’un travail très stressant.

Le logo du CN au fil du temps : l’expression d’une créativité commune

Bibliothèque et Archives Canada possède une splendide collection d’esquisses et d’illustrations diverses qui témoignent de la créativité ayant entouré la refonte du logo du CN. Ces documents sont conservés dans le fonds de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, dans la série « Designs relating to the CN logo » (projets graphiques concernant le logo du CN).

Les dossiers artistiques semblent avoir été reconstitués pour illustrer la progression du logo; il est néanmoins très difficile de se prononcer sur les dates exactes de chaque document, et sur le moment précis où le logo a atteint sa version définitive.

Cela dit, le tout témoigne d’un processus créatif remarquable. On peut y voir différentes variantes du logo, avec Valkus, Fleming et d’autres graphistes de l’équipe reprenant les idées des uns et des autres pour les faire évoluer.

Même sans chronologie exacte, on peut quand même retracer (au moins en partie) la progression du logo. Voici quelques esquisses où les graphistes tentent de saisir l’essence de la compagnie ferroviaire : le mouvement.

Logos du CN esquissés à la main et répétés maintes fois.

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6305308)

Fleming ayant demandé à Valkus si l’un de ces logos l’intéressait (« Any of these interest you? »), un autre exemple reprend ce concept et le fait évoluer.

Des logos du CN couvrent une page où l’on peut lire « Any of these interest you? » (L’un d’entre eux vous intéresse-t-il?)

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6316316)

Dans un autre exemple, Valkus écrit à Fleming pour lui dire de ne rien jeter de ces gribouillis (« Allan, save all this junk »).

Des logos du CN couvrent la surface d’une page où l’on peut lire la note « Allan, save all this junk » (Allan, conservez tout ce bazar).

Esquisses du logo du CN. (No MIKAN 6316312)

Dans les exemples suivants, on voit que les esquisses se concentrent sur des éléments plus précis; on peut aussi lire des encouragements de Valkus.

Des logos du CN couvrent une page comportant aussi deux notes manuscrites.

Esquisses préliminaires du logo du CN. (No MIKAN 6316355)

Des logos du CN couvrent une page où l’on peut lire la note suivante : « Allan, this one fits things beautifully. » (Allan, celui-ci convient parfaitement.)

Esquisses du logo du CN. (No MIKAN 6316325)

Deux autres personnes composent l’équipe de graphistes travaillant au logo du CN : Carl Ramirez et Arthur King.

Eux aussi contribuent à l’effort collectif… même si, 60 ans plus tard, quelques tangentes inhabituelles (pour ne pas dire hypnotiques) nous font nous demander si quelque chose a pu influencer leur créativité!

Voici deux exemples de logo plutôt étourdissants :

L’un des logos proposés pour le CN. Les lettres forment une spirale carrée.

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 6327284)

L’un des logos proposés pour le CN. Le côté gauche du C est allongé pour évoquer le coin d’un œil.

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 6341857)

Dans la version presque finale du logo, l’enthousiasme de Valkus est palpable. Il note : « Allan, Make thinner and we’ve got it! » (Allan, faites-le un peu plus mince et le tour sera joué!)

Proposition presque finale pour le logo du CN, qui ressemble beaucoup au logo définitif, mais avec un lettrage plus épais. Une note signée Jim dit : « Allan, Make thinner and we’ve got it! » (Allan, faites-le un peu plus mince et le tour sera joué!)

Ébauche du logo du CN. (No MIKAN 2887712)

Le logo est maintenant trouvé. Prochaine étape : Fleming doit obtenir l’adhésion de tous les niveaux de l’organisation, de la direction générale jusqu’aux simples employés. Dans une série de présentations sur papier, il explique en termes simples la signification et l’objectif du logo. Il soulève aussi des questions pertinentes :

  • Le logo est-il facile à reproduire?
  • S’imprimera-t-il facilement dans la mémoire du public?
  • Est-il lisible?
  • Communique-t-il rapidement ce qu’il doit communiquer?
  • Pourra-t-il bien traverser les époques?

Voici l’une des idées de présentation transmise par Fleming à Valkus.

Présentation sur papier avec des notes manuscrites, des dessins et le logo du CN.

Projet de présentation d’Allan Fleming. (No MIKAN 6341859)

En outre, Fleming (secondé par Valkus) explique que la nouvelle image de marque permettra de réaliser des économies grâce à un graphisme simplifié, de relier visuellement les divisions de l’entreprise et d’exprimer en un clin d’œil la somme de ses parties. Il décortique le nouveau logo pour qu’on puisse voir de quoi il aura l’air sur différents composants du CN : qu’il s’agisse de la signalisation ou des tout petits articles (comme la vaisselle) en passant par les éléments architecturaux, la décoration intérieure, les présentoirs et les véhicules.

Vers la fin de 1960, la direction du CN approuve le nouveau logo, et on procède progressivement à son déploiement. Le public en est informé dans divers journaux et magazines, dont Keeping Track (Au fil du rail), la publication officielle du CN, qui publie un article intitulé « A new look for the CNR » (Une nouvelle image pour le CN).

Photo montrant trois hommes travaillant sur des esquisses.

Photographie tirée de l’article « A new look for the CNR » (Une nouvelle image pour le CN) publié dans la revue Keeping Track (Au fil du rail). (No MIKAN 6026153)

Selon une publication spécialisée de 1960-1961, la légende voudrait que Fleming ait présenté son logo définitif à peine 15 minutes avant la fin du délai imposé par le CN, une anecdote qui ne rend pas justice à la complexité du processus de création.

Bref, après une année de travail, la collaboration entre la direction, le service de conception visuelle et les graphistes du CN débouche sur une toute nouvelle image à la fois innovante et accrocheuse, tellement simple dans sa forme qu’elle semble se fondre naturellement dans le paysage. Le nouveau logo du CN fait son entrée en force au début de l’année 1961; rapidement, il donne l’impression d’avoir toujours été là. L’année précédente, Allan Fleming avait déclaré : « Je pense que ce symbole va durer au moins 50 ans; on n’aura pas besoin de le refaire, parce qu’il est conçu pour l’avenir. Sa simplicité est un gage de durabilité. »

La suite lui a donné raison : depuis plus de 60 ans, le logo – aussi connu au Canada qu’à l’étranger – est toujours utilisé par l’entreprise!


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

Affiches de voyage de la collection Marc Choko – un défi Co-Lab

Par Andrew Elliott

La collection Marc Choko offre un fantastique échantillon des affiches de voyage canadiennes entre 1900 et les années 1950. Comme l’a écrit Henry Miller pendant son voyage en Grèce dans les années 1930, une destination n’est jamais un lieu, mais une nouvelle façon de voir les choses. En fait, tout le mouvement moderniste de l’époque vise à voir les choses anciennes sous un nouveau jour. Les affiches aident les compagnies de chemin de fer, puis les compagnies aériennes, à se faire connaître au plus grand nombre. En plus de promouvoir des services rapides et efficaces, elles présentent aux voyageurs une vision raffinée et romantique des voyages à destination et à l’intérieur du Canada.

Entre 1900 et 1930, surtout dans les années 1920, les habitudes de voyage changent beaucoup. Les touristes de la classe moyenne et les voyageurs immigrants se disputent les places à bord des trains. Le tourisme devient une sorte d’expérience théâtrale de la culture de masse, ce qui engendre la commercialisation des loisirs.

Les services de publicité de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et du Chemin de fer Canadien Pacifique nouent des liens étroits avec des artistes canadiens et américains. Ceux-ci produisent des affiches ainsi que des œuvres d’art pour d’autres produits de marketing, comme des magazines et des guides horaires. Par exemple, en 1927, le CN fait appel à des membres du Groupe des Sept pour créer un guide panoramique de 33 pages. L’objectif est de promouvoir la beauté sauvage, naturelle et romantique du parc national de Jasper. Ce guide, comportant quelques pages numérisées, se trouve dans la série du train-musée du fonds du CN.

Les compagnies de chemin de fer et les artistes n’évoluent pas en vase clos. Ils sont influencés par l’expansion de l’industrie du voyage et par les mouvements artistiques qui se propagent partout dans le monde au début du 20e siècle. On observe une convergence remarquable : les voitures, les trains, les avions, les zeppelins et les paquebots se livrent concurrence pour attirer la clientèle. Pour vendre leurs services, les entreprises utilisent des affiches vantant notamment leur rapidité et leur expérience.

La collection Marc Choko de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) comprend des affiches de voyage commandées à divers artistes par des sociétés de transport. Marc Choko, professeur émérite à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a fait don de cette collection au début des années 1990. Il a donné des cours de design à l’UQAM de 1977 à 2018. Il est aussi l’auteur de nombreux livres sur le design, dont Destination Québec : Une histoire illustrée du tourisme (2013), Canadien Pacifique : Affiches 1883-1963 (2004) et Canadian Pacific: Creating a Brand, Building a Nation (2016).

Parmi les artistes connus ayant créé des affiches, on relève les noms de Peter Ewart et Roger Couillard. Peter Ewart (1918-2001) est né à Kisbey, en Saskatchewan, mais a grandi à Montréal. Au terme de sa formation scolaire, il étudie l’art à Montréal, puis à New York. Ses peintures sont exposées à l’Académie royale de Londres (Angleterre), à l’Académie royale des arts du Canada, à l’Exposition nationale canadienne et à l’exposition de peintures canadiennes au milieu du siècle. Pour tout savoir sur la vie et la carrière de Peter Ewart, consultez le site Web qui lui est consacré (en anglais).

À la fin des années 1940, Ewart aide à établir, puis à intensifier une campagne publicitaire mémorable du Canadien Pacifique, sur le thème du plus grand réseau de transport du monde. Il reçoit des commandes de nombreuses sociétés pour plusieurs événements, comme les Lignes aériennes Canadien Pacifique, la Banque de Montréal, l’Imperial Oil Company, la B.C. Telephone Company, les Jeux olympiques d’hiver de Calgary, Ocean Cement et bien d’autres.

La collection Marc Choko contient plusieurs magnifiques affiches créées par Peter Ewart pour le Canadien Pacifique.

Orignal dans l’eau avec des arbres au loin et un petit blason de la société.

Affiche du Canadien Pacifique : Chassez cet automne – voyagez avec Canadien Pacifique (e000983752-v8) Crédit : CRHA/Exporail, Canadian Pacific Railway Company Fonds

Gros poisson dans l’eau et un petit blason de la société.

Affiche du Canadien Pacifique : « Pour information s’adresser au Pacifique Canadien » (e000983750-v8) Crédit : CRHA/Exporail, Canadian Pacific Railway Company Fonds

Roger Couillard (1910-1999) est un autre artiste bien représenté dans la collection Marc Choko. Il est né à Montréal et a étudié à l’École des beaux-arts de Montréal. En 1935, l’Institute of Foreign Travel organise un concours d’affiches sur le thème « See Europe Next » (L’Europe est votre prochaine destination). Une affiche de Couillard est choisie pour être exposée dans le grand magasin montréalais Ogilvy. En 1937, Couillard ouvre un studio dans l’édifice Drummond, sur la rue Sainte-Catherine à Montréal. Il travaille ensuite comme inspecteur hôtelier pour le ministère du Tourisme du Québec de 1966 à 1975. (Il n’y a pas beaucoup d’information sur Roger Couillard sur Internet. Les renseignements présentés ici proviennent de la page Web d’un cours sur la théorie et l’histoire du design canadien offert à l’Université d’art et de design Emily Carr. On trouve aussi des exemples d’œuvres produites par Couillard sur le site artnet.)

Les saisissantes affiches ci-dessous montrent la polyvalence de Couillard. Celui-ci travaille pour une vaste gamme d’entreprises, dont le Canadien Pacifique, le CN, les Lignes aériennes Trans-Canada et l’ancêtre de la Société maritime CSL. Les affiches montrent très bien ce que les voyages peuvent représenter pour les touristes de l’époque.

« Télégraphe – Quand la vitesse est un facteur » (e010780461-v8)

Un avion vole au-dessus d’un message écrit en anglais disant : « Ne coûte que trois sous de plus, n’importe où au Canada »

Lignes aériennes Trans-Canada : Courrier aérien (e010780458-v8)

La collection Marc Choko comprend aussi des œuvres d’artistes moins célèbres :

On y trouve aussi des œuvres d’artistes inconnus. Par exemple, une affiche remarquable pour le CN a été reproduite sur de nombreuses cartes postales, mais l’artiste n’a jamais été identifié. Pouvez-vous nous donner un coup de main?

C’est ici que Co-Lab intervient. Un nouveau défi sur les affiches de voyage a été créé. Aidez-nous à identiqueter et décrire les affiches, mais aussi à identifier les artistes! C’est un excellent moyen d’admirer les affiches de la collection Marc Choko.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

L’histoire de la Canadian National Land Settlement Association : un nouveau défi Co-Lab

Par Andrew Elliott

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) voit le jour il y a un peu plus d’un siècle, le 6 juin 1919. Sa constitution fusionne plusieurs réseaux de chemins de fer publics et privés en une seule organisation publique ayant pour mission d’assurer un service stable partout au pays.

Avec ses innombrables services, le CN essaie de répondre aux besoins de tous. Son histoire comporte donc de multiples facettes, comme en témoigne le vaste fonds d’archives de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada conservé à Bibliothèque et Archives Canada. À l’image de la compagnie, il ressemble à une hydre, cette créature à plusieurs têtes : on y trouve près de 16 000 contenants de documents!

Pour l’archiviste que je suis, deux subdivisions du CN présentent un intérêt particulier : le Colonization and Agriculture Department (Service de la colonisation et de l’agriculture), et la Canadian National Land Settlement Association (Association du Canadien National pour la colonisation rurale) qui en fait partie. Le Service a existé de 1919 à 1963, sous la direction de T. P. Devlin pour l’essentiel de cette période.

Il faut savoir que, dès 1925, les colons venant d’Europe continentale doivent si possible déposer une somme d’argent en fiducie dans une agence de colonisation approuvée par le gouvernement. Cette directive découle d’un règlement adopté la même année par le ministère canadien de la Citoyenneté et de l’Immigration, et qui restera en vigueur jusqu’en 1951.

C’est ainsi que naît l’Association le 9 mars 1925, dans le cadre d’un programme du CN visant à promouvoir l’immigration et la colonisation au Canada, qui a aussi eu des impacts négatifs considérables sur les Premières Nations, les Inuits et la Nation métisse.

(Mentionnons que l’Association faisait concurrence à la Canadian Colonization Association du Chemin de fer Canadien Pacifique, fondée en 1923. Pour en savoir plus à ce sujet, voyez les archives du Musée Glenbow, à Calgary, en Alberta.)

Grâce à ce programme, qui se poursuivra jusqu’en 1963, le chemin de fer voit ses activités augmenter et il peut se départir de certaines concessions foncières. Plus de 27 000 immigrants aidés par l’Association reçoivent de l’argent pour se procurer terres, équipement et bétail.

Comme l’Association fait pour ainsi dire partie du ministère de la Colonisation et de l’Immigration, les deux travaillent de très près, et leurs documents sont souvent entremêlés.

La plupart des documents administratifs créés par l’Association et par le Service témoignent des efforts déployés par le CN pour inciter les colons à s’installer sur leur terre, et relatent les progrès réalisés par ceux-ci. On y retrouve des rapports (entre autres sur l’évolution des communautés), des politiques, de la correspondance, des dossiers concernant des organisations et des individus (habituellement identifiés selon leur origine ethnique), des propositions de terres, des dossiers relatifs aux navires, des documents témoignant des relations entre les divers gouvernements, ainsi que des exemplaires de rapports annuels et d’autres publications.

Les dossiers personnels des immigrants sont particulièrement intéressants. Ils comprennent un questionnaire de candidature indiquant la nationalité, la langue, la religion et l’âge de la personne ainsi que des membres de sa famille; des cartes d’identité; des documents faisant état des services offerts, incluant le nom de la compagnie maritime et du navire à bord duquel ils sont venus au Canada; des reçus; des documents sur leur lieu d’établissement au Canada; ainsi que de la correspondance diverse. (Soulignons que dans les années 1920 et 1930, bon nombre d’immigrants provenaient d’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est.)

La série se divise en plusieurs sous-sections :

Bibliothèque et Archives Canada a reçu ces archives dans les années 1960. Pour les consulter, il fallait utiliser plusieurs instruments de recherche, dont un sur papier comprenant 194 pages (FA 30-39). Ces instruments de recherche peuvent aujourd’hui être interrogés en ligne.

Plusieurs rapports photographiques de l’Association ont été trouvés dans une sous-série reliée à la collection de photos principale du CN. On peut également consulter des documents dans la sous-série des rapports et photographies de l’Association, qui porte sur l’installation de familles immigrantes (en particulier dans l’Ouest canadien, années 1920 et 1930). En outre, de nombreux rapports contiennent des listes regroupant des renseignements fort intéressants, comme cette liste des immigrants établis dans l’Ouest canadien en 1934 et 1935.

Liste dactylographiée indiquant le nom, l’origine et le lieu d’établissement de familles orientées par les bureaux de l’Ouest.

Liste contenue dans un rapport intitulé Brief notes on the settlement of some of the families directed by the Western offices during the years 1934 and 1935 [Rapport sommaire sur l’établissement de certaines familles supervisé par les bureaux de l’Ouest en 1934-1935] (e011000601)

Plusieurs Européens venant s’établir sur des fermes dans l’Ouest canadien faisaient halte dans des refuges pour immigrants reliés à la gare du CN à Winnipeg, comme en témoigne cette photographie.

Photo noir et blanc d’un groupe d’immigrants arrivés à Winnipeg (Manitoba).

Immigrants arrivant à Winnipeg (Manitoba) en provenance d’Europe centrale. Années 1920 (c036148)

Les rapports de l’Association constituent des sources d’information inestimables pour les chercheurs qui veulent en savoir plus sur leurs ancêtres et sur les modèles d’établissements agricoles. Puisque les recensements effectués dans les années 1930 ne seront pas accessibles avant quelques années, ils sont pour l’instant notre seule source de renseignements sur l’origine des immigrants et leur lieu d’établissement. En voici quelques exemples :

Page d’album avec deux photos noir et blanc; l’une des photos montre une famille debout devant une maison entourée de terres agricoles, et l’autre présente la même scène en gros plan. La page contient des renseignements dactylographiés sur l’identité des membres de la famille et l’histoire de leur immigration.

La famille Kretchnear (d’origine allemande) sur sa ferme (e01100044)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant une famille debout devant une maison, et l’autre montrant un attelage de chevaux tirant une charrue. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Mehle (d’origine roumaine allemande), 1928. (e011000523)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant une famille debout devant une maison et l’autre montrant un paysage agricole. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Buff (d’origine suisse) en Colombie-Britannique, 1937 (e011000585)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant un attelage de chevaux tirant une charrue, et l’autre montrant un homme debout à côté de son attelage. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Silobodec (d’origine yougoslave) en Saskatchewan, 1937. (e011000581)

Plusieurs de ces rapports photographiques ont récemment été numérisés. Vous pouvez contribuer à leur transcription et proposer des mots-clés sur le site Co‑Lab de Bibliothèque et Archives Canada. Peut-être découvrirez-vous d’où viennent vos ancêtres, ou tomberez-vous sur leur première ferme! Les documents d’archives de la Canadian National Land Settlement Association sont une véritable mine de renseignements, en particulier sur les établissements agricoles dans l’Ouest canadien. Nous espérons qu’ils plairont aux généalogistes amateurs et chevronnés.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada